Alien³
Le synopsis
Après avoir réussi à s’échapper de la planète LV-426 à bord d’une capsule de secours, Ellen Ripley et ses compagnons s’écrasent sur Fiorina 161, un ancien institut de recherche désaffecté reconverti en prison pour criminels dangereux. Seule survivante de l’accident, Ripley doit cohabiter avec la population des lieux, sans se douter qu’un alien a voyagé avec elle et se prépare à semer la mort. |
La critique
Drôle de cas que celui d’Alien3. Mis en chantier après le succès phénoménal d’Aliens, le Retour, il est surtout réputé pour sa conception difficile. Tourné sans véritable script, sorti dans la précipitation, le troisième volet de la franchise instituée par Ridley Scott représente, en effet, à lui seul l’élaboration chaotique d’un projet victime des rapports tendus entre ses producteurs, ses scénaristes et son réalisateur, David Fincher. Reniant une grande partie des éléments de son prédécesseur, Alien3 propose pourtant une aventure sympathique et terrifiante, respectant l’univers de la saga tout en l'enrichissant de thèmes ambitieux.
La genèse d’Alien3 démarre dès 1986, tout juste après Aliens, le Retour. Avec les scores enregistrés par le film au box-office et les critiques unanimement positives, les dirigeants de 20th Century Fox ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin et approchent Brandywine Productions dans l’optique de créer de nouvelles suites. Toutefois, les producteurs David Giler et Walter Hill ne sont guère enthousiastes. Ils souhaitent, il est vrai, mettre un point final à la franchise et se consacrer à d'autres projets. Les premières idées tournent donc autour de la compagnie Weyland-Yutani et l’usage, par cette dernière, des aliens comme armes biologiques. Dès 1987, William Gibson, auteur de science-fiction et père du mouvement cyberpunk, est engagé au poste de scénariste par Walter Hill et David Giler, qui lui fournissent leurs idées. Gibson se met à l’écriture et leur sort une première version du scénario en décembre 1987. Inspiré par le contexte de la guerre froide, l’intrigue devait s’étendre sur deux parties. Le script racontait la lutte entre la compagnie et un groupe de militaires à l’idéologie communiste ayant fui la Terre, chaque partie disposant d’une race d'aliens en guise d’armes. Il y était également question d’un virus qui, une fois propagé, transforme les humains en aliens. Le caporal Hicks, incarné par Michael Biehn dans Aliens, le Retour, serait le personnage principal de ce troisième film. Sigourney Weaver n’étant pas sûre de re-signer, son personnage de Ripley se retrouve dans le coma et n’y aurait fait qu’une apparition avant de revenir en tant qu’héroïne dans le quatrième film, qui aurait servi de conclusion à la saga et offert une bataille finale entre humains et aliens créés par les militaires expatriés.
Mais Giler et Hill ne sont pas convaincus et demandent à Gibson de revoir son scénario avec l’aide du jeune réalisateur Renny Harlin (L’Île aux Pirates, Peur Bleue), sorti tout droit du tournage du (Le) Cauchemar de Freddy et qui vient d’être engagé pour mettre en scène Alien3. William Gibson prend très mal cette décision et quitte le navire. Seul maître à bord, Renny Harlin réfléchit donc à une histoire située sur la planète d’origine des aliens avec Ripley comme personnage principal, puis à une invasion de la Terre par les aliens. Néanmoins, ces idées sont toutes rejetées par les studios. Harlin reste attaché au projet avec cette fois Eric Red, déjà à l’origine du scénario du thriller The Hitcher. En cinq semaines, ils écrivent un script sur des militaires amnésiques qui se réveillent dans une station spatiale et découvrent que d’étranges expériences y sont réalisées. Des scientifiques combinent, en effet, de l’ADN xénomorphe avec celui de différents animaux - chien, rat, cochon - et le film devait se clore sur la transformation de la station en créature alien géante. Le scénario ne convainc que très peu de monde et Red est renvoyé. Vient ensuite David Twohy (Timescape : Le Passager du Futur, la trilogie Pitch Black) en octobre 1989, qui propose une histoire se déroulant dans une prison spatiale où tous les détenus sont utilisés comme cobayes par la compagnie Weyland-Yutani pour donner naissance à des aliens. Le scénario plaît à Giler et Hill, mais pas à Renny Harlin, qui estime que le public ne s’attachera pas à des “prisonniers”. Lassé des indécisions des producteurs, il abandonne le projet et part réaliser 58 Minutes pour Vivre - Die Hard 2.
