Tel Est Pris Qui Croyait Prendre
Titre original : The Ref Production : Touchstone Pictures Date de sortie USA : Le 11 mars 1994 Genre : Comédie |
Réalisation : Ted Demme Musique : David A. Stewart Durée : 97 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
Surpris par un ingénieux système d’antivol installé chez un riche propriétaire, Gus, un voleur trentenaire, s'enfuit sans son butin et se voit recherché par toutes les forces de police mobilisées en cette veille de Noël dans un village du Connecticut. Il ne voit d'autres solutions que celle de prendre en otage un couple qui se trouve être au bord du divorce, saisissant n’importe quelle occasion pour se disputer. Gus, qui séquestre la famille entière, en devient bien malgré lui… la victime ! |
La critique
Comédie noire prenant pour arrière-plan les fêtes de fin d’année, Tel Est Pris Qui Croyait Prendre n’est pourtant pas un film de Noël à proprement parler. Produit par Touchstone Pictures en collaboration avec Don Simpson/Jerry Bruckheimer Films (Le Flic de Beverly Hills, Top Gun, Flashdance), elle est l’une des rares créations du label secondaire de Disney ayant pour thème Noël. Malgré un scénario des plus original et une thématique fédératrice, l'opus n’obtient pas le succès escompté. Et pour cause, l’ambigüité du genre cinématographique auquel il appartient et l’ambiance anxiogène qui s'en dégage font tomber à plat le ressort comique si tant est qu’il ait pu exister…
L’idée de base d’un voleur prenant en otage une famille au bord de l’explosion – rappelant vaguement la courte nouvelle de l’écrivain O. Henry La Rançon du Chef Rouge (1910) - était pourtant autant excentrique qu’insolite. Elle est à attribuer au duo Richard LaGravenese, également scénariste de L’Homme Qui Murmurait à l’Oreille des Chevaux, et sa belle-sœur Marie Weiss qui a eu l’idée originale du script dès 1989. Elle avoue s’inspirer d’une dispute avec son mari en se disant « Pourquoi ne pas y insérer une tierce personne comme arbitre pour tirer le vrai du faux ? ». Tous deux se sont ainsi inspirés de leur famille respective, notamment pour le côté règlement de comptes autour d’un repas où chacun fait de son mieux pour faire bonne figure, jusqu’à ce que le masque tombe, comme dans Tel Est Pris Qui Croyait Prendre. Ce n’est qu’en 1991, année de la nomination de LaGravenese à l’Oscar du Meilleur Scénario pour le film The Fisher King : Le Roi Pêcheur (avec Robin Williams et Jeff Bridges) que les deux compères proposent le script à Disney. Sa Direction accepte après une vingtaine de minutes, pensant qu’il conviendra aux standards de son tout jeune label Touchstone Pictures, qui fêtera alors ses dix ans avec la sortie du film, tout en plaçant leur confiance dans le scénariste fraichement nommé, gage de qualité. Mais la belle aventure prend bien vite du plomb dans l'aile. Après plus d’un an de réécriture sur demande du Studio de Mickey, LaGravenese, fatigué d’un scénario sans cesse retravaillé, abandonne. Il faudra que Ted Demme reprenne le projet en tant que réalisateur pour que le scénariste, neuf mois plus tard, accepte de revenir dans le jeu.
Né en 1963 et mort en 2002, Edward Kern Demme, dit Ted Demme, a grandi à New York et fait notamment ses classes au State University of New York College de Cortland, une petite ville de l’État de New York où il s’occupe de la radio de l’établissement, entre talk-shows, comédie et musique. Il décroche ensuite un poste d’assistant de production sur la chaîne américaine MTV et crée en 1988 un célèbre programme musical appelé Yo! MTV Raps avec l’aide de Peter Dougherty qui fait les beaux jours du réseau jusqu’en 1995. Il travaille en parallèle avec plusieurs comédiens dont Denis Leary sur différents projets et produit No Cure For Cancer, l’album regroupant les sketchs en stand up de l’humoriste avant de le faire tourner dans le tout premier long métrage qu'il réalise la comédie Who’s The Man ? en 1993. Il enchaîne ensuite sur la comédie dramatique Tel Est Pris Qui Croyait Prendre (1994) au faible succès puis rafle l’Emmy Award (l’équivalent des Oscars pour le monde télévisuel) pour le film Dites-Leur Que Je Suis Un Homme (1999) en tant que producteur exécutif. Il réalise également Blow (2001) avec Johnny Depp et Penélope Cruz qui sera son dernier long-métrage de cinéma avant son décès brutal d’un arrêt cardiaque, en 2002. Sa dernière réalisation, A Decade Under the Influence affichant les plus grands réalisateurs ayant inspiré le septième art dans les années 70 (Coppola, Scorsese entre autres), sort sur les écrans en 2003, plus d’un an après sa mort, formant une œuvre posthume.
