Le Juge Oliver Owl

Qui a Tué le Rouge Gorge

En 1935, les studios Disney proposent une parodie de justice avec Qui a Tué le Rouge Gorge. Mettant en scène une galerie bariolée d’oiseaux de toutes sortes, cette mascarade est alors orchestrée par l’influençable Juge Hibou.

Le court-métrage débute par un meurtre horrible. Pendant qu’il chantait la sérénade à la pulpeuse Jenny Aigrette, Rouge Gorge est en effet assassiné d’une flèche en plein cœur. Immédiatement, les forces de l’ordre sont dépêchées sur place pour arrêter les suspects. Embarqués sans ménagements, ces derniers sont alors conduits devant le Juge Hibou chargé de démêler l’affaire et de condamner le criminel.

« Qui a tué le Rouge Gorge ? », questionne le Hibou avant d’entendre chacun des trois suspects. Le premier est un oiseau noir, un pauvre bougre incapable de garder son sang-froid face à l’intransigeant Perroquet procureur. Le deuxième, Legs Sparrow, est une petite frappe, un délinquant qui, contrairement à son prédécesseur, ne se laisse pas démonter face aux représentants de la justice. Le troisième, Cuckoo, est l’idiot du village, un piaf complètement fou qui, faute de comprendre ce qu’il se passe, accuse bêtement le juge puis le procureur d’être eux-mêmes les assassins !

« Qui a tué le Rouge Gorge ? », demande frénétiquement le Juge Hibou qui, faute de preuve, ne peut condamner personne. Lorsque Jenny Aigrette arrive à son tour à l’audience, le magistrat se radoucit bientôt. Sous le charme de la belle qui demande une pendaison, le Juge perd totalement ses moyens. Encouragé par le Procureur, il ordonne que les trois suspects soient exécutés. Après tout, cela semble faire autant plaisir à Jenny qu’au jury... Et tant pis s’ils sont innocents !

Le simulacre de procès est soudain interrompu lorsqu’une flèche perfore le mortier du Juge. L’auteur du méfait n’est autre que Cupidon. Quant au projectile tiré sur Rouge Gorge, il ne s’agissait que d’une flèche d’amour. Le petit héros n’est donc pas mort. Il est juste tombé d’amour devant sa belle. Le procès est dès lors annulé...

Lancée dès 1933 sous la direction de Wilfred Jackson, bientôt remplacé à son poste de réalisateur par Dave Hand, Qui a Tué le Rouge Gorge s’inspire du poème The Death and Burial of Poor Cock Robin publié pour la première fois à Londres en 1744 dans le recueil Tommy Thumb’s Pretty Song Booktrad. Complétée en 1770, la comptine raconte la romance entre la belle Jenny Wren et le Rouge-Gorge bientôt assassiné d’une flèche dans le cœur. Ayant sans doute des origines plus anciennes, le texte fait alors peut-être référence à la mort de Guillaume II d’Angleterre, dit « Guillaume le Roux », tué par une flèche lors d’une partie de chasse organisée en 1100. D’autres y voient une satire de la chute du gouvernement de Robert Walpole, le Premier ministre du Royaume-Uni entre 1721 et 1742 qui était surnommé Robin.

Lorsque Bill Cottrell décide de s’inspirer du poème pour écrire un nouvel opus des Silly Symphonies, aucune allusion politique n’est conservée. À la place, le scénariste décide de prendre l’histoire au pied de la lettre et de mettre en scène un procès. Épousant les codes des comédies burlesques et des films musicaux à la mode à l’époque, il écrit ainsi une véritable parodie de justice avec, dans les rôles principaux, toute une série d’oiseaux anthropomorphes.

Pour incarner le juge, les artistes de Disney portent leur choix sur un hibou. L’idée est alors de miser sur l’image familière de l’animal qui, dans nombre d’histoires et de contes populaires, est associé au savoir, mais aussi à l’autorité. Contrairement à la réputation de ses congénères, le grand-duc de Qui a Tué le Rouge Gorge est toutefois loin d’incarner la sagesse. Nommé Oliver Owl en version originale, le Juge Hibou est en effet un magistrat fort déplaisant et surtout très influençable. Sous la coupe du procureur, il s’en prend violemment aux suspects. Sous le charme de Jenny Aigrette, il accepte de condamner sans aucune preuve tangible.

Feuilles de modèles

Amusante, l’animation du Juge Hibou est supervisée par Norman Ferguson. Né le 2 septembre 1902 à Brooklyn, l’artiste étudie la publicité au sein de l’Institut Pratt avant d’être engagé dès 1920 comme cameraman par Paul Terry. Formé aux rudiments de l’animation, il est engagé aux studios Disney en 1929 et travaille sur plusieurs courts-métrages des collections de Mickey et des Silly Symphonies. Créateur du Grand Méchant Loup dans Les Trois Petits Cochons, il devient l’un des spécialistes de Pluto dont il fixe les caractéristiques principales. Son animation du chien dans Pluto Jongleur reste son chef-d’œuvre.

Norman Ferguson donne ensuite vie à des dizaines d’autres personnages comme la Reine Grimhilde changée en sorcière et le duo Grand Coquin et Gédéon. Nommé superviseur par Walt Disney, « Fergy » travaille sur Fantasia, Dumbo, Saludos Amigos, Les Trois Caballeros, Cendrillon (Pataud), Alice au Pays des Merveilles et Peter Pan (Nana). Estimant être dépassé par les nouvelles recrues, Ferguson quitte les studios Disney en 1953 après une ultime participation au court-métrage Un Lion de Société. Il meurt le 4 novembre 1957 à l’âge de cinquante-cinq ans. Un Disney Legends Award couronne sa carrière.

En version originale, le Juge est interprété par Billy Bletcher. Originaire de Lancaster, en Pennsylvanie, où il naît le 24 septembre 1894, le comédien apparaît sur les écrans dès les années 1910. Pionnier du cinéma fort d’une carrière de plus de soixante ans, il joue ainsi dans des dizaines de fictions parmi lesquelles Billy Jim, La Parade du Rire, Un Jour une Bergère, Le Professeur Schnock, Men With Wings, La Vie de Thomas Edison, L’Amour est une Mélodie et Sinbad le Marin. Cantonné aux seconds rôles, Bletcher s’est surtout fait un nom dans le doublage en prêtant sa voix à des personnages comme Pat Hibulaire, Le Grand Méchant Loup, The Lone Ranger, Spike le bulldog et le Sergent Snafu. L’acteur disparaît le 5 janvier 1979 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

Walt Disney et Billy Bletcher

L’interprète du Juge Hibou en français n’est pas identifié.

Représentant méprisable d’une justice partiale et arbitraire, le Juge Hibou fait partie de ces personnages typiques des dessins animés produits par Disney dans les années 1930.