Pauvre Âme en Perdition
L'Histoire de la Sorcière des Mers
Titre original : Poor Unfortunate Soul: A Tale of the Sea Witch Éditeur : Hachette Heroes Date de publication France : Le 09 mai 2019 Genre : Disney Villains |
Auteur(s) : Serena Valentino Autre(s) Date(s) de Publication : Disney Press (US) Le 26 juillet 2016 Nombre de pages : 192 |
Le synopsis
Bien des années plus tard, après qu'Ursula eut été bannie de la cour par le roi Triton, l'effroyable sorcière fomente un plan pour anéantir son frère et prendre sa place en tant que souveraine des océans. Dans sa quête vengeresse, elle s'allie au trio des Étranges Sœurs afin de s'attaquer au trésor le plus précieux de Triton : sa fille Ariel...
La critique
Sorcière marine à la silhouette plantureuse et à l'extraordinaire bagout, cultivant de sombres desseins et tourmentant quiconque est assez désespéré pour lui demander son aide, Ursula figure assurément au panthéon des méchants les plus emblématiques de Disney. Aussi charismatique qu'impitoyable, il était à parier qu'elle serait rapidement choisie par l'auteure Serena Valentino pour apparaître dans sa série littéraire, Disney Villains. Succédant à la Reine Grimhilde et à la Bête, Ursula est ainsi le troisième personnage à voir son histoire racontée dans la collection de romans. L'aura de mystère enveloppant les origines de la sorcière dans le film d'animation de 1989 La Petite Sirène permet en effet à Valentino de présenter à son lectorat, comme elle l'avait déjà fait dans les tomes précédents, le passé du personnage principal. Pourtant, c'est un tout nouveau genre de narration qu'emploie l'auteure en 2016 dans Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers, et si le roman présente bien la naissance des premières étincelles de noirceur dans le cœur de la redoutable sorcière, il se démarque avant tout par son ambition de dépeindre un univers foisonnant, où le danger guette en permanence...
Serena Valentino est née le 7 avril 1970 à San Jose, dans l'État de Californie aux États-Unis. Élève appliquée, elle révèle très tôt un talent certain pour l'écriture, impressionnant d'ailleurs ses professeurs qui l'invitent à développer ses qualités littéraires. Elle n'en a pourtant cure et lorgne en effet bien davantage sur une carrière théâtrale. La jeune femme entreprend d'ailleurs des études dans cette direction, désireuse d'enseigner l’art du théâtre. Pour autant, elle n'a jamais abandonné complètement l'écriture. La vingtaine bien consommée, Serena Valentino fait découvrir à son ami, Ted Naifeh, une historiette qu’elle a écrite, empreinte d’une ambiance gothique et mettant en scène des personnages de contes de fées modernes. Charmé par le récit de la jeune auteure, il entreprend aussitôt de l’illustrer, persuadé que le genre du comics est parfait pour le raconter. De cette collaboration entre les deux artistes naît alors le premier des 28 numéros de la série de comics GloomCookie, éditée à partir de 1999 par Slave Labor Graphics.
En 2002, toujours chez le même éditeur, Serena Valentino signe une nouvelle série de comics, intitulée Nightmares & Fairy Tales, dont le personnage principal, Annabelle, est une poupée de chiffon racontant les histoires plus ou moins tragiques des personnes l'ayant possédée. Serena Valentino, au cours des 23 numéros que comporte la série, fait se côtoyer tour à tour des créatures mystiques issues du folklore et des personnages emblématiques de contes de fées, dans des histoires macabres teintées d'humour noir.
Impressionnés par les talents de conteuse de Serena Valentino après avoir lu la série de comics Nightmares & Fairy Tales, les éditeurs de Disney Press la contactent pour lui soumettre un projet de roman. Lui proposant d'écrire une histoire centrée autour d'un ou de plusieurs personnages issus des films des Walt Disney Animation Studios, l'auteure jette immédiatement son dévolu sur les méchants Disney, et plus particulièrement sur le personnage de la Reine Grimhilde. Miroir, Miroir : L'Histoire de la Méchante Reine sort alors dans les librairies étasuniennes le 18 août 2009. Prévu au départ comme un roman unique, son succès convaincra néanmoins rapidement Disney Press de poursuivre sa collaboration avec Serena Valentino, en lui proposant d'écrire un nouveau roman explorant le passé d'un nouveau méchant. C'est alors la Bête qui, curieusement, est choisie par l'auteure pour figurer dans son deuxième livre, L'Histoire de la Bête, qui sort le 22 juillet 2014. Lié au roman précédent grâce à la présence de personnages inédits et récurrents, il faudra toutefois attendre le troisième tome, Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers, édité le 26 juillet 2016, pour que la série trouve une véritable unité au sein de la collection Disney Villains. C'est d'ailleurs depuis ce roman, présentant le passé de la terrible Ursula, que les histoires sont non seulement bien davantage connectées entre elles mais, surtout, que la publication des livres devient annuelle.
