The New Spirit
Titre original : The New Spirit Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 23 janvier 1942 Série : Genre : Animation 2D |
Réalisation : Wilfred Jackson Ben Sharpsteen Commanditaire : American Treasury Departement Musique : Oliver Wallace Durée : 7 minutes |
Disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Donald Duck apprend l'intérêt pour la nation de payer ses impôts en temps et en heure... |
La critique
The New Spirit est une commande du Département Américain du Trésor distribuée par le War Activities Commitee de l'industrie cinématographique américaine.
À la fin de l'année 1941, Walt Disney est invité à rencontrer à Washington le Secrétaire du Département du Trésor, Henry Morganthau Jr. Il suppose alors que le rendez-vous est en rapport avec la campagne du gouvernement pour vendre des bons de guerre. En fait, il n'en est rien. La réunion à laquelle se joint également Guy Helvering, Commissaire aux Revenus Internes, ainsi que John J. Sullivan, l'assistant du Secrétaire, a un tout autre objet.
L'administration fédérale, par la bouche de ses trois représentants, exprime en effet son intention de promouvoir un formulaire d'impôt entièrement remanié, destiné à faciliter le recouvrement et à toucher plus de 15 millions de nouveaux contribuables. L'idée d'utiliser un cartoon pour populariser la nouvelle méthode de déclaration est arrêtée, le choix s'étant porté pour sa réalisation sur les studios Disney. Comme souvent dans les campagnes du gouvernement, encore plus en temps de guerre, les délais sont très courts. La livraison doit, il est vrai, intervenir avant la fin du mois de février 1942 pour que le film soit diffusé dans les cinémas avant la date d'échéance du paiement des impôts, soit le 15 mars de la même année. En ce 12 décembre 1941, Walt Disney ne cache pas son scepticisme, à la fois sur le peu de temps dévolu à la réalisation mais aussi sur le faible budget qui peut être alloué. Le créateur de Mickey accepte néanmoins de produire le court-métrage pour 40 000 dollars, une somme clairement en dessous des coûts d'un cartoon Disney lambda à l'époque. Henry Morgenthau Jr. ne voit aucune opposition particulière et donne son accord verbal. Aucun contrat n'est établi, seule une lettre d'intention (future source de bien des soucis) est expédiée, quelques jours plus tard.
De retour en Californie, Walt Disney convoque Joe Grant et Dick Huemer qu'il sait en train de travailler sur une histoire où Donald Duck, en tant que citoyen lambda, tente d'échapper à l'impôt jusqu'au moment où il prend conscience que son pays a besoin de cet argent pour l'effort de guerre. Quand le story-board du cartoon, intitulé The New Spirit, est bouclé, le papa de Mickey retourne aussitôt, avec ses deux scénaristes, à Washington pour le présenter au Secrétaire Henry Morganthau Jr. Seul Walt Disney est finalement autorisé à pénétrer dans son bureau. À l'aide des esquisses scénarisées, il mime alors le cartoon, expliquant comment Donald se prépare à remplir sa déclaration habituelle, calculatrice et cachets d'aspirine à proximité, quand le nouveau formulaire lui est proposé pour lui simplifier grandement la tâche. Il n'a, en effet, juste qu'à renseigner ses revenus, soustraire les personnes à sa charge (Riri, Fifi et Loulou, bien sûr) et poster sa déclaration.
Henry Morgenthau Jr. exprime son manque d'enthousiasme. Il espérait, en effet, voir Disney créer un personnage tout spécialement pour la campagne, qu'il imaginait en "Monsieur le Bon Contribuable" au lieu de réutiliser un personnage du studio. Pire, son assistante ajoute que Donald ne fait pas partie de ses préférés. Walt Disney ne se laisse pas pour autant impressionner. Il précise, un brin sarcastique, qu'il est franchement désolé de constater que Donald n'est pas du goût de l'assistante mais que le public, lui, au contraire, le plébiscite. En outre, il insiste sur le fait que mettre son personnage au service du gouvernement revenait à voir la MGM lui donner « Clark Gable ». Enfin, il précise que cette opération est mauvaise pour sa firme d'un point de vue financier puisque les cinémas qui diffuseront ce film publicitaire le feront à la place d'un cartoon officiel du célèbre canard. C'est autant de royalties en moins...
