Margaret
Date de création : Le 01 janvier 2000 Nom Original : Killjoy Margaret Créateur(s) : Eric Goldberg Susan Goldberg Nancy Beiman |
Apparition : Cinéma |
Le portrait
Au début des années 1990, Roy E. Disney, fils de Roy O. et neveu de Walt Disney, lance la production de Fantasia 2000 grâce à laquelle il concrétise l’un des rêves avortés de son oncle, donner une suite à Fantasia, le concert animé sorti en 1940. Pour ce faire, les plus grands compositeurs passés et contemporains sont convoqués parmi lesquels George Gershwin dont l’une des plus belles partitions, Rhapsody in Blue, illustre avec brio la vie tumultueuse d’une poignée de New-Yorkais appartenant tantôt à la classe populaire, tantôt aux franges les plus huppées de la population à l’image de Margaret, femme pompeuse aussi riche qu’antipathique.
La clarinette de Jim Kanter se met à vibrer. Une ligne claire trace les contours des gratte-ciel dont les lumières percent l’obscurité de la nuit. Le jour sur le lève sur la skyline de New York. La ville et ses habitants s’éveillent. Les résidents du Goldberg, un immeuble d’appartements cossu, surgissent par la porte tambour. Parmi eux, la richissime Margaret qui, engoncée dans son épais manteau en fourrure couleur lavande, a du mal à passer la sortie. Obstinée, elle pousse alors de toutes ses forces et parvient laborieusement à s’extraire sous l’œil du portier qui, pour ne pas être bousculé à son tour, se plaque contre le mur.
Tenant en laisse son petit chien Foo-Foo, Margaret est accompagnée par son trublion de mari, John, un petit homme joyeux qui ne perd jamais une occasion de s’amuser. Sautillant le long des cases d’une marelle tracée sur le trottoir par deux petites filles, il est toutefois immédiatement rappelé à l’ordre par Margaret qui lui lance un regard sévère. Appartenir à la Haute Société ne permet pas ce genre d’idioties ! Son chien, tiré en arrière, pense la même chose et grogne sur son maître.
Un peu plus tard, le couple croise un joueur d'orgue de barbarie installé près d’un vendeur de cacahuètes. Le petit singe qui accompagne le musicien attire évidemment l’attention de John, qui se met à danser avec lui sur le trottoir. Margaret a cependant tôt fait de l’attraper par le col de sa veste pour le remettre une fois encore dans le rang. Elle lui jette un nouveau regard tueur. Foo-Foo aboie de manière agressive avant d’être calmé par sa maîtresse, tellement plus gentille avec lui qu’avec son propre mari.
L’équipée pénètre alors dans « Le Pampered Pooche », un véritable paradis pour toutous dans lequel Margaret dépense des sommes folles. Un nouveau panier, un coussin moelleux, une jolie baballe, une gamelle toute neuve, une couverture toute douce, un gros nounours, des brosses soyeuses, un petit pyjama, un livre d’histoires, un joujou à ressort, une boîte de friandises, une laisse dorée, un bon nonos… Rien n’est trop beau pour le petit chien-chien à sa mémère ! Lorsqu’il s’agit de son animal, Margaret ne regarde visiblement pas à la dépense, d’autant que de toute façon, c’est John qui paye…
Manifestement, Margaret n’en a que pour son adorable Foo-Foo, au grand dam de son mari, relégué au second rang. Sa vie, morne et triste, est néanmoins chamboulée soudainement lorsque le hasard du destin le débarrasse enfin de sa femme. Sur le chantier voisin, un énorme tuyau en acier soulevé du sol par des cordages percute en effet un câble au bout duquel est noué un crochet qui vient se prendre dans le col du manteau en fourrure de Margaret. L’antipathique femme est alors soulevée du sol. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la voilà qui s’élève dans les airs. Hurlant à pleins poumons, elle disparaît dès lors de l’intrigue pour le plus grand bonheur de John, qui peut sans contrainte se rendre au concert de jazz organisé dans la salle de spectacle du coin.
