Krebbs

En 1990, les studios d’animation Disney emmènent les spectateurs aux antipodes avec Bernard et Bianca au Pays des Kangourous, leur vingt-neuvième long-métrage animé. Suite des (Les) Aventures de Bernard et Bianca sorti 13 ans plus tôt, le long-métrage offre alors la vedette à la faune si exotique de l’Australie dont fait notamment partie le koala Krebbs.

Krebbs entre dans l’histoire à la quarantième minute. L’heure est alors tragique. Cody est à présent le prisonnier du terrifiant Percival McLeach qui compte lui extorquer toutes les informations nécessaires afin de localiser l’emplacement du nid de Marahute, la grande aigle royale. En attendant que le petit garçon daigne enfin parler, il est enfermé dans une cage au milieu des dizaines d’autres créatures braconnées par le chasseur.

Enchaîné à l’intérieur d’un tonneau percé, Krebbs partage ainsi son existence et sa captivité avec le kangourous Red, le lézard à collerette Frank et plusieurs autres espèces rares parmi lesquelles un ornithorynque, un varan, des oiseaux, des opossums, des écureuils volants, des serpents et autres wombats. Si certains de ces animaux désespèrent de sortir un jour d’ici, Krebbs est pour sa part plus flegmatique et surtout plus pessimiste quant au sort de chacun. Non sans une pointe de sarcasme, il explique à Cody que chacun sortira en effet un jour de cette prison... sous la forme d’un portefeuilles, d’une ceinture à boucle ou en sac à main...

Certainement enfermé là depuis des années, Krebbs connaît par cœur chacun de ses codétenus, en particulier Frank qui, si souvent, est incapable de contenir sa nervosité. Le vieux koala s’amuse alors régulièrement à railler le pauvre petit lézard qui cherche par tous les moyens à s’enfuir. S’emparer de la clé serait une idée... Mais Krebbs a tôt fait de la tourner en ridicule. Visiblement rompu à son triste sort, ce dernier accepte malgré tout de participer au plan d’évasion échafaudé par Cody. Avec quelques bâtons, un crochet et des lacets, le jeune garçon construit une perche capable d’atteindre la clé. Tenant une extrémité du frêle cordage, Krebbs prend sa part tout en demandant à Frank de cesser ses jérémiades... Mais les espoirs de chacun sont bien vite réduits à néant avec l’arrivée de Joanna, la femelle varan qui, prévenue par les cris du lézard, pénètre dans la pièce puis détruit sans tarder la perche avant de raccrocher les clés au mur...

Quelques instants plus tard, Frank est enfin parvenu à sortir de sa cage en crochetant la serrure avec sa queue. À la surprise générale, chacun voit là son unique chance de s’échapper. Si heureux d’être enfin dehors, Frank ne peut cependant s’empêcher de crier sa joie... « Dans moins de quinze secondes, il se fait ramasser », ironise alors Krebbs. Observant le lézard gesticuler dans tous les sens pour tenter tant bien que mal d’attraper les clés, en vain, le koala s’agace. « Saint-Mère patience !... ». Encore une fois alertée par tout ce vacarme, Joanna ressurgit dans la pièce pour prendre en chasse Frank. McLeach arrive à son tour pour mettre un terme à cette grande évasion. Cody est alors exfiltré. Il abandonne malgré lui ses compagnons d’infortune dont le sort, faute de revenir dans l’histoire, est inconnu des spectateurs...

Lorsqu’ils se lancent dans la production de Bernard et Bianca au Pays des Kangourous, les réalisateurs Hendel Butoy et Mike Gabriel ainsi que l’équipe d’artistes et de scénaristes envisagent dès le départ de créer un film totalement dépaysant. L’Australie a en effet rarement été montrée en animation. Chez Disney, une seule incursion à Oz est à souligner. Elle remonte à 1948. Il s’agissait alors du court-métrage Mickey, Pluto et l’Autruche de Charles A. Nichols.

Souhaitant évidemment montrer la faune et la flore de l’île-continent, un groupe de cinq artistes y séjourne durant deux semaines afin de photographier les paysages, les plantes et les nombreux animaux typiques de la région, des kangourous aux lézards, en passant par les wombats, les échidnés à nez court, les quokkas, les serpents et évidemment des koalas, autant d’espèces ensuite étudiées par les dessinateurs lors de leurs nombreuses visites au zoo de San Diego, dans le sud de la Californie.

Krebbs est un vieux koala mâle. Capturé par McLeach, il semble être l’une des plus vieilles prises du braconnier. Enchaîné par la patte à une vieille échelle et obligé de dormir dans un tonneau défoncé, il a dès lors compris qu’aucune échappatoire n’était désormais possible pour ses compagnons et lui. Plutôt que de se lamenter sur son sort, à l’image de Frank, Krebbs préfère alors relativiser, ironiser et s’amuser de la situation. Pratiquant l’humour noir comme personne, le koala fait preuve de sarcasmes cachant malgré tout un pessimisme profond et la conviction malheureuse que personne ne sortira de cette situation vivant...

Le long-métrage ne donne d’ailleurs aucun information sur le sort final de tous ces animaux prisonniers. N’apparaissant que dans deux scènes, ils ne reviennent en effet pas à l’écran après la mort brutale de McLeach. La cachette du braconnier étant dissimulée au fin fond du désert, personne ne semble dès lors en mesure de venir les délivrer. Chaque spectateur est par conséquent laissé dans l'expectative. Les plus pessimistes envisageront une disparition terrible... Les plus optimistes pourront pour leur part inventer une fin plus heureuse dans laquelle tout le monde est libéré par Frank qui, une fois encore, serait parvenu à ouvrir sa cage avec sa queue avant de libérer tout le monde. Il est aussi possible de croire que Cody, qui connaît l’emplacement du repaire de McLeach, revienne sauver ses petits compagnons.

