Cœur de Pierre
L'Histoire de la Méchante Belle-Mère
Titre original : Cold Hearted : A Tale of the Wicked Stepmother Éditeur : Hachette Heroes Date de publication France : Le 11 août 2021 Genre : Disney Villains |
Auteur(s) : Serena Valentino Autre(s) Date(s) de Publication : Disney•Hyperion (US) : Le 6 juillet 2021 Nombre de pages : 264 |
Le synopsis
La critique
Cruelle et stoïque, sadique au cœur de glace, Madame de Témaine est l'une des méchantes les plus impitoyables de Disney. Sans l'aide de la moindre magie, comptant sur sa seule intelligence pour élaborer des stratagèmes destinés à empoisonner la vie de sa belle-fille qu'elle méprise et jalouse, la marâtre de Cendrillon est le personnage central du huitième tome de la série littéraire Disney Villains, écrite par Serena Valentino. Après s'être brillamment penchée sur l'atroce destin de Cruella d'Enfer dans le tome précédent, l'autrice retourne donc en Angleterre, du moins dans un premier temps, pour explorer le passé d'un autre personnage évoluant dans les hautes sphères londoniennes. La future geôlière et esclavagiste de Cendrillon est alors, comme bien d'autres méchants avant elle, une femme respectable et aimante, mais un élément tragique va bientôt venir bouleverser son univers. Madame de Trémaine aurait-elle seulement pu échapper à son sort pervers, ou a-t-elle toujours été destinée à être la méchante dans le conte de fées vécu par Cendrillon ?
Serena Valentino est née le 7 avril 1970 à San Jose, dans l'État de Californie aux États-Unis. Élève appliquée, elle révèle très tôt un talent certain pour l'écriture, impressionnant d'ailleurs ses professeurs qui l'invitent à développer ses qualités littéraires. Elle n'en a pourtant cure et lorgne en effet bien davantage sur une carrière théâtrale. La jeune femme entreprend d'ailleurs des études dans cette direction, désireuse d'enseigner l’art du théâtre. Pour autant, elle n'a jamais abandonné complètement l'écriture. La vingtaine bien consommée, Serena Valentino fait découvrir à son ami, Ted Naifeh, une historiette qu’elle a écrite, empreinte d’une ambiance gothique et mettant en scène des personnages de contes de fées modernes. Charmé par le récit de la jeune autrice, il entreprend aussitôt de l’illustrer, persuadé que le genre du comics est parfait pour le raconter. De cette collaboration entre les deux artistes naît alors le premier des 28 numéros de la série de comics GloomCookie, éditée à partir de 1999 par Slave Labor Graphics.
En 2002, toujours chez le même éditeur, Serena Valentino signe une nouvelle série de comics, intitulée Nightmares & Fairy Tales, dont le personnage principal, Annabelle, est une poupée de chiffon racontant les histoires plus ou moins tragiques des personnes l'ayant possédée. Serena Valentino, au cours des 23 numéros que comporte la série, fait se côtoyer tour à tour des créatures mystiques issues du folklore et des personnages emblématiques de contes de fées, dans des histoires macabres teintées d'humour noir.
Impressionnés par les talents de conteuse de Serena Valentino après avoir lu la série de comics Nightmares & Fairy Tales, les éditeurs de Disney Press la contactent pour lui soumettre un projet de roman. Ces derniers lui proposant d'écrire une histoire centrée autour d'un ou de plusieurs personnages issus des films des Walt Disney Animation Studios, l'autrice jette immédiatement son dévolu sur les méchants Disney, et plus particulièrement sur le personnage de la Reine Grimhilde. Miroir, Miroir : L'Histoire de la Méchante Reine sort alors dans les librairies étasuniennes le 18 août 2009. Prévu au départ comme un roman unique, son succès convaincra vite Disney Press de poursuivre sa collaboration avec Serena Valentino, en lui proposant d'écrire un second roman explorant le passé d'un nouveau méchant. C'est alors la Bête qui, curieusement, est choisie par l'autrice pour figurer dans son deuxième livre, L'Histoire de la Bête, qui sort le 22 juillet 2014. Lié au roman précédent grâce à la présence de personnages inédits et récurrents, il faudra toutefois attendre le troisième tome, Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers, édité le 26 juillet 2016, pour que la série trouve une véritable unité au sein de la collection Disney Villains. C'est d'ailleurs depuis ce roman, présentant le passé de la terrible Ursula, que les histoires sont non seulement bien davantage connectées entre elles mais, surtout, que la publication des livres devient annuelle.