C’est à ce moment-là que Walter Hill visionne The Navigator : A Medieval Odyssey (1988), film fantastique réalisé par Vincent Ward (Cœur de Métisse, Au-delà de nos Rêves, River Queen) sur deux frères propulsés dans le futur. Impressionnés par son travail, Giler et Hill l’approchent et lui font parvenir le script de David Twohy sur la prison spatiale. Vincent Ward rejette l’offre, mais change d’avis lorsque les producteurs lui accordent le droit de changer plusieurs détails. 20th Century Fox donne son feu vert et engage le scénariste John Fassano pour l’assister, mais sans prévenir David Twohy, qui penche toujours sur sa version. Quand Fassano le contacte pour lui expliquer la situation, Twohy claque la porte et emporte avec lui son scénario, dont il reprendra quelques éléments pour son film Pitch Black avec Vin Diesel.
Désormais réalisateur, Vincent Ward imagine alors une histoire se déroulant sur une planète abritant une population monastique, coupée du reste de l’univers et sans technologie. Le film se situe ainsi tout de suite après Aliens, le Retour : Ripley, Hicks et Newt sont à bord du Sulaco quand un incident les fait atterrir sur une planète habitée par des moines. Ripley se croit alors la seule survivante sans savoir qu'elle a emmené un alien avec elle. Si Vincent Ward pense disposer de temps pour développer l’intrigue du film, 20th Century Fox douche rapidement ses espoirs en lui annonçant pouvoir sortir Alien3 en avril 1990. Ward part donc en Angleterre pour superviser la construction des décors tandis que le scénario subit encore plusieurs réécritures. Au bout de quelques semaines, les producteurs finissent par douter du projet mené, notamment son côté médiéval qu’il juge incompatible avec la saga. Après une réunion où ils demandent à Ward de revoir son script, ce dernier refuse toute concession et quitte la partie avec John Fassano.
Pour 20th Century Fox, c’est la catastrophe. Des millions de dollars ayant déjà été dépensés pour la construction des décors et le cachet des scénaristes, Alien3 doit impérativement être tourné au risque de provoquer la banqueroute. Giler et Hill sont donc dans l’obligation de remanier le script à la va-vite. Pour cela, ils s’inspirent des précédents travaux et gardent le concept de prison spatiale de Twohy, ainsi que l’intrigue et la structure du scénario de Ward. À ce stade, Sigourney Weaver confirme sa participation et Ripley est officiellement ajoutée à l’intrigue. En parallèle, Brandywine Productions et 20th Century Fox portent leur choix sur David Fincher, tout juste 29 ans, pour réaliser le film.
Réalisateur et producteur né le 28 août 1962 à Denvers, Colorado, David Fincher se passionne pour le cinéma dès l’âge de huit ans. En 1980, il intègre la société Industrial Light and Magic où il travaille sur les effets spéciaux de films tels Star Wars : Le Retour du Jedi et Indiana Jones et le Temple Maudit. Il se tourne ensuite vers la réalisation de clips musicaux et de publicités, notamment pour Madonna, Aerosmith et les Rolling Stones. En 1992, il sort son premier film, Alien3, dont il gardera un très mauvais souvenir. C’est avec Se7en (1994) que Fincher devient un maître incontesté du thriller enchaînant ensuite The Game (1997), Fight Club (1999), Panic Room (2002) , Zodiac (2007), Millenium : Les Hommes qui n’Aimaient pas les Femmes (2011) et Gone Girl (2014). Outre son domaine de prédilection, il réalise L’Étrange Histoire de Benjamin Button (2008), The Social Network (2010) et crée les séries House of Cards (2013) et Mindhunter (2017), dont il réalise quelques épisodes.
