Titre original :
Bridge of Spies
Production :
Fox 2000 Pictures
DreamWorks Pictures
Date de sortie USA :
Le 16 octobre 2015
Distribution :
Touchstone Pictures
Genre :
Thriller
Réalisation :
Steven Spielberg
Musique :
Thomas Newman
Durée :
132 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

James Donovan, un avocat de Brooklyn se retrouve plongé au cœur de la guerre froide lorsque la CIA le choisit pour une mission de la dernière chance : négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 capturé en URSS...

La critique

rédigée par
Publiée le 27 novembre 2015

Avec Le Pont des Espions, Steven Spielberg montre, une fois encore, toute la maestria de son art. Le mythique réalisateur propose en effet un film sur la guerre froide, inspiré de faits et de personnages réels, en choisissant d'insister sur l'humanité des intervenants qu'il met sous le feu des projecteurs. Jouant la carte de l'émotion, il n'en oublie pas pour autant l'humour distillé ici ou là dans quelques lignes de dialogue. Mais là où il subjugue son auditoire, c'est assurément dans sa capacité à retranscrire avec finesse l'atmosphère de l'époque. Le Maître rajoute indéniablement un nouveau grand film à sa carrière !

Devenu l'une des personnalités les plus emblématiques et influentes du septième art, Steven Spielberg est né le 18 décembre 1946 à Cincinnati dans l'Ohio. Cinéaste très précoce, il réalise, enfant, quelques petits films amateurs puis, toujours très jeune, abandonne rapidement ses études pour tenter sa chance à Hollywood. Assistant monteur sur la série Wagon Train en 1957, il apprend alors son métier sur le tas, dans les années 60, en réalisant des courts-métrages tels que Firelight ou Amblin' (dont il emprunte l'appellation pour sa future maison de production), puis travaille pour le petit écran, dirigeant notamment des épisodes de Columbo.
Son talent de mise en scène se révèle au grand jour en 1971 avec le téléfilm Duel (exploité en qualité de film à l'international) qui remporte notamment, en France, le Grand Prix du Festival d'Avoriaz. Le cinéaste réalise ensuite Sugarland Express (1974). Prix du scénario à Cannes, ce drame confirme ses belles aptitudes et annonce une jolie carrière qui prend un virage dans le fantastique dès l'année suivante.
Il y a, à l'évidence, pour Steven Spielberg, un avant et un après 1975 ! Cette année-là, il terrifie, en effet, le monde entier avec Les Dents de la Mer, une référence dans le cinéma d'épouvante qui le propulse star internationale de la mise en scène à seulement 29 ans. Ses films suivants remportent tous le même succès, atteignant pour la plupart les cimes du box-office international et s'inscrivant dans l'imaginaire de millions de spectateurs. Steven Spielberg est d'ailleurs le créateur (avec son ami George Lucas et sa (La) Guerre des Étoiles) d'une catégorie enviée du tout-Hollywood : les films à plus de 100 millions de dollars de recettes sur le seul territoire national. Cette manne colossale pour les majors permet ainsi aux deux cinéastes de revendiquer par la suite une totale autonomie vis-à-vis des studios.
En 1977, Rencontres du Troisième Type initie son rapport étroit avec la science-fiction qui se poursuit en 1982 avec E.T. l'Extra-Terrestre puis A.I. Intelligence Artificielle (2001), Minority Report (2002) et La Guerre des Mondes (2005). Son goût pour l'aventure lui permet par ailleurs de donner naissance à la légendaire saga des Indiana Jones tombée dans l'escarcelle de Disney en 2012 à la faveur du rachat de Lucasfilm : Les Aventuriers de l'Arche Perdue (1981) , Indiana Jones et le Temple Maudit (1984), Indiana Jones et la Dernière Croisade (1989) et Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (2008).
En 1983, Steven Spielberg participe à un film collectif avec John Landis : La Quatrième Dimension, dont il réalise la deuxième séquence. Il aborde ensuite dès 1985, dans sa filmographie, des sujets différents, moins orientés sur le cinéma dit « de divertissement » et plus axés sur l'Histoire : La Couleur Pourpre (1985) et Empire du Soleil (1987), deux œuvres qui racontent respectivement la vie d'une famille noire aux États-Unis du début à la moitié du XXe siècle, et celle d'un jeune Britannique pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit le passionne à l'évidence. Il reviendra deux autres fois sur le sujet avec La Liste de Schindler (1993) et Il Faut Sauver le Soldat Ryan (1998), des long-métrages qui lui font gagner la consécration auprès des critiques et de ses pairs en remportant, notamment, de nombreux Oscars.
Par contre, il ne s'intéresse qu'une seule fois à la Première Guerre Mondiale avec le touchant Cheval de Guerre (2011).
Ne délaissant pas le divertissement à grand spectacle, il continue à relever les paris les plus fous en allant jusqu'à ressusciter, grâce à une combinaison novatrice de maquettes animées et d'images de synthèse, plusieurs espèces de dinosaures pour Jurassic Park (1993) et sa suite Le Monde Perdu : Jurassic Park (1997).
Tout aussi bien, il s'amuse également à revisiter les thèmes de l'enfance et de la famille (Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet en 1991, Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne en 2011) et à explorer la comédie burlesque avec 1941 (1980), la plus légère avec Arrête-Moi Si Tu Peux (2002) ou la romantique avec Le Terminal (2004). Il sait aussi prendre ses distances vis-à-vis des œuvres de pur divertissement pour aborder des sujets plus graves : le deuil (Always - Pour Toujours, 1989), l'esclavage (Amistad, 1997), la géopolitique (Munich, 2006), la biographie d'un grand président des États-Unis (Lincoln, 2012) sont ainsi autant de thèmes délicats qui prouvent l'éclectisme et la sensibilité du cinéaste.
Parallèlement et dès 1981, Steven Spielberg, qui a créé sa propre société de production, supporte en plus de ses films, ceux d'autres cinéastes, considérés avec le recul comme les plus imaginatifs des années 80 : Gremlins (1984), Les Goonies (1985), Retour Vers le Futur (1985), Bigfoot et les Henderson (1987), L'Aventure Intérieure (1987), Miracle sur la Huitième Rue (1987) ou Qui Veut la Peau de Roger Rabbit (1988).