Henry Morgenthau Jr. n'a pas vraiment le temps de mégoter. Les délais sont de toute façon trop courts pour faire un caprice. Il accepte donc à contrecœur The New Spirit. Wilfred Jackson et Ben Sharpsteen se voient ainsi chargés chez Disney de la réalisation qui ne s'avère pas de tout repos tant les détails à prendre en compte sont légion. Ils travaillent alors 18 heures par jour ; les artistes dormant dans les bureaux pour finir le cartoon à temps. Après la guerre, Wilfred Jackson se remémorera des délais totalement absurdes là où un cartoon Disney nécessitait normalement environ de quatre à six mois de travail. Zappant plusieurs étapes dans l'animation, l'opus est toutefois livré dans les temps. Le résultat n'en reste pas moins spectaculaire. Non seulement il est nommé à l'Oscar du Meilleur Court-Métrage Documentaire, mais son impact est tel que les rentrées fiscales dépassent de loin toutes les espérances ! Un sondage montre même que 37% des Américains l'ayant vu ont acquitté leurs impôts immédiatement. Une fois de plus, le Maitre de l'animation a vu juste... À tel point, d'ailleurs, que le gouvernement commande l'année suivante, une suite, The Spirit of '43.
The New Spirit n'est pourtant pas une bonne affaire. Son impact est, en effet, négatif sur les finances de la compagnie de Mickey. Déjà, comme Walt Disney le craignait, le cartoon squatte l'écran dans la mesure où les cinémas le proposent en lieu et place du Donald Duck officiel. L'opération est d'ailleurs juteuse pour les salles puisque, s'agissant d'une campagne publicitaire, elles se voient rémunérées pour diffuser ce que le grand public perçoit, lui, comme un simple cartoon de Donald. Ensuite, Walt Disney a toutes les peines du monde à se faire payer par le gouvernement. D'ailleurs, s'il reçoit finalement, avec beaucoup de retard, les 40 000 dollars stipulés dans la lettre d'intention (sans grand rapport avec le coût réel du cartoon établi à 86 000 dollars), il se retrouve, en plus, bien malgré lui, au milieu d'une féroce campagne politique de dénigrement venue du Congrès. Il est en effet accusé de vouloir faire de l'argent sur le dos de la guerre de façon bien peu citoyenne. Avoir prêté une de ses stars ne lui aura donc rien apporté de bien positif ! Pourtant, fervent patriote, Walt Disney passe pour pertes et profits ces désagréments et se déclare, contre vents et marées, fier d'avoir servi son pays.
Il n'empêche ! Vu avec le recul historique approprié, The New Spirit n'en demeure pas moins une magnifique preuve du talent des artistes de Walt Disney. Les délais impossibles donnent réellement l'impression, à quelques détails près, qu'ils n'ont eu aucun impact sur la qualité de l'ensemble. Le cartoon commence par un générique entraînant grâce à la chanson Yankee Doodle Spirit, écrite et composée par Oliver Wallace tandis qu'elle est chantée par Cliff Edwards, la voix de Jiminy Cricket. Le spectateur voit alors Donald danser devant son miroir où plusieurs reflets apparaissent. D'ailleurs, les artistes de Disney commencent par proposer un petit gag : le canard se dirige en effet vers le poste de radio tandis qu'un de ses reflets reste à se trémousser alors que les autres sont déjà partis. Le vrai canard, quant à lui, projette une ombre majestueuse, faisant le salut militaire sur le poste de radio qui diffuse cette chanson patriotique. La caméra se tourne alors sur Donald et le public remarque que les pupilles du canard ont des drapeaux américains en plein milieu.
