La Vie Est Belle
Titre original : La Vita è Bella Titre USA : Life is Beautiful Production : Melampo Cinematografica Cecchi Gori Group Tiger Cinematografica Date de sortie USA : Le 23 octobre 1998 Distribution : Miramax Films Genre : Comédie dramatique Date de sortie cinéma Italie : Le 31 décembre 1997 |
Réalisation : Roberto Benigni Musique : Nicola Piovani Durée : 124 minutes (Version Cinéma Italienne) 116 minutes (Versions Internationales et Éditions Vidéos) |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
1938, Italie. Guido Orefice, serveur dans un luxueux hôtel, rêve d’ouvrir un jour sa librairie. Tombé fou amoureux d’une jeune institutrice, Dora, il finit par l’épouser et tous deux deviennent les heureux parents d’un petit Giosué. Jusqu’au jour où, dans une Italie désormais gouvernée par un régime fasciste, cette famille juive se retrouve déportée dans un camp de concentration. Pour cacher l’atrocité de la situation à son fils, Guido décide de lui faire croire qu’il ne s’agit que d’un jeu… |
La critique
Pour beaucoup, La Vie Est Belle évoque surtout le chef-d’œuvre cinématographique de Frank Capra sorti en 1946. Mais depuis 1997, un autre film partage ce titre plein d’optimisme et visiblement synonyme de succès, à en juger par la qualité des longs-métrages qui le portent. Un film avec lequel Roberto Benigni concrétise une idée a priori impensable sur le papier : réaliser une comédie se déroulant pendant la Shoah.
Né le 27 octobre 1952 à Castiglion Fiorentino, petite ville italienne de Toscane, Roberto Benigni s’intéresse dès sa jeunesse au domaine artistique. Repéré grâce à une chanson paillarde dans une émission de télévision italienne, il débute au théâtre et dans des spectacles de rue. Mais le succès naît de sa rencontre, dans les années 1970, avec le cinéaste italien Giuseppe Bertolucci, qui lui écrit des rôles sur mesure au théâtre. Il se lance au cinéma en 1983 avec sa toute première réalisation, Tu Mi Turbi, et enchaîne ensuite les petits rôles.
1998 est l’année de la consécration pour Roberto Benigni avec La Vie Est Belle, sa sixième réalisation, succès international qui remporte de nombreux prix. Après cette mise en lumière soudaine, il est choisi par le réalisateur français Claude Zidi pour intégrer le casting d’Astérix et Obélix Contre César, dans le rôle du vil légionnaire romain Lucius Detritus. Puis il réalise, en 2002, sa propre adaptation du conte de Carlo Collodi (déjà transposé à l’écran par les Walt Disney Animation Studios en 1940 avec Pinocchio), Pinocchio, la Grande Aventure de la Vie, dans laquelle il interprète le rôle-titre. Le film est d'ailleurs distribué par Miramax, filiale de The Walt Disney Company à l'époque. Sa dernière œuvre en tant que réalisateur s’intitule Le Tigre et la Neige et sort sur les écrans en 2005. Depuis, ses apparitions au cinéma se font plus rares. Il arpente en revanche les scènes de théâtre du monde entier dès 2006 dans son spectacle TuttoDante, autour de l’œuvre de l’auteur de La Divine Comédie. Il peut toutefois être encore vu comme en 2012 dans la comédie de Woody Allen To Rome With Love. En 2019, il apparaît dans une nouvelle adaptation de Pinocchio signée par Matteo Garrone, dans la peau de Geppetto cette fois. Entre temps, il se voit récompensé par un César d’honneur, en 2008, pour l’ensemble de sa carrière.
