Symposium de Chants Populaires
Titre original : A Symposium on Popular Songs Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 16 décembre 1962 Série : Genre : Animation 2D / Animation Image par Image |
Réalisation : Bill Justice Musique : Richard M. Sherman Robert B. Sherman Durée : 20 minutes |
Disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Donald Dingue présente un florilège de chansons populaires des cinquante premières années du 20ème siècle... |
La critique
Cartoon ovni dans la carrière de Walt Disney, un des derniers réalisés de son vivant, Symposium de Chants Populaires est remarquable à bien des égards.
Il constitue d'abord la seule et unique apparition au cinéma du personnage de
Donal Dingue (Ludwig Von Drake en anglais). Ce dernier est, en effet, à
l'origine une création originale pour la télévision.
En 1961, Walt Disney claque la porte de la chaîne ABC après 7 années de présence
télévisée du show Disneyland pour
rejoindre NBC qui lui offre de grandes opportunités pour développer son tout
nouveau savoir-faire en matière d'œuvres télé. Non seulement, il dispose d'un
budget plus conséquent mais jouit aussi d'une très large autonomie dans ses
choix de programmes là où ABC lui imposait la production de westerns à la
Davy Crockett. Son passage sur NBC permet en outre aux productions
télévisuelles de Disney de profiter de l'arrivée de la couleur. Ni une, ni deux.
L'émission Disneyland se mue en une Walt
Disney's Wonderful World of Color, bien nommée, dès septembre 1961. L'une
des toutes premières conséquences visibles de ce passage d'une chaîne à l'autre
est la création d'un nouveau personnage animé : Donald Dingue (Ludwig Von
Drake). Ce dernier est très utilisé sur le petit écran où il devient le
présentateur privilégié de différents sujets plus ou moins sérieux et
instructifs. Sa voix, magnifiquement interprétée par Paul Frees, connu pour être
la voix-off de Haunted Mansion dans le parc
Disneyland, dispose d'un accent
allemand peu prononcé, histoire de lui permettre d'être parfaitement compris.
Généalogiquement, Donald Dingue est présenté comme l'oncle de Donald, du côté
européen de sa famille. Il est aussi le petit fils de la Mère l'Oie. Son
personnage est très drôle car il est persuadé de tout savoir sur tout alors que
la plupart du temps, il s'embourbe dans des explications plus laborieuses
qu'autre chose. Pour en envisager tous les contours, il suffit de s'arrêter un
instant sur un dialogue qu'il a avec Walt Disney en personne dans un de ses
shows télé :
Walt Disney : Comment allez-vous, Professeur ? Je suis Walt...
Donald Dingue : Ne me dites pas ! Je vais vous le dire. Vous êtes Mr
Dilly, c'est ça ? Willy ? Nilly ? Fisby ?
Walt Disney : Disney. D-I-S-N-E-Y.
Donald Dingue : Hah, hah, ha... oh ! "Disney" ! Bien-sur, je le savais
depuis le début. Je n'oublie jamais un visage. Vous êtes le gars qui travaille
pour mon neveu Donald Duck, c'est exact ?
Walt Disney : Oui, je suppose que vous pouvez le dire comme ça... »
Pour son unique apparition au cinéma, dans Symposium de Chants Populaires,
Donald Dingue (Ludwig Von Drake) convie donc les spectateurs chez lui et
s'imagine leur expliquer comment il est lui-même à l'origine de bon nombre des
musiques populaires des années 10 à 60. En réalité, les chansons présentées sont
des compositions originales des frères Sherman. Tout juste embauchés par les
studios Disney, ils signent, par la suite et pour une décennie, de très
nombreuses chansons pour leurs comptes, dont les inoubliables airs de
Mary Poppins. Avant Symposium de
Chants Populaires, les deux frères se sont, il est vrai, fait connaitre
grâce aux tubes écrits pour Annette
comme Tall Paul ou The Pineapple Princess. Ils font ensuite leur
entrée dans le monde cinématographique de Disney en composant la chanson-titre
de
Monte là-d'ssus. Walt Disney, sous le
charme, décide de les réemployer pour plusieurs de ses productions. Ils livrent
ainsi les chansons du film
La Fiancée de Papa et de certains
épisodes de l'émission Walt
Disney's Wonderful World of Color, générique compris. The Spectrum Song
et The Green With Envy Blues sont par exemple chantées par Donald Dingue
dans le tout premier épisode de l'émission Vive la Couleur.
