Titre original : Werewolf By Night Production : Marvel Date de mise en ligne USA : Le 7 octobre 2022 (Disney+) Genre : Horreur |
Réalisation : Michael Giacchino Musique : Michael Giacchino Durée : 53 minutes |
Le synopsis
La critique
Après Doctor Strange in the Multiverse of Madness et ses accents horrifiques venus tout droit de l'imagination du grand Sam Raimi, Marvel Studios en remet une couche au mois d'octobre 2022, juste à temps pour Halloween, avec le moyen-métrage Werewolf By Night. Cette fois-ci, l'ambition du studio super-héroïque est de sortir complètement des sentiers battus pour présenter aux spectateurs un pan inédit du MCU peuplé de sombres créatures à travers ce spécial, digne héritier des comics populaires des années 70. Et cela fonctionne ! Avec une violence frontale très assumée, un second degré qui fait mouche et un parti pris esthétique inspiré, Werewolf By Night est un « petit » projet qui a de quoi enchanter son public.
Dès le début des années 40, les comics s'emparent du genre de l'horreur pour répondre à la demande d'un public très friand de frissons, comme en témoigne le succès des films de monstres produits en rafale par Universal Pictures. Pourtant, Marvel est loin d'être l'un des pionniers en la matière, puisqu'il faut attendre la fin de la décennie pour voir la Maison des Idées se lancer à plein régime dans le genre horrifique. En 1949, la série Sub-Mariner Comics portée par Namor est ainsi renommée Amazing Mysteries à partir du numéro 32, pour présenter à ses lecteurs des anthologies d'histoires horrifiques. Dès le numéro 34, Amazing Mysteries propose en outre un autre genre très prisé des lecteurs, le true crime, des histoires criminelles inspirées de faits réels. La série est finalement annulée au numéro suivant, mais Marvel est bien décidé à bouleverser sa ligne éditoriale en mettant les histoires inquiétantes à l'honneur.
Sans verser dans l'horreur viscérale, mais en se concentrant plutôt sur des histoires de monstres, de science-fiction et de morts-vivants, la Maison des Idées entame alors sa transformation. Marvel Mystery Comics, qui contenait jusqu'alors des histoires de super-héros parmi lesquels la première Torche Humaine, est retitrée en 1949 au numéro 93, pour devenir Marvel Tales. Plus surprenant, la série Captain America Comics se meut en Captain America's Weird Tales à partir du numéro 74, avant de disparaître dès le numéro suivant. Peu à peu, Marvel développe une stratégie des plus agressives pour inonder le marché ; les revues Suspense, Journey into Unknown Worlds, Adventures into Terror, Mystic, Astonishing, Strange Tales, Adventures into Weird Worlds ou encore Journey into Mystery, qui a vu naître Thor dans son numéro 83, ne sont que quelques-uns des comic books qui ont mélangé horreur, science-fiction et true crime dans les années 50. Les grands acteurs du monde du comics ne le savent pas encore, mais un grand bouleversement va toutefois les forcer à revoir leur copie ; non seulement le marché est saturé mais, surtout, les comics d'horreur et de crime vont devenir les victimes d'une cabale d'ampleur nationale.
Déjà en 1951, la Législature de l'État de New York s'est penchée sur ces comics jugés trop malsains pour être mis entre les mains des enfants. Trois ans plus tard, en 1954, Fredric Wertham porte un coup fatal au petit monde du comics grâce (ou plutôt à cause) de son livre Seduction of the Innocent. Le psychiatre germano-américain se livre dans son essai à une analyse approfondie des comics, notamment ceux relevant du genre du crime, en arguant que de telles histoires, associées aux dessins, pourraient influencer les enfants. Les comics d'horreur ne sont évidemment pas épargnés, pas plus que le genre super-héroïque d'ailleurs, Wertham faisant une lecture homoérotique de la relation qui unit Batman et Robin, dans une époque où l'homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale. Le livre rencontre un petit succès, poussant de nombreux parents à boycotter l'industrie. Au même moment, le 21 avril 1954, le Sénat charge une sous-commission d'enquêter sur la délinquance juvénile. À la barre des témoins se trouve bien entendu Fredric Wertham, qui attaque sans vergogne le petit monde des comics. Bill Gaines, alors éditeur chez EC Comics, se lance seul dans une défense si catastrophique qu'elle ne fait qu'accabler encore davantage l'industrie, pour le plus grand plaisir de Fredric Wertham. Plutôt que de risquer une ingérence du gouvernement dans l'édition des comics, les principaux éditeurs se rassemblent pour créer la Comics Magazine Association of America et développer le Comics Code Authority. L'auto-censure devient la règle entre les pages des comics.