Quand la musique se termine, le poste de radio devient légèrement anthropomorphique et commence à discuter - avec la voix de Fred Shields - avec Donald. Il fait référence directement à la récente déclaration de guerre, mettant en avant le nouvel état d'esprit qu'ont désormais les citoyens américains. Il vante alors la résilience des peuples libres qui se battent contre la tyrannie. Donald, remonté, crie son indignation. Quand Walt Disney disait que Donald était sûrement le personnage auquel le public s'identifiait le plus, il savait parfaitement de quoi il parlait. Le canard représente en effet, avec son mauvais caractère et son fort tempérament, la part d'impatience qu'il y a en chacun. L'attaque de Pearl Harbor étant encore dans toutes les mémoires, les mots prononcés tout haut par le canard servent de moment cathartique pour de nombreux spectateurs américains. L'annonceur demande alors à Donald s'il veut aider son pays. En réponse, le canard se présente devant le poste avec plein d'armes mais la radio pense elle à une chose bien moins extrême et dangereuse mais tout aussi importante : payer ses impôt à temps !
Donald est dès lors loin d'être convaincu de l'utilité mais l'annonceur lui confirme que le gouvernement a besoin de ses impôts, payés en temps et en heure, pour construire des avions, des bateaux, des missiles, le tout pour défendre la démocratie. En résumé, « des taxes pour vaincre l'Axe » ! Donald se dépêche donc à se préparer pour remplir sa déclaration. Il arrive avec une montagne d'ustensiles, de la calculatrice au globe terrestre en passant par l'aspirine. Mais la radio le rassure en lui annonçant que s'il gagne moins de 3000 dollars par an - ce qui était le cas pour la majorité des Américains à l'époque - il peut désormais utiliser le formulaire simplifié ; soit exactement ce que voulait vendre en premier lieu le gouvernement en produisant The New Spirit. Il n'a besoin que d'un stylo, d'une bouteille d'encre et d'un buvard. Les trois ustensiles sont d'ailleurs ici totalement anthropomorphes et aident Donald à remplir le document. Il faut alors d'abord noter son emploi. Le canard annonce fièrement qu'il est acteur, ce qui étonne le stylo qui n'est pas persuadé de la véracité de cette déclaration.
Dans le formulaire, afin d'avoir des déductions, il faut aussi donner le nombre de personnes à charge. Mine de rien, malgré son côté totalement patriotique et propagandiste, le court-métrage a son importance pour la biographie du personnage de Donald. Il établit grâce à la déclaration d'impôts de Donald que ses trois neveux, Riri, Fifi et Loulou, sont bien notés en qualité d'adoptés par leur oncle. The New Spirit prouve ainsi de façon officielle, pour la première fois, que c'est donc Donald qui a légalement la charge de l'éducation des trois canetons. Le remplissage du formulaire continue ensuite avec les données sur les revenus, ce qui permet de trouver, grâce à un tableau fourni en parallèle, le montant de l'impôt qui doit être envoyé par chèque via la poste. Donald fait du zèle et se dépêche de l'apporter directement à Washington, D.C. depuis la Californie.
Pendant les trois dernières minutes, The New Spirit va ensuite expliquer à quoi est destinée la collecte de l'impôt. Le but est de faire tourner à plein les usines du pays pour construire des armes. Les images et la musique deviennent alors plus dramatiques tout en exacerbant l'aspect patriotique comme par exemple l'utilisation d'objets plus ou moins anthropomorphes aux couleurs du drapeau américain. De nombreuses scènes montrent ainsi des fusils, des canons, des avions, des bateaux et des chars détruire les navires japonais, les bombardiers ou les sous-marins nazis. La dernière scène arrive et impressionne tant elle est incroyablement exécutée et superbement mise en image. Avec des chœurs interprétant la chanson Let Freedom Ring et le narrateur récitant un extrait du discours des quatre libertés prononcé le 6 janvier 1941 par le président des États-Unis d'Amérique, Franklin Delano Roosevelt, une procession de chars, de canons et d'avions défilent sous un ciel crépusculaire aux couleurs du drapeau américain.
Visionné aujourd'hui, The New Spirit ne conserve qu'un intérêt historique. Il se révèle, en effet, peu divertissant, passé bien sûr le plaisir de revoir Donald. Ceci dit, il est d'une incroyable qualité, surtout vu ses délais de production. De plus, son propos est d'une extrême efficacité. Rien d'étonnant ainsi que le cartoon ait été nommé pour l'Oscar du Meilleur Court-Métrage Documentaire.