Le Pari de Chang
Titre original : Chang Can Dunk Production : Walt Disney Pictures Date de mise en ligne USA : Le 10 mars 2023 (Disney+) Genre : Sport |
Réalisation : Jingyi Shao Musique : Nathan Matthew David Durée : 108 minutes |
Le synopsis
Chang, un adolescent américain d’origine asiatique, membre de la fanfare du lycée, du haut de son mètre soixante-seize, parie avec la star du basket de son établissement qu’il saura « dunker » d’ici quelques semaines... |
La critique
Porté par un casting rayonnant, Le Pari de Chang est un joli film sportif Disney qui gratte au-delà de l'exploit physique pour plonger dans la psyché de ses protagonistes.
Le label Disney a toujours été un grand amateur de sport. Pratiquer une discipline physique est, en effet, une institution aux États-Unis et il n'est donc pas étonnant de voir les studios de Mickey mettre régulièrement en avant des exploits sportifs dans leur catalogue. Ainsi, c'est vraiment à partir des années 1990 que le sport devient le sujet principal de longs-métrages disneyens. Les films sont alors soit des comédies comme Les Petits Champions ou Rasta Rockett, soit des histoires fantaisistes comme Angels : Une Équipe aux Anges ou Air Bud. À partir des années 2000, les films sportifs Disney s'inspirent d'histoires vraies traitées de façon réaliste et dramatique. Le Plus Beau des Combats en 2000 est de la sorte le premier du lot. Il sera suivi par Rêve de Champion (2002), Miracle (2004), Un Parcours de Légende (2005), Les Chemins du Triomphe (2006) et Invincible (2006). Tous sont construits sur le même schéma : ils narrent le destin exceptionnel d'un sportif de légende en mettant en valeur le rêve américain, la réussite par le travail, le courage et la persévérance... Secretariat sorti en 2010 mis à part - il ne brosse pas le portrait d'un sportif en tant que tel -, le genre reste muet au sein des studios durant huit ans jusqu'en 2014 avec Un Lancer à un Million de Dollars. Le label propose ensuite, en 2015, l'excellent McFarland suivi en 2018 par le non moins superbe La Dame de Katwe.
L'ouverture historique le 12 novembre 2019 de Disney+, une plateforme de service de vidéo à la demande par abonnement créée par The Walt Disney Company, est un tournant aussi stratégique qu'historique pour le studio aux grandes oreilles. Actant le nouveau comportement des (télé)spectateurs qui délaissent la télévision linéaire pour un nouveau type de consommation de flux audiovisuels, Disney+ a alors deux objectifs. D'une part, elle remplacera à terme les sorties en vidéo des films cinéma sur support physique dont le grand public s'est détourné, préférant en majorité l'achat en digitalisé. D'autre part, elle permettra à Disney de revenir sur des genres de films qu'il avait désertés en salles faute de succès ou d'appétit suffisant des spectateurs comme ce fut malheureusement le cas avec McFarland ou La Dame de Katwe, passés complètement inaperçus malgré leur qualité.
Les films à petit budget, qui étaient proposés il y a encore quelques années sur grand écran, sont donc désormais réorientés pour une sortie directement sur la plateforme. Le choix est compréhensible car le public préfère malheureusement se déplacer en salles de plus en plus pour des franchises qu'il connaît bien. Les studios Disney se contentent alors de lancer au cinéma uniquement des films à gros budgets, certes aux risques plus importants mais aux retours sur investissement conséquents. Le problème de cette politique est que le label Disney s'est concentré sur un seul type de fictions, délaissant des genres qui faisaient la part belle de son catalogue au cinéma les décennies précédentes : la comédie, les films d'adolescents, les films sportifs ou les aventures humaines. Disney+ permet donc au label de Mickey de proposer de nouveau des longs-métrages moins ambitieux mais plus variés. Safety est ainsi rentré parfaitement bien dans cette définition lorsqu'il est sorti sur la plateforme en 2020. Il en est de même pour Rise : La Véritable Histoire des Antetokounmpo en 2022.