L’histoire de La Vie Est Belle germe dans l’esprit de deux hommes : Roberto Benigni donc, et l’écrivain italien Vincenzo Cerami. Tous deux souhaitent en effet mettre en scène l’arrivée d’un homme et de son fils dans un camp de concentration durant la Seconde Guerre mondiale, et la séparation d’une famille qui en résulte. Une idée de départ qui paraît au premier abord très sombre. Pourtant, l’objectif des deux hommes est bel et bien de réaliser une comédie, « une histoire dédramatisée » d’après les mots de Benigni, un film plein d’optimisme, comme le laisse d’ailleurs entendre son titre. Un titre qui, pour l’anecdote, n’a pas été choisi en hommage au film de Frank Capra, mais en référence à une phrase écrite par Léon Trotski peu de temps avant son assassinat. Alors, insensée l’idée de faire rire à partir d’un événement tragique ? Pas du tout, selon le réalisateur, Roberto Benigni, qui s’appuie pour cela sur les histoires elles-mêmes plutôt tragiques des films de Charlie Chaplin comme Le Dictateur ou Le Kid : « Pensez à Charlot, le plus grand clown du monde, quelles histoires n’a-t-il pas inventées ? […] Si l’on examine un clown de près, on ne peut qu’être horrifié. La première impression qu’il nous communique est inquiétante, son rire épouvante ; mais si l’on prend ses distances, si l’on s’éloigne, alors, on rit avec le sentiment d’échapper à un cauchemar. »
Le cauchemar, ici, prend donc la forme de l’une des plus grandes atrocités dont l’Homme ait été capable : l’extermination des Juifs dans des camps de concentration lors de la Seconde Guerre mondiale. Malgré ce contexte, il est un point sur lequel Roberto Benigni insiste clairement : ce long-métrage n’est pas un film historique. Dans la préface de la version publiée du script de La Vie Est Belle, il n’hésite ainsi pas à qualifier son œuvre de « film fantastique, presque un film de science-fiction, une fable dans laquelle il n’y a rien de réel, de néo-réaliste, rien qui ait partie liée avec le réalisme. » En d’autres termes, il n’est pas question de prétendre faire un long-métrage centré sur le nazisme ou sur la Shoah en elle-même. Alors certes, l’action de l'opus est située entre 1938 et 1945 et se construit autour d’événements bien réels : l’entrée en vigueur des lois raciales en Italie, la déportation des Juifs dans des camps de travail et leur extermination, la libération par l’armée américaine. De plus, une référence est ouvertement faite aux dictateurs Hitler et Mussolini lors d’une scène, à travers les prénoms des deux fils d’un tapissier : Adolfo et Benito.
Roberto Benigni tient néanmoins à ne pas trahir la mémoire des victimes de ces camps. Aussi, il décide de faire appel à des consultants chargés, d’après ses propres mots, « de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’erreurs trop grossières », par exemple sur les tenues des déportés ou sur l’organisation du camp. Cette mission est confiée à un historien italien spécialiste de la Shoah, Marcello Pezzetti, et à un survivant du camp de concentration d’Auschwitz, Shlomo Venezia. Le premier a déjà occupé une place similaire sur d’autres films, comme La Liste de Schindler de Steven Spielberg (Indiana Jones, Minority Report, Cheval de Guerre, Lincoln, Le Pont des Espions, Pentagon Papers). Le second fait figure de référence sur ce sujet en Italie, fréquemment invité à prendre la parole dans les médias ou auprès des jeunes. Benigni se laisse malgré tout une marge de liberté en ne donnant aucune précision sur la localisation du camp. Se trouve-t-il en Italie ou en Allemagne ? Le spectateur l’ignore et n’a, au fond, aucun besoin de le savoir. Cela évite, en outre, de générer des polémiques sur l’authenticité de certains détails puisque le camp n’est jamais nommé. L’attention se porte donc davantage sur l’histoire de cette famille, dont chacun des membres est terriblement attachant.