Les ennuis de scénario ne s’arrêtent hélas pas là et Fincher entame les prises de vues en janvier 1991 dans des conditions épouvantables. Le budget est revu à la baisse, tout comme la durée du tournage, qui passe de trois à deux mois. Le jeune cinéaste doit faire avec d’interminables réécritures de la part des producteurs, changeant constamment la direction de son film, dont il perd peu à peu le contrôle. Alien3 est un épisode subversif. Faisant fi de la mythologie instituée par Aliens, le Retour, il tranche complètement avec l’action et le spectaculaire du film de James Cameron pour une approche malsaine, psychologique et un rythme nettement plus lent, proche de celui du premier volet. Prenant élégamment le contre-pied de ses modèles, David Fincher met tout son talent, en dépit des circonstances, au service d’un film grandiose, inquiétant et désespéré.
L’intrigue d’Alien3 se situe peu de temps après le décollage du Sulaco. Ripley, Hicks, Newt et ce qui reste de l’androïde Bishop se sont échappés de la planète LV-426 et sont placés en cryostase. Mais un incident causé par un facehugger, qui s’était introduit dans le vaisseau, provoque l’éjection de leurs capsules. Tous s’écrasent sur Fiorina 161, une planète abritant un pénitencier, où vivent des criminels ultra-violents, convertis au fondamentalisme religieux. Ripley est la seule survivante. Recueillie par les superviseurs de la prison, elle est en outre la seule femme dans un univers d’hommes. En demandant à examiner les corps, l’ex-navigatrice craint la présence d’un alien entre les murs. Lorsque leurs camarades se font exterminer par le monstre, les détenus, menés par Ripley, doivent s’unir pour l’éliminer, tandis que la compagnie Weyland-Yutani est en route pour récupérer le xénomorphe.
Les premières minutes d’Alien3 annoncent la couleur. Finie la thématique sur la famille, l’amour maternel et la potentielle intrigue sentimentale entre Ripley et Hicks. Newt meurt noyée dans sa capsule, Hicks est empalé, l’héroïne se retrouve plus seule que jamais sur une planète déserte, balayée par des vents violents et des orages, peuplée de criminels dangereux. Un choc pour le spectateur ayant apprécié les deux premiers volets, mais une prise de risque qui s’avère payante et donne un second souffle à la saga. David Fincher se veut ambitieux et démonte le matériel de base. Place cette fois à un univers carcéral, clos et suffocant, sans présence féminine et où les armes sont interdites. S’il recycle naturellement certains éléments fondateurs de la franchise - des humains en proie à une menace extraterrestre dans un lieu dont ils ne peuvent s’enfuir - Alien3 fait table rase du passé et apporte une vraie bouffée d’air frais.
D’une introduction tranchant avec les espoirs laissés par la fin d’Aliens, le Retour, cette troisième aventure dans l’espace fait entrer son spectateur dans l’horreur autant psychologique que graphique. Dans Alien3, Ripley est entourée de violeurs et de psychopathes qui n’emportent pas la sympathie, si bien que le public ne sait jamais à qui se fier. Les décors du pénitencier sont sales, vétustes, glauques et font froid dans le dos. Enfin, la technologie, représentée chez Ridley Scott et James Cameron par des armes, vaisseaux et ordinateurs, est totalement absente. L’héroïne et les prisonniers n’ont aucun moyen pour se défendre et leurs munitions se résument à des lampes torches et autres produits inflammables. Misant tout sur la sobriété et le minimalisme, jouant beaucoup avec les nerfs et la patience, Alien3 est un film sombre, dérangeant et inspire la peur à chaque plan.
