The Grain That Built A Hemisphere

The Grain That Built A Hemisphere est un cartoon éducatif de propagande qui revient sur l'importance du maïs en temps de guerre.

Avant même l'entrée en guerre de son pays dans le second conflit mondial, Walt Disney et un certain nombre de ses talentueux artistes mènent un périple à travers l'Amérique du Sud. Ce voyage, motivé par diverses raisons d'ordre plus ou moins personnel, est une complète réussite. Le papa de Mickey y poursuit, en effet, plusieurs buts. Le premier, managérial, reste une volonté d'éloignement ponctuel de son studio. Un conflit social très dur l'oppose, à l'époque, à une partie de ses équipes et, cristallisant sur sa personne rancœurs et attaques, Walt Disney se résout à quitter le devant de la scène pour favoriser une sortie de crise. Le deuxième objectif du voyage est, lui, assurément, artistique. Il consiste à s'imprégner, avec ses collaborateurs, de la culture sud-américaine pour en tirer le meilleur et en exploiter toutes les ressources. Enfin, le troisième et ultime but de l'escapade disneyenne sur le continent frère est moins connu mais tout aussi essentiel. Il revêt un caractère politique évident. Walt Disney et sa délégation se présentent, en effet, au nom des États-Unis pour célébrer l'amitié des peuples sud et nord-américains. La démarche est osée tant l'influence nazie grandit alors dans cette partie du monde. Au final, plusieurs œuvres sont directement les fruits du séjour. Parmi les plus connues se retrouvent bien sûr Saludos Amigos ou Les Trois Caballeros. Mais la moisson ne s'arrête pas là. De nombreux films produits pour la Coordinator of Inter-American Affairs avaient pour thème l'agriculture, à l'image de The Grain That Built A Hemisphere qui est le premier du genre.

Le projet, qui se nomme au début Corn and Corn Products, est lancé én février 1942 par les studios Disney avec le support du Coordinator of Inter-American Affairs. L'agence gouvernementale a alors tendance à préférer et à investir davantage sur les films de santé publique mais l’enthousiasme sur ce premier court-métrage mettant en avant l'agriculture est à rechercher du côté du Vice-Président américain de l'époque, Henry A. Wallace, ancien Secrétaire à l'Agriculture et fervent défenseur de la politique agraire, persuadé, qui plus est, que le maïs était une culture qui pouvait faire le pont entre les deux Amériques. L'ambition est ainsi élevée au début du développement, prévoyant de produire un moyen-métrage de trois bobines, l'équivalent de trois courts-métrages Disney. Finalement, pour une question de coût, le projet est réduit à une seule bobine à l'été 1942 même si la durée finale reste tout de même de onze minutes, bien plus longue que pour un cartoon standard.

Le développement du film est très long car les faits et les détails doivent être validés par les bureaux du Coordinator of Inter-American Affairs à Washington. Le Docteur Eart N. Bressman, directeur du département agricole de l'agence gouvernementale, passe même deux semaines aux studios durant le printemps 1942 afin de travailler avec les artistes Disney. Après cela, il continue à envoyer des notes et des corrections tout en demandant l'avis à des experts, notamment pour tout ce qui concerne les cultures incas. Le film part en production en juin 1942 mais va, même là, subir des retouches, des coupes et des modifications jusqu'à la dernière minute. Son titre est également changé à la toute fin du processus, devenant The Grain That Built A Hemisphere. La réalisation est pour sa part confiée à Bill Roberts tandis que l'animation des personnages est signée de l'artiste Bill Tytla qui livre ici un travail remarquable malgré les restrictions budgétaires. Son talent permet en effet d'apporter aux personnages, notamment incas, aztèques ou mayas, beaucoup de force, de dignité et de réalisme. La scène de début, qui revient régulièrement tout du long, où un personnage roule du maïs sur une pierre, est notamment d'une élégance folle. Mais le cartoon ne se limite pas à ces séquences superbes. Le court-métrage propose aussi des effets visuels efficaces, parfaitement montés, avec des diagrammes, des graphiques, des dessins, des changements de couleurs ou des mouvements de caméra.