À commencer par Guido Orefice. Tout juste arrivé dans la maison de son oncle et exerçant en tant que serveur dans le restaurant d’un grand hôtel, ce Toscan ne rêve que de deux choses : ouvrir sa librairie et épouser Dora, une jeune institutrice rencontrée fortuitement à plusieurs reprises. Débordant d’énergie, éternel optimiste, totalement exubérant, grand enfant, bavard intarissable et romantique charmeur, rien ne semble pouvoir mettre un terme à sa joie de vivre. Pas même l’oppression et la violence du camp de concentration et des soldats allemands, face auxquels il s’obstine à protéger son fils avec sourire, humour et inventivité. L’amour de cet homme pour sa femme et son fils transpire dans chacune de ses actions et décisions, le conduisant à prendre des risques énormes. En écrivant le personnage de Guido, Roberto Benigni s’est donc taillé un rôle sur mesure. Tous deux semblent ne former qu’une seule et même personne et ne peuvent en aucun cas laisser les spectateurs indifférents. Du fait de ses excès tant gestuels que verbaux, Guido ne peut être qu’adoré ou détesté par le public.
Face à lui, l’institutrice Dora apparaît bien plus calme et discrète, presque « coincée » au premier abord. Mais il est souvent dit que les opposés s’attirent. Elle tombe donc presque logiquement sous le charme de cet inconnu si imprévisible et trouve en Guido l’étincelle qui illumine sa vie, quitte à remettre en cause le destin que lui avait tracé sa mère. Rien ne la séduit, il est vrai, chez le bureaucrate fasciste qu’elle doit épouser, pas plus qu’elle ne se retrouve dans les mondanités qui entourent sa fonction. Dora se révèle également être une mère et une épouse aimante, au courage énorme lorsqu’elle demande à être elle aussi déportée pour suivre sa famille, bien qu’elle ne soit pas juive. Elle est interprétée par l’actrice Nicoletta Braschi, épouse à la ville de Roberto Benigni et habituée à figurer au casting de ses films.
Le petit Giosué, enfin, parvient sans difficulté à s’attirer les faveurs du public. Attachant, dégourdi, faisant de son mieux pour aider ses parents, il fait preuve d’une grande maturité pour son âge et d’un courage remarquable malgré l’épreuve qu’il traverse. Il s’agit ici du premier rôle au cinéma de l’acteur Giorgio Cantarini, alors âgé de cinq ans, qui lui vaut d’être repéré et d’apparaître plus tard dans le film Gladiator de Ridley Scott (Alien, le Huitième Passager, À Armes Égales : G.I. Jane). Aux côtés de cette famille, d’autres personnages se démarquent et arrivent à se rendre attachants malgré un temps de présence à l’écran moins important. Parmi eux, l’oncle de Guido, interprété par Giustino Dorino, ou encore son ami Ferrucio joué par Sergio Bustric.
De bons personnages ne suffisent toutefois pas à faire un bon film. Ils sont là au service d’un scénario fort, qui peut être découpé en deux segments distincts, occupant à peu près la moitié du long-métrage chacun. La Vie Est Belle prend dans un premier temps des airs de comédie romantique, s’intéressant à la rencontre de Dora et Guido. Ce dernier redouble constamment d’efforts pour séduire sa belle et la ravir à son fiancé. Un schéma narratif commun à nombre de comédies romantiques mais qui fonctionne à merveille ici grâce à la personnalité exubérante de Guido et aux stratagèmes improbables dont il use pour parvenir à ses fins. Bien qu’étant moins intéressante que la seconde moitié du film, cette partie n’en est pas moins essentielle pour présenter les différents protagonistes et donner plus de poids à l’union de cette famille.
