Titre original :
Empire of Light
Production :
Searchlight Pictures
Neal Street Productions
Date de sortie USA :
Le 09 décembre 2022 (Sortie Limitée)
Le 03 septembre 2022 (Festival de Telluride)
Genre :
Comédie romantique
Réalisation :
Sam Mendes
Musique :
Trent Reznor
Atticus Ross
Durée :
113 minutes
Disponibilité(s) en France :
Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis :

Le synopsis

Margate, 1980. Ancienne icône du front de mer, l’Empire n’est plus que l’ombre de lui-même. S’il fut jadis le centre névralgique de la vie culturelle et festive de la ville, le cinéma a en effet perdu toute sa superbe. Cela n’empêche toutefois pas Hilary Small, la responsable du personnel, de se démener chaque jour afin d’accueillir les spectateurs dans les meilleures conditions. Sa petite routine quotidienne ne tarde cependant pas à voler en éclats lorsque Stephen, un jeune homme originaire de Trinidad, intègre l’équipe. Déjà victime d’une santé particulièrement fragile, Hilary voit alors sa vie totalement basculer au moment où ses vieux démons commencent à la rattraper…

La critique

rédigée par
Publiée le 13 janvier 2024

Devenus aujourd’hui des classiques, Chantons Sous la Pluie, La Nuit Américaine, Cinema Paradiso, The Artist, Super 8, ou plus récemment Babylon et The Fabelmans sont autant de déclarations d’amour écrites par leurs réalisateurs respectifs à l’univers du cinéma. En 2022, Sam Mendes manifeste à son tour toute l’affection qu’il porte au Septième Art avec Empire of Light, le portrait magnifique d’un vieux cinéma au sein duquel naît une romance interdite dans l’Angleterre tourmentée des années Thatcher…

Parmi les metteurs en scène les plus talentueux de sa génération, Sam Mendes voit le jour le 1er août 1965 à Reading, à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Londres. Marqué par la séparation de ses parents alors qu’il n’a que cinq ans, il étudie à la Magdalen College School avant de rejoindre les bancs de l’Université de Cambridge. Là, il fait ses premiers pas sur scène avec la Marlowe Society avant d’intégrer The Royal Shakespeare Company en tant que metteur en scène de pièces comme Troïlus et Cressida et Richard III. Nommé directeur artistique de la Donmar Warehouse de Londres en 1992, il dirige de nouvelles adaptations de La Ménagerie de Verre de Tennessee Williams, de la comédie musicale Cabaret puis de La Chambre Bleue avec Nicolas Kidman. Auréolé d’un beau succès, Sam Mendes passe pour la première fois derrière la caméra en 1999 avec American Beauty, son premier long-métrage qui lui vaut d’être récompensé par le Golden Globe et l’Oscar du Meilleur Réalisateur et du Meilleur Film.

Sam Mendes enchaîne avec Les Sentiers de la Perdition, l’ultime film de Paul Newman qui, pour l’occasion, donne la réplique à Tom Hanks (2002). Le réalisateur signe ensuite Jarhead : La Fin de l'Innocence, un drame sur fond de la Guerre du Golfe avec Jake Gyllenhaal (2005), puis reforme le duo de Titanic en réunissant Leonardo DiCaprio et Kate Winslet dans Les Noces Rebelles d’après le roman de Richard Yates (2008). Après Away We Go (2009), c’est la consécration en 2010 lorsque la productrice Barbara Broccoli et les responsables de MGM lui confient la réalisation de Skyfall, le vingt-troisième opus des aventures du célèbre espion James Bond incarné par Daniel Craig. Le succès mondial est énorme. Mendes transforme rapidement l’essai avec 007 Spectre qui sort à son tour en 2015. Nommé Président du 73e Festival de Venise, le réalisateur écrit et tourne 1917, une reconstitution de la Première Guerre mondiale notamment inspirée des récits de son grand-père paternel, l’écrivain Alfred Mendes (2019). Misant sur l’illusion d’un seul et unique plan-séquence, le long-métrage est acclamé par la critique, le public et la profession qui lui décerne trois Oscars (Meilleure Photographie, Meilleur Mixage Sonore, Meilleurs Effets Visuels).

