Le Village
Le synopsis
Les habitants d'un village perdu au milieu d'une vaste vallée sont terrifiés à l'idée de franchir la frontière qui les sépare de la forêt : des êtres mystérieux les attaquent en effet régulièrement la nuit, nourrissant peurs et légendes... |
La critique
Musique lancinante et angoissante, arbres dénudés, ciel gris... Ce Touchstone Pictures est sans aucun doute un thriller, un genre somme toute bien peu représenté dans le catalogue du label adulte de Disney. Première scène : un père pleure la mort de son enfant de sept ans qui parait dormir sur son cercueil. L’époque se précise alors, la mort du petit Daniel Nicholson s'est produite en 1897. Les costumes et les décors mettent d'ailleurs aussi sur la piste d'une société puritaine ; ils sont simples, utiles et contribuent un peu plus à poser une atmosphère d'angoisse car assimilés, malgré eux, à l’histoire des sorcières de Salem. Dans ce contexte donc, le spectateur est mis en condition dès les premières minutes, prêt à se confronter à quelques histoires surnaturelles...
Connu pour ses thrillers psychologiques, Night Shyamalan propose, en 2004, Le Village. Après les succès retentissants de Sixième sens et Incassable, le réalisateur revient donc une fois de plus derrière la caméra dans un genre qu'il affectionne. Né le 6 août 1970 en Inde, Manih Nelliyattu Shyamalan puise, dans les débuts de sa carrière, son inspiration dans les productions de Steven Spielberg ainsi que dans ses racines indiennes. Il devient jeune réalisateur en signant son tout premier film, Praying with Anger, à l'âge de seulement vingt-deux ans. Il garde alors pendant des années le thème de la science-fiction pour ses réalisations : sortiront ainsi Signes (qui marque sa première collaboration avec Joaquin Phoenix), La Jeune Fille de l’Eau, Phénomènes… ou encore et plus récemment, Split, un opus mêlant psychologie, suspens et horreur.
Dans Le Village, Night Shyamalan choisit donc de plonger une nouvelle fois les spectateurs dans une histoire étrange qui suscite une belle curiosité. Et comme chacune de ses œuvres, il est inutile d’essayer d’en deviner la fin car elle se révélera là aussi étonnante. Initialement intitulé The Woods (Les Bois en français), le réalisateur opte finalement pour un plus sobre Le Village, afin de ne pas voir son opus confondu avec le film d’horreur de Lucky McKee, The Woods, sorti lui en 2006. Il faut noter que ce nouveau nom porte l’attention du spectateur sur le danger qui rôde dans l’enceinte même du village, et non plus sur celui tapis dans la forêt avoisinante.
Pour son film, le réalisateur tire son inspiration de plusieurs œuvres dont Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë pour l’atmosphère lugubre ou encore King Kong (1933) pour ses thèmes de la peur de l’inconnu, de l’autre, des monstres, de la vie en communauté, de la bestialité ainsi que de la victoire du Bien sur le Mal. De plus, des similarités avec The Truman Show peuvent frapper les esprits : le héros est le seul à ne pas connaître la vérité, manipulé par ceux qui l’entourent. Enfin, chose notable, l’amour n’est pas la clé du récit, il s’agit ici de la quête de la vérité pour se connaître et trouver la paix.
Concernant le casting, de grands noms se partagent l’affiche.
Bryce Dallas Howard, née le 2 mars 1981, est la fille du cinéaste Ron Howard, acteur puis réalisateur des films remarquables comme Splash, La Rançon ou encore Da Vinci Code. Plutôt habituée aux planches de Broadway, elle est révélée au cinéma grâce au personnage d’Ivy Walker. Kirsten Dunst était à l'origine pressentie pour le rôle qu'elle refuse finalement pour Spider-Man 2. Ivy Walker est donc ici une anti-héroïne parfaite : aveugle, elle porte les cheveux courts et se révèle déjà une femme indépendante. Elle est innocente et dotée d'un pouvoir de vision de l'Aura. Ce qui lui donne une autre dimension, c'est son envie de vivre. Symboliquement, elle courre d'ailleurs comme un garçon avant de penser au mariage. Elle est, en cela, bien différente de l’ensemble de ses contemporains, bien plus rangés et soumis à l'ordre établi qu'elle. Le schéma familial reste important pour eux, et notamment pour sa sœur qui se marie dans la précipitation et presque sans amour quelques jours après s’être fait rejetée par le beau Lucius.