Tout change quand survient la déportation de Guido et Giosué : les costumes, l’éclairage, les couleurs, tout s’assombrit. Le romantisme s’éclipse et le film, jusqu’alors gentillet, prend une toute autre dimension. Il se focalise désormais sur cette relation père-fils, qui crève l’écran dans ce contexte apocalyptique. Pris dans la dureté de cet environnement violent, Guido fait un choix. Un choix contestable mais débordant de bienveillance : celui de cacher la vérité à son jeune fils. Il se refuse ainsi à lui révéler les véritables raisons de leur déportation et construit tout un scénario pour lui faire croire qu’il ne s’agit que d’un grand jeu surprise mis en place pour son anniversaire. Guido ne semble pas connaître la demi-mesure et, par amour pour son fils, prend d’énormes risques afin de le cacher aux soldats allemands et de rendre crédible son histoire dans ce lieu qui n’a pourtant aucune allure d’un quelconque jeu. C’est ainsi que, dans une scène devenue culte, le père de Giosué se porte volontaire pour traduire les propos d’un caporal allemand venu expliquer aux détenus le règlement du camp. Les menaces de mort proférées par l’officier deviennent donc, dans la bouche de Guido, les règles improbables d’un jeu dont l’objectif est d’atteindre mille points pour gagner un char d’assaut, assorties d’une interdiction de réclamer un goûter. Cette deuxième partie est assurément le point fort du film grâce à son scénario qui, bien qu’hautement improbable et reposant sur un thème très délicat à traiter, s’avère être une formidable trouvaille. Mieux encore, à aucun moment Roberto Benigni ne donne l’impression de manquer de respect à la mémoire des véritables déportés, et ce malgré l’apparente légèreté avec laquelle il déroule son histoire.
La Vie Est Belle bénéficie en outre d’une bande originale d’une qualité remarquable. Le compositeur et pianiste Nicola Piovani signe une partition magnifique, tantôt entraînante, tantôt mélancolique. Le thème musical Buon Giorno Principessa est, à ce titre, particulièrement beau. Quant au thème principal, La Vita è Bella, il est rapidement devenu culte. Les fans de Disneyland Paris peuvent d’ailleurs l’entendre dans la boucle musicale de Front Lot, au Parc Walt Disney Studios. À noter que la chanteuse Noa en interprète une version chantée, intitulée Beautiful that Way pour l’album de la bande originale.
Le film sort en Italie le 31 décembre 1997 et cartonne en dépassant les 10,2 millions d’entrées. Quelques mois plus tard, en mai 1998, il est présenté en France au Festival de Cannes, où il remporte le Grand prix du jury. Le grand public hexagonal doit encore patienter jusqu’au 21 octobre 1998 : ils sont alors plus de 4,7 millions à le découvrir en salles. La version présentée en-dehors de l’Italie et éditée par la suite en DVD est toutefois raccourcie de quelques minutes. Difficile de connaître les raisons exactes de ces coupes. C’est The Walt Disney Company, via sa filiale Miramax Films, qui se charge de distribuer La Vie Est Belle à l’international. Aux États-Unis, elle propose même le film en DVD au sein de sa collection éducative : Disney Educational Productions. Dans un premier temps, le film est présenté aux Américains dans une version italienne sous-titrée, avant d’être finalement doublé en anglais en 1999. La Vie Est Belle rencontre enfin un grand succès à la 71e cérémonie des Oscars en 1999. Il y remporte trois récompenses : Oscar du meilleur acteur pour Roberto Benigni, du meilleur film étranger et de la meilleure musique pour Nicola Piovani. Cette même année, il est également à l’honneur de la 24e cérémonie des Césars, où il se voit décerner le César du meilleur film étranger.
Bien sûr, des critiques négatives se font également entendre, notamment en Italie, de la part de cinéastes ou de personnalités politiques. Certains ont même parlé de « révisionnisme historique », reprochant par exemple l’intervention de l’armée américaine pour libérer le camp et avançant qu’Auschwitz avait été évacué par l’armée soviétique. Roberto Benigni s’est toujours défendu en rappelant que le camp mis en scène dans son film n’est pas celui d’Auschwitz. Ces critiques n’empêchent toutefois pas son œuvre de demeurer un succès critique et public : il rapporte ainsi plus de 229 millions de dollars à travers le monde. Une réussite phénoménale compte tenu de son budget de production évalué à 20 millions de dollars. Il reste à ce jour l’un des films