Également producteur et scénariste nommé par la Reine Élisabeth II Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique en 2000, Sam Mendes poursuit dans le même temps ses activités au théâtre en tant que metteur en scène de La Ceriseraie, The Tempest, Charlie and the Chocolate Factory: The Musical et The Lehman Trilogy. Pendant qu’il planche sur la saga James Bond puis sur 1917, le réalisateur cherche néanmoins à se détourner un temps des grosses machines hollywoodiennes. Il opte ainsi pour un projet plus intimiste qui se démarque au sein de sa filmographie récente. Mendes ne doit en effet faire face à aucune des contingences imposées par une franchise aussi illustre et codée que celle de James Bond. Ce nouveau long-métrage ne nécessite de plus aucune prouesse artistique et technique aussi sophistiquée et compliquée que celle présentée dans 1917.

Titré Empire of Light, ce nouveau film de Sam Mendes est annoncé dans la presse en avril 2021. Il est alors présenté comme une histoire d’amour prenant place dans les années 1980 à l’intérieur et dans les environs d’un vieux cinéma de la côte sud de l’Angleterre. Produit par Mendes et sa partenaire Pippa Harris via leur société Neal Street Productions fondée en 2003, le long-métrage est le tout premier script que le réalisateur signe seul. Il a ainsi parsemé son récit de plusieurs références à sa vie personnelle. Hilary, son personnage féminin principal, est atteinte de troubles bipolaires, comme sa propre mère. Stephen, le personnage masculin principal, est quant à lui originaire de Trinité-et-Tobago, comme le grand-père et le père de Sam Mendes. L’idée de poser l’intrigue sur le front de mer s’inspire de certains étés passés sur le bord de la Manche ou de la mer du Nord. La passion de Mendes pour le cinéma transparaît également avec de belles références à certains classiques de l’époque, en particulier The Blue Brothers de John Landis (1980) et Les Chariots de Feu d’Hugh Hudson (1981).

Situant l’action de son film durant les premières années de la décennie 1980, Sam Mendes livre par ailleurs sa propre expérience d’une époque particulièrement compliquée sur les plans politique, économique et social. Assis sur les bancs de l’université durant cette période, le réalisateur a lui-même côtoyé la rudesse de l’Angleterre de Margaret Thatcher marquée par la crise économique, elle-même couplée à une montée de la grogne populaire. C’est à cette époque que le paysage des villes commença à changer, une partie des classes moyennes ayant décidé, bon gré, mal gré, de refluer vers les périphéries. La conséquence fut la mort programmée de certains centres et la fermeture des commerces et des établissements incapables de faire face à la concurrence née de l’émergence de nouvelles zones commerciales excentrées. Remplacés par les premiers multiplexes, les vieux cinémas ont ainsi été parmi les victimes les plus visibles de ce phénomène. Héritages défraîchis d’une ère révolue, plusieurs salles mythiques et emblématiques ont dès lors inexorablement mis la clé sous la porte. Pour ajouter à la misère sociale, Sam Mendes prend par ailleurs le temps de montrer dans son film la poussée du racisme et surtout l’ascendance d’une extrême-droite décomplexée notamment marquée par le phénomène skinhead.

Empire of Light ne se présente cependant pas comme un unique réquisitoire de l’Ère Thatchérienne et de ses errements. Sam Mendes ne souhaite pas, en effet, créer uniquement un film politico-social dont les enjeux, situés dans les années 1980, résonneraient encore aujourd’hui. Aussi, il décide de centrer son récit sur ses personnages, tous marqués par la vie et par les événements qui les entourent. Au milieu d’une distribution aussi hétérogène qu’édulcorée, l’attention des spectateurs est surtout portée sur la romance naissante entre Hilary, femme d’âge mûr à la santé mentale fragile, et Stephen, un jeune anglais victime de racisme et qui ne rêve que d’une chose, quitter Margate pour étudier à l’université. Avec ses deux amants, Sam Mendes renoue alors avec le thème de l’amour contrarié qu’il avait déjà développé dans American Beauty, dont l’action se situait dans les années 1990, puis Les Noces Rebelles, avec son intrigue placée quant à elle au beau milieu des années 1950.