Joaquin Phoenix interprète en effet Lucius Hunt. Né le 28 octobre 1974, l'acteur débute sa carrière à l’âge de huit ans grâce à la télévision. En 1987, il fait son apparition au cinéma en signant sa première collaboration avec Night Shyamalan grâce à Signes. Il devient vite célèbre pour sa grande adaptabilité aux personnages qui lui sont confiés. Il est ainsi connu pour ses rôles dans Gladiator ; Walk the Line ou encore Her. Il s’essaie également au doublage de long-métrage animé Frères des Ours. Dans Le Village il interprète donc un garçon réservé, mais premier porte-parole de la jeunesse et du courage. Fiancé à Ivy Walker, il devra néanmoins lui céder sa place de héros…
Pour le rôle de Noah, Night Shyamalan pense d'abord à Ashton Kutcher avant de se tourner vers Adrien Brody. Né en 1973, l'apprenti-comédien est soutenu par sa mère qui l’inscrit en 1985 aux cours de l’American Academy of Dramatic Arts. A l’âge de seize ans, il commence ainsi sa carrière artistique grâce aux séries télévisées. Le Pianiste le révélera au public international en 2003. Il s’oriente par la suite vers des rôles fantastiques dans King Kong ou plus récemment Salem. À l’instar de cette série, Noah joue, dans Le Village, le fou de service. Il lui apporte à son personnage une certaine innocence en même temps qu’un côté démoniaque parfaitement bien dosés.
La mère de Lucius est campée, quant à elle, par Sigourney Weaver, l’inoubliable Dian Fossey dans Gorilles dans la Brume ou la scientifique experte, Dr Grace Augustine du blockbuster, Avatar. Elle prête également sa mythique voix à l’ordinateur de bord AUTO dans le Pixar WALL•E. Dans Le Village, elle joue donc une mère au rôle discret qui, pourtant, a une grande importance. Elle est, en effet, l’une des pionnières du village. Veuve, elle provoque instantanément chez le spectateur une certaine affection.
Enfin, d’autres acteurs, tout aussi prestigieux, rejoignent le casting déjà bien prometteur, à l’instar de William Hurt le charismatique Général Ross dans L’Incroyable Hulk, Judy Greer (À la Poursuite de Demain, Jurassic World, Ant-Man), Brendan Gleeson l’inoubliable Professeur Maugrey de la saga Harry Potter, Cherry Jones (Signes, 24 Heures Chrono) ou encore Jayne Atkinson (Sauvez Willy, House of Cards).