Dans la foulée, les comics de crime et d'horreur, mais aussi les quelques revues de romance plutôt sensuelles réservées à un public mature disparaissent, ou sont en tout cas fortement censurées par les éditeurs eux-mêmes. Bien que non-obligatoire, l'adhésion au Comics Code Authority agit désormais comme une assurance pour les éditeurs de voir leurs livres distribués par les revendeurs, au moyen d'un petit écusson apposé sur la couverture des comic books. Très puritain, le code interdit par exemple de présenter le crime sous une lumière favorable, le bien doit toujours triompher du mal, « l'indécence » féminine est prohibée et, surtout, la majorité des codes propres à l'horreur sont bannis. En conséquence, Marvel se recentre sur la fantasy, la science-fiction et quelques histoires de monstres qui parviennent à échapper aux spécificités du code, mais la Maison des Idées va surtout révolutionner le monde du comics en 1961 grâce à The Fantastic Four #1, qui lance une ère nouvelle pour les histoires de super-héros. Plusieurs éditeurs, par une astucieuse pirouette, vont de leur côté décliner la production de contenu horrifique en noir et blanc dans des magazines, ce format n'étant pas sujet au code. Bientôt, les comics d'horreur sont presque oubliés, mais les monstres ne meurent jamais vraiment...
Au début de l'année 1971, le code est révisé pour devenir plus permissif, en grande partie grâce à Stan Lee. Commissionné par le Département de la Santé, de l'Éducation et des Services Sociaux pour parler des ravages de la drogue dans ses ouvrages, Stan Lee ne se démonte pas et publie les numéros 96 à 98 de The Amazing Spider-Man qui n'ont pourtant pas reçu le sceau du Comics Code Authority. Plus souple, le code de 1971 établit désormais que « les vampires, les goules et les loups-garous peuvent être utilisés à condition qu'ils soient traités dans la tradition des classiques tels que Frankenstein, ou le Prométhée Moderne, Dracula et les autres œuvres littéraires de grand calibre écrites par Edgar Allan Poe, Saki, Conan Doyle et les autres auteurs respectés dont les livres sont lus dans les écoles à travers le monde. » Les monstres reviennent donc en force chez Marvel puisque quelques mois plus tard Morbius, le Vampire Vivant, naît dans le numéro 101 de The Amazing Spider-Man. Par la suite, des personnages comme Dracula, Ghost Rider, Frankenstein, La Momie Vivante, Daimon Hellstrom ou encore L'Homme-Chose débarquent à leur tour, et ils accèdent pour la plupart à leur propre série avec une narration calquée sur celle des histoires de super-héros. Figure majeure du bal des horreurs, le loup-garou Jack Russell se taille évidemment une place de choix dans le cœur des lecteurs.
D'abord apparu dans Marvel Spotlight #2-4, le personnage obtient rapidement sa propre série, Werewolf By Night, qui s'étale sur quarante-trois numéros entre 1972 et 1977. Fils du Baron Gregory Russoff, un transylvanien lettré qui se transforme en monstre durant trois nuits chaque mois, Jack Russell hérite de la malédiction familiale. À l'approche de la pleine lune, il se change donc en loup-garou, une créature imprévisible et sauvage que le jeune homme devra apprendre à dompter avec le temps.