Le 3 octobre 2017, Maléfique fait ainsi une entrée fracassante dans la collection, avec Maîtresse de Tous les Maux : L'Histoire de la Fée Noire, précédant Mère Gothel qui, le 7 août 2018, voit à son tour son passé exploré dans N'Écoute que Moi : L'Histoire de la Vieille Sorcière. Le 2 juillet 2019, enfin, le sixième tome, Les Étranges Sœurs : L'Histoire des Trois Sorcières, se concentre pour la première fois non pas sur un méchant emblématique de Disney, mais plutôt sur les personnages inédits imaginés par Serena Valentino et présents depuis le premier tome de la collection. Face au succès tant critique que public de la série Disney Villains, trois nouveaux romans sont prévus dès l'été 2019, dont le premier, centré sur le personnage de Cruella d'Enfer, est annoncé pour sortir au mois de juillet 2020 aux États-Unis.
Pour introduire au mieux son personnage au lecteur, Serena Valentino choisit de faire débuter Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers par un prologue particulièrement efficace ; les grands enjeux du roman y sont en effet contenus en germe, le tout orchestré par la plume très efficace de l'auteure. Les premières pages du livre présentent alors la sorcière sous l'apparence de son alter ego humain, Vanessa, alors qu'elle déambule dans les rues de la petite ville d'Ipswich. Laissant éclater toute sa rage, la terrible Ursula entend bien punir les humains pour ce qu'ils lui ont fait subir par le passé. Tenus secrets durant le prologue, ces événements traumatisants venus attiser sa fureur ne seront racontés que dans un chapitre ultérieur, mais le lecteur appréciera sans doute le virage opéré par l'auteure par rapport aux premiers tomes de la collection. Contrairement à la Bête et, dans une moindre mesure, à la Reine Grimhilde, qui ont tous deux participé à leur malheur, Ursula semble en effet être complètement victime du destin, et ce dès son plus jeune âge ; l'histoire de la sorcière n'en est alors que plus tragique. La scène d'horreur présentée dans le prologue ne prend fin qu'à l'arrivée du roi Triton, qui révèle à la sorcière en même temps qu'au lecteur qu'il est le frère d'Ursula et qu'il souhaite la conduire dans son royaume, pour qu'elle y règne à ses côtés.
L'idée d'unir Ursula et Triton par un lien de parenté, un concept qui avait notamment été utilisé à partir de 2007 dans la comédie musicale La Petite Sirène, est au demeurant excellente ; prenant une toute nouvelle dimension, la rancœur que ressent Ursula à l'égard du roi n'en devient alors que plus terrible.
Si les deux premiers tomes de la collection Disney Villains n'étaient finalement qu'assez peu liés, avec malgré tout quelques références glissées çà et là et la présence de personnages récurrents, Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers est tout à l'inverse, autrement plus ambitieux. C'est en effet à partir de ce tome que la collection s'unifie véritablement et que l'auteure peut enfin mettre en place une intrigue et un monde qui dépassent de loin la simple revisite des histoires des plus grands méchants de Disney. L'univers dans lequel les personnages évoluent se dote ainsi d'une Histoire avec un grand H, de mythes et de légendes, et il n'est d'ailleurs pas sans rappeler La Forêt Enchantée, le monde dont sont issus les personnages de la série d'ABC Studios, Once Upon a Time - Il Était Une Fois (2011). La géographie de l'univers est également évoquée au détour de plusieurs pages dans le roman, rendant le monde imaginé par Valentino vivant et foisonnant de détails.