Le Pont des Espions est, quant à lui, basé sur des personnages et des faits réels.
Au début de la Guerre froide, dans les années 1950, les relations entre les États-Unis et l'URSS sont, en effet, très tendues. En 1957, le FBI arrête ainsi Rudolf Abel (son vrai nom étant William Fischer), un agent soviétique vivant à New York. Chargé d'envoyer des messages codés vers la Russie via des pièces creuses, Abel est rudement interrogé par le FBI, mais refuse sans jamais faillir de coopérer ou trahir son pays. Le gouvernement américain, en quête d'un avocat indépendant pour défendre Abel, se tourne alors vers James Donovan, un professionnel en droit des assurances de Brooklyn. Cet ancien procureur lors du procès de Nuremberg est, il est vrai, très estimé au sein de la communauté juridique américaine pour ses talents de négociateur. Sans lien avec cette affaire, quelque temps plus tard, un avion américain U-2 est abattu dans l'espace aérien soviétique au cours d'une mission de reconnaissance. Son pilote, Francis Gary Powers, est capturé, reconnu coupable d'espionnage et condamné à dix ans de prison en URSS. Le gouvernement américain propose alors à James Donovan de se rendre à Berlin pour négocier un échange de prisonniers entre les États-Unis et l'Union Soviétique… En arrivant sur place, Donovan apprend qu'un étudiant américain nommé Frederic Pryor, a été lui-aussi arrêté à Berlin-Est alors qu'il tentait de rentrer à l'Ouest. Contre les instructions de la CIA exigeant qu'il se concentre uniquement sur le pilote, le juriste refuse d'abandonner l'un ou l'autre de ces hommes et décide de négocier à la fois pour le soldat et pour l'étudiant… L'échange a finalement eu lieu à Berlin, à la frontière des deux blocs, au pont de Glienicke.

Steven Spielberg a toujours été fasciné par l'Histoire. Si la Seconde Guerre Mondiale marque sa carrière cinématographique, elle n'est pas la seule, loin s'en faut. La Guerre Froide est ainsi également une période que le réalisateur affectionne beaucoup. Il faut dire qu'elle résonne fortement en lui dans la mesure où il l'a vécue indirectement. Son père qui s'était rendu en Russie pour un voyage d'affaires lui a, en effet, raconté comment, peu après l'écrasement de l'avion de Powers, il s'était vu dirigé à la sortie de l'aéroport vers une exposition des débris de l'engin, accusé d'être Américain et d'avoir attaqué le pays... Dans ce contexte, quand Matt Charman, un jeune scénariste britannique travaillant pour la télévision, vient ainsi proposer son scénario à DreamWorks Pictures, la productrice Kristie Macosko est immédiatement persuadée que cette histoire, au final peu connue, passionnera son boss, Steven Spielberg. Elle ne s'est pas trompée !

