Grace Martin
Date de création : Le 15 août 1946 Nom Original : Grace Martin Créateur(s) : Milt Kahl |
Apparition : Cinéma Télévision |
Le portrait
Le 15 août 1946, le public découvre La Boîte à Musique, le premier long-métrage produit après-guerre par les studios Disney. Présenté comme une « Fantaisie musicale en dix actes », le film débute alors par la séquence des (Les) Martin et les Blaise, sorte de Roméo et Juliette au cœur du Midwest.
L’histoire débute au cœur des montagnes américaines. Perchées sur un promontoire, deux maisons se font face. La première abrite la famille des Martin. La seconde est la propriété des Blaise. Bien que voisins, les deux clans se livrent depuis des décennies une lutte sans merci, précisément depuis que le vieux Blaise a volé les œufs des Martin. À grands renforts de coups de fusils, la bagarre vire à l'obsession tant et si bien que les morts se comptent par dizaines. Seule survivante de la famille des Martin, Grace poursuit la vendetta. Armée de sa Winchester, elle inspecte les bois alentours jusqu’au jour où elle croise la route d’Henry, le dernier des Blaise lui-même en patrouille. Au départ prêt à en découdre, le bellâtre tombe instantanément sous le charme de la demoiselle. Elle-même succombe à ses charmes, au grand dam de feux leurs ancêtres qui, du haut du ciel, observent avec dépit cette amour naissant.
Déposant leurs armes, les deux amants roucoulent dans la nature. Puis vient le jour de leur mariage. Dans la grande salle de l’école, la fête bat son plein et tout le monde danse frénétiquement. Grace et Henry sont eux-mêmes happés par l’ambiance. Se trémoussant sans retenue, il est déjà bien tard lorsque le couple rentre à la maison à bord d’un vieux tacot que Grace se charge elle-même de démarrer à la manivelle.
La romance a toutefois rapidement du plomb dans l’aile et les vieux démons ne tardent pas à ressurgir. Les querelles de ménage sont en effet légion et le couple se dispute sans cesse. Les coups de poing fusent de toutes parts. Si Henry semble au premier abord plus costaud, Grace est loin de se laisser faire, et ce pour la plus grande joie des ancêtres qui, hilares, regardent la rivalité entre les Martin et les Blaise reprendre de plus belle !
Réalisée par Jack Kinney, la séquence des (Les) Martin et les Blaise s’inspire d’une légende du Far West bien connue aux États-Unis. Surnommée The Hatfield-McCoy Feud – ou la Querelle des Hatfield et des McCoy – celle-ci prend place entre 1863 et 1891 sur les rivages de la rivière Tug Fork. Installés sur la rive Est de l’affluent, en Virginie-Occidentale, les Hatfield sont à l’époque dirigés par William Anderson « Devil Anse » Hatfield. Habitant pour leur part de l’autre côté du cours d’eau, dans le Kentucky, les McCoy sont placés sous le patronage de Randolph « Ole Ran’l » McCoy. Durant la Guerre de Sécession, chacune des familles décide de prendre part au conflit. Les Hatfield choisissent alors de rejoindre les rangs de l’Armée confédérée. Contrairement à la majorité de ses proches, Asa McCoy, de son côté, soutient les forces de l’Union au sein du 45e Régiment d’Infanterie du Kentucky.
La Famille Hatfield en 1897
À la fin du conflit, ce dernier est retrouvé mort. William Hatfield est soupçonné du meurtre. Renforcée par la jalousie entretenue depuis des années, une faide commence bientôt entre les deux familles. Tout est dès lors prétexte pour s’affronter. En 1878, une dispute concerne notamment la propriété d’un porc. L’affaire est portée devant les tribunaux qui tranchent en faveur de Floyd Hatfield. Quelques mois plus tard, Bill Staton, qui avait témoigné en faveur des Hatfield, est assassiné par Sam et Paris McCoy. La querelle continue de grossir lorsque Roseanna McCoy tombe amoureuse de Johnse Hatfield. Ce dernier est alors arrêté par les McCoy qui l’accusent de contrebande. William Hatfield organise rapidement l’assaut pour obtenir sa libération. Après avoir délaissé Roseanna, Johnse Hatfield épousera finalement la cousine de cette dernière, Nancy. En 1882, Ellison Hatfield est à son tour tué par Tolbert, Phamer et Bud McCoy, eux aussi assassinés en représailles…
La Famille McCoy
La vendetta atteint son apogée durant la soirée du Nouvel An 1888. Les Hatfield attaquent la maison des McCoy. Réveillés, ces derniers répliquent. Calvin et Alifair McCoy, mais aussi Sarah, la femme de Randolph McCoy, sont tués. D’autres victimes sont à déplorer jusqu’en 1891. Les procès se multiplient. Les gouvernements de Virginie-Occidentale et du Kentucky sont proches de la guerre civile. La Cour Suprême des États-Unis est elle-même impliquée. Les condamnations pleuvent. Johnse Hatfield est le dernier à être condamné à la prison à vie pour son implication dans le Massacre de la Nouvelle Année.