Le défaut majeur à reprocher à Tel Est Pris Qui Croyait Prendre est sans nul doute sa difficulté à se classer dans un genre précis. Profitant de l’atmosphère des fêtes de fin d’année, le scénario s’enfonce pourtant dans un ensemble de scènes de disputes entre les deux acteurs principaux faisant passer au second plan, voire à carrément effacer, le méchant de l’histoire, qui ne l’est finalement pas vraiment. Soufflant le chaud et le froid, entre la comédie et le drame, l'opus n’arrive jamais pas à instaurer un cadre convaincant. Rarement drôles, souvent oppressantes, les scènes enchaînent les bonnes idées en arrivant à les réduire à néant en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Les réécritures successives du script ont manifestement eu raison de la production qui, jusqu’à la dernière minute, décide même de changer la fin, ayant reçu de mauvais retours lors de tests préliminaires. Ainsi, la première version montrant le voleur se rendant à la police pour donner une leçon de vie au jeune garçon délinquant ne reçoit pas un retour d’audience suffisamment positif et nécessite une révision supplémentaire : Ted Demme le regrette dorénavant. Mais évidemment, le scénario n’est pas le seul à blâmer dans cette histoire à la morale bancale, les acteurs étant responsables eux aussi du manque cruel de persuasion de la trame scénaristique…
Dans le rôle d’un père de famille aussi ennuyeux qu’ennuyant, Kevin Spacey campe Lloyd Chasseur. Né dans le New Jersey à la fin des années 50, l’acteur fait ses débuts dans le cinéma avec Jack Nicholson et Meryl Streep dans La Brûlure (1986). Par la suite, il enchaîne les succès et devient ainsi célèbre pour ses rôles de psychopathe dans Seven (1995) avec Brad Pitt ou d’escroc dans Usual Suspects (1995), un film pour lequel il décroche l’Oscar du Meilleur Acteur pour un Second Rôle. Consécration ultime, il obtient l’Oscar du Meilleur Acteur pour son rôle dans la comédie dramatique American Beauty (1999). En 2013, il donne ses traits au personnage de Frank Underwood dans la série House of Cards qui devient immédiatement un succès mondial. Sa réputation se voit ternie considérablement en 2017 à la suite de révélations de nombreux cas de harcèlements sexuels dont il se serait rendu coupable, notamment sur des adolescents. Bien avant cela, il est donc, dans Tel Est Pris Qui Croyait Prendre, un mari qui ne souhaite pas voir la réalité du désastre de son couple. Les joutes verbales incessantes avec sa femme, jouée par l’actrice Judy Davis, font qu’il est difficile de s’attacher de quelque façon que ce soit à son personnage antipathique.
Judy Davis est donc Caroline Chasseur, à la coiffure aussi désordonnée que son couple. Actrice australienne née en 1955, elle tourne avec les plus grands, comme Woody Allen dans Alice (1990) ou Harry Dans Tous Ses États (1997), également avec Gillian Amstrong dans Ma Brillante Carrière (1979), film de ses débuts, ou encore Clint Eastwood dans Les Pleins Pouvoirs (1997). Ici, elle incarne une femme exaspérée d’une situation maritale impossible, tournant en rond depuis des années. Malheureusement, les disputes répétées avec son mari font passer toutes ses interventions pour des moments de supplice. Seule la scène du repas, tous équipés d’une couronne de houx et de bougies allumées, mérite de s’y attarder.