Pour incarner son personnage principal, Hilary Small, Sam Mendes porte son choix sur l’actrice Olivia Colman. Originaire de Norwich, dans l’est de l’Angleterre, où elle voit le jour le 30 janvier 1974, elle étudie le théâtre à la Bristol Old Vic Theatre School de Londres d’où elle sort diplômée en 1999. Après des débuts difficiles, elle s’illustre en tant qu’humoriste puis comme comédienne. Elle est alors cantonnée à de la figuration puis à divers seconds rôles dans des séries télévisées comme Peep Show (2003-2015) et Twenty Twelve (2011-2012) ou bien dans des films comme Hot Fuzz (2007). Remarquée face à Peter Mullan dans Tyrannosaur de Paddy Considine (2011), Olivia Colman voit bientôt sa carrière décoller. Elle obtient des rôles plus conséquents dans La Dame de Fer (2011), Week-End Royal (2012), Mariage à l’Anglaise (2013), Le Crime de l’Orient-Express (2017) et la série Broadchurch. Colman atteint finalement la consécration en incarnant la reine Anne d’Angleterre dans La Favorite (2018), un rôle qui lui vaut de remporter le Golden Globe puis l’Oscar de la Meilleure Actrice. L’actrice complète ensuite sa filmographie avec Le Souffle du Serpent (2019), The Father (pour lequel elle est nommée à l’Oscar de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle – 2020), The Lost Daughter (nommée à l’Oscar de la Meilleure Actrice – 2021), Empire of Light (2022), Wonka (2023), ainsi que les séries The Crown, dans laquelle elle joue la reine Élisabeth II (2019-2020), puis Secret Invasion (2023).

Face à elle, Micheal Ward incarne Stephen, le jeune afro-britannique dont Hilary tombe amoureuse. Né en 1996 à Spanish Town, en Jamaïque, le jeune comédien arrive à Londres avec sa mère et ses sœurs alors qu’il n’a que quatre ans. Élève de l’Epping Forest College où il étudie l’art dramatique, il débute dans quelques clips musicaux aux côtés d’artistes tels que Lily Allen et Tom Walker. Officiant également comme mannequin, il décroche ses premiers rôles dans le film Brotherhood en 2016 et la série télévisée The A List en 2018. Il se fait rapidement remarquer grâce à son interprétation de Jamie dans la série Top Boy produite par Netflix (2019). Il joue ensuite dans Blue Story pour lequel il remporte le BAFTA du Meilleur Espoir Masculin (2019), Small Axe pour lequel il est nommé au BAFTA du Meilleur Second Rôle Masculin (2020), Empire of Light (2022) et The Book of Clarence (2023).

Olivia Colman retrouve également à l’écran Colin Firth, un an après Entre les Lignes (2021). Né à Grayshott le 10 septembre 1960, l’acteur fait notamment ses gammes au Drama Centre de Chalk Farm, à Londres, avant d’apparaître dans différentes pièces, en particulier Another Country adaptée au cinéma en 1984. Alternant entre la scène et les écrans, Firth apparaît entre autres dans Un Mois à la Campagne (1987), Valmont (1989), Orgueil et Préjugés (1995), Le Patient Anglais (1996), Shakespeare in Love (1998), Le Journal de Bridget Jones (2001), Love Actually (2003), Nanny McPhee (2005), Mamma Mia! (2008), Le Drôle de Noël de Scrooge (2009), A Single Man (2009), et Le Discours d’un Roi pour lequel il remporte le Golden Globe, le BAFTA et l’Oscar du Meilleur Acteur pour son interprétation du roi George VI (2010). Sa filmographie est complétée avec La Taupe (2011), Kingsman : Services Secrets (2015), Le Retour de Mary Poppins (2018), 1917 (2019) et La Ruse (2022).

La distribution d’Empire of Light comprend également Toby Jones dans le rôle du projectionniste Norman (Neverland – 2004, Captain America : First Avenger – 2011, Indiana Jones et le Cadran de la Destinée – 2023). Tom Brooke joue Neil, l’un des employés du cinéma (Good Morning England – 2009, La Mort de Staline – 2017). Le casting compte enfin Tanya Moodie (Star Wars : L’Ascension de Skywalker – 2019), Hannah Onslow (This is Going to Hurt – 2022), Crystal Clarke (Assassin’s Creed – 2016, La Vie Extraordinaire de Louis Wain, 2021), Monica Dolan (Kick-Ass 2 – 2013, Cyrano – 2021), Sara Stewart (La Dame de Windsor – 1997, Philomena – 2013) et Ron Cook (Quills, la Plume et le Sang – 2000, The King’s Man : Première Mission – 2021).