Femme solennelle et particulièrement snobe, Margaret est l’une des protagonistes du segment inspiré de Rhapsody in Blue, l’une des œuvres maîtresses de George Gershwin composée en 1924. Mêlant jazz et musique classique, le morceau, magnifique, illustre ici le quotidien de quelques New-Yorkais désabusés rêvant chacun d’autre vie. Joe, un chômeur touché de plein fouet par la Dépression, espère ainsi trouver au plus tôt un travail. Duke, un ouvrier de chantier, rêve pour sa part de pouvoir un jour se consacrer pleinement à sa passion pour la musique. Rachel, une petite fille confiée à sa nounou, aimerait quant à elle pouvoir passer plus de temps avec ses parents obnubilés par leur travail. Enfin, John souhaiterait obtenir un peu plus de considération de la part de sa femme, Margaret, qui le brime sans cesse et lui interdit formellement toute envie d’amusement.
Second rôle particulièrement amusant surnommée par ses créateurs « Killjoy Margaret » (« Margaret la rabat-joie »), Margaret incarne brillamment ces représentantes de la Haute Société de la côte Est des États-Unis qui, fortes d’une position sociale élevée, s’évertuent chaque jour à se donner de grands airs pour rappeler à chacun son rang dans la pyramide sociale. Snobinarde richissime, elle affiche d’ailleurs ostensiblement sa fortune. Elle loge dans l’un des immeubles les plus huppés de la Grosse Pomme. Tirée à quatre épingles et les cheveux coiffés en arrière, elle porte un splendide manteau couleur lavande fermé par une boucle en or et rehaussé de fourrure grise au col et aux extrémités des manches. Le costume est complété par une paire de boucles d’oreilles en pierres précieuses et une toque assortie rehaussée d’une plume.
Comme l’ensemble des personnages de l’opus, Margaret sort tout droit de l’imagination d’Eric Goldberg, le réalisateur de la séquence, et de celle de son épouse Susan.
Né à Levittown, en Pennsylvanie, le 1er mai 1955, Goldberg fait ses études au Pratt Institute de Brooklyn, d’où il sort diplômé en dessin. Dès le milieu des années 1970, il est alors engagé par Richard Williams, pour qui il travaille comme animateur sur le film Raggedy Ann & Andy: A Musical Adventure. Installé à Londres, Eric Goldberg fonde bientôt son propre studio, Pizazz Pictures, spécialisé dans la réalisation de publicités animées. À la fin des années 1980, il rejoint les studios Disney et se voit confier l’animation du Génie dans Aladdin, un travail qui lui vaut une nomination aux Annie Awards. Collaborant avec la légende Chuck Jones pour créer la séquence animée de Madame Doubtfire, Goldberg est promu co-réalisateur de Pocahontas, une Légende Indienne aux côtés de Mike Gabriel avant d’être choisi pour donner vie à Philoctète dans Hercule.
Après les segments inspirés de Rhapsody in Blue et du (Le) Carnaval des Animaux inclus dans Fantasia 2000, Eric Goldberg réalise les séquences animées du long-métrage Les Looney Tunes Passent à l’Action, réalisé par Joe Dante pour le compte de Warner Bros. Prêtant au passage sa voix à Titi, Marvin le Martien et Speedy Gonzales, l’artiste, nommé une nouvelle fois aux Annie Awards, anime avec Bob Kurtz le générique de La Panthère Rose en 2006 avant de revenir chez Disney. Là, il réalise l’animation de l’attraction Grand Fiesta Tour Starring The Three Caballeros installée à Epcot. Il collabore aussi à la production de Comment Brancher son Home Cinéma avec Dingo puis à celle de La Princesse et la Grenouille pour laquelle il anime le personnage de Louis. Une fois encore en lice aux Annie Awards, il supervise Coco Lapin dans Winnie l’Ourson et les tatouages de Maui dans Vaiana, la Légende du Bout du Monde. Il participe en outre à la conception du storyboard des (Les) Mondes de Ralph ainsi qu’à l’animation du court-métrage À Cheval ! avec Mickey, qu’il anime dans les spectacles Nighttime Spectaculars au Disneyland Park, Disney Gifts Of Christmas And Celebrate! à Tokyo Disneyland et We Love Mickey à Hong Kong Disneyland. En 2010, un Winsor McCay Award couronne l’ensemble de sa carrière.