Trois catégories d’animaux peuplent Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Tout d’abord, ceux qui vivent à l’état sauvage et qui ne sont pas capables de parler, telle l’aigle royale Marahute. À l’opposé, Bernard, Bianca, Jake ou bien Wilbur portent des vêtements et sont capables d’user du langage. Enfin, entre les deux, figurent des animaux qui, s’ils ne portent pas de vêtements, sont néanmoins aptes à parler. Krebbs appartient à cette troisième catégorie.
L’animation de Krebbs est entièrement réalisée par Ellen Woodbury. Née à Corning, dans l’État de New York, l’artiste intègre le College of Visual and Performing Arts avant de rejoindre l’Institut CalArts où elle suit les cours de Jules Engels. Débutant sa carrière au milieu des années 1980 comme animatrice sur le téléfilm The Christmas Tree Train et les séries télévisées The Secret of the Sword et He-Man and the Masters of the Universe, elle est bientôt engagée par les studios Disney où elle collabore à la production de Basil, Détective Privé, Footmania pour Dingo, Oliver & Compagnie, La Petite Sirène puis Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Animatrice de Maurice dans La Belle et la Bête et d’Abu dans Aladdin, elle devient la première femme élevée au rang de superviseur de l’animation. À ce poste, elle donne alors vie à Zazu dans Le Roi Lion puis à Pégase dans Hercule, Nanny dans Fantasia 2000 et aux pirates dans La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers. Également au générique de Pocahontas, une Légende Indienne, Le Bossu de Notre-Dame, Tarzan et Chicken Little, Ellen Woodbury quitte finalement Disney en 2005 et s’installe à Loveland, dans le Colorado, afin de se consacrer à temps plein à sa passion pour la sculpture. En parallèle, elle enseigne l’animation au sein de l’Art Institute of Colorado entre 2010 et 2014.

Ellen Woodbury

Également en charge d’animer plusieurs souris présentes dans le film, Ellen Woodbury a dès le début de la production manifesté son intérêt pour le personnage de Krebbs. Elle réalise ainsi des tests qu’elle présente ensuite aux réalisateurs Hendel Butoy et Mike Gabriel. Conquis, tous les deux acceptent sans mal de lui confier le personnage que Woodbury anime de bout en bout. C’est alors la première fois que la dessinatrice se voit donner l’opportunité de créer seule son propre personnage. Pour ce faire, elle consacre des dizaines d’heures à étudier l’anatomie et les mouvements des koalas. Réalisant le même genre de recherches pour les wombats et les autres souris blanches qu’elle anime par ailleurs, Ellen Woodbury se découvre bientôt une véritable passion pour ces espèces et devient de fait l’une des grandes spécialistes des animaux au sein des studios Disney.

En version originale, le personnage de Krebbs est interprété par le comédien anglais Douglas Seale. Né à Londres le 28 octobre 1913, il étudie sur les bancs de la Royal Academy of Dramatic Art avant de débuter sa carrière au théâtre dès 1934. Membre des Royal Corps of Signals durant la Seconde Guerre mondiale à partir de 1940, il remonte sur les planches en 1946 en intégrant le Shakespeare Memorial Theatre de Stratford-Upon-Avon. Tournant dans tout le Royaume-Uni puis aux États-Unis où il concourt pour le Tony Award pour son interprétation de Selsdon Mowbray dans la pièce Noises Off montée à Broadway en 1983, Douglas Seale mène en parallèle une petite carrière au cinéma. Il apparaît ainsi dans des films comme Amadeus, Le Père Noël est en Prison, SOS Fantômes 2, Monsieur Destinée et Les Amateurs. Il prête en outre sa voix à Krebbs ainsi qu’au Sultan dans Aladdin. Douglas Seale décède à New York le 13 juin 1999 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

En France, le rôle de Krebbs est tenu par Henri Poirier. Originaire de Colombes où il voit le jour le 21 mars 1932, l’acteur entre au Conservatoire de Paris dès l’âge de dix-sept ans. Son diplôme en poche, il débute au théâtre dans La Mégère Apprivoisée en 1950 avant d’être à l’affiche du (Le) Temps des Cerises, Le Malade Imaginaire, Richard III, L’Alouette, Le Bourgeois Gentilhomme et Le Bel Air de Londres. Fondateur de sa propre compagnie théâtrale, le Théâtre 12, en 1972, Henri Poirier joue en outre à la télévision dans Les Cinq Dernières Minutes, Les Boussardel, Madame Bovary, Les Brigades du Tigre et Jean Moulin, ainsi que dans des films comme Les Vaincus, Mélodie en Sous-Sol, La Bourse et la Vie, Le Souffle au Cœur, Les Gaspards, Folle à Tuer, La Carapate et Les Prédateurs de la Nuit. Se spécialisant également dans le doublage, il prête sa voix à Abraracourcix dans Astérix chez les Bretons et Astérix et le Coup du Menhir, au Père Noël dans L’Étrange Noël de Monsieur Jack et à MacBeth dans Gargoyles - Les Anges de la Nuit. Élevé au rang de Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, Henri Poirier disparaît le 8 février 2005 à l’âge de soixante-douze ans.

Personnage mineur d’un film souvent relégué au second plan, Krebbs fait partie des nombreux protagonistes amenant toute sa part d’exotisme à Bernard et Bianca au Pays des Kangourous.