Le 3 octobre 2017, Maléfique fait ainsi une entrée fracassante dans la collection, avec Maîtresse de Tous les Maux : L'Histoire de la Fée Noire, précédant Mère Gothel qui, le 7 août 2018, voit à son tour son passé exploré dans N'Écoute que Moi : L'Histoire de la Vieille Sorcière. Le 2 juillet 2019, le sixième tome, Les Étranges Sœurs : L'Histoire des Trois Sorcières, se concentre pour la première fois non pas sur un méchant emblématique de Disney, mais plutôt sur les personnages inédits imaginés par Serena Valentino et présents depuis le premier tome de la collection. Face au succès tant critique que public de la série Disney Villains, trois nouveaux romans sont prévus dès l'été 2019, dont le premier, centré sur le personnage de Cruella d'Enfer et titré Cruelle Diablesse : L'Histoire d'une Femme Diabolique, sort le 7 juillet 2020. Le tome suivant, Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère, est proposé quant à lui aux lectrices et lecteurs le 6 juillet 2021. Never Never, le neuvième roman centré cette fois-ci sur le Capitaine Crochet, est annoncé pour une sortie durant l'été 2022. En outre, Disney Publishing Worldwide et Serena Valentino se sont entendus pour poursuivre la série à travers trois nouveaux romans après 2022. Pour prendre toute la mesure de l'histoire imaginée par l'autrice, il convient de lire les romans dans leur ordre de parution.
Après un septième tome qui venait bouleverser la série littéraire en proposant une narration à la première personne, sous la forme de mémoires, Serena Valentino revient à une écriture plus classique dans Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère. Toutefois, l'autrice, qui aime à se renouveler d'un roman à l'autre, joue plus que jamais avec l'ironie dramatique dans ce nouvel ouvrage. La série Disney Villains explore en effet de plus en plus profondément ces dernières années les thèmes du destin et du libre-arbitre, faisant des méchants les esclaves d'une histoire écrite pour eux, une histoire qui les place systématiquement dans des rôles d'antagonistes. En tant que nouvelle victime aliénée dans ce manège infernal, Madame de Trémaine va, comme Ursula ou Maléfique avant elle, tenter de briser ce cycle et d'emprunter un chemin différent de celui qui lui est imposé.
Dès les premières pages de Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère, pourtant, le lectorat apprend que la méchante a échoué et qu'elle est devenue une nouvelle victime des Nombreux Royaumes, la contrée magique où cohabitent les plus grands personnages de Disney et où seules les princesses – et un Prince changé en Bête – sont promis au bonheur. Désormais prisonnière de la maison familiale avec ses deux filles, Javotte et Anastasie, Madame de Trémaine est réduite à l'état de quasi-fantôme, ressassant ses échecs et racontant à ses chats les doux souvenirs d'une époque où elle n'était pas encore devenue la méchante de l'histoire.
Dans le premier chapitre, les fées reçoivent une missive de Cendrillon ; la nouvelle reine demande à ses amies magiques de venir en aide à ses demi-sœurs Javotte et Anastasie qui sont, tout comme elle-même l'était autrefois, victimes des sévices de l'affreuse marâtre. Bien décidée à ne pas user de sa magie pour aider celles qui n'ont pas le cœur pur, Marraine la Bonne Fée demeure sourde à la requête de sa pupille. Nounou, la puissante fée, ne l'entend pourtant pas de cette oreille et décide donc de lui faire découvrir la véritable histoire de la famille Trémaine dans le livre des contes de fées, convaincue que cela lui fera changer d'avis.
