Blade
Titre original : Blade Production : Marvel New Line Cinema Date de sortie USA : Le 21 août 1998 Genre : Fantastique |
Réalisation : Stephen Norrington Musique : Mark Isham Durée : 118 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
Malgré les accords passés entre les politiciens humains et la caste des vampires Sang-Purs pour maintenir un certain équilibre au sein de la société, une guerre couve chez les noctambules. Le jeune et ambitieux Deacon Frost se considère, en effet, en haut de la chaîne alimentaire et compte bien faire valoir sa suprématie sur la race humaine. Face à la menace qu’il représente, Blade - un héros des temps modernes mi-humain mi-vampire qui agit dans l’ombre - se donne pour mission de l’arrêter. |
La critique
Encensés puis décriés, les premiers super-héros ont eu la vie dure sur grand écran. À la fin des années 90, le spectateur friand de justiciers n’a ainsi pour seules références cinématographiques que les quadrilogies Superman (1978-1987) et Batman (1989-1997), deux emblèmes de l’écurie DC Comics. Si leurs deux premiers épisodes respectifs sont acclamés - augurant un bel avenir pour les super-héros - les suivants malmènent leurs protagonistes, au point de rendre les investisseurs frileux.
Pendant ce temps, le concurrent Marvel et son illustre catalogue de personnages aussi variés qu’originaux sont sur la touche. Et ce ne sont pas ses infructueuses tentatives d’adaptations de Captain America en 1990 et The Fantastic Four en 1994 - reléguées directement pour le marché de la vidéo - qui inversent la tendance. Mais pas pour longtemps, un nouveau projet suscite la curiosité : l’adaptation du comics Blade et son héros éponyme.
Le réalisateur Ernest R. Dickerson parle de son engouement pour l’œuvre (créée en 1973 par Marv Wolfman et Gene Colan) au Président de production de New Line Cinema Michael De Luca qui, à son tour, prend contact avec le président de Marvel Entertainment Group Joseph Calamari. Ce dernier se montre enthousiaste et demande dans la foulée au scénariste David S. Goyer de présenter un script… qui fait l’unanimité. Blade, dit le Diurnambule, et ses vampires vont enfin voir le jour au cinéma
Mais Dickerson, désormais occupé sur le tournage d’un autre film et David Fincher, un temps envisagé, doivent être remplacés. C’est donc le jeune réalisateur britannique Stephen Norrington - initialement créateur d’effets spéciaux - qui est retenu. Il attire l’attention de la profession en 1994 grâce à son tout premier film Death Machine, salué par la critique malgré sa violence controversée et son budget modeste. Il réalisera par la suite une autre adaptation : La Ligue des Gentlemen Extraordinaires en 2003.
Cette nouvelle recrue représente une véritable aubaine pour les studios. Premièrement, l’univers de Blade est résolument adulte, sombre et violent. Deuxièmement, le scénario une fois retravaillé prend des allures de gros projet cinématographique, alors que le financement alloué n’est pas très élevé. Goyer a raison de voir les choses en grand puisqu’il scénarisera par la suite : Blade 2 en 2002 et Blade : Trinity en 2004 (dont il signe également la réalisation).
Il ne reste plus qu’à dénicher le Blade parfait ! Bien qu'impassible et taciturne (alors que son homologue dessiné est plus expansif), le charisme du héros en impose. Il faut savoir que Blade n’a eu sa propre série éditée qu’après avoir joué les rôles secondaires dans le comics Tomb of Dracula au début des années 70. Le rappeur et futur acteur LL Cool J veut le rôle, mais New Line Cinema a déjà trois autres noms en tête : Denzel Washington, Laurence Fishburne et Wesley Snipes.