Au début des années 2000, Marvel entend bien développer des longs-métrages super-héroïques. Le MCU n'est pas encore d'actualité, mais le succès de Blade (1998) et surtout de X-Men (2000) a de quoi rassurer les grands studios de cinéma qui s'arrachent les droits d'exploitation des personnages Marvel. En 2001, Dimension Films, l'une des filiales de The Walt Disney Company à l'époque, fait preuve de gourmandise et pose des options sur au moins trois personnages et groupes de héros bien particuliers : Ghost Rider, La Cape et L'Épée et Jack Russell. Très vite, le futur Werewolf By Night semble embarrasser plus qu'autre chose Dimension Films qui a bien du mal à dénicher le bon scénariste, si bien que le projet est remanié à plusieurs reprises. Prévu pour un tournage début 2006, le film est finalement remisé dans un coin, les droits du personnage revenant à Marvel avec le temps. Des trois films prévus par Dimension Films, seul le projet entourant Ghost Rider est finalement « sauvé » ; fort de son succès avec Spider-Man (2002), Columbia Pictures, dans un excès de zèle, rachète à Dimension Films les droits du motard au crâne enflammé avant de produire Ghost Rider (2007) et Ghost Rider : L'Esprit de Vengeance (2012), pour le résultat que les spectateurs connaissent.
Ce n'est qu'en août 2021 que le projet entourant le Loup-Garou refait surface, lorsque les médias américains Production Weekly et TheWrap laissent entendre qu'un spécial halloweenesque est prévu pour la plateforme Disney+. Quelques mois plus tard, ce sont cette fois-ci les très sérieux Variety et The Hollywood Reporter qui apportent de nouvelles informations, en évoquant la nomination de Michael Giacchino au poste de réalisateur du spécial. Compositeur talentueux, l'homme aux doigts de fée a livré des dizaines de partitions mémorables pour quelques-uns des films les plus populaires des deux dernières décennies. Parmi ses compositions se trouvent ainsi les musiques de Star Trek (2009), Là-Haut (2009), Laisse-Moi Entrer (2010), Mission : Impossible - Protocole Fantôme (2011), Zootopie (2016), Rogue One : A Star Wars Story (2016), Jojo Rabbit (2019), The Batman (2022), sans oublier les trois films Spider-Man portés par Tom Holland.
Côté réalisation, l'artiste n'a en revanche presque aucune expérience, même s'il connaît bien les rouages de la production d'un film pour avoir suivi des cours à la School of Visual Arts de New York et assisté à de multiples tournages au fil des années. Après avoir officié en qualité de réalisateur sur le court-métrage Monster Challenge en 2018 puis sur un épisode de la série animée Star Trek : Short Treks l'année suivante, Michael Giacchino se voit donc offrir la possibilité de réaliser une œuvre Marvel, et il jette immédiatement son dévolu sur le personnage de Jack Russell. C'est un Kevin Feige surpris mais néanmoins confiant qui lui confie donc la lourde tâche d'introduire les monstres dans le MCU ; après tout, l'homme à la casquette se dit que si Michael Giacchino est aussi à l'aise derrière une caméra que devant son piano, le résultat ne peut qu'être grandiose. Les informations sur le futur spécial continuent d'affluer sur les sites des médias pop culture pendant que Marvel Studios demeure mutique sur le programme. C'est finalement le 10 septembre 2022, lors de la D23 Expo 2022 que Marvel Studios présente enfin son nouveau bébé, prévu pour une diffusion le mois suivant sur Disney+.
Dès le début du spécial, le narrateur invite les téléspectateurs à descendre avec lui au cœur des ténèbres, à la découverte de tout un pan méconnu de l'univers Marvel. En marge du monde de la lumière protégé par les plus grands héros de la Terre, dans les ruelles sombres et les petits villages éloignés, au fin fond des marais ou dans les profondeurs des forêts rôdent des êtres abominables qui sèment la peur et la mort. Ulysses Bloodstone, l'un des plus grands chasseurs que la Terre ait porté, a passé sa vie à traquer ces monstres pour les éliminer de la surface du globe. Après tant d'années passées à pourfendre des créatures redoutables, celui qui était chargé d'abreuver l'au-delà d'âmes monstrueuses s'est à son tour fait rattraper par la mort. Mais avant de gagner son éternelle demeure, Ulysses a pris soin d'imaginer un jeu macabre qui permettra de désigner son successeur à la tête du clan. Invités à rendre hommage à Ulysses, des chasseurs de monstres se réunissent au domaine Bloodstone avec l'espoir de devenir le prochain chef, et ainsi gagner le droit de manier la précieuse Pierre de Sang, un artefact de grands pouvoirs.