Le Pari de Chang s'éloigne des précédents films en ce sens qu'il ne s'agit pas d'une histoire vraie mais d'un scénario original, écrit et réalisé par un jeune premier, Jingyi Shao. Le nouveau réalisateur, issu de la deuxième génération d’immigrés d’origine asiatique, va puiser dans sa propre expérience pour raconter son histoire. Né en dehors des États-Unis, arrivé dans son pays d’accueil étant bébé, il a grandi dans une société et une culture où aucun référent n’avait les moyens de lui donner les clés pour évoluer dans un contexte souvent compliqué pour celui qui sort du lot. Le film est dès lors rafraîchissant car il raconte une histoire, certes plutôt commune, d’accomplissement à travers le sport, mais via un prisme différent. Il est vrai que pour des longs-métrages sur le basket, le spectateur ne s’attend pas du tout à avoir un héros qui n’est ni afro-américain, ni caucasien. Le jeune Chang va donc devoir accomplir son rêve en se comparant à des idoles qui ne le représentent pas forcément, et trouver la force de suivre sa propre voie.
Pour la partie sportive, Jingyi Shao va beaucoup s’inspirer du film Karate Kid, notamment dans la dynamique entre le jeune Chang et son mentor DeAndre. Le basket est, en effet, un sport a priori peu adapté pour le physique de Chang, assez frêle et, en plus, plutôt petit, l’empêchant presque mathématiquement d’être capable de réaliser les exploits qu'il cherche à atteindre. Pour accomplir l’objectif qu’il s’est fixé, il se doit donc de travailler d'arrache-pied, de s’entraîner tous les jours aux aurores et de montrer une abnégation au-delà de la norme. Bien sûr, cette partie « entraînement », passage obligé dans tout bon film sportif, a été écrite dans une approche contemporaine. Le montage est très énergique, plutôt graphique, utilisant à fond la mode des réseaux sociaux où les séances sont filmées afin de les poster en ligne et d'augmenter la popularité du jeune homme, le tout via une illustration musicale diversifiée, moderne et dynamique. Son mentor mais aussi son meilleur ami Bo comme sa petite amie Kristy sont là pour le soutenir car il montre une force de caractère incroyable pour réaliser ce qui était un pari tout bête à la base. Ainsi, il n'y a rien de bien nouveau dans ces passages, mais ils sont suffisamment plaisants pour se laisser suivre.
Chang a donc fait le pari un peu fou de pouvoir réussir un dunk, une action de jeu au basket-ball consistant à marquer en projetant le ballon dans l'arceau à une ou deux mains, considéré comme une des manières les plus spectaculaires de marquer un panier. Ce défi, il le prend contre Matt, un de ses anciens amis, champion de basket, garçon ultra-populaire du lycée, et venu d’un milieu bien plus aisé que lui. Au-delà de l’enjeu sportif, il y a surtout une recherche de revanche sur la vie. Chang en a en fait assez de passer inaperçu, de voir le moindre effort anéanti par son ancien ami qui le rabaisse chaque fois qu'il le peut aussi bien sportivement que socialement. Ce pari va donc bien au-delà de l’exploit sportif : il est surtout un moyen pour Chang de se chercher, de savoir qui il est, de se sortir de sa condition d’invisible et d’obtenir ce qu'il jalouse secrètement chez Matt sans se l'avouer : la gloire et la réussite.
Ainsi, quand le fameux « dunk » arrive au milieu du film, le spectateur est réellement surpris. Normalement dans ce genre cinématographique, l’exploit qui change une vie arrive à la fin du film après un dur labeur. Mais ici, il n’en est rien car comme l’indique le titre anglais, qui dévoile le résultat, Chang peut « dunker ». Pour autant, quand arrive la réalisation de l'exploit, son parcours n'est pas terminé car le jeune homme n’a pas fini son introspection. La vraie réussite du film est justement d’aller au-delà de cet enjeu afin d’en comprendre les dessous, la façon dont il a été accompli et les conséquences qui en découlent. Le long-métrage va alors gratter dans la personnalité de Chang et le faire évoluer de bien des manières pour montrer comment il appréhende cette nouvelle popularité. Le film permet alors de faire évoluer le ressenti du spectateur qui, au début, a beaucoup d’empathie pour ce jeune garçon frustré qui veut s’en sortir afin qu'il arrête d'être brimé par son entourage. Mais son désir de réussir à toux prix, en ne laissant aucune place à l’échec, fait qu’il va s’éloigner d’une morale saine pour tomber dans le piège de l’apparence et du mensonge. Une fois dedans, Chang va alors montrer une facette moins convaincante où il va devenir exactement celui qu’il détestait. Il ne se rend pas tout de suite compte que tout est basé sur un château de cartes qui peut s’écrouler à tout moment.