Au casting, Sigourney Weaver (Alien, le Huitième Passager, La Morsure du Lézard, Le Village, Encore Toi ! (You Again)) continue d’interpréter magistralement Ellen Ripley. Face à elle, Charles Dance (Sur la Route de Nairobi, Last Action Hero, Imitation Game, la série Game of Thrones - Le Trône de Fer) est le docteur Jonathan Clemens, hanté par son passé et chargé de la protection de l’héroïne. Charles S. Dutton (Crocodile Dundee 2, Monsieur le Député, Mimic) tient le rôle de Dillon, mentor des prisonniers et religieux convaincu. L’ensemble des détenus se compose de Paul McGann (Empire du Soleil, La Reine des Damnés, les séries Doctor Who et Luther) dans le rôle du cruel Golic, Danny Webb (Walkyrie, Crazy Joe, Les Jardins du Roi) interprète Morse, Pete Postlethwaite (Usual Suspects, Roméo + Juliette, Dark Water) incarne David. Enfin, Lance Henriksen (Terminator, Powder, Tarzan, Aliens, le Retour) joue de nouveau le rôle de Bishop et incarne, plus tard dans le film, celui de Michael Weyland. Outre son émancipation du second chapitre, Alien3 est un film qui vaut essentiellement pour ses personnages. Il n’y a ici plus d’armée de marines sauvages, mais une bande de prisonniers loin des clichés des détenus psychopathes. Ce sont des hommes perdus cherchant le salut et le pardon, dirigés d’une main de maître par le directeur et leur mentor, qui n’hésitent pas à les remettre sur le droit chemin lorsqu’ils enfreignent le règlement. L’arrivée de Ripley n’est donc pas un bon signe pour eux et sonne comme un test pour leur foi. La navigatrice représente, en effet, le péché originel, une tentation et donc le diable. Elle séduit involontairement ses compagnons d’infortune, d’autant plus qu’elle porte en elle le mal et a importé, contre son gré, un monstre avec elle. Mais quand ce même monstre les massacre un à un, Ripley devient leur leader dans un ultime combat contre le xénomorphe.
En revisitant la menace alien, David Fincher transgresse les règles et donne une nouvelle dimension à la saga en l’enrichissant de thèmes tout aussi forts et profonds. Là où Cameron faisait parler la poudre et les explosions, Alien3 sonne comme un chant du cygne. La survie laisse place à l’abandon et la résignation, et le scénario insiste sur la malédiction de Ripley, que le réalisateur malmène tout au long du film. La perte de Newt et Hicks est autant un deuil pour l’héroïne que pour le spectateur, qui ne peut s’empêcher de partager son malheur. Les quelques espoirs de la fin d’Aliens, le Retour sont anéantis et Ellen doit se résigner à vivre dans un lieu où elle n’est pas la bienvenue. Moins ancré dans l’action et la surenchère, pensé comme le dernier chapitre, Alien3 est un film profondément triste et humain, en ce qu'il représente une certaine vision du chaos, une bataille à livrer parce qu’il n’y a pas d’autres choix possibles.
Tout répond à cette idée de fatalité, en particulier la relation entre Ripley et l’alien. Depuis les événements du Nostromo, le personnage n’existe qu’à travers la créature, ne sortant de son sommeil que pour lui faire face. Partout où elle se trouve, Ripley doit affronter l’un d’entre eux, si bien qu’il lui est impossible à présent de revenir à une vie normale. Héroïne maudite, elle détruit involontairement tout ce qu’elle touche et ceux qui l’entourent connaissent généralement une fin tragique. Alors qu’elle cherche à se reconstruire après la perte de ses amis, la première mort dont elle est témoin vient lui rappeler sa destinée tragique et confère au film une noirceur implacable. Cherchant une échappatoire, voulant désespérément s’en sortir, ses choix s’amenuisent au fil de l’intrigue jusqu’à une issue plutôt logique, mais terriblement poignante.