Il faut dire que les trois derniers films du Maître se consacrent à des évènements et des personnages historiques. Après ce cheval qui parcourait les différents fronts de la Première Guerre Mondiale dans Cheval de Guerre, et la biographie du président de légende pour les Etats-Unis que fut Abraham Lincoln, le réalisateur revient donc sur une période qu'il a peu, voire pas du tout, aborder dans sa carrière : la Guerre Froide. Avec l'attention qu'il porte aux costumes, aux décors et à l'atmosphère, il offre, aux spectateurs, un véritable retour dans le temps de 1957 à 1961. Chose étonnante avec le recul, il montre finalement une société qui était tout aussi effrayée que la contemporaine ; seules les raisons de la peur diffèrent. Les populations occidentales avaient, en effet, alors un ennemi clairement identifié et la menace d'une attaque nucléaire massive était dans toutes les têtes, allant parfois jusqu'à la paranoïa, dans un sentiment amplifié par la propagande des deux camps. Ce qui touche le spectateur est ainsi la réaction des Américains qui fait étrangement écho à celles des Français à la suite des attentats de Paris du vendredi 13 novembre 2015...
Le procès contre l'espion soviétique est, pour sa part, une procédure pour la forme mais dont l'issu ne fait aucun doute. La justice, comme le gouvernement, veut punir le coupable, quitte à mettre un mouchoir sur les valeurs et les droits que leur nation est censée pourtant défendre et qui la distinguent du camp d'en face. Il faudra donc toute l'abnégation d'un avocat, sûr de ses valeurs et de ses principes, pour faire bouger certaines lignes, quitte à passer lui-même pour un félon.

Steven Spielberg aime décidément les personnages et les personnalités qui vont au bout de leurs idées ! Dans deux registres bien différents, il brosse ici des portraits fascinants de l'avocat James B. Donovan et de l'espion Rudolf Abel. Il montre ainsi, pour le premier, combien un homme peut aller au bout de ses principes, de ses valeurs et surtout de sa conscience professionnelle pour défendre celui qui est devenu l'ennemi public N°1 de l'Amérique. Dans ce contexte, comme le dit le personnage lui-même, il devient le second homme le plus détesté du pays, mettant indirectement sa propre famille en danger. Malgré l'adversité, il va pourtant continuer à avancer selon ses principes défiant souvent les autorités américaines qui ne voient, elles, que les intérêts politiques et stratégiques avant toutes autres considérations humaines. Donovan va alors s'efforcer de faire comprendre que, certes, Abel est un espion,  mais qu'il n'est assurément pas un traitre puisqu'il servait fidèlement son pays, l'URSS. Le portrait de ce Russe mérite d'ailleurs tout autant l'attention tant sa personnalité est finement analysée ! Inversement, même si Steven Spielberg, lui, ne se prononce pas, Francis Gary Powers sera considéré comme un traitre puisqu'il a préféré vivre plutôt que d'ingurgiter le cyanure fourni par le gouvernement à ses pilotes en cas de capture, obligeant de fait les autorités de son pays à devoir négocier et faire un échange de prisonniers. Donovan n'est pas forcément de cet avis : lui reste, il est vrai, persuadé que le pilote a, en réalité, fait de son mieux, et que l'important n'est pas ce que la majorité pense mais bien et toujours, la cohérence avec sa propre conscience.

L'autre grand thème du film se porte sur la construction du Mur de Berlin. Abordé durant la deuxième moitié du récit, l'édifice n'en demeure pas moins prenant. Alors que 2014 a vu les festivités des 25 ans de sa chute, revivre les conséquences pratiques de ce symbole de la Guerre Froide qui a coupé une ville en deux, avec toutes les atrocités qui en découlent dont le tir-à-vue de ceux qui essayaient de passer de l'Est à l'Ouest, est une expérience cinématographique vraiment saisissante. Côté narratif, c'est aussi le lieu de l'échange ainsi que le théâtre de l'arrestation de l'étudiant américain, Frederic Pryor. Là aussi, James Donovan va aller à l'encontre l'avis de la CIA : l'agence voulait, en effet, purement et simplement l'abandonner à son sort pour se concentrer uniquement sur le pilote considéré comme ayant bien plus de valeur politique et stratégique. L'étudiant n'était, lui, qu'un idéaliste qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment : un individu finalement dispensable pour le gouvernement américain ! L'adversité dramatique de l'enjeu comme des lieux donne indéniablement une incroyable force au récit...

