Un Fléau Ailé

Un Fléau Ailé est un cartoon éducatif sanitaire qui a pour but de montrer les ravages des piqûres de moustiques et comment s'en prémunir..

Avant même l'entrée en guerre de son pays dans le second conflit mondial, Walt Disney et un certain nombre de ses talentueux artistes mènent un périple à travers l'Amérique du Sud. Ce voyage, motivé par diverses raisons d'ordre plus ou moins personnel, est une complète réussite. Le papa de Mickey y poursuit, en effet, plusieurs buts. Le premier, managérial, reste une volonté d'éloignement ponctuel de son studio. Un conflit social très dur l'oppose, à l'époque, à une partie de ses équipes et, cristallisant sur sa personne rancœurs et attaques, Walt Disney se résout à quitter le devant de la scène pour favoriser une sortie de crise. Le deuxième objectif du voyage est, lui, assurément, artistique. Il consiste à s'imprégner, avec ses collaborateurs, de la culture sud-américaine pour en tirer le meilleur et en exploiter toutes les ressources. Enfin, le troisième et ultime but de l'escapade disneyenne sur le continent frère est moins connu mais tout aussi essentiel. Il revêt un caractère politique évident. Walt Disney et sa délégation se présentent, en effet, au nom des États-Unis pour célébrer l'amitié des peuples sud et nord-américains. La démarche est osée tant l'influence nazie grandit alors dans cette partie du monde. Au final, plusieurs œuvres sont directement les fruits du séjour. Parmi les plus connues se retrouvent bien sûr Saludos Amigos ou Les Trois Caballeros. Mais la moisson ne s'arrête pas là. De nombreux films produits pour la Coordinator of Inter-American Affairs prennent pour thème la santé, à l'image d'Un Fléau Ailé qui est le premier du genre.

L'idée d'Un Fléau Ailé est amené par un scénariste des studios Disney, Bob Carr. Ce dernier est alors responsable des histoires pour les projets éducatifs qui ne sont pas destinés aux réseaux de salles de cinéma. L'artiste tient ainsi à faire une série sur les insectes porteurs de maladies, qui sont considérés comme les ennemis publics numéro un des populations mais aussi de la productivité des économies des États. Le premier sujet choisi est donc celui du moustique, en particulier l'anophèle, responsable de la propagation du paludisme, aussi appelé la malaria. Les responsables de la Coordinator of Inter-American Affairs répondent alors de façon enthousiaste à l'idée et Walt Disney confie début 1942 le développement du court-métrage, initialement intitulé The Mosquito and Malaria, au scénariste Norm Wright afin qu'il écrive le traitement préliminaire. Le travail avance doucement car le processus est nouveau pour les studios, une production alliant le savoir-faire Disney autour du divertissement combiné à l'expertise sur la propagande et sur l'éducation de la CIAA. Le bureau gouvernemental envoie ainsi en avril 1942 le Dr. Edward C. Ernst, directeur du Pan American Sanitary Bureau, et son assistant le Dr. E. R. Coffey, assister les artistes Disney sur les détails des cartoons tournant autour de la santé.

La production en tant que telle, une fois le storyboard validé, commence en juin 1942. Pas moins de onze courts-métrages dédiés à la Coordinator of Inter-American Affairs entrent ainsi en même temps dans l'étape de l'animation. Si chaque cartoon a droit à un réalisateur attitré - pour The Mosquito and Malaria, la tâche est confiée à Bill Roberts - l'ensemble est placé sous la responsabilité de deux artistes. Norm Ferguson, le directeur de séquence du film Saludos Amigos, se charge des cartoons centrés sur l'Amérique latine et destinés aux salles de cinéma tandis que Ben Sharpsteen supervise les courts-métrages éducatifs autour des pays du continent sud-américain. Pour The Mosquito and Malaria, qui voit son titre anglais désormais changé en The Winged Scourge, le problème de budget limité approuvé par la CIAA impose des choix drastiques afin de ne pas renier sur sa qualité visuelle ou sa capacité de divertissement. Pour cela, il est décidé de diviser le cartoon en deux parties aux styles différents mais aux approches tout aussi impactantes l'une que l'autre.

La première partie se concentre sur les faits et se montre très sérieuse dans son approche. Elle utilise pour cela une animation très limitée mais arrive pour autant à maintenir l'attention du spectateur avec d'autres procédés tout aussi efficaces comme des mouvements de caméra parfaitement étudiés, des décors peints aussi beaux qu'inquiétants, des graphiques et des schémas synthétiques mais précis, et bien sûr la présence anxiogène du moustique en lui-même. Le court-métrage commence ainsi par montrer la dangerosité de l'insecte dans la propagation du paludisme ainsi que son étendue sur le globe. Un Fléau Ailé se fait ensuite plus précis sur les étapes du cycle de l'infection. Il suit une anophèle saine, un moustique femelle, qui va piquer un malade, ici habitant dans les marais dans une maison avec de nombreux interstices, étant précisé que les mâles ne piquent pas. L'insecte aspire alors le sang via sa trompe en perforant la peau à 45°. Il ingurgite ensuite le sang, qui comprend ici également des parasites responsables du paludisme. L'anophèle digère alors le sang en se reposant plusieurs jours, mais se faisant permet aux parasites de se multiplier en elle. De nouveau affamée, l'anophèle part à la recherche d'autres sangs humains et tombe cette fois-ci sur individu sain, vivant dans une belle maison, autour d'une ferme qu'il a construite lui-même à force de travail. La victime piquée va donc attraper la maladie, mortelle si non prise à temps, et va quoi qu'il en soit délaisser l'entretien de sa propriété alors qu'il est allité. Multiplié par le nombre de gens infecté, la perte économique peut ainsi être conséquente pour un pays.