Pour mettre en place cette fresque fantaisiste et imaginer son pays de contes de fées, Serena Valentino fait donc se mêler les intrigues, quitte pour cela à ce que son roman, pourtant consacré à Ursula, ne développe finalement qu'assez peu l'histoire de la sorcière des mers. En plus de la truculente méchante, ce sont de nouveau les Étranges Sœurs, des personnages imaginés de toutes pièces par l'auteure, qui convient le lecteur à leurs diaboliques machinations. Les mégères, qui prennent volontiers part au plan d'Ursula et se réjouissent d'avance de la chute du roi et du malheur d'Ariel, ont toutefois cette fois-ci leur propre objectif. Accompagnées pour l'occasion d'une sorcière de légende, elles participent naturellement à lier la petite et la grande histoire de manière tout à fait ingénieuse.
Le lecteur occasionnel, qui ne lirait ce roman que pour y découvrir l'histoire d'Ursula, en sortira donc sans aucun doute déçu. Certes, plusieurs éléments du passé de la sorcière y sont présentés, et qui plus est de manière cohérente, parfois même touchante. De l'enfance d'Ursula au milieu des humains jusqu'à la provenance du coquillage magique dont elle se sert pour emprisonner la voix d'Ariel, en passant par son aversion pour sa forme humaine, Vanessa, de nombreuses introspections du personnages permettent il est vrai au lecteur de comprendre pourquoi Ursula voue l'entièreté de sa vie à la vengeance. Cet approfondissement de la psychologie de la sorcière est très appréciable, mais il n'en reste pas moins que ces détails de la vie du personnage pourraient sembler bien trop sporadiques au lecteur, si par malheur il ne portait pas d'intérêt particulier à l'univers de Valentino. Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers se doit en réalité d'être envisagé comme un « roman-charnière » dans la collection Disney Villains, venant lier habilement les précédents tomes tout en amorçant la suite de la série ; et en cela, il remplit à merveille son contrat.
Et pourtant, le pari était loin d'être gagné, puisque les personnages inédits imaginés par Valentino et présentés dans les deux premiers tomes étaient soit peu passionnants, soit complètement irritants ! Les Étranges Sœurs, Lucinda, Ruby et Martha, avaient en effet (bien peu glorieusement) marqué les esprits des lecteurs par leurs ricanements insupportables et les (nombreuses) scènes dans lesquelles elles s'arrachaient littéralement les cheveux quand leurs plans étaient contrecarrés par les autres personnages. Lancées dans ce troisième tome à la recherche de leur sœur Circé, dont la bonté n'a d'égal que le ridicule des étranges sorcières, Lucinda, Ruby et Martha surprennent le lecteur en dévoilant une palette d'émotions dont elles semblaient jusqu'alors dépourvues. Cette quête personnelle, couplée à la crainte qu'elle éprouvent face à la grandeur des pouvoirs d'Ursula et de ceux d'une autre sorcière dont l'ombre plane dans le roman, achèvent de rendre les personnages presque sympathiques, même si le lecteur n'échappera tout de même pas à une ou deux scènes de dépression nerveuse, à l'occasion.
La Princesse Tulipe Morningstar et Nounou, les personnages introduits dans le roman précédent, voient elles aussi leur caractère et leurs histoires étoffés. La princesse, qui a échappé de peu à un événement tragique, apparaît bien décidée à vivre sa vie pour elle, tout en ne laissant plus son statut royal dicter sa conduite ; en cela, elle semble s'inspirer du caractère de l'intrépide Belle, qu'elle a croisée dans L'Histoire de la Bête. Nounou, enfin, est très certainement le personnage qui étonne le plus le lecteur, puisque suite à une grande révélation, elle tient un rôle capital dans l'histoire tout en cherchant par tous les moyens possibles à empêcher Ursula d'atteindre son but.
Dans les précédents tomes, Serena Valentino avait largement dépeint le passé de la Reine Grimhilde et de La Bête, avant de faire converger leurs récits, dans les dernières pages de leurs romans respectifs, vers ceux des longs-métrages de Disney. Dans Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers, l'auteure renverse toutefois la vapeur et articule son récit d'une toute autre façon. Passé le prologue et les premiers chapitres, dans lesquels Ursula et les Étranges Sœurs se retrouvent pour fomenter leur plan diabolique, la temporalité du roman épouse en effet en tout point celle du long-métrage La Petite Sirène, et le passé de la sorcière n'est évoqué que ponctuellement, à travers des souvenirs ou des courts récits. De nombreuses scènes du film d'animation sont pour l'occasion récupérées pour être couchées sur le papier, dont la plus ambitieuse est celle durant laquelle Ursula entonne son iconique chanson, Pauvres Âmes en Perdition, les paroles étant presque intégralement reprises dans le roman.
