Raison et Émotion
Titre original : Reason and Emotion Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 27 août 1943 Série : Genre : Animation 2D |
Réalisation : Bill Roberts Durée : 8 minutes |
Disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Dans chaque individu, deux entités se disputent le contrôle de la personne : la raison et l’émotion. Durant la Seconde Guerre Mondiale, dominer les émotions sert à mieux se mobiliser contre les forces de l'Axe... |
La critique
Jusqu'à l'entrée en guerre des Etats-Unis consécutive à l'attaque de Pearl Harbor par l'aviation japonaise, les Studios Disney n'étaient touchés par le conflit que sur l'aspect financier. L'Europe en guerre était devenue, en effet, un marché éteint où les productions de la Compagnie ne s'écoulaient plus. D'un point de vue artistique, la guerre, dont les enjeux restaient très éloignés des préoccupations de l'Amérique profonde, n'avait, qu'à de très rares exceptions (telle une commande du gouvernement canadien pour quatre films de propagande) d'influences sur les productions Disney.
Pourtant, ce fameux 7 décembre 1941, l'Amérique attaquée se retrouve subitement partie prenante au conflit. Le gouvernement U.S. réquisitionne alors immédiatement les Studios de Mickey ; la machine de guerre américaine se mettant en marche. Disney reçoit la lourde tache de vulgariser les enjeux du conflit, ses tenants et aboutissants. Toutes les Stars de la Compagnie sont mises à contribution et participent à l'effort de Guerre. La fibre patriotique est exacerbée et tous les thèmes sont bons à mobiliser : de l'intérêt pour tout un chacun de payer ses impôts en temps et en heure (The New Spirit) à la déviation de la jeunesse allemande par la dictature hitlérienne (Education for Death)...
Au delà des commandes gouvernementales, les Studios, sous l'impulsion de Walt
Disney lui-même, prennent fait et cause pour la théorie du Makor Alexander P. de
Seversky qu'ils contribueront à populariser auprès de Roosevelt (Victory Through
Air Power) et participent tout autant à une féroce critique du régime
hitlérien (Der Fuehrer's Face). Raison et Émotion entre dans cette
dernière catégorie en se présentant comme un cartoon farouchement anti-nazi. En
réalité, il s'agit d'une commande indirecte d'une série de quatre
courts-métrages de propagande du gouvernement américain comprenant en plus de
Raison et Émotion, Der Fuehrer's Face, Education for Death et Chicken Little.
Mais après la déconvenue de The New Spirit
où Walt Disney avait été accusé d'utiliser à tort l'argent du contribuable pour
faire son court-métrage, le Maître de l'Animation refuse d'utiliser le même mode
de financement direct. Il passe par l'intermédiaire du magazine Reader's
Digest qui accepte de prendre à sa charge la série des quatre cartoons, en
recevant, lui, discrètement une aide financière de la Coordinator of
Inter-American Affairs.
Raison et Émotion adapte donc le livre,
War, Politics and Emotion et
démontre comment le dictateur Hitler utilise les émotions pour manipuler son
auditoire : de la peur à la fierté en passant par la sympathie et la haine. Le
cartoon décortique l'influence des discours sur les émotions qui dirigent
ensuite les personnes : la raison de chaque individu est alors mise
littéralement dans un camp de concentration par sa propre émotion. La morale
veut ainsi qu'un être sein de corps et d'esprit doit voir ses émotions et sa
raison travailler de conserve et non l'une contre l'autre.
Néanmoins, au-delà de son aspect de propagande pure, le court-métrage a une idée de génie présentée durant sa première moitié : celle de montrer visuellement comment les émotions et la raison pilotent chaque être humain. L'idée est de représenter chacun comme deux petits bonhommes qui sont dans une cabine de pilotage, au sein de la tête et possèdent toutes les manettes pour gouverner un corps. Si bébé, seules les émotions ont le dessus, l'individu adulte voit la raison prendre le pouvoir sauf quand il arrive, de temps en temps, que les émotions la débordent et commandent. Cette idée de personnifications des émotions sera reprise deux fois chez Disney : la première dans l'attraction, désormais fermée, Cranium Command située dans le pavillon Wonders of Life de Future World à Epcot à Walt Disney World en Floride et la seconde dans le long-métrage Pixar, Vice-Versa sorti en 2015.
L'animation est superbe. Elle est due à Ollie Johnson et Ward Kimball. Ce dernier se caricature d'ailleurs lui-même en homme des cavernes représentant les émotions. Il aime bien se moquer de lui-même comme il l'a déjà fait dans Ferdinand, le Taureau ou Les Années 90. Autre chose notable, le personnage de l'homme des cavernes est réutilisé dans un court-métrage éducatif de 1946, The ABC of Hand Tools, produit pour General Motors. Pour le personnage de Raison, les artistes choisissent de le représenter en gentleman dandy, un peu coincé. Son apparence s'inspire du caricaturiste Leo Feeley du journal de Cleveland, The Plain Dealer. La même représentation est d'ailleurs faite pour le sexe faible via la femme des cavernes et la gouvernante stricte. La qualité de Raison et Émotion fait qu'il est nommé à l'Oscar du Meilleur Court-métrage.
Malgré ses atouts, le carton n'est au final que peu reproposé. Le téléspectateur aura pourtant la chance de le voir diffusé à la télévision dans l'émission, Man is His Own Worst Enemy, le 21 octobre 1962 avec Ludwig Von Drake. Il se voit toutefois considérablement amputé et perd toutes les allusions à la Seconde Guerre Mondiale, et notamment la scène où Emotion enferme Raison dans un camp de concentration. La narration est elle-aussi changée pour être remplacée par celle du canard érudit.
Assis sur une idée particulièrement efficace, Raison et Émotion n'en reste pas moins au final un cartoon peu divertissant, remplissant principalement sa mission première de propagande. Sa valeur historique lui donne en revanche un réel intérêt tout comme la résonance qu'a vis-à-vis de lui Vice-Versa.