Alors que dans les versions les plus populaires de Cendrillon, les demi-sœurs sont pardonnées et emmenées au palais (selon la version de Charles Perrault) ou bien mutilées et condamnées à fouler la terre aveugles (d'après les Frères Grimm), il n'est fait que peu de cas du sort des méchantes dans le long-métrage animé de 1950, contrairement aux deux suites sorties directement sur le marché de la vidéo, l'infâme Cendrillon 2 : Une Vie de Princesse et le passable Le Sortilège de Cendrillon, qui ont cherché à approfondir le caractère des méchantes, et notamment Anastasie, dépeinte comme une jeune fille capable de bonté. Cette absence de résolution dans l'œuvre originale permet en tout cas à Serena Valentino de laisser libre court à sa plume pour imaginer non seulement le passé des personnages mais aussi leur destin, puisque l'autrice ne se retrouve pas forcée comme souvent à stopper net son récit avec la mort du ou des antagonistes. Libérée de ce carcan, Serena Valentino livre un roman qui s'éloigne beaucoup plus qu'à l'accoutumée du film d'animation de Disney, et qui commence par une idée ingénieuse : et si Madame de Trémaine et ses deux filles n'étaient pas les véritables méchantes de l'histoire, mais bien plutôt des victimes ?
Pour écrire le passé de l'acariâtre marâtre, Serena Valentino s'inspire tout à la fois du chef-d'œuvre animé de 1950 et du remake en prises de vues réelles de 2015. L'autrice fait ainsi de son personnage une veuve londonienne aisée qui a perdu son mari, Francis de Trémaine, voilà maintenant six ans. Prostrée dans sa riche demeure entourée de ses serviteurs et tentant tant bien que mal de satisfaire ses filles en cédant à tous leurs caprices, Madame de Trémaine est décrite comme une belle femme, capable de douceur mais en constante recherche de la fermeté dont savait faire preuve son défunt mari. En grande fan de la série britannique Downton Abbey (ITV, 2010•2015), Serena Valentino glisse malicieusement quelques références au programme culte dans les premières chapitres de son roman, notamment dans ses descriptions de la grande vie londonienne. Outre quelques clins d'œil à des scènes tirées de la série, l'autrice présente de manière amusante des personnages nommés Daisy, Shrimpy ou encore Pratt, certainement en hommage à Spratt, le majordome de la délicieuse Comtesse douairière Violet Crawley.
Lors d'un séjour à la campagne, Madame de Trémaine fait la connaissance de Sir Richard. Le beau chevalier, venu en visite depuis les Nombreux Royaumes, ravit alors immédiatement le cœur de la veuve. À travers cette « romance » au bien funeste destin, Serena Valentino fait en réalité un pied de nez aux poncifs des contes de fées, dans lesquels les amants s'avouent leurs sentiments et se marient sitôt rencontrés, un cliché déjà dénoncé d'ailleurs par Elsa dans La Reine des Neiges.
Et si Madame de Trémaine avait elle aussi droit à son propre conte de fées ? Et si un beau chevalier, à défaut d'un prince, pouvait l'enlever et l'emmener vivre dans un pays où les créatures magiques exhaussent les vœux et où les méchantes sorcières sont punies pour leurs crimes ? La veuve veut y croire, mais la réalité va rapidement la rattraper. La suite du roman n'est rien d'autre qu'une suite de désillusions pour Madame de Trémaine, qui glisse inexorablement vers son destin tragique. Victime d'un mariage sans amour avec un mari toujours absent et abusif, forcée de s'occuper d'une jeune Cendrillon manipulée émotionnellement, Madame de Trémaine se sent rapidement prise au piège. C'est la toute première fois que Serena Valentino s'affranchit aussi franchement du film d'animation Disney dont elle s'inspire, et le résultat est on ne peut plus rafraîchissant. Les bases sont bel et bien là, mais l'autrice réinvente complètement l'histoire en imaginant que c'est le père de Cendrillon, Richard, qui est le véritable méchant. Manipulateur, endetté et cruel avec tout le monde à l'exception de sa petite fille chérie, le chevalier de Serena Valentino est à mille lieues de l'homme bon présenté dans le film d'animation, celui qui s'était remarié car il pensait que « l'amour d'une mère était indispensable [à Cendrillon] » !
Dans Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère, Serena Valentino tente de traiter du très difficile sujet des violences conjugales. Sir Richard est certes un personnage particulièrement affreux et celui qui, par sa cruauté, mènera immanquablement Madame de Trémaine sur le chemin de la perdition ; toutefois, avec ses nombreuses ellipses et un manque flagrant de développement – le roman est somme toute assez court –, le récit manque d'un rien de profondeur pour pleinement convaincre, malgré quelques scènes glaçantes. Le reste du roman a néanmoins le mérite, avec son ingénieux renversement des codes des contes de fées, de se montrer divertissant et de faire s'interroger le lectorat sur la destinée ainsi que sur quelques questions éthiques.