Ses comédiens réunis, Sam Mendes pose ses caméras à Margate, dans le Kent, où les prises de vues s’étirent du 7 février au 15 mai 2022. Utilisé comme décor principal, le Dreamland Margate Cinema est alors transformé et maquillé par les équipes de Mark Tildesley. Rebaptisé Empire le temps du tournage, l’endroit devient alors une sorte de personnage à part entière du film. Le lieu est en effet vivant... Ou plutôt, il est en train de mourir lentement. Comme tant de grandes salles créées dans les années 1920, le cinéma a vécu un bel âge d’or désormais derrière lui. Chacun peut dès lors imaginer la flamboyance du passé à présent cachée derrière la poussière et les peintures écaillées. Comme le personnage d’Hilary, le cinéma obtient cependant un court répit grâce auquel il parvient à reprendre des couleurs. Mais comme pour le personnage d’Hilary, ce renouveau n’est que passager et, sans doute, un ultime moment de grâce avant un déclin inéluctable. Comme le personnage de Stephen, le cinéma a une chance de s’en sortir. Mais comme pour le personnage de Stephen, le lieu est victime des affres de son époque et du manque de respect de certains spectateurs…

Sorte de pendant des personnages principaux lui aussi malmené par son époque, le cinéma sert également de lien entre les différents protagonistes. C’est en effet le seul point commun entre la responsable du personnel instable, le nouvel employé afro qui rêve de mieux, le projectionniste blasé et passablement acariâtre, l’employé surexcité, l’ouvreuse désabusée ou bien encore le directeur rêvant de gloire. Dans la vie de tous les jours, aucun de ces caractères opposés ne se serait jamais croisé s’il n’y avait eu l’Empire. Le cinéma est alors le témoin de leur vie, de leurs bonheurs, de leurs malheurs, de l’ascension des uns et de la chute brutale des autres. Il est surtout le témoin, pour ne pas dire le complice, de l’amour impossible entre Hilary et Stephen.

Doté d’un casting cinq étoiles et d’un cadre emprunt d’une belle nostalgie, Empire of Light profite d’atouts forts qui en font un film remarquable. Au sommet de son art, Olivia Colman porte en particulier le film sur ses épaules. Le rôle d’Hilary Small a d’ailleurs été écrit pour elle par Sam Mendes qui, au début du tournage, témoigne de la fierté qui est la sienne de travailler pour la première fois avec la comédienne. Sans jamais sombrer dans le pathos, celle-ci retranscrit avec brio le quotidien morne et déprimant d’Hilary qui, ironie du sort, travaille dans un cinéma sans avoir jamais vu un film de sa vie. Transparente auprès de ses relations, en particulier son médecin qui la drogue au lithium sans vraiment se soucier d’elle, l’héroïne pense qu’elle mérite son sort et elle semble elle-même surprise de sa capacité à sourire lorsqu’elle est en présence de Stephen.

Le spectateur ignore à ce moment qu’Hilary est en réalité malade. Durant le premier tiers du film, rien ne laisse en effet penser qu’elle souffre mentalement. Ses peurs ne ressurgissent que durant l’acte central. Agressée par son quotidien, elle voit sa maladie ressurgir et sa rage se réveiller. Les traumatismes de l’enfance refont surface… Sans jamais exagérer ou caricaturer les symptômes liés à sa maladie, Olivia Colman incarne alors avec justesse cette femme à la santé mentale défaillante. Pour parfaire son jeu, elle s’est documentée durant des mois pour comprendre les mécanismes de la bipolarité. Elle a par ailleurs pu compter sur les conseils et le soutien de Mendes dont la mère était elle-même bipolaire. Jamais dans l’outrance ni dans le mélodrame, Olivia Colman est sans aucun doute la pierre angulaire du film grâce à son rôle qu’elle décrit elle-même comme « l’un des plus complexes et intenses de sa carrière ».