Perdant une partie de sa féminité, elle devient cependant le symbole d’une révolte. À la tête de plusieurs hommes, elle réussit à se faire respecter et se montre bien plus courageuse et téméraire que ses camarades. Le féminisme est alors de nouveau traité dans Alien3, interrogeant cette fois la place de la femme dans la société et le choix de disposer de son corps. L’occasion pour Sigourney Weaver de donner le meilleur d’elle-même, dans une version modernisée, passionnante et obscure d’Ellen Ripley. Le crâne rasé, l’actrice livre une prestation inoubliable, qui continue d’inscrire son personnage parmi les plus mémorables du cinéma. À ses côtés, Charles Dance, acteur très sous-estimé à l’époque, est charismatique et ambigu, Charles S. Dutton est mystérieux et inquiétant, tandis que Lance Henriksen, bien que peu présent, est sympathique dans un double rôle. Le reste du casting, dont Pete Postlethwaite et Paul McGann, est également très bien choisi.
Outre les malheurs d’Ellen Ripley, Alien3 traite d’une thématique chère à Ridley Scott dans le film d’origine, délaissée dans Aliens, le Retour, à savoir, le viol. Découvrant peu à peu qu’elle est “enceinte” d’une reine alien, après fécondation par le facehugger pendant son sommeil, le personnage principal ne fait plus qu’un avec son ennemi. David Fincher va ainsi plus loin dans la relation physique et malsaine entre humain et xénomorphe en expliquant les conséquences de l’insémination et attribuant à l’alien un statut de géniteur, alors que Scott se limitait à une chasse à l’homme. De même, toute la partie autour de la maternité, chère à James Cameron, est de nouveau évoquée, mais cette fois-ci sous un autre angle, avec une héroïne portant malgré elle une créature extraterrestre, convoitée à son tour par la compagnie. Tentant d’empêcher cette naissance redoutée, Ripley doit en parallèle échapper aux griffes d’un autre prédateur tout aussi redoutable, mais quasi-invisible.
Les apparitions du xénomorphe sont en effet réduites à quelques minutes et ce dernier n’est plus accompagné d’autres spécimens. Ce n’est qu’après une longue exposition des lieux qu’il fait ses premières victimes. S’il est toujours une robuste machine à tuer, à la recherche de nouvelles victimes, sa présence à l’écran est très limitée, ce que Ridley Scott avait extrêmement bien réussi une dizaine d’années plus tôt et que Fincher respecte en tous points. Même si le mystère n’est plus là - le spectateur ayant vu les épisodes précédents sait déjà à quoi ressemble le monstre - le réalisateur met du cœur à l’ouvrage et se permet quelques plans gores d’une grande efficacité. L’action ultra-violente disparaît pour laisser place à un voyage dans la folie humaine et la paranoïa. Le réalisateur ayant voulu lui donner une apparence animale, l’alien se déplace comme un félin. Ses apparitions sont discrètes et rapides, se résumant à des mouvements de caméra effrénés et agités, en vue subjective, dans les couloirs labyrinthiques de la prison, et parvenant à toujours maintenir le suspense.
Mais la vraie force d’Alien3 est bien entendu son sous-texte religieux, que le film parsème au cours des deux heures de métrage, reprenant certains pans du scénario abandonné de Vincent Ward. Les décors de Fiorina 161 et son pénitencier, avec ses occupants vivant en ermite, ont des airs de purgatoire, où les criminels doivent s’amender de leurs péchés. Coupés du monde, ils sont contraints à un mode de vie monastique. De plus, la fonderie a des airs de porte des enfers. Devant des hommes n’ayant plus commis de péchés, Ripley incarne la tentation et a apporté avec elle le Diable en la personne de l’alien, auquel elle devra échapper avec les prisonniers. Enfin, elle porte l’Antéchrist, à savoir une reine alien, devient un Messie que tous suivent sans hésitation et doit faire le choix entre finir en martyr ou trahir ses idéaux. Avec en toile de fond une religion complexe, David Fincher signe un film intelligent, plein d’enjeux et de symboles pertinents, qui concordent avec l’esprit de la franchise et font de ce dernier volet un épitaphe.