Parmi les convives se trouvent Jack Russell, un homme étrange qui ne semble pas vraiment à sa place au milieu des autres tueurs de monstres, mais aussi Elsa Bloodstone, la fille répudiée d'Ulysses. Ensemble, les deux jeunes gens vont servir de guide aux téléspectateurs plongés dans cette histoire macabre qui brouille les frontières entre humanité et monstruosité.
Comme embarqués dans une attraction hantée où l'humour noir s'invite entre deux scènes macabres, les téléspectateurs amoureux du genre ne sauraient bouder leur plaisir pendant les quelques cinquante minutes que dure le spécial. Lorsque Kevin Feige et ses équipes ont annoncé que Werewolf By Night repousserait les limites du MCU avec de véritables scènes d'épouvante et de violence, nombre de fans se sont montrés sceptiques. En cause notamment, la promesse similaire qui avait été déjà faite lors de la sortie de la série Moon Knight qui, si elle a su convaincre par ses nombreuses qualités, n'a époustouflé à peu près personne avec son utilisation plutôt pudique de la violence pourtant caractéristique du personnage de comics. Il faut en plus rajouter à cela le tout nouveau format expérimenté par Marvel Studios, à savoir un spécial unitaire d'une cinquantaine de minutes en lieu et place des films cinéma de plus de deux heures ou des séries qui en durent six. Werewolf By Night avait donc tout du petit projet aussitôt vu, aussitôt oublié que de plus en plus de voix dénoncent comme participant à la « fatigue Marvel », un sujet au cœur des discussions durant toute la Phase 4 du MCU.
Arrive donc Michael Giacchino, compositeur de génie mais réalisateur inexpérimenté, pour prendre en main le spécial. Et il faut le dire, Kevin Feige a une fois de plus fait montre d'un flair sans égal en mettant une caméra entre les mains de Michael Giacchino ! Construit comme une véritable lettre d'amour à l'ère classique des films d'horreur d'Universal, Werewolf By Night se distingue sans peine de la production super-héroïque de ces dernières années, en partie grâce à des visuels et un humour ultra-référencés. Tout est fait pour replonger les téléspectateurs dans l'âge d'or d'Hollywood, à une époque où des créatures comme Dracula, Frankenstein ou La Momie hantaient les écrans des années 30 et 40. Presque à la manière d'un épisode de La Quatrième Dimension (CBS, 1959-1964), Werewolf By Night se présente en plus de cela comme une histoire horrifique auto-suffisante avec un début et une fin, sans nécessairement chercher à se rattacher trop régulièrement au bien plus vaste MCU. Preuve de cette volonté de ne pas brûler les étapes, aucune scène post-générique n'attend les téléspectateurs à la fin du voyage, une démarche appréciable qui pousse les téléspectateurs à savourer l'instant présent sans trop se soucier des futures ramifications. Bien sûr, les fans ne sont pas dupes, et avec l'arrivée prochaine du personnage de Blade, l'ère des monstres ne fait que commencer chez Marvel Studios.