C'est d'ailleurs ce qui surprend le plus dans Le Pont des Espions ! Malgré une thématique pesante, le film n'est ni lourd, ni grave. D'abord, le rythme est parfais car malgré ses 132 minutes, le temps passe à une vitesse incroyable. Le spectateur est en réalité subjugué de bout-en-bout. Le film oscille ainsi entre le drame juridique, le thriller et la fresque historique avec une authenticité magnifiée par la réalisation, les costumes et la photographie. Il faut dire que le scénario, co-écrit par les frères Coen, sait en plus distiller des doses d'humour tout à fait bienvenues via des dialogues remarquablement bien ficelés. La démarche suivie, finalement emplie d'humanité, apporte ainsi un cynisme certain qui rend l'ensemble ni trop pesant, ni trop académique.

Les personnages sont, dans ce cadre, l'une des grandes forces du film.
James B. Donovan est ainsi interprété par un Tom Hanks magistral. C'est la quatrième fois que l'acteur et le réalisateur travaillent ensemble, après Il Faut Sauver le Soldat Ryan (1998), Arrête-Moi Si Tu Peux (2002) et Le Terminal (2004). Côté petit écran, les deux géants du cinéma ont également collaboré sur les mini-séries Frères d'Armes et Band of Brothers : L'Enfer du Pacifique où Steven Spielberg était simplement producteur. James B. Donovan est manifestement un rôle à la mesure du talent de Tom Hanks. L'acteur est à la fois parfait en tant qu'avocat lapidé par la vindicte populaire qu'en négociateur clandestin dans un pays ennemi. Il a une prestance incroyable et semble investi par le rôle : les convictions de son personnage apparaissent alors toujours naturelles, jamais feintes, dans un élan d'authenticité bluffant.
L'autre grand réussite du casting est assurément à rechercher du côté de la prestation toute en nuance de Mark Rylance dans le rôle de Rudolf Abel. Le comédien sait, en effet, parfaitement rendre son personnage attachant, alors même qu'il est désigné comme l'ennemi Numéro 1. Même s'il ne dit pas un mot sur ses convictions, le personnage apparait fidèle à ses principes. Son humanité rayonne de bout-en-bout et révèle à quel point il partage, en fait, avec Donovan les mêmes valeurs de loyauté et de courage. La relation des deux est d'ailleurs amenée avec grande finesse et contribue beaucoup à la force narrative du film.
Enfin, à côté d'eux, sont à remarquer notamment Scott Shepherd, qui joue un agent de la CIA sans compassion qui fait passer la sécurité de la nation avant toute chose, et Amy Ryan, qui endosse à merveille la femme de Donovan, oscillant entre le support sans faille envers son mari et le désir de protéger coûte que coûte ses enfants. Il sera également salué la prestation convaincante d'Austin Stowell dans le rôle de Francis Gary Powers et celle, certes anecdotique, de Will Rogers en tant que Frederic Pryor.

John Williams a toujours composé la musique des films de Steven Spielberg à l'exception notable de La Couleur Pourpre en 1985. Le Pont des Espions est malheureusement le second à ne pas pouvoir en profiter, et ce, à cause d'une maladie bégnine qui l'a empêchée de respecter les délais de production. Il est donc remplacé au pied levé par Thomas Newman (La Couleur des Sentiments, WALL•E). Ce dernier livre un travail convaincant, mais peut-être pas avec la puissance de son illustre confrère, ni la réussite de ses meilleures partitions, notamment chez Pixar. Pire encore, et étonnamment, ce qui se remarque le plus dans la bande-son est peut-être l'absence de musique voulue par Steven Spielberg dans les vingt premières du récit. Le réalisateur a, en effet, souhaité que seuls les bruits de New York retentissent, trouvant les sons de la Grande Pomme pareils à des symphonies...

 Le Pont des Espions a été, une fois de plus s'agissant d'un film de Steven Spielberg, salué par la critique américaine. Malheureusement, le succès public a été, lui, moins franc. Après deux mois d'exploitation, il émarge, il est vrai, à - à peine - 65 millions de dollars de recettes n'arrivant même pas à atteindre les résultats de Cheval de Guerre (79 millions) déjà considéré comme une déception. Certes, son budget de 40 millions de dollars n'en fait pas un échec financier, mais le temps où Steven Spielberg signait des blockbusters parait désormais bien révolu.

Le Pont des Espions est une superbe réussite. Steven Spielberg montre, une nouvelle fois, qu'il est un grand réalisateur faisant d'un sujet délicat, un film passionnant de la première à la dernière image. Mélangeant plusieurs genres cinématographiques dans une démarche enthousiasmante, portée par des acteurs convaincants, des costumes minutieux et des décors saisissants, Le Pont des Espions est aussi une belle leçon d'humanité.

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