Tyrus Wong
Date de naissance : Le 25 octobre 1910 Lieu de Naissance : Taishan, Province du Guangdong, en Chine Date de Décès : Le 30 décembre 2016 Lieu de Décès : Los Angeles, en Californie, aux États-Unis |
Nationalité : Américaine Profession : Artiste Peintre Illustrateur |
La biographie
Au cours de ses quarante années de carrière, Walt Disney a toujours su s’entourer des meilleurs artistes originaires du monde entier. Si la plupart d’entre eux sont malheureusement restés dans l’anonymat, d’autres sont parvenus de leur côté à se hisser au sommet et à se faire un nom grâce à leur style particulier. Parmi eux, figure notamment Tyrus Wong, l’homme derrière l’apparence graphique si poétique de Bambi.
Tyrus Wong naît le 25 octobre 1910 à Xinning (actuelle Taishan), dans la province côtière du Guangdong, au sud-est de la Chine. De son vrai nom Wong Gen Yeo, il est le fils de « Ben » Sy Po Wong et de Lee See. Le 30 décembre 1919, le père et le fils décident de quitter l’Asie et d’embarquer à bord du S.S. China en direction des États-Unis. Laissant derrière lui sa mère et sa sœur qu’il ne reverra jamais plus, Tyrus a ainsi neuf ans lorsqu’il pose ses valises en Californie. La Loi d’exclusion des Chinois (Chinese Exclusion Act) votée le 6 mai 1882 par l’administration de Chester A. Arthur l’oblige cependant à séjourner durant plusieurs semaines dans le camp pour migrants d’Angel Island, dans la baie de San Francisco. Surnommé « L’Ellis Island de l’Ouest », l’endroit ouvert en 1910 est lugubre. Le petit garçon est séparé de son père soumis à un sévère interrogatoire.
L’immigration chinoise étant à l’époque interdite aux États-Unis, Tyrus Wong et son père doivent mentir sur leur identité. Entrés sur le territoire américain en toute illégalité, ils prétendent pour ce faire appartenir à la famille d’autres compatriotes déjà installés dans le pays. De faux documents attestent de ce mensonge. Tyrus Wong utilise alors le faux nom de Look Tai Yow. Comme des milliers d’autres, il devient un Paper Sons, un surnom donné aux migrants s’étant inventé une famille en Amérique. Mais cela suffit pour convaincre les autorités peu regardantes de ne pas le renvoyer dans sa région d’origine avec son père... Percevant le centre pour migrants comme une véritable prison, Tyrus Wong, qui n'a aucun autre copain de son âge avec qui jouer, passe ainsi un mois sur Angel Island avant d’être transféré avec son père à Sacramento.
Le centre pour migrants d'Angel Island
Le duo déménage bientôt à Los Angeles, près du quartier de Chinatown, où il partage un logement avec une dizaine d'autres familles. Wong est inscrit à la Benjamin Franklin Junior High de Pasadena. Durant ses journées d’école qu’il trouve horriblement ennuyeuses, le petit garçon se découvre bientôt un goût prononcé pour le dessin, la peinture et l’écriture. Il apprécie également l’art de la calligraphie. Faute de pouvoir lui payer des cours dans une école d’art, c’est son père qui lui enseigne cette technique à la nuit tombée. L’argent manquant pour acheter de l’encre et du beau papier, il l’encourage à s’entraîner avec les moyens du bord en trempant simplement ses pinceaux dans de l’eau afin de former des lettres et des caractères sur des feuilles de papier journal. Pour préserver ses mains, le patriarche lui interdit par ailleurs rapidement de jouer au baseball... Tyrus Wong trouve également de solides alliés dans certains de ses enseignants. Grâce à leur entremise, il obtient une bourse pour des cours d’été à l’Institut des Arts Otis. Se sachant fait pour cela, le jeune garçon décide finalement de quitter le lycée pour se consacrer à une scolarité à plein temps au sein de l’école. C’est une décision importante et surtout contraignante. Wong doit marcher sur des kilomètres tous les jours pour se rendre à l’Institut. Surtout, les frais d’inscription ne sont pas donnés. Pour valider son inscription, les dirigeants d’Otis acceptent de lui confier un petit boulot. Lorsqu’il n’est pas en classe, Tyrus Wong sert ainsi de concierge et d’homme de ménage au sein même de l’école... Durant ses études, il se lie d'amitié avec Benji Okubo. Avec d'autres immigrés asiatiques, tous les deux forment l'Oriental Artist Group of Los Angeles.