Denis Leary est, quant à lui, le voleur malchanceux, tombé dans la mauvaise famille. L’acteur et humoriste américain, né en 1957, débute sa carrière sur MTV où il délivre ses sketchs dans l’émission Remote Control et se crée ainsi une personnalité qui lui collera à la peau : celle d’un fumeur enchaînant les cigarettes, critiquant la société avec une bonne dose de cynisme. Il joue dans plusieurs productions cinématographiques à plus ou moins grand succès comme Demolition Man (1993) avec Sylverster Stallone, Operation Dumbo Drop (1995). Il prête aussi sa voix à Francis dans le Pixar 1001 Pattes (a bug's life) en 1998 mais également au tigre à dents de sabre Diego dans la franchise préhistorique de Blue Sky Studios, L’Âge de Glace. Finalement, Tel Est Pris Qui Croyait Prendre est l’occasion pour Leary de prouver ses talents en tant qu’acteur et non plus simple comédien de stand up. Malheureusement, la transition est ratée ! Il ne convainc absolument pas le public dans son rôle de méchant et se retrouve la plupart du temps effacé derrière les envolées verbales d’une famille prête à en venir aux mains. Son ton est, de plus, totalement inadapté à la situation, débitant son texte, utilisant peu ou prou deux hauteurs de voix, ne donnant aucune profondeur et de véracité à son personnage. Au final, même s’il détient une arme et prend en otage toute une famille, c’est bien lui la victime d’un rôle qu’il ne réussit pas à apprivoiser.
D’autres acteurs et actrices composent la famille Chasseur. Glynis Johns, Disney Legend pour son rôle de l’inoubliable Winifred Banks du Classique Disney Mary Poppins, est la grand-mère riche qui n’hésite pas à faire payer un loyer à son fils et avec intérêts. Irritante à souhait, elle est l’un des rares personnages convaincants dans cette histoire rocambolesque. Raymond J. Barry (Rasta Rockett en 1993, Flubber en 1997) est, pour sa part, le Lieutenant Huff qui ne semble pas être un grand amoureux de son emploi. Le frère de Lloyd Chasseur est, lui, interprété par Adam LeFevre (Philadelphia (1993), tandis que sa femme, Connie Chasseur n’est autre que l’actrice Christine Baranski, belle-mère de Cendrillon dans Into the Woods : Promenons-Nous Dans les Bois ou encore l’amie de Meryl Streep dans le film comédie musicale Mamma Mia! reprenant les plus grands succès du groupe suédois ABBA. Enfin, Robert J. Steinmiller J. incarne Jesse Chasseur le jeune délinquant et signe ici l’un de ses rares films tandis que Richard Bright (Le Parrain en 1972) joue l’acolyte alcoolique du preneur d’otages, bien plus convaincant que son compère d’ailleurs. Tel Est Pris Qui Croyait Prendre marque en outre la toute première apparition cinématographique de l’acteur américain J. K. Simmons, jouant plus tard le patron du Daily Bugle, J. Jonah Jameson, dans la trilogie Spider-Man ou l’exigeant professeur de musique Terence Fletcher dans Whiplash (2014).
Tourné en majeure partie à Toronto, Tel Est Pris Qui Croyait Prendre porte dans son titre le résumé le plus adéquat qu'il puisse avoir : en anglais, The Ref, est, en effet, un diminutif du mot Referee, désignant un arbitre, un juge, ici le voleur en oubliant finalement son côté festif. Le long-métrage ne tente, en fait, jamais d’assoir une atmosphère purement joyeuse des films de Noël à la bande-son riche en célèbres chants d’hiver. Son compositeur, David A. Stewart, ancien membre du groupe Eurythmics qui a participé notamment à la musique du film Le Tour du Monde en Quatre-Vingts Jours (2004), s’amuse d'ailleurs simplement ici à utiliser de fameuses sonorités de Noël (l'opus débutant par exemple par le chant traditionnel The Holly & The Ivy) tout en y adjoignant des chansons étonnamment rythmées comme Get a Life ou Welcome To The Suburbs...
Tel Est Pris Qui Croyait Prendre échoue donc sur tous les tableaux, autant sur le volet interprétation des acteurs que sur l’écriture du script. Et le public ne s’y trompe pas : après une promotion qui le fait passer pour une comédie burlesque alors qu’il en est tout le contraire, il peine à rembourser son budget. La critique, elle, ne le juge pas si mauvais mais blâme une promotion inadaptée axée abusivement sur la carrière passée de Leary en tant qu’humoriste sur la chaîne MTV. Autre erreur de taille : le calendrier de sortie ! Il est en effet légitime de se demander pourquoi un film ayant pour thématique de fond les fêtes de fin d’année voit sa diffusion s'opérer en plein mois de mars ?
Malgré une idée de base originale et une assise de personnages prometteurs, Tel Est Pris Qui Croyait Prendre réussit à prendre en otage les spectateurs le visionnant, décontenancés de découvrir un film qui ne sait où aller. Pénible succession de joutes verbales enrobées d’une atmosphère anxiogène, il n’est à voir que pour se prouver qu’un bon casting peut mener à une catastrophe cinématographique à grand renfort d’interprétations ratées et d'un thème de fêtes de fin d’année abusivement utilisé…