La dernière partie du film est ainsi la plus intéressante car l’introspection de Chang va permettre d’approfondir non seulement la personnalité du personnage mais aussi de nuancer celles de plusieurs de ses proches à commencer par sa mère Chen. Cette femme d’origine asiatique, divorcée, travaille comme une forcenée pour élever son enfant. Pour autant, elle n’arrive pas du tout à communiquer avec son garçon qui s’est éloigné d’elle. Leur relation toxique pèse sur la personnalité de Chang qui ne sent absolument pas soutenu ni compris par sa mère. Les valeurs de Chen ne s’accordent pas du tout avec celles de son fils, d'autant plus qu'elle se montre peu compréhensive ou bienveillante. Elle aime son fils, naturellement, mais ne sait pas du tout le montrer. Il faut dire que depuis le départ de son mari, elle est malheureuse et cela déteint sur son humeur. Le Pari de Chang permet donc d’aborder le thème des relations difficiles entre une mère et son fils sans qu'elles soient fatalement manichéennes mais au contraire tout en nuance. Il montre que les parents peuvent faire des erreurs, sont souvent maladroits, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas leur enfant. Ils le font à leur manière même si c’est loin d’être celle du parent idéal.
D'autres personnages que côtoie Chang montrent des facettes intéressantes lors de la fin du long-métrage.
Matt, par exemple, n’est pas le « méchant » attendu dans ce genre de film. Certes, il a une situation et des facilités bien meilleures que Chang ; il a aussi tendance à le brimer un peu inutilement. Pour autant, il accepte la défaite avec honneur mais déteste aussi la tricherie, du moins celle dont les conséquences sont importantes, voulant que la victoire ou la défaite aient une vraie signification. Il sait aussi pardonner et évoluer dans ses opinions.
L’entraineur DeAndre est aussi intéressant car non seulement son parcours de vie en apprend beaucoup sur lui, mais son opinion sur Chang est réellement positive. Il ne s’attarde pas sur le résultat mais regarde le parcours dans son ensemble et ce que le jeune homme a été capable de montrer et d’apprendre.
Enfin, la petite amie Kristy n’est pas non plus en reste, affirmant qu’elle n’est pas un trophée à gagner. Elle s'intéresse à Chang pour ce qu'il est et la force de caractère qu'il démontre et non parce qu'il a réalisé son exploit.
Le Pari de Chang possède un casting particulièrement charmant.
Bloom Li interprète le rôle de Chang et sait lui donner l'ambivalence nécessaire dans le film. Il peut être à la fois attachant lorsqu'il se démène pour atteindre son objectif ; touchant lorsque le sort s'acharne sur lui et qu'il est moqué par ses camarades, notamment le champion Matt ; exécrable lorsqu'il oublie ses amis notamment lors de la soirée VIP à New York ; blessant quand il est acerbe avec sa mère ; sincère quand il fait son mea culpa.
Ses amis sont tout aussi bien caractérisés, que ce soit Bo, le réalisateur en herbe, joué par un Ben Wang amusant ou encore Kristy, la petite amie musicienne, tenue par une Zoe Renee charmante.
Le rôle du coach, DeAndre, a été confié lui à Dexter Darden. Ce dernier arrive à donner une personnalité riche à l'entraîneur, en développant son passé tout en montrant qu'il respecte profondément son poulain qui lui montre une vraie force de caractère. De plus, l'acteur rajoute à son personnage une petite touche d'humour qui finit de le rendre totalement attachant.
Mardy Ma est, quant à elle, parfaite dans le rôle de Chen, la mère de Chang. Elle offre un portrait d'une femme désabusée, malheureuse, qui n'arrive pas à communiquer avec son fils mais essaye pourtant de lui inculquer quelques valeurs tout en faisant face à un mur. L'actrice, rarement souriante, arrive à bien faire transparaître les difficultés qu'elle a avec son fils, ne comprenant pas ce qu'il vit et ce qu'il traverse.
Enfin, il faut noter également Chase Liefeld qui joue un Matt tout en nuance. Ce dernier n'est pas fatalement un sale type mais sait être à la fois antipathique et droit. Il est ainsi impossible pour le spectateur de vraiment le détester car l'acteur lui apporte un côté avenant qui le rend parfois sympathique. Par contre, le garçon ne se rend pas compte que, sans le vouloir, il est une sorte de modèle et de Némésis pour Chang, l'inspirant autant pour ses bons côtés que pour ses mauvais.
Le Pari de Chang est un film sportif typique des studios Disney tout en proposant un récit qui change du canevas habituel où le héros n'est pas aussi parfait qu'attendu. Ainsi, le parcours personnel du personnage principal est bien plus intéressant que son exploit qui n'est au final qu'un prétexte pour le faire grandir.