Ce dernier, déçu par le projet Black Panther lancé au début des années 90 chez Columbia Pictures (tout comme Stan Lee), se montre fort intéressé par celui de Blade. Après s’être fait remarqué dans le clip vidéo de Mickael Jackson Bad dirigé par Martin Scorsese en 1987, tourné pour Spike Lee en 1990 et 1991, et tenu tête à Sylvester Stallone dans Demoliton Man en 1993, l'acteur atteint à juste titre la consécration avec Blade (dont il est également producteur) après dix ans de seconds rôles.
Pour l’accompagner, le personnage de Whistler est créé de toutes pièces par Goyer. Il porte le prénom Abraham, en hommage à Bram Stocker, l'auteur de Dracula, et à Van Helsing, un des personnages du roman. Apparaissant en clin d’œil et en avant-première dans la série animée Spider-Man, l’Homme Araignée en 1996, cette figure paternelle et mentor - dont l’aplomb et la répartie comique contrebalancent la solennité de son protégé - est interprétée en chair et en os par l’acteur, compositeur et chanteur country Kris Kristofferson.
Mais les studios ne souhaitent pas uniquement réaliser un film de super-héros et ambitionnent de proposer une nouvelle image du film de vampires. Loin de ses confrères masqués pleins de bons sentiments ou à l’inébranlable esprit d’équipe, et a contrario d’œuvres telles que Dracula (1992) ou Entretien avec un Vampire (1994), Blade propose donc une vision bien moins fantasmagorique que ses prédécesseurs. L’héroïsme des uns, le romantisme et le gothique des autres, laissent place à un nouveau genre plus pragmatique.
Blade se démarque ainsi par une approche assurément brute et urbaine. L’équipe avoue que le court prologue qui présente la naissance de Blade - Eric Brooks de son vrai nom - est daté en 1967 pour actualiser le personnage (qu’il ait la jeune trentaine dans les années 90 et non dans les années 70) et délibérément choisi pour poser le récit dans un cadre réaliste (tel qu’un hôpital), avant de basculer dans un monde plus fantastique lors de la véritable séquence d’ouverture, LA scène culte du film.
Les présentations faites, le spectateur est alors embarqué avec un rythme effréné et un brin menaçant au cœur d’une virée nocturne. Pour se démarquer encore une fois, c’est l’ancienne actrice de films pour adultes Traci Lords qui - dans un petit rôle mais essentiel d’après les producteurs - invite le public à pénétrer dans le monde sexy, attirant, envoûtant et dangereux des vampires (elle représenterait tout cela à elle seule !) et à passer les portes du Blood Club pour une soirée qu’il n’est pas prêt d’oublier.
Le spectateur se retrouve donc dans un véritable bain de sang (littéralement parlant) dans lequel Blade fait son entrée, ainsi que Stan Lee qui effectue ici son tout premier caméo au cinéma… malheureusement coupé au montage ! L’équipe se serait sûrement ravisée si elle avait su que ses furtives apparitions deviendraient ensuite une véritable signature. Avant cela, le spectateur aguerri peut remarquer la courte apparition de son futur ennemi : le fier et arrogant Deacon Frost, vampire aux ambitions et au charisme encore insoupçonnés.
Véritable force du film - quand le méchant fait souvent défaut dans ce genre de production - Stephen Dorff incarne, il est vrai, avec désinvolture mais hargne l’un des ennemis jurés de Blade dans le comics. Habitué au cinéma d’auteur depuis dix ans, le comédien apparaît ici dans son premier film « grand public » (après que le rôle ait été refusé par Jet Li). Son interprétation et le personnage plaisent tellement lors des projections tests, qu’une nouvelle fin moins grandiose mais avec sa présence est demandée.
Vampire moderne et avide de pouvoir, Frost et ses acolytes cherchent ainsi à décoder les glyphes (magnifiquement dessinés par le réalisateur) du livre sacré d’Erebus qui renferme « La Magra », un rituel qui permet la résurrection et l’incarnation du Dieu du Sang. Pour devenir le père de tous les vampires, il est prêt à froisser la haute autorité des Sangs-Purs menée par l’indéfectible Dragonetti (joué par le glaçant acteur allemand Udo Kier) et tenir tête à Blade.