Parcouru par un humour noir aussi décomplexé qu'absurde, Werewolf By Night étonne donc par sa splendeur visuelle et sa parfaite utilisation du quasi-noir et blanc ; seules les lueurs rougeâtres de la Pierre de Sang viennent alors apporter une touche de couleur en utilisant à bon escient « l'effet Pleasantville ». Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Marvel Studios utilise cette technique dans ses productions, en témoignent les deux premiers épisodes de WandaVision (2021) ou la scène de l'affrontement qui oppose Gorr à Thor, Jane Foster et Valkyrie dans Thor : Love and Thunder (2022). Mais là où le scénario des deux précédentes productions justifiait pleinement de l'usage du monochrome, Werewolf By Night, lui, cherche plutôt à déstabiliser les téléspectateurs tout en les plongeant dans l'ambiance des vieux films gothiques façonnés par l'influence de l'expressionnisme allemand. Tout est fait dans le spécial pour brouiller les pistes temporelles, avec d'un côté la présence d'une technologie analogique dans le manoir Bloodstone et, de l'autre, la mention de dates et d'éléments beaucoup plus contemporains. L'application Disney+ a dans tous les cas vendu la mèche : l'intrigue de Werewolf By Night prend place après celle de Thor : Love and Thunder.
Couplée à une esthétique léchée, l'usage de la violence dans Werewolf By Night contribue elle aussi à donner au spécial une place à part au sein du MCU. Ce n'est certes pas la première fois que des scènes particulièrement sanglantes sont présentées aux fans de Marvel, puisque les séries de Marvel Television Daredevil (2015-2018) et The Punisher (2017-2019) sont déjà passées par là, mais c'est en revanche la toute première fois que Marvel Studios se permet d'aller plus loin. Le monochrome a sans aucun doute permis une certaine souplesse au réalisateur qui a cependant dû batailler avec Kevin Feige pour avoir l'autorisation de sortir son projet en noir et blanc ! Au final, le moyen-métrage présente des scènes crues à ses téléspectateurs, sans même prendre la peine de cacher en hors-champ les mutilations et autres démembrements qui sont présentées au public tout au long du programme. Le spécial ne verse bien sûr jamais dans la boucherie excessive, mais il n'en a nullement besoin ; la force de Werewolf By Night réside avant tout dans sa belle maîtrise du suspense.
Après plusieurs courses-poursuites dans le labyrinthe qui réservaient déjà leurs lots de suspense, la tension atteint son paroxysme dans deux scènes visuellement splendides qui resteront certainement imprimées longtemps dans la tête de nombreux fans. La transformation interminable de Jack en loup-garou, d'abord, réalisée intégralement en ombre projetée sur un mur face à une Elsa Bloodstone terrifiée, est remarquable tant elle réussit à marier parfaitement le suspense et le carnavalesque horrifique des vieux films de monstres. La seconde séquence, elle, va beaucoup plus loin, avec un long plan qui profite astucieusement d'un changement progressif de la lumière pour offrir la scène la plus violente et la plus bestiale du spécial. La musique du moyen-métrage, elle aussi composée par Michael Giacchino, participe d'ailleurs pleinement à la réussite de Werewolf By Night. Usant et abusant d'orchestrations tour à tour sinistres et poétiques ponctuées de chœurs éthérés, le compositeur a l'occasion unique de mettre en musique ses propres images ; il en résulte l'une de ses partitions les plus personnelles, mais aussi l'une des plus atypiques au sein du MCU. Michael Giacchino collectionne décidément presque autant de casquettes que Kevin Feige !
Parmi les monstres qui hantent la Terre se trouve donc Jack Russell, alias le Loup-Garou. Introduit dans le cercle très fermé des chasseurs de monstres, Jack n'a que faire des exploits des membres présents, pas plus qu'il ne convoite la Pierre de Sang d'ailleurs. Investi d'une mission beaucoup plus noble, le jeune homme, visiblement peu à l'aise en société, va se révéler petit à petit aux téléspectateurs comme à Elsa Bloodstone à mesure que s'opère un renversement des forces en présence. Devenu la proie d'une chasse à l'homme, Jack, ou plutôt son alter ego, ne va pas tarder à faire payer ceux qui traquent sans vergogne les membres de son espèce sans même chercher à les comprendre.