Tout illustre cette sensation d’adieux, un dernier tour de piste avant la fin du voyage pour la navigatrice et l’alien. Les lieux de l’action, la situation des personnages, la quasi-absence de la créature et le dénouement sonnent comme un testament et représentent ce qui aurait dû mettre un terme à une magnifique trilogie - jusqu’à un quatrième volet qui verra le jour cinq ans plus tard. Alien3 est donc l’occasion pour David Fincher de rendre hommage, à sa manière, à un univers et une mythologie qui aura marqué une génération de spectateurs, ainsi que le cinéma de science-fiction et d’horreur. Chapitre marquant et émouvant avec pour épilogue les derniers mots d’Ellen Ripley avant son hibernation à la fin d’Alien, le Huitième Passager.
Un pari risqué que le réalisateur transforme en coup de maître et un vrai tour de force pour une première expérience sur un long-métrage. Choisi à l’époque pour ses talents de vidéaste, Fincher apporte malgré cela sa touche personnelle issue du clip, du moins techniquement parlant. Maniérée, sa caméra agitée suffit à créer la peur et atteint son paroxysme au cours de la chasse entre humains et alien dans les boyaux de la fonderie. Sa mise en scène extrêmement nerveuse témoigne d’un vrai savoir-faire, prémices d’un style qu’il utilisera dans toute sa filmographie. S’il tarde à mettre en place son intrigue, Alien3 livre tout de même une ambiance froide et scabreuse. Même dans les moments calmes, le danger rôde, le public s’attend tôt ou tard à sursauter. Rythmé et d’une grande intensité, Alien3 est un film tendu, dans sa deuxième partie notamment, où s’enchaînent morceaux de bravoure et courses-poursuites effrénées, avant un final empli de mélancolie.
Pour les effets, Tom Woodruff Jr. et Alec Gillis, dirigeants de la compagnie Amalgamated Dynamics (Starship Troopers, Seul au Monde, la trilogie Spider-Man de Sam Raimi, X-Men : Le Commencement), succèdent à Stan Winston. Fincher fait également appel à Hans Ruedi Giger, de retour sur la franchise, pour créer le design de l’alien. Dans son atelier de Zurich, le dessinateur produit plusieurs esquisses et redessine le physique de la créature. Désormais dotée de jambes plus longues, elle dispose aussi d’une colonne vertébrale massive et d’une langue affublée de crocs, en lieu et place d’une mâchoire secondaire. Pour les besoins du film, l’alien est interprété par Tom Woodruff Jr., acteur, réalisateur, producteur et superviseur d’effets spéciaux, pour les scènes d’affrontement et reproduit numériquement sur certains plans, notamment sa mise au monde et ses ombres projetées sur les murs. Une tête d’alien mécanique a également été utilisée pour les gros plans.
Premier film à représenter, du moins partiellement, le monstre par des images numériques, Alien3 pâtit d’effets spéciaux certes révolutionnaires pour l’époque, mais datés. Désuets et parfois approximatifs, ils ne font pas toujours illusion et rappellent des cinématiques de jeux vidéo, créant une gêne dans le visionnage. Cela n’enlève toutefois en rien à l’angoisse qu'il provoque. Même hors champ, sa présence est palpable et fait doucement monter la tension, en particulier pendant les scènes de courses-poursuites filmées de son point de vue. Ce qu’il perd en qualité de visuels, il le gagne en termes d’image. La photographie, sombre, monochrome, insistant sur les couleurs chaudes, rend, il est vrai, l’atmosphère lugubre. Le pénitencier, métallique et épuré, délivre un sentiment d’insécurité et de malaise, David Fincher maîtrisant à la perfection les espaces clos dans sa mise en scène. Enfin, la planète et son environnement sont aussi magnifiques que lugubres, à l’esthétique appuyée.