Évidemment, comme il s'agit-là d'un roman de Serena Valentino, les Étranges Sœurs, ces sorcières inédites imaginées par l'autrice et semant le chaos et la mort dans la vie des vilains de Disney, participent à leur façon à la chute de la méchante. À ce sujet justement et pour la première fois en huit romans, l'autrice s'égare dans la grande fresque qu'elle dessine depuis déjà plus de 12 ans, puisque quelques erreurs viennent se glisser dans la chronologie de Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère. Pour exemple, la jeune sorcière Circé semble déjà connaître dans ce roman tous les secrets du livre des contes de fées, l'ouvrage qui consigne les histoires des habitants des Nombreux Royaumes. Pour autant, bien plus tard dans la chronologie mise en place par l'autrice, dans le roman centré sur Maléfique, Circé découvre le livre ou, en tout cas, elle n'en a qu'une connaissance très partielle. De même, Madame de Trémaine, lors de son arrivée dans les Nombreux Royaumes, apprend que Belle et le Prince coulent des jours heureux dans leur château. Cela signifie donc que l'histoire de La Belle et la Bête est déjà achevée alors même que Madame de Trémaine n'a pas encore rencontré Cendrillon ; or, dans le roman dédié à la Bête, Gaston et le Prince (qui n'est pas encore devenu à ce moment du récit une Bête cruelle), discutent du bal donné en l'honneur du prince de Cendrillon, qui a déjà eu lieu. Malgré ces maladresses, il n'y a là rien qui vienne anéantir complètement la cohérence du très riche univers imaginé par Valentino, sans doute s'agit-il d'ailleurs d'un effet collatéral de l'expansion hallucinante de la série, qui se voit augmenter d'un tome par an, un rythme rapide dans le milieu littéraire.
Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère poursuit enfin le développement des autres personnages imaginés par Valentino, et notamment Nounou et sa sœur, Marraine la Bonne Fée. La première reste égale à elle-même, fière et naturellement autoritaire, mais la seconde, elle, achève de perdre totalement la bonhomie qui la caractérisait dans le film d'animation de 1950. Si elle demeure très attachée à Cendrillon, la fée refuse toutefois catégoriquement de se mêler de la vie de ceux qu'elle juge indignes d'obtenir des faveurs magiques. Puisque la question du destin est cruciale dans la série, et plus encore dans ce huitième tome qui tord le cou aux poncifs des contes traditionnels, le refus catégorique de Marraine la Bonne Fée d'apporter son aide aux jeunes filles prend une dimension tragique. Si elle avait daigné donner un coup de baguette à Javotte et Anastasie, les choses auraient certes été bien différentes... Seulement voilà, embourbées dans une vision manichéenne du monde et déterminées à n'aider que les futures princesses – et Pinocchio –, les fées laissent les méchants emprunter un chemin menant bien souvent à la mort, ou pire, à la damnation éternelle. Cette relecture du caractère des fées, qui deviennent sous la plume de Valentino des êtres faillibles et égoïstes, ne rend ultimement les personnages que plus intéressants, en plus de répondre habilement à la quête désespérée des Étranges Sœurs qui se sont, elles, donné pour mission d'apporter leur aide aux laissés-pour-compte.
Cœur de Pierre : L'Histoire de la Méchante Belle-Mère est une bonne addition à la série littéraire de Serena Valentino. Malgré quelques éléments de l'intrigue trop rapidement survolés voire complètement passés sous silence, l'autrice parvient à se renouveler en interrogeant le lectorat sur sa propre conception du libre-arbitre. Quelqu'un est-il toujours le héros de sa propre histoire, ou existe-t-il des êtres qui sont condamnés à jouer le rôle de méchants, sans jamais pouvoir échapper à leur destin ? Avec sa relecture de l'histoire intemporelle de Cendrillon, l'autrice étoffe dans tous les cas son univers et propose une histoire aussi tragique que divertissante tout en triturant le genre du conte de fées.