Incarné par l'excellent Gael García Bernal, qui avait déjà brillé en prêtant sa voix à Héctor dans Coco en 2017, Jack Russell suscite un attachement presque immédiat en raison de son côté décalé, mais aussi grâce à ses mimiques canines qui ajoutent une touche d'humour surréaliste au spécial. À nouveau, les équipes de Werewolf By Night convoquent l'imaginaire des vieux films d'horreur avec la transformation de Jack, en privilégiant au maximum les effets visuels pratiques ; il aura fallu au total près de quatre heures à l'acteur pour enfiler le masque et le costume du loup-garou lors des premiers essayages. Mais le jeu en valait certainement la chandelle, puisque le monstre, avec son aspect étrange et résolument rétro, s'intègre à merveille à l'ambiance du spécial, y compris aux yeux des spectateurs contemporains désormais habitués aux effets presque entièrement numériques.
Elsa Bloodstone est elle aussi une addition bienvenue au MCU, incarnée par la talentueuse Laura Donnelly (Tolkien, 2019). Apparue en 2001 dans la mini-série Bloodstone écrite par le duo Dan Abnett et Andy Lanning et dessinée par Michael Lopez et Scott Hanna, Elsa est la fille d'Ulysses Bloodstone, un chasseur de monstres déjà connu dans l'univers Marvel. À la mort de son père, la jeune fille qui a grandi en Europe, loin des activités occultes de son paternel, va reprendre le flambeau et devenir à son tour une chasseuse. Si les inspirations d'Abnett et de Lanning semblent osciller entre Buffy Contre les Vampires et les personnages d'Indiana Jones et de Van Helsing, les artistes Warren Ellis et Stuart Immonen vont reprendre en main le personnage cinq ans plus tard dans la série Nextwave, et ils vont surtout la réimaginer du tout au tout ! Autrefois dépeinte comme une jeune fille blonde hyper sexualisée, Elsa arbore désormais son emblématique queue de cheval rousse et possède un sens de la répartie aussi mortel que les armes qu'elle utilise, loin du côté adolescent de sa première incarnation.
Marvel Studios réinvente une fois encore le personnage, pour en faire une femme brune, un peu plus âgée et moins explosive que dans les comics. Pour ce qui est des techniques de combat et de survie en revanche, Elsa a tout emprunté à son homologue de papier ! Devenue une étrangère auprès des siens, elle n'a jamais suivi les préceptes de son père et se voit donc refuser la Pierre de Sang qui aurait en théorie dû lui revenir de droit. Sa rivalité avec Verussa, sa belle-mère, permet également au spécial d'aborder (avec brièveté, il faut bien l'avouer) les thématiques des relations familiales toxiques et de l'héritage. C'est avec un certain brio qu'Harriet Sansom Harris, la glaçante Felicia Tilman dans Desperate Housewives (ABC, 2004-2012), campe Verussa Bloodstone, une méchante à la personnalité si théâtrale et flamboyante que le téléspectateur ne peut décemment se résoudre à la haïr.
Enfin, le géant Ted, malgré de brèves apparitions, réussit à voler la vedette à tout ce beau monde. L'Homme-Chose avait déjà été évoqué au détour d'une réplique dans la première saison des (Les) Agents du S.H.I.E.L.D. (ABC, 2013-2020) mais, surtout, une statue de sa tête était visible en 2017 dans Thor : Ragnarok. Aux côtés de Hulk et de Beta Ray Bill, le personnage a donc été l'un des champions du Grand Maître sur Sakaar avant de rejoindre tranquillement son marais ! Pour le plus grand bonheur des fans de comics qui lui connaissent un rôle primordial dans l'univers Marvel, le voilà donc enfin en chair et en mousse dans le MCU. Le personnage apparaît pour la première fois dans Savage Tales #1 en 1971, sous la plume de Gerry Conway et Roy Thomas et le crayon de Gray Morrow. À l'origine, le Docteur Ted Sallis travaillait aux côtés de l'armée pour recréer le sérum du Super-Soldat quand, acculé, le scientifique a été forcé de fuir avec la seule et unique dose existante. Au volant de sa voiture, Ted s'injecte le sérum juste avant d'avoir un accident qui le propulse dans les eaux d'un marais ; lorsqu'il regagne le rivage, Ted est devenu L'Homme-Chose, une créature végétale qui suscite l'effroi chez ceux qui croisent son chemin. Quelque temps après sa transformation, L'Homme-Chose est devenu le gardien du Nexus des réalités, un point à partir duquel il est possible de se rendre dans n'importe quel univers et où toutes les réalités convergent.