Dans l'ambiance si particulière de thriller psychologique minutieusement posée par Night Shyamalan, des histoires de sorcières et de monstres sont vite logiquement attendues. Pourtant, tout est ici plutôt implicite : cadavres d'animaux, grognements émanant de la forêt, discussions des villageois... Il y a même l'apparition d'un crapaud, animal lié au mythe des sorcières ! Et lorsqu’enfin le monstre apparaît, cela ressemble à une mauvaise blague : il fait penser, en effet à un porc-épic géant vêtu d'une cape rouge. Les cauchemars ne seront pas pour cette nuit. Le soulagement viendra, en réalité bien plus tard grâce à l’explication de sa nature. Au-delà du message surnaturel, le spectateur se doit, il est vrai, de découvrir le véritable propos philosophique et la morale suivie. Monsieur Walker, le père d'Ivy, est d'ailleurs le porteur de ces derniers. À deux reprises, l'Ancien, qui est l'un des plus influents dans la communauté et semble en être le chef, fait l'éloge de l'innocence et met en garde contre le pouvoir de l’argent. C'est également lui qui défend la nouvelle génération. Car la communauté au complet est composée d’une soixantaine de personnes et forme une sorte de village Amish, ces populations américaines qui, depuis 1693, se veulent indépendantes les unes des autres et se coupent délibérément des modes de vie modernes. La communauté du Village pourrait également s’apparenter à une secte tant elle en partage les principes fondamentaux : l’isolation, la désinformation, la peur…
La notion des couleurs est très forte dans Le Village. Le rouge symbolise ainsi « ceux dont on ne parle pas » (Those We Don’t Speak Of en anglais). Ce choix est assez simple puisqu’il fait référence au sang, lien fait un peu plus tard par l’idiot du village, Noah. En revanche, le choix du jaune comme couleur protectrice est très intéressant. Le jaune est, en effet, la couleur de l'ouverture sociale, mais surtout du soleil, de la lumière. Paradoxalement, c’est également une couleur assimilée à la trahison. D'ailleurs, lorsqu'Ivy se dirige hors de la forêt, elle laisse son sac ainsi que sa cape jaune, en signe de repères mais tout autant comme une prise d'indépendance. Ce même personnage, diaboliquement roux au début du film, est définitivement blond à la fin du film.
Le monde actuel est considéré comme fou par nombre de personnes. Le Village est, dans ce cadre, une sorte d’échappatoire. Le film développe ainsi un thème auquel tout un chacun se confronte quotidiennement : l'opposition entre les générations. Les Anciens souhaitent préserver le futur en protégeant les valeurs du passé, mais ils se terrent dans le mensonge pour y parvenir. La jeunesse est certes ignorante mais reste droite et sincère. Le personnage de Noah rappelle ainsi aux Anciens que ce ne sont pas que les méchantes personnes qu’il faut fuir : c'est la race humaine elle-même, qui ne change pas, fondamentalement. La folie, la méchanceté, le désespoir, la jalousie sont, en effet, des parts de tout être humain. Lorsqu’Ivy tombe ainsi nez à nez avec un humain hors du Village, elle est surprise de voir qu’ils sont très différents du tableau que ses pairs lui ont dépeint. Le twist final en révélera ensuite bien plus sur l’envie de simplicité de la communauté, ainsi que son dégoût du matérialisme.
Le Village a été, dans l'ensemble, plutôt bien accueilli par le public tandis que la presse française est elle plus mitigée. Alors que Le Parisien lui attribue une comparaison à Tim Burton et Alfred Hitchcock, Télérama le considère comme « le plus mauvais film » de Night Shyamalan. Coté professionnel, le long-métrage se contentera d'une nomination aux Oscars pour la Meilleure Musique de film en 2005 grâce à son compositeur fétiche, James Newton Howard. Les différents titres attribués à ses compositions sont d'ailleurs révélateurs du genre. Ils traduisent un univers inquiétant et fantastique : The Bad Color, Will you Help me?, Rituals ou The Forbidden Line en sont les meilleurs exemples. Les mélodies utilisées contribuent de la sorte à plonger le spectateur dans un suspens certain et une grande inquiétude face aux événements à venir.
Le Village est prenant de par son concept même. Le retournement de situation est, il est vrai, plutôt inattendu. La morale est d'actualité tant le matérialisme, le protectionnisme et la peur de l'inconnu demeurent des sujets universels et intemporels. Et, même si l'amour n'est pas mis au premier plan, il est omniprésent comme un repère essentiel et instinctif dans un "monde coupé du monde". Alors, certes, les personnages manquent quelque peu de profondeur et des facilités se remarquent ici ou là, mais la conclusion du film laisse tellement le spectateur bouche bée qu'il lui pardonnera aussitôt ses imperfections et l'appréciera pour ce qu'il est : une troublante expérience cinématographique.