Le scénario, composé de diverses intrigues, est aussi ambitieux que les desseins de Frost. En tant que premier épisode et adaptation de bande dessinée, Blade présente habilement son protagoniste et son univers. Il suscite la curiosité à travers son histoire tragique, ses convictions de justicier, ses états d’âmes, sa relation de longue date avec son ami Whistler. Il explore aussi la dualité de ce personnage qui ne trouve pas sa place, coincé entre deux mondes auxquels il pense ne pas appartenir.
L’œuvre se voulant la plus réaliste possible, une partie de la quête du héros se passe dans le monde des humains. Ainsi, la classe intermédiaire des « adeptes » - sorte de mafia diurne intégrée dans divers domaines au service des vampires - n’est pas négligée et donne une autre dimension au récit. De même, l’aspect scientifique personnifié par l’hématologue Karen Janson (N’Bushe Wright), qui traite le vampirisme comme une maladie, donne un ton très sérieux - pour ne pas dire crédible - à l'opus.
Blade n’oublie pas non plus de mettre en valeur son antagoniste et s’attarder sur l’univers mythique dans lequel il évolue. Car tout ne se résume pas à la personne de Frost. Les vampires vivent au sein d’une hiérarchie bien définie et d’une société à codes ; ses enjeux politiques et sociaux étant finement et intelligemment retranscrits à l’écran. Et heureusement car tout l'intérêt du film repose sur cet équilibre précaire. Ici, tous les éléments fondateurs s’intègrent parfaitement et harmonieusement à l’histoire.
L’action n’est cependant pas en reste. Experts en arts martiaux, le personnage de fiction et son interprète partagent tous deux la même passion pour le combat à mains nues. Wesley Snipes souhaite d’ailleurs s’inspirer des films asiatiques. C’est l’occasion pour lui de mettre à profit ses deux ceintures noires en karaté shotokan (art japonais) et en hapkido (art coréen), pour créer son propre style et offrir de jolis combats dont il assure pleinement le rôle de chorégraphe.
Comme Blade le précise, tout ce qui est croix et eau bénite (…) ça ne fonctionne qu’au cinéma. Pour l’aider dans sa lutte, il dispose donc d’une multitude d’armes que le réalisateur ne voulait pas forcement belles à l’écran mais crédibles et pratiques. Le département des accessoires en crée ainsi de multiples, à feu ou blanches (le fameux sabre et les indémodables pieux) - faites bien évidemment d’argent dans le monde imaginaire de Blade - sans oublier d'améliorer la Dodge Charger du héros ainsi que sa moto.
Cette authenticité n’empêche toutefois pas l’utilisation d’effets spéciaux. Les vampires doivent en effet tout de même se désintégrer avec style et les pouvoirs du Dieu du Sang apparaître impressionnants. La création d’un métro lancé à grande vitesse lors d’une poursuite dans les tunnels est ainsi bluffante de réalisme, tandis que certains effets grossiers et vieillissants - telles les masses de sang virtuelles et gélatineuses - prêtent vite à sourire, sans pour autant gâcher le charme de l'ensemble.
Sur le plan artistique, tout est fait pour que l’univers rude et austère de Blade soit retranscrit le mieux possible à l’écran. La photographie est élégamment froide, marquée par des couleurs passées et très contrastées. Pour des raisons évidentes, le rouge ressort de plus belle et les noirs se veulent très sombres (ce dernier point représentant un véritable défi pour l’équipe technique). Le montage au rythme saccadé, haché et au temps accéléré, se veut également très agressif et frénétique.
Le chef décorateur Kirk M. Petruccelli (Ghost Rider et Les Quatre Fantastiques et le Surfer d’Argent en 2007, L’Incroyable Hulk en 2008) dirige l’équipe dédiée aux décors. Il offre ainsi à Blade un repère industriel purement fonctionnel, reflétant par endroit la sagesse du héros (autel zen, plantes…). En opposition, il situe Frost dans un appartement indécemment luxueux sur les toits, ainsi qu’un labyrinthe d’archives et un temple ancien vampires mêlant tradition et modernité.