La bande originale est assurée par Elliot Goldenthal, musicien né à New York le 2 mai 1954. Ayant étudié à l’École de Musique de Manhattan, il est surtout connu pour ses compositions sur plusieurs films, dont Demolition Man (1993), Entretien avec un Vampire (1994), Heat (1995), Batman Forever (1995). Viennent ensuite Final Fantasy : Les Créatures de l'Esprit (2001), Frida (2002), qui lui fait remporter l’Oscar de la Meilleure Musique, ou encore The Tempest (2010). Dans Alien3, Elliot Goldenthal signe une partition tout à fait riche, envoûtante et sombre, d’une grande noirceur, mêlant l’action et le tragique. Parfois puissante, expérimentale à d’autres instants, la musique force l’admiration tant elle évoque le pessimisme et le macabre. Rappelant souvent les chants religieux, notamment dans l’épilogue du film, elle se veut dramatique et grandiose, en particulier lors des morceaux de bravoure, puis violente et cauchemardesque lors des poursuites et moments d’effroi.
Mais Alien3, bien que moderne et totalement affranchi de ces aînés, reste handicapé par ses soucis de production, que le spectateur finit par ressentir au fil des minutes. Lorsque les prises de vue débutent, le scénario n’est, en effet, pas achevé et subit continuellement d’interminables réécritures. Certaines séquences filmées les jours précédents sont purement et simplement abandonnées suite aux modifications du script par David Giler et Walter Hill, provoquant l’indignation des acteurs, régulièrement contraints de rejouer les mêmes scènes avec seulement quelques changements au niveau des dialogues ou de l’action. Le comportement de David Fincher sur le plateau n’arrange pas la situation. Perfectionniste à l’extrême, il exige souvent plusieurs prises et impose ses conditions, ce qui a pour effet d’éterniser le tournage et lui vaut les foudres des producteurs. Excédés par son attitude, ils profitent de son manque d'expérience sur un long-métrage pour le rappeler à l'ordre.
Subissant des pressions constantes de la part de Brandywine Productions, Fincher poursuit quand même son travail et livre une première version de deux heures trente. Mais après une projection test très mitigée, 20th Century Fox s'aligne du côté de Giler et Hill et impose d'importants reshoots. Dépossédé de son film, Fincher doit repartir derrière la caméra et n'a plus de marges de manœuvre. Plusieurs scènes clés doivent être retournées, dont la première apparition de l’alien et le final. Rappelée pour les besoins des nouvelles scènes, Sigourney Weaver n’accepte pas de se raser de nouveau la tête et doit porter une prothèse pour masquer sa chevelure. Très déçu de la tournure des événements, Fincher refuse de superviser le montage une fois les reshoots terminés. Giler et Hill doivent alors prendre le relais et effectuent de multiples coupes et retouches, qui trahissent la vision du réalisateur.
Cette seconde mouture d’une durée de cent-quatorze minutes sera retenue par les producteurs pour la sortie du film au cinéma et constitue la version dite “officielle” d’Alien3. Ainsi, malgré des qualités évidentes, cette nouvelle mouture échoue à masquer les problèmes de production qu’a subis le film. Disposant de sujets assez forts, que la franchise n’avait jusque là jamais abordés, le métrage reste trop souvent à la surface et ne les développe pas suffisamment. La réflexion est, en fait, mise de côté au profit du spectacle gore gratuit, donnant à Alien3 des airs de film hybride. Il en va de même pour les dialogues, creux à certains moments, et les personnages, la plupart d’entre eux faisant uniquement de la figuration et ne servant qu’à être massacrés par l’alien. Maladroit dans ses ambitions et sa structure, le scénario ne parvient pas à dissimuler les divergences d'opinions sur le contenu de l'intrigue. Si du point de vue de la forme, le film est d'une réussite implacable, le fond accuse de grosses faiblesses en terme de rythme et une écriture incohérente, une grande partie de l'oeuvre manquant cruellement d’explications.