La deuxième partie d'Un Fléau Ailé se veut plus divertissante afin d'expliquer au public la façon de combattre les moustiques. Afin que le message soit bien porté et imprimé par les spectateurs, Walt Disney décide de faire revenir les Sept Nains, déjà vus dans son tout premier long-métrage Blanche Neige et les Sept Nains. L'animation de personnages étant ce qui coûte le plus cher dans un cartoon, l'idée est ici de ne l'utiliser que sur la seconde moitié du court-métrage. L'animation en elle-même est confiée à deux grands animateurs, Milt Kahl et Frank Thomas, qui vont faire un travail remarquable. Les mouvements des Nains semblent encore plus naturels que dans le long-métrage, sachant qu'aucune animation n'a été reprise du film de 1937. Leurs gestes dans le cartoon nécessitaient en effet d'être totalement inédits. Milt Kahl se charge ainsi des scènes avec Prof et Atchoum sur le bateau, Joyeux sur la tortue, Simplet avec louche, Timide et les oiseaux, Dormeur en train de creuser des digues aidé d'une taupe ou encore Grincheux et sa hache. Frank Thomas s’occupe pour sa part des scènes de Simplet s'activant contre les moustiques.

Le narrateur, dont le rôle est tenu ici par Art Baker, demande à l'assistance qui a regardé la première partie du court-métrage s'il n'y aurait pas six ou sept volontaires qui aimeraient démontrer comment il est possible de combattre les moustiques. Dans le noir, les spectateurs voient alors six ombres qui se lèvent. La lumière se fait sur eux et le public reconnaît alors six des Sept Nains quand le septième, Simplet, se glisse au milieu d'eux. Le narrateur précise alors qu'avant de se lancer, il est nécessaire d'avoir en tête le cycle de croissance des insectes. Les œufs des moustiques sont pondus à la surface d'un plan d'eau mais vont se transformer en larves. C'est avant d'éclore qu'il est facile de les combattre, car une fois à l'âge adulte la tâche s'avère bien plus compliquée. Tous les passages où les Nains vont travailler à se débarrasser des moustiques sont illustrés musicalement par la version instrumentale de la chanson Sifflez en Travaillant composée par Frank Churchill et Larry Morey. La musique semble tout à fait à propos et s’intègre parfaitement dans les scènes où apparaissent les Nains et les animaux.

Le narrateur explique alors la démarche. Il fait comprendre que l'important est d'abord d'élaguer les hautes herbes dans les marais où les moustiques pondent leur œufs, ceci afin d'aider les poissons à manger les larves. Ensuite, il est nécessaire de pulvériser de l'huile et du vert de Paris sur l'eau afin de tuer les larves restantes qui seraient en surface. Il faut également éviter les eaux stagnantes, ne pas hésiter alors à créer des canaux pour mettre en place une irrigation afin de faire circuler l'eau ou encore évacuer les eaux de pluie restées dans les souches. Si possible, il faut recouvrir certains petits étangs avec de la terre, protéger l'eau fraîche contenue dans les tonneaux avec des fines grilles ou encore enterrer les déchets sous terre. La même attention doit être portée à l'intérieur de la maison en badigeonnant de vert de Paris chaque recoin. Les portes et les fenêtres seront équipées de moustiquaires tout comme les lits. Il faut absolument qu'aucun interstice, du sol au plafond, ne laisse la possibilité à un moustique de rentrer à l'intérieur et de piquer son hôte.

La production d'Un Fléau Ailé se termine au début de l'année 1943. Walt Disney fait alors une projection à Washington, devant les responsables de la CIAA qui sont totalement enthousiasmés. Le court-métrage devient vite l'un des cartoons de santé produits par Disney pour le bureau gouvernemental les plus vus. Celui-ci, en particulier, est également diffusé par l'US Army qui a des vrais problèmes de paludisme dans ses effectifs mais aussi par le gouvernement australien. Un Fléau Ailé reste depuis la production Disney pour la Coordinator of Inter-American Affairs ayant le plus marqué les mémoires du public, et ce encore aujourd'hui. Il prouve ainsi l'incroyable talent des artistes Disney pour mélanger divertissement et faits dans un but éducatif. Naturellement, plus de 80 ans plus tard, certains des principes évoqués ici ne sont plus d'actualité comme l'utilisation d'huile ou de vert de Paris de par leur haute toxicité. De même, il est conseillé de ne pas enterrer les boîtes de conserve mais plutôt de les nettoyer et les ranger. Il ne faut pas trop non plus drainer les zones humides, pour ne pas perturber l'écologie locale, mais renforcer d'avantage les prédateurs naturels comme l'indique d'ailleurs le cartoon, étant toujours dans le vrai pour cette affirmation.

Un Fléau Ailé est un court-métrage éducatif efficace avec, cerise sur le gâteau, une superbe animation inédite des Sept Nains.