Eric Goldberg collabore avec son épouse Susan (Sue) Goldberg. Mariée avec lui le 7 septembre 1982, elle est née le 6 octobre 1957. Engagée chez Disney, elle participe aux productions de Pocahontas, une Légende Indienne, Le Bossu de Notre-Dame, Hercule puis à Les Simpson - Le Film pour le compte de 20th Century Fox. Artiste élevée au rang de directrice artistique chargée de la mise au net de la séquence animée de Madame Doubtfire, elle collabore avec son mari lors de la production de Fantasia 2000. Elle est alors récompensée par un Annie Award pour son travail. Susan Goldberg participe également à la réalisation du film Magic Lamp Theater à Tokyo DisneySea ainsi qu’à celle d’A Monkey’s Tale pour le centre culturel bouddhiste de Hong Kong. Toujours pour Disney, elle conçoit la façade de l’Animation Pavilion de Disney California Adventure.
Pour animer les différents personnages de Rhapsody in Blue, Eric et Susan Golberg sont épaulés par plusieurs artistes. La pompeuse Margaret est ainsi également animée par Nancy Beiman. Élève de l’Institut CalArts dont elle suit le premier programme réservé à l’animation de personnages fondé en 1975, l’artiste passe par les bancs du Sheridan College d’Oakville, au Canada, avant de faire ses premières gammes au sein du studio de Richard Williams basé à Londres. Dans les années 1980, elle participe alors à la production de films comme Gnomes, Winnie l’Ourson et Une Sacrée Journée pour Bourriquet, Your Feet’s Too Big, Snoopy: The Musical, S.O.S. Daffy Duck et Le Petit Grille-Pain Courageux. Cofondatrice en 1986 du studio Caged Beagle Productions aux côtés de Dean Yeagle, elle s’installe ensuite à Berlin, en Allemagne, où elle collabore avec Gerhard Hahn sur plusieurs projets parmi lesquels la série animée Benjamin Blümchen et, plus tard, le long-métrage Astérix et les Indiens. En 1989, Beiman est de retour à Londres où elle occupe le poste de superviseur de l’animation chez Amblin. Au générique de Fievel au Far West, elle rejoint bientôt les studios Disney et travaille sur Dingo et Max, Hercule et La Planète au Trésor - Un Nouvel Univers. Créatrice des Moires et du personnage de Billy Bones, Nancy Beiman participe en outre aux productions de Fantasia 2000, Tarzan 2 : L'Enfance d'un Héros et Lilo et Stitch 2 : Hawaï, Nous Avons un Problème !. Réalisatrice en 2008 du film A Short History of Indians in Canada, l’animatrice enseigne successivement au sein du Savannah College of Art and Design, du Rochester Institute of Technology, puis dans le département animation du Sheridan College. Couronnée par le Golden Pencil lors du 2D Or Not 2D Animation Festival en 2007, elle est l’auteur de deux ouvrages sur l’animation, Prepare to Board et Animated Performance.
L’apparence graphique de Rachel, comme celle de l’ensemble des personnages de Rhapsody in Blue, s’inspire de l’œuvre incontournable de l’illustrateur Al Hirschfeld. Né à Saint-Louis le 21 juin 1903, l’artiste suit les cours de l’Art Students League de New York. Passant durant son cursus par Paris et Londres où il apprend la peinture, le dessin et la sculpture, il est repéré en 1924 par la rédaction du New York Herald Tribune grâce à l’entremise de son ami, l’attaché de presse Richard Maney. Publiée dans le New York Times et dans des dizaines d’autres journaux et revues, l’œuvre d’Hirschfeld se distingue par son style inimitable et l’usage de lignes épurées tracées à l’encre noire avec une plume de corbeau taillée par ses soins. Durant sa carrière longue de près de quatre-vingts ans, le dessinateur a ainsi croqué les plus grandes célébrités du XXe siècle. Outre Rhapsody in Blue, son style a inspiré Eric Goldberg au moment d’animer le Génie d’Aladdin. Honoré par la Medal of Art remise par la National Endowment of the Arts, par le National Medal of Arts et par une étoile sur le St. Louis Walk of Fame, Al Hirschfeld est mort le 20 janvier 2003. Une partie de son œuvre est exposée au Metropolitan Museum of Art et au Museum of Modern Art de New York, ainsi qu'au sein de l’Université d’Harvard.
Grosse femme orgueilleuse dépourvue de tout sens de l’humour, Margaret est l’une des réussites de la séquence inspirée de Rhapsody in Blue. Désagréable, sévère et prétentieuse, elle inscrit alors dignement son nom dans la liste des rombières créées par les studios Disney aux côtés de Madame de Tremaine ou de Tante Sarah.