Symposium de Chants Populaires comporte donc sept titres des frères
Sherman, illustrant les chansons populaires de la première moitié du siècle
dernier. Leurs airs parodiques rappellent ainsi habilement le rythme et le ton
des tubes d'antan. Le cartoon commence sur The Rutabaga Rag, une chanson
typique des années 10. Viennent ensuite : Charleston Charlie (clin d'œil
au Charleston des années 20), Although I Dropped a Hundred Thousand in the
Market, Baby, I Found a Million Dollars in Your Smile (parodie des
ritournelles de la Grande Dépression), I'm Blue For You, Boo-Bo-Bo-Bo-Boo
(hommage aux crooners à la "Bing Crosby" de la fin des années 30), The Boogie
Woogie Bakery Man (courtoisie à l'attention des Andrew Sisters des années
40), Puppy Love is Here to Stay (imitation masculine d'Annette
et des airs des années 50) et enfin Rock, Rumble and Roar (ode au fameux
twist des sixties).
Tous ces titres sonnent remarquablement vrai. Leur retentissement dans
l'inconscient collectif est d'ailleurs très fort à l'époque de la diffusion du
cartoon dans la mesure où les références prises sont encore vives dans l'esprit
des spectateurs. Aujourd'hui, seul l'air du twist signifie encore quelque chose.
Outre l'utilisation inédite au cinéma d'un personnage emblématique du petit
écran et une bande-son bluffante d'originalité, Symposium de Chants
Populaires brille aussi par la qualité de son animation. Les apparitions de
Donald Dingue (Ludwig Von Drake) sont ainsi, et bien évidemment, en animation
traditionnelle réalisée -époque oblige- avec l'aide de la
Xerox comme Goliath 2 ou
Les 101 Dalmatiens. Les séquences des chansons sont, elles, illustrées par
de l'animation image par image, faite de papier coupé et découpé puis
photographié, le tout bougeant au rythme de 24 images par secondes selon le même
principe que l'animation 2D. Signée de Bill Justice, dont le travail est tout
bonnement remarquable, la technique offre un rendu exceptionnel aux séquences
musicales, à l'exception peut-être de la première chanson qui voit, suivant un
curieux choix artistique, son ragtime repris par des chanteurs légumes au sens
littéral du terme !
Le procédé de l'animation image par image est suffisamment rare chez Disney pour
le souligner. C'est, en fait, le cartoon L'Arche de Noé remontant à 1959
qui inaugure le genre pour le studio de Mickey. Il est ensuite réutilisé en 1961
pour le générique de début du film
La Fiancée de Papa et se retrouve, la
même année, dans une des scènes de
Babes in Toyland. Après Symposium de
Chants Populaires, il faut patienter jusqu'en 1982 avec le cartoon Vincent
de Tim Burton pour la voir revêtue de nouveau du label Disney ;
L'Étrange Noël de Monsieur Jack en
1993, constituant depuis son apogée.
Assurément hors norme dans l'univers Disney, Symposium de Chants Populaires se paye, en plus, le luxe d'afficher un humour autant prononcé que particulier. Omniprésent, il se moque, en effet, essentiellement de l'innovation technologique avec une malice qui n'a pas pris une ride. Sa charge contre le son stéréophonique (qu'il résume à une simple volonté de placement idéal du tabouret de l'amateur de musique !) est, par exemple, jouissive tant elle peut aujourd'hui s'appliquer, peu ou prou, à toutes les nouvelles technologies qui inondent le marché, à grands coups de promesses de révolution plus ultime que la précédente, vieille pourtant de quelques mois, quand ce n'est pas de quelques semaines...
Justement nommé pour l'Oscar du meilleur court-métrage et tout aussi injustement non-récompensé, Symposium de Chants Populaires est un petit bijou qui ne dit pas son nom !