Alien3 débarque dans les salles américaines le 22 mai 1992 et connaît un fort succès commercial. Tourné pour 50 millions de dollars, il en rapporte 160 millions au box-office. S’il fait beaucoup moins qu’Aliens, le Retour, l'opus rentre dans ses frais et permet à 20th Century Fox et Brandywine Productions de souffler après des années de production chaotiques. Il essuie néanmoins des critiques mitigées, nettement inférieures aux deux premiers volets. Les journalistes, tout comme les spectateurs, félicitent les risques pris, la réalisation de David Fincher, le ton psychologique et la prestation toujours excellente de Sigourney Weaver. En revanche, ils regrettent le scénario confus, les problèmes de rythme, les personnages inconsistants et les multiples incohérences.
Contrairement à ses prédécesseurs, Alien3 ne fait pas l’unanimité auprès du public, la plupart le voyant comme un film malade, plombé par sa pré-production désastreuse. Ceci dit, il ne passe pas inaperçu auprès des cérémonies de récompenses. Il est ainsi nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleurs Effets Visuels, ainsi qu’aux Saturn Awards (Meilleure Actrice, Meilleurs Costumes, Meilleure Réalisation, Meilleur Film de Science-Fiction, Meilleurs Effets Visuels, Meilleur Acteur dans un second rôle et Meilleur Scénario) et aux British Academy Film and Television Awards (Meilleurs Effets Visuels). Il ne reçoit que le Prix du Meilleur Montage Sonore de la part de la Motion Picture Sound Editors, société regroupant les monteurs son de films. Alien3 provoque également des réactions assez houleuses de la part d’acteurs et membres associés à la franchise, dont l’acteur Michael Biehn, interprète du caporal Hicks, et James Cameron, qui n’hésiteront pas à exprimer leur frustration et leur colère. Biehn n’apprécie pas le sort réservé à son personnage et, en guise de protestation, réclame une somme d’un million de dollars pour l’usage de son image dans le film. De son côté, Cameron en voudra personnellement à David Fincher d’avoir “tué” sa vision de la saga et prend cet Alien3 comme “une gifle en plein visage”. Il reviendra sur ses propos et demandera pardon à Fincher après avoir eu connaissance des difficultés du projet. Si son nom figure toujours au générique, David Fincher renie depuis toute implication dans la conception du film, qu’il considère comme une erreur dans sa carrière.
En 2003, une version alternative d’Alien3, intitulée Assembly Cut, est commercialisée. Présente dans le coffret DVD Alien Quadrilogy et disponible en 2010 dans le coffret Blu-Ray Alien Anthology, elle correspond à la version de travail de Fincher que les studios avaient rejetée et contient plus de trente minutes de scènes inédites. Ces scènes, tournées par le réalisateur avant les reshoots, diffèrent de celles conservées pour le montage final. Ainsi, le xénomorphe sort de la carcasse d’une vache morte au lieu d’un chien, Ripley est retrouvée par Clemens au bord de la rive après le crash de sa capsule et non à bord du vaisseau, la scène finale est différente, l’histoire des prisonniers est plus développée, tout comme le passé de Clemens et du pénitencier. Ironiquement, cette version, plus cohérente et rythmée, que les producteurs n’avaient pas validé car “trop longue” et “contemplative”, sera beaucoup plus appréciée par les spectateurs que celle proposée en salles. Il n’existe pourtant pas de version director’s cut, Fincher étant toujours en froid avec 20th Century Fox et ne souhaitant plus être attaché à la franchise.
Film maudit, victime de sa genèse épouvantable, Alien3 est une œuvre complexe et torturée, qui n’a pas à rougir de ses qualités. Mené tambour battant par son excellent casting et une belle réalisation, il propose une aventure originale, intéressante, et instaure une atmosphère noire et inquiétante, jamais ressentie dans la saga. S’il souffre de la comparaison inévitable avec ses prédécesseurs, Alien3 renoue habilement avec les traditions grâce notamment à son climat claustrophobe : tout en réinventant les codes, il livre, en outre, la plus belle conclusion qu’un volet ait pu offrir.