The Grain That Built A Hemisphere commence ainsi sur un historique de la culture du maïs. D'ailleurs, le narrateur explique que la plante contemporaine n'aurait pas pu pousser à l'état sauvage. Il précise d'ailleurs que ses origines exactes restent floues mais que les spécialistes de l'époque pensent que la plante originelle serait le teosinte ou le tripsacum. Les différences entre les deux sont expliquées en montrant notamment l'emplacement du pollen et des graines pour chacune des plantes. Celles-ci poussaient sur les contreforts de la cordillère des Andes mais il faut attendre que les peuples autochtones passent d'une vie de chasseur à celle de fermier pour que la culture du maïs prenne de l'ampleur. Elle va alors devenir le pivot de la richesse des civilisations de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud. Le maïs était notamment important chez les Mayas qui lui assignent un dieu protecteur, Yum Kaax, le dieu des plantes. Quelques siècles plus tard, les Aztèques basèrent aussi leur civilisation sur le maïs dont le dieu représentatif était Centeotl. Enfin, dans les Andes, les Incas développèrent la culture en terrasse sur les flans des montagnes. Ils priaient le dieu du soleil pour la lumière et la chaleur que l'astre prodiguait à leur précieuse culture du maïs. La plante va migrer par la suite vers le Brésil, l'Argentine puis l'Amérique du Nord avant d'arriver en Europe, en Afrique du Nord, en Afrique du Sud et en Asie. Le maïs est ainsi devenu un élément vital de l'économie et de l'agriculture mondiale.

Le court-métrage propose ensuite une liste de plats que le maïs permet de cuisiner comme les tortillas, les enchiladas, les tamales, du pain de maïs, des corn flakes, du pop-corn... L'agriculture moderne a ensuite permis d'être bien plus efficace dans la culture du maïs. Le narrateur revient notamment sur la technique de la consanguinité afin de purifier un plan avant de le croiser avec un autre ayant subi le même processus, permettant au final d'obtenir des plantes plus grandes, avec des tiges plus fortes au rendement accru. À l'époque de la production du cartoon, 75% de la production américaine de maïs était consacrée à nourrir le bétail. La chimie a également permis de développer de nombreux dérivés à partir du maïs comme l'huile, l'amidon ou le glucose. Tout ceci permet diverses productions, de la nourriture au textile en passant par de l'alcool destiné à créer du carburant, des explosifs, des pneus, des parachutes mais aussi du plastique pour les voitures, les bateaux, les tanks, les tracteurs, les trains ou les immeubles du futur ... Le maïs est donc une culture indispensable en ces temps de guerre. Chose que les mayas ne pouvaient imaginer lorsqu'ils ont découvert la plante que les botanistes appellent zea mays.

The Grain That Built A Hemisphere offre, en plus de l'animation inédite, quelques scènes ou plans repris d'anciennes œuvres Disney. Au début du court-métrage, il peut notamment être vu un Amérindien précolombien tirer une flèche sur un cerf ; l'animation venant du film Bambi. Néanmoins, la séquence réutilisée la plus longue est celle reprise du cartoon des Silly Symphonies de 1938, Symphonie de Cour de Ferme. Le spectateur y voit des animaux de la ferme accourir pour manger du maïs. Au milieu de la scène se trouve néanmoins une animation inédite réalisée dans le même style par l'animateur Frank Thomas qui montre un boeuf grossir grâce au maïs qu'il mange et dont les lignes représentant les morceaux de viande sont tracées par dessus la bête. Enfin, à la fin du court-métrage, lorsque sont énumérés tous les produits militaires qui peuvent être fabriqués à partir du maïs, les images sont extraites d'un autre cartoon de propagande de 1942, The New Spirit.

Terminé en janvier 1943, The Grain That Built A Hemisphere est montré à Washington en même temps que l'autre cartoon de propagande, Un Fléau Ailé. Les retours positifs du Coordinator of Inter-American Affairs vont paver le chemin des prochaines productions éducatives et commerciales que vont développer les studios Disney de façon active durant le milieu des années 1940. Preuve de sa qualité, The Grain That Built A Hemisphere a en plus l'honneur de gagner une nomination pour l'Oscar du Meilleur Court-Métrage Documentaire.

The Grain That Built A Hemisphere est un court-métrage éducatif de propagande efficace qui étonne surtout grâce à une animation simple mais incroyablement élégante.