Pour Michael Giacchino, les monstres, en tout cas le Loup-Garou et L'Homme-Chose, offraient l'occasion idéale de lancer tout un débat sur la dualité et la différence, comme il l'explique au site Fandom en octobre 2022 :
Trop souvent, y compris dans les films Marvel, les monstres sont utilisés comme des cibles à abattre, des choses à détruire. Moi, je dis non, les monstres ne sont rien d'autre que des personnes qui ont un problème qu'ils ne peuvent résoudre seuls et qui ont besoin d'aide. Ce que j'aimais dans ces films [de monstres] quand j'étais enfant, c'est qu'ils étaient des allégories pour les personnes en détresse qui avaient besoin d'aide. Et je pense que c'est le point de vue que nous devons avoir avec ce projet. Nous ne pouvons pas juste dire ''Oh, c'est quelque chose de différent, détruisons-le !'' C'est déjà quelque chose qui se produit trop souvent dans le monde de nos jours.
Non seulement Michael Giacchino est-il parvenu, en à peine cinquante minutes, à entremêler de façon complète les histoires plus ou moins tragiques d'Elsa, de Jack et de Ted, mais il a aussi réussi à rendre L'Homme-Chose réaliste et tangible. Là encore, l'équipe du film a pu profiter de longs mois de préparation pour réfléchir à la meilleure façon d'utiliser le maximum d'effets pratiques, en construisant par exemple un Audio-Animatronic de L'Homme-Chose plus vrai que nature. Viennent ensuite se greffer à cela des effets assistés par ordinateur et la performance gestuelle de l'acteur Carey Jones (Star Wars : Le Livre de Boba Fett, 2021) sous un costume pour offrir aux téléspectateurs l'une des créatures les plus splendides de tout le MCU.
Très bien reçu par le public comme par la critique, Werewolf By Night vient ouvrir un tout nouveau chapitre plus sombre dans la déjà longue histoire du MCU. Pour peu qu'il continue de faire confiance à ses réalisateurs tout en s'extirpant de ses propres carcans, Marvel Studios pourrait bien enfin apaiser les craintes des fans de Blade ou de Deadpool, les prochains personnages au cœur des projets à destination d'un public mature que beaucoup imaginent déjà aseptisés, la faute en partie à la sempiternelle image trop sage de Disney. Les attentes sont d'autant plus grandes que la saga Venom (depuis 2018) et le film Morbius (2022) n'ont pas non plus enchanté le public, Sony ayant décidé de se débarrasser de tout le potentiel horrifique des personnages...
Avec ce nouveau format de spécial, dont la durée pourrait bien varier d'un épisode à l'autre, Marvel Studios dispose désormais d'une ribambelle de possibilités pour présenter ses nouveaux héros – et raconter la suite des aventures de ceux qui sont déjà bien installés ! – et un constat s'impose : tous les personnages n'ont pas besoin d'un film ou d'une série pour trouver leur public et briller.
Visuellement spectaculaire, Werewolf By Night est un spécial à ne manquer sous aucun prétexte, d'autant qu'il s'intègre à merveille dans la Phase 4 qui met à l'honneur la créativité des réalisateurs. À la fois frais, divertissant et repoussant les limites imposées depuis si longtemps par Marvel Studios, le téléfilm entraîne ses téléspectateurs dans un tout nouvel univers qui ne demande qu'à être exploré quand le moment sera venu. D'ici là, Werewolf By Night se laisse volontiers voir et revoir, ne serait-ce que pour son casting impeccable, ses musiques très réussies et son esthétisme envoûtant... Et aussi un peu pour Ted !