En construisant son ouvrage de cette manière, l'auteure souhaite à l'évidence réécrire ces scènes cultes du point de vue d'Ursula, en glissant çà et là des réflexions de la sorcière ; et force est de constater que Valentino s'en sort de manière admirable, en dehors d'un seul détail, proprement incompréhensible. À la page 71, l'auteure affirme ainsi qu'Ursula « détestait se donner en spectacle et le malaise que cela provoquait chez elle, mais elle avait constaté que c'était la meilleure façon d'attirer l'attention de ses victimes, de les hypnotiser grâce à une scène irrésistible ».
S'il est vrai que la sorcière semble user de la théâtralité et de son bagout pour entourlouper ses victimes, absolument rien ne laisse à penser dans le film d'origine que cela provoque un quelconque « malaise » chez elle, bien au contraire ! La manipulation dont elle fait preuve en jouant avec les sentiments d'Ariel, usant de l'amour de la sirène comme d'une arme, semble à l'inverse être profondément jubilatoire pour la sorcière. Ce choix de l'auteure s'avère franchement discutable, d'autant que toutes ses autres réflexions, qu'elles concernent le rejet dont a fait preuve Ursula en raison de son physique ou le malaise qu'elle éprouve lorsqu'elle est forcée de revêtir l'apparence de Vanessa, sont parfaitement menées et étoffent à merveille l'iconographie de la méchante.
Il faut enfin noter que le traitement du personnage du Roi Triton dans le roman est particulièrement intéressant. S'il est toujours présenté comme un noble souverain hyperprotecteur à l'égard de sa fille, il est également un homme dont la vie est teintée de choix cruels. Pire, Triton semble avoir lui-même en partie jeté sa sœur dans un précipice de ténèbres, en la bannissant de son royaume. Certes subversif, ce choix de présenter le Roi Triton comme ayant une part d'ombre ne rentre pourtant jamais en contradiction avec ce qui est présenté dans La Petite Sirène, contrairement à l'altération de la personnalité d'Ursula évoquée plus tôt.
Troisième tome de la série littéraire Disney Villains, Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers est édité en France le 9 mai 2019 par Hachette Heroes en même temps que le roman lui succédant, Maîtresse de Tous les Maux : L'Histoire de la Fée Noire. Sortis plusieurs années auparavant chez Hachette Romans, les deux premiers tomes consacrés à la Reine Grimhilde et à la Bête sont, eux, très difficiles à trouver en 2019, voire ont complètement cessé d'être distribués. Le lecteur, qui ne connaît rien à la série mais qui pourrait volontiers se laisser tenter par les superbes couvertures de Phil Dragash – qui prend le contre-pied des couvertures noires à l'envoûtante sobriété des éditions étasuniennes – est donc plongé dans une histoire dont il ne sait rien des enjeux et des personnages inédits. Cela est d'autant plus regrettable que les romans publiés dans l'Hexagone ou aux États-Unis ne comportaient, jusqu'à il y a peu, aucune mention indiquant qu'il s'agit là d'une série littéraire dont les récits se suivent, ni même dans quel ordre il convenait de lire les livres ! Hachette Heroes réédite cependant les deux premiers tomes de la collection dans le courant du premier semestre 2020, soit un an après la parution de Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers, permettant ainsi au lectorat francophone de découvrir la série depuis ses origines. La maison d'édition française a également choisi d'indiquer, dans les rabats des couvertures des romans, l'ordre des livres dans la chronologie de la série Disney Villains.
Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers est un excellent roman. L'histoire d'Ursula, celle d'une femme réprouvée, qui n'aura jamais trouvé sa place ni chez les humains, ni au sein du peuple marin, sait se montrer tout à la fois touchante et terrible, malgré quelques maladresses parfois déconcertantes. Sous la plume de Serena Valentino, c'est tout un sombre univers de contes de fées qui prend vie au fil des pages de ce petit roman que le lecteur ne pourra s'empêcher de dévorer.
Laissant augurer de bien belles choses à venir dans la suite de la série Disney Villains, Pauvre Âme en Perdition : L'Histoire de la Sorcière des Mers est aussi ambitieux que réjouissant.