La bande originale est, quant à elle, signée Mark Isham, un illustre compositeur de jazz et de musique électronique, particulièrement prolifique au cinéma. Convenue mais tout à fait honnête, elle se marie à merveille à la musique additionnelle aussi variée que la formation de l’artiste. Mix éclectique et inspirée, elle est composée de morceaux urbains et hip-hop quand il s’agit d’illustrer la ville dans laquelle chasse Blade, et de sons plus électro et lounge pour ambiancer le monde de la nuit dans lequel se pavane Frost.
Après deux longues années de préparation et trois semaines intensives pour boucler les effets spéciaux que nécessitent la nouvelle fin du film tournée en catastrophe (seulement trois semaines avant sa sortie), Blade est présenté au public américain le 21 août 1998 puis sort dans le reste du monde à partir de l’automne - s’arrêtant au passage en France le 18 novembre - jusqu’au début de l’année 1999.
Pour un « petit » budget de 45 millions de dollars (en comparaison, sa suite bénéficiera de 9 millions supplémentaires et le troisième volet de 11 millions de plus), Blade engendre plus de 131 millions de recettes mondiales. Un succès relatif (loin des blockbusters de l’année tels qu’Armageddon, L’Arme Fatale 4 ou Il Faut Sauver le Soldat Ryan), freiné par une restriction aux moins de 17 ans non accompagnés d’un adulte aux États-Unis et une interdiction aux moins de 12 ans en France.
Les critiques sont sur lui plus que correctes et soulignent la réussite de l’adaptation. Cette nouvelle vision du personnage de Blade est tellement appréciée que les auteurs de la bande dessinée décident de réécrire la genèse originelle du héros pour proposer un protagoniste beaucoup plus proche de la version cinéma dans les futurs numéros du comics. De même, le personnage de Whistler plait tant qu’il prend place lui aussi sur le papier.
Blade est une excellente entrée en matière dans l’univers du Diurnambule et des comics Marvel. Non seulement, le film réussit le pari risqué de transposer avec succès ce super-héros si particulier sur grand écran, mais il suscite - déjà à l’époque - suffisamment d’intérêt de la part du spectateur pour lui offrir deux suites en 2002 et 2004, ainsi qu’une courte série en 2006. Un succès dont l’équipe rêvait secrètement lors de sa préparation.
Mais surtout… À l’aube des années 2000 et au-delà de ses enjeux personnels, Blade ouvre la voie au grand écran à tout un panel de super-héros Marvel, issus de certains comics à l’univers tellement riche et complexe qu’ils étaient réputés inadaptables. Les sagas X-Men et Spider-Man rencontrent un succès encore plus phénoménal et ce, bien avant que la machine Marvel Cinematic Universe, inaugurée par Iron Man en 2008, n’écrase tout sur son passage.
De même, avec son acolyte tout aussi culte Buffy Contre les Vampires arrivée un an plus tôt sur le petit écran, Blade dépoussière le mythe du vampire. Le genre a le vent en poupe dans les années 2000 avec l’émergence de nouvelles œuvres - plus ou moins réussies - telles que les sagas cinématographiques Underworld (de 2003 à 2016) et Twilight (de 2008 à 2012), les séries True Bood (de 2008 à 2014) et Vampires Diaries (de 2009 à 2017), et tant d’autres productions encore…
Blade est sans conteste LE film de super-héros des années 90. Diablement efficace et redoutable, il dispose d’une aura très particulière et peu commune au genre. Merveilleusement porté par un Wesley Snipes très en forme et visiblement investi, l'acteur confère au personnage-titre une prestance froide agrémentée d’une légère pointe d’humour qui ne peut déplaire.
Blade est à découvrir de toute urgence pour la nouvelle génération et à revoir pour toutes les autres.