Les autres comédiens ne sont pas en reste. Encore méconnu auprès du grand public, Micheal Ward offre une belle énergie et beaucoup de flegme au personnage de Stephen. Retrouvant Sam Mendes quelques mois seulement après la fin du tournage de 1917, Colin Firth incarne lui aussi son personnage de Donald Ellis, le directeur du cinéma, avec justesse. Souvent habitué aux compositions de jeunes premiers romantiques, l’acteur montre à quel point les rôles de « salopards » lui vont également à ravir. Chacun dans son registre, le reste de la distribution excelle, avec une mention spéciale pour Tom Brooke, qui campe l’employé déchaîné avec brio, et Tanya Moodie qui offre beaucoup de sensibilité au personnage de Delia Murray, la mère de Stephen dépassée par les événements survenant dans la vie de son fils.

Outre son casting, l’autre point fort d’Empire of Light est sans conteste sa photographie. Dès le lancement du projet, Sam Mendes a souhaité s’offrir les services du vétéran Roger Deakins. Né le 24 mai 1949 à Torquay, dans le Devon, le directeur de la photographie a débuté dès le début des années 1980 avec des films comme 1984 (1984), Air America (1990), Barton Fink (1991) et Les Évadés (1995), le classique de Frank Darabont pour lequel il décroche sa première nomination aux Oscars. Partenaire privilégié des frères Coen qu’il retrouve pour Fargo (1996), The Big Lebowski (1998), O’Brother (2000), The Barber : L’Homme qui n’Était pas Là (2001), Ladykillers (2004), No Country For Old Men (2007), True Grit (2010) et Ave, César ! (2016), il travaille également sur des films comme Kundun (1998), Un Homme d’Exception (2002), Le Village (2004), The Reader (2008) et Dragons (2010). Également consultant visuel sur WALL•E, il collabore à plusieurs reprises avec Sam Mendes sur Jarhead, ou la Fin de l’Innocence (2006), Les Noces Rebelles (2008), Skyfall (2012) et 1917 (2019), long-métrage pour lequel il remporte son deuxième Oscar, deux ans après celui couronnant son travail sur Blade Runner 2049 (2017).

Fort d’une expertise qui lui vaut d’être nommé quatorze fois aux Oscars au moment où commence le tournage d’Empire of Light, Roger Deakins offre aux spectateurs des images magnifiques. La première séquence du film, pendant laquelle Hilary ouvre le cinéma, est en particulier de toute beauté. L’ouverture des portes et l’allumage des lumières est très poétique. Le grand hall du cinéma est magnifié. Le spectateur sentirait presque l’odeur du pop-corn stocké sous le comptoir. La grande salle, avec ses moulures, ses fauteuils pourpres et son écran caché derrière un rideau carmin, est sublimée. La séquence de la plage est elle aussi très jolie. Simplement éclairé par les lampes amochées par Hilary au moment de sa rechute, l’appartement de cette dernière vaut lui aussi le coup d’œil. Mêlée aux prises de vues et aux angles choisis avec soin par Sam Mendes, la photographie d’Empire of Light est brillante. Surtout, elle jongle admirablement bien entre l’éclat du cinéma, véritable empire de lumière (Empire of Light), et le caractère si sombre de ses coulisses où l’existence de la plupart des employés, au premier rang desquels Hilary, revêt un caractère des plus sordides.

Pour emporter les spectateurs dans son histoire, Sam Mendes peut également compter sur la bande originale d’Empire of Light. Après avoir longtemps collaboré avec Thomas Newman, le réalisateur s’associe cette fois avec le duo Trent Reznor et Atticus Ross (The Social Network – 2010, Gone Girl – 2014, Soul – 2020). Bien que Newman ne soit plus à la baguette, le film possède quelques traits musicaux propres à la filmographie de Mendes. Au milieu de mélodies plus complexes, le piano occupe ainsi une place d’honneur et renforce le caractère mélancolique et triste de l’intrigue. Pour compléter la bande originale, plusieurs passages musicaux sont par ailleurs empruntés aux chansons It’s Alright, Ma (I’m Only Bleeing) de Bob Dylan, Morning Has Broken de Cat Stevens et You Turn Me On, I’m a Radio de Joni Mitchell.