Auto-portrait, fin des années 1920, The Chinese American Museum
À force de volonté et d’abnégation, et malgré la pauvreté et une ségrégation raciale omniprésente, Tyrus Wong quitte avec succès les bancs d’Otis en 1935. Son diplôme en poche, il se met immédiatement à la recherche d’un travail. En attendant de gagner sa vie correctement alors que la Grande Dépression fait rage, il participe au Works Progress Administration Program, le projet créé en place par l’administration Roosevelt dans le cadre du New Deal. Celui-ci consiste, pour chaque artiste qui le souhaite, à produire chaque mois deux peintures ensuite exposées dans les bibliothèques ou les bâtiments appartement à l’État. Grâce à cet exercice, Tyrus Wong gagne quelques dollars. Il parvient au passage à exposer certains dessins et certaines peintures dans quelques galeries du pays. Le hasard fait que quelques-unes de ses œuvres se retrouvent un jour accrochées au mur d’une exposition au Chicago Art Institute aux côtés de celles d’un certain de Pablo Picasso, Henri Matisse et Paul Klee !
Fier représentant du courant Orientaliste également incarné par Hideo Date et Benji Okubo, Wong débute modestement mais parvient malgré tout à se faire une toute petite place. En 1933, un journal de Los Angeles consacre un bel article à ce jeune artiste de talent d’origine chinoise. Avec ses amis, il réalise à cette époque plusieurs fresques murales au sein du restaurant Dragon's Den. Tenu par Eddie See, l'établissement est surtout fréquenté par des artistes asiatiques du coin. C'est là que Tyrus Wong rencontre la jeune Ruth Ng Kim, une Sino-Américaine originaire de Bakersfield. Tous les deux se marient le 27 juin 1937. Ils donnent naissance à trois enfants, Kay, Tai-Ling et Kim.
Nu, peinture réalisée dans le cadre du Works Progress Administration Program, 1938
En 1938, Tyrus Wong entre chez Disney. Fort du succès incroyable de Blanche Neige et les Sept Nains, Walt est en effet à la recherche d’une multitude de talents pour transformer l’essai. Pinocchio, Fantasia, Dumbo, Bambi, Alice au Pays des Merveilles, Peter Pan, Le Vent dans les Saules ou bien encore La Belle et le Clochard sont en effet autant de futurs films dont la production a été d’ores et déjà lancée. Pour les terminer dans des délais raisonnables, Walt pioche donc dans le vivier d’artistes de la région. Tyrus Wong devient alors animateur intervalliste sur plusieurs courts-métrages avec Mickey Mouse, un travail assez peu intéressant à son goût mais qui lui permet de dégager un modeste salaire pour sa famille et lui.
Recherches graphiques pour Bambi
Acceptant de compléter les séquences animées de ses superviseurs, Wong se passionne davantage pour Bambi. Sur son temps libre, il lit ainsi le roman de Felix Salten puis prend sur lui de réaliser quelques aquarelles représentant le faon dans la forêt. Utilisant la technique ancestrale de la peinture chinoise typique de la dynastie Song qu’il a étudiée lors de son passage à l’Institut Otis, il supprime les détails superflus et ne garde qu’une atmosphère d’ensemble. Joliment exécutées, ses œuvres ne tardent pas à taper dans l’œil du directeur artistique Tom Codrick qui prend sur lui de les montrer à Walt Disney. Également charmé, celui-ci promeut immédiatement Wong qui rejoint Harold Miles et Lew Keller pour créer les différents décors de Bambi ensuite repris et mis en peinture par Merle Cox, Dick Anthony, Art Riley, Stan Spohn, Bob McIntosh, Ray Huffine, Travis Johnson, Ed Levitt et Joe Stahley.
Recherches graphiques pour Bambi
Offrant à Bambi son style si particulier et si poétique, Tyrus Wong mange son pain blanc. Mais cette époque bénie ne dure pas. Au printemps 1941, une terrible grève secoue les studios Disney. Certains artistes demandent des augmentations, une part des bénéfices engendrés par Blanche Neige et les Sept Nains et surtout davantage de considération de la part de leur patron. Wong ne participe pas à la grève mais en devient une des victimes collatérales. Après des mois de négociations avec les syndicats et les représentants du gouvernement, un accord est en effet trouvé. Il prévoit qu’une partie du personnel sera bel et bien renvoyée mais que les licenciements doivent se répartir équitablement entre grévistes et non-grévistes. Comme d’autres artistes restés pourtant fidèles à l’entreprise, Tyrus Wong est prié de faire ses cartons et de partir... Maigre réconfort, son nom est néanmoins inscrit au générique de Bambi au milieu de ceux des autres décorateurs du film.