Défrayant la chronique à la fin du XIXe siècle, la Querelle des Hatfield et des McCoy est restée dans les mémoires aux États-Unis. Le site de l’affrontement est devenu un lieu touristique fréquenté. Chaque année, un festival est organisé en présence des descendants des deux familles. Hollywood s’est évidemment emparé de l’histoire. Dès 1923, Buster Keaton et John G. Blystone réalisent Les Lois de l’Hospitalité. Quinze ans plus tard, Tex Avery supervise A Feud Was Here, un court-métrage de la série des Merrie Melodies mettant en scène la dispute entre les Weaver et les McCoy. Walter Lantz lui emboîte le pas en 1943 avec Pass the Biscuits Mirandy! qui montre la bataille entre les Foy et les Barton dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale.
En 1951, Abbott et Costello tiennent le haut de l’affiche dans Deux Nigauds Chez les Barbus. De l’autre côté de l’Atlantique, Morris s’inspire lui-même de la querelle pour créer Les Rivaux de Painful Gulch, le 33e album des aventures de Lucky Luke paru en 1962. En 2012, The History Channel diffuse la minisérie à succès Hatfields & McCoys avec Kevin Costner et Bill Paxton.
L’histoire des Hatfield et des McCoy est également reprise en 1936 par Ted Weems et Al Cameron qui l’adaptent sous la forme d’une chanson intitulée The Martins and the Coys. Publiée par Irving Berlin, elle sert de bande originale au court-métrage produit par les studios Disney. Le compositeur Oliver Wallace est alors engagé pour arranger le titre interprété pour l’occasion par le groupe des King’s Men. Poussant la caricature à son paroxysme, le cartoon devient rapidement un classique de la comédie plusieurs fois diffusé à la télévision dans les émissions hebdomadaires de Walt Disney, notamment dans l’épisode Four Fabulous Characters programmé le 18 septembre 1957. Cinquante après sa création, il se retrouve toutefois pointé du doigt pour son usage gratuit de la violence et surtout la banalisation de l'usage des armes. C'est ainsi qu'il subit le couperet de la censure lorsque les studios décident de le retirer du montage final de La Boîte à Musique lors de sa sortie en DVD en 2000. Grace Martin et ses acolytes tombent dès lors dans l’oubli...
Dessins d'animation de Milt Kahl
Dans le court-métrage de Disney, Grace Martin apparaît sous les traits d’une ravissante jeune femme aux yeux bleus et à la chevelure rousse. Coiffée avec deux couettes, elle porte une jupe courte et partiellement déchirée, ainsi qu'un chemisier laissant apparaître sa taille fine, sa poitrine et ses épaules dénudées. Semblant à première vue très frêle, Grace est en réalité une véritable force de la nature, comme le démontrent sa capacité à démarrer seule la voiture et surtout son aptitude à flanquer des coups de poings prodigieux à son mari, Henry, qui vole littéralement en dehors de la maison. De par son visage et sa silhouette, Grace Martin est en quelque sorte la première représentante d’une longue lignée d’héroïnes formée par Sophie Sue (Mélodie Cocktail), Katrina Van Tassel (Le Crapaud et le Maître d’École) et Cendrillon.
L’animation de Grace Martin est notamment réalisée par Milt Kahl. Membre du groupe très fermé des Neuf Vieux Messieurs, l’artiste naît le 22 mars 1909 à San Francisco, en Californie. Débutant sa carrière modestement à l’âge de seize ans lorsqu’il est embauché comme dessinateur pour le journal The Oakland Post Inquirer puis pour le San Francisco Bulletin, il devient bientôt dessinateur d’affiches de cinéma. Il entre ensuite chez Disney en 1934. Se distinguant grâce à son caractère bien trempé de ses collègues qui redoutent ses colères mémorables, Kahl travaille comme intervalliste sur plusieurs cartoons de Mickey. Son talent lui permet rapidement de devenir animateur puis superviseur de l’animation.
Très doué pour l’animation des humains, il collabore alors à presque tous les longs-métrages animés de Disney et donne vie à des personnages aussi fameux que Pinocchio, dont il définit l’apparence finale, Bambi, Brom Bones, Frère Lapin, Johnny Pépin de Pomme, Cendrillon, le prince Philippe et le roi Hubert, Roger Radcliff et Pongo, Merlin l’enchanteur ou bien encore Tigrou. Derrière l’animation remarquable de Shere Khan et de Madame Médusa, son ultime méchante, Milt Kahl est élevé au rang de Disney Legend en 1989, deux ans après sa mort survenue le 19 avril 1987 à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Héroïne pleine de force et de panache, Grace Martin fait partie des personnages les plus méconnus de l’écurie Disney, la faute à l’auto-censure des studios qui, en 2000, font le choix d’enfermer au coffre le court-métrage dont elle est issue…