Empire of Light est proposé en avant-première le 3 septembre 2022 lors de la quarante-neuvième édition du Festival du Film de Telluride qui se déroule chaque année dans le Colorado. Le 12 septembre, il est présenté au Festival de Toronto. Searchlight Pictures organise ensuite à partir du 9 décembre 2022 une sortie limitée aux États-Unis. Le public anglais découvre à son tour le long-métrage dès le 9 janvier 2023. Empire of Light arrive enfin sur les écrans français le 1er mars 2023.

La critique se montre alors plutôt partagée. « Écrire une lettre d’amour au cinéma est un exercice particulièrement difficile », écrit Peter Bradshaw dans The Guardian, « Mais Sam Mendes a compris la substance du genre pour créer un drame captivant, poignant et magnifiquement interprété sur l’amour, la vie et l’art fragile du cinéma – avec Olivia Colman et merveilleusement photographié par Roger Deakins. Empire of Light est un film doux, sincère et humain qui ne craint pas la brutalité et le racisme extérieurs. C’est clairement un travail d’amour pour Sam Mendes ». « Mendes est un conteur accompli et la liste des acteurs à elle-seule vous remontera le moral », pense pour sa part Brian Viner du Daily Mail, « Certaines scènes me rappellent le charme de Cinema Paradiso, une lettre d’amour éloquente à ces vieux cinémas. Il y a tant à aimer dans ce film. Avec l’aide du maître Roger Deakins, Mendes redonne vie à une époque révolue ». « Empire of Light est plus qu’un film sur la gloire passée d’un cinéma », juge Danny Leigh dans les colonnes du Financial Times, « Il s’agit d’un long-métrage bien joué, bien intentionné, étonnamment mélancolique, aussi beau qu’artificiel ».

« Difficile de ne pas se laisser emporter par ce film évocateur magnifiquement mis en scène », ajoute dans le magazine Empire le journaliste John Nugent qui n'est toutefois pas entièrement convaincu, « Empire of Light peine cependant à être bien clair dans ce qu’il essaye de montrer ». « Le film oscille entre une étude psychologique ennuyeuse, une histoire d’amour invraisemblable et une observation sociale de l’Angleterre », estime de son côté Rex Reed dans The Observer, « Quand on se rend compte à quel point Empire of Light s’égare, il est difficile de comprendre comment autant de talents ont pu être attiré par un projet d’une telle torpeur ». Richard Brody enfonce le clou dans The New Yorker : « Sam Mendes semble s’être donné une liste d’ingrédients obligatoires qu’il intègre si maladroitement. Le film noie toutes ses parties authentiques tout en ne laissant jamais son drame prendre racine ni ses personnages prendre vie ».

Souvent critiqué pour son scénario jugé formidable pour les uns lorsque les autres dénoncent un embrouillamini, Empire of Light parvient avec difficulté à trouver son public. Éclipsé par The Fabelmans de Steven Spielberg qui surfe lui aussi sur une certaine vague de nostalgie, le long-métrage de Sam Mendes ne récolte qu’environ 11,4 millions de dollars de recettes dans le monde, un montant insuffisant pour compenser un budget estimé à 13,5 millions de dollars. La profession décide cependant d’honorer les talents du film. Lors de la quatre-vingtième cérémonie des Golden Globes, Olivia Colman concourt ainsi pour le prix de la Meilleure Actrice dans un film dramatique finalement remis à Cate Blanchet pour le rôle-titre de Tár. Micheal Ward est lui-même en lice pour le trophée du Meilleur Acteur lors de la soixante-seizième nuit des BAFTA durant laquelle Empire of Light est nommé dans la catégorie Meilleur Film. L’un et l’autre s’inclinent toutefois face aux (Les) Banshees d’Inisherin. Roger Deakin perd lui-même le BAFTA puis l’Oscar de la meilleure photographie remis à À l’Ouest, Rien de Nouveau.

Candidat malheureux lors des différentes remises de prix de l’année 2023, Empire of Light n’en demeure pas moins une histoire d’amour saisissante et surtout hors du commun. Porté par une distribution excellente et superbement mis en images grâce à une photographie soignée, il offre un regard percutant sur différents thèmes de société tout à fait d’actualité, qu’il s’agisse du traitement des maladies mentales, du racisme ambiant, du harcèlement sexuel au travail ou bien du déclin des vieux repères d’antan incarnés ici par le cinéma Empire lui-même.

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