Recherches graphiques pour Bambi
Après son départ, Tyrus Wong enchaîne quelques petits boulots qui ne payent pas. Au lendemain de l'attaque de Pearl Harbor, il est, comme tant d'autres immigrés asiatiques, victime d'un racisme viscéral de la part de certains Américains. Certains de ses amis, comme Benji Okubo, sont déportés dans des camps de surveillance. L'Oriental Artist Group of Los Angeles est de fait dissout... Wong retrouve malgré tout du travail chez Warner Bros. dès 1942. Il y reste alors durant vingt-six ans, occupant des postes d’illustrateur, d’artiste de storyboard, de décorateur et d’assistant directeur artistique. En 1946, l’artiste parvient en outre à enfin obtenir la nationalité américaine tant attendue suite à l’abrogation de la Loi d’exclusion des Chinois en 1946. Au cours de sa carrière chez Warner Bros., Tyrus Wong participe entre autres aux productions de films comme Iwo Jima, La Fureur de Vivre, La Blonde du Far-West, Avril à Paris, Rio Bravo, Le Tour du Monde en Quatre-Vingts Jours, Ma Tante, The Music Man, Patrouilleur 109, La Grande Course Autour du Monde, Pour Elle, Un Seul Homme, Les Bérets Verts, Détective Privé ou bien encore La Horde Sauvage. Il est parfois prêté à Republic Pictures qui le fait travailler sur plusieurs westerns avec John Wayne ainsi que sur des longs-métrages comme Le Réveil de la Sorcière Rouge. Occupés à plein temps, Tyrus Wong n'éprouve cependant pas un grand plaisir à travailler pour Warner. Le racisme est en effet très présent dans les couloirs des studios. Certains dirigeants sont de plus tyranniques. Wong et certains collègues se révoltent un jour et organisent une grève qui les conduit rapidement en prison pour la nuit.
Après trente ans de bons et loyaux services, Tyrus Wong décide finalement de prendre prématurément sa retraite en 1968. Il n’a que cinquante-huit ans. Retiré de l’industrie du cinéma, il n’abandonne toutefois pas l’art. Adorant toujours autant peindre et dessiner, il signe quelques illustrations imprimées sur les cartes de vœux de la firme Hallmark Cards. Il réalise également des couvertures pour le compte du Reader’s Digest ainsi que quelques livres d’histoires pour les enfants. Wong se lance aussi dans la production de céramiques et de sculptures en papier. Réalisant de très jolis objets, il fabrique par ailleurs près d’une centaine de cerfs-volants hauts en couleur épousant la forme de pandas, de hiboux, de poissons ou de chenilles. Sa réputation grandissant, ils sont bientôt nombreux à venir le voir faire voler ses créations sur la jetée de Santa Monica chaque week-end. Ses cerfs-volants et lui apparaissent alors dans le court-métrage Flights of Fancy réalisé en 1990.
Aquarelles pour des cartes de vœux
S’estimant être un « artiste chanceux », Tyrus Wong est approché de nouveau par les studios Disney au milieu des années 1990. Réunie derrière Barry Cook et Tony Bancroft, une équipe travaille à l’époque sur la production de Mulan et souhaite s’attacher ses services et profiter de ses conseils et de sa connaissance de l’Asie. Wong décline cependant, estimant que participer à la fabrication d’un film d’animation ne correspond plus à ses attentes personnelles ni à ses envies du moment. Reconnu pour son travail sur Bambi, il accepte néanmoins de participer à diverses conventions Disney organisées à Disneyland ou dans d’autres villes du pays. Intervenant également dans divers reportages sur l’œuvre de Walt, en particulier Bambi, son film préféré, l’artiste est enfin reconnu comme un artiste majeur par The Walt Disney Company qui lui décerne un Disney Legends Award en 2001. La même année, il reçoit par ailleurs un prix de la part du Chinese American Museum. Invité à exposer ses œuvres au Craft and Folk Art Museum du 14 juillet au 31 octobre 2004 puis au Chinese American Museum de Los Angeles qui lui consacre une rétrospective, il est une nouvelle fois honoré en 2005 par un Winsor McCay Award décerné par la profession pour l’ensemble de sa carrière lors de la 33e cérémonie des Annie Awards.
Heureux de voir certaines de ses aquarelles et certains de ses cerfs-volants trôner joliment dans le lobby de l’Académie des Arts et Sciences du Cinéma en 2007 puis au sein du Walt Disney Family Museum de San Francisco qui lui consacre l’exposition Water to Papier, Paint to Sky : The Art of Tyrus Wong entre août 2013 et février 2014, Tyrus Wong est à nouveau mis à l’honneur en 2015 en recevant un Lifetime Achievement Award de la part du San Diego Asian Film Festival. La même année, il est enfin le sujet central du documentaire Tyrus que lui consacre la réalisatrice Pamela Tom.
Reconnu par ses pairs sur le tard, Tyrus Wong bénéficia d’une longévité incroyable. Inscrivant son nom au milieu des dizaines d’autres doyens de l’humanité, l’artiste décède le 30 décembre 2016, vingt-et-un ans après sa chère Ruth Kim. Il avait cent-six ans ! Enterré au Forest Lawn Memorial Park, sur Hollywood Hills, il demeure aujourd’hui encore l’un des grands artisans de Disney et, malgré un passage éclair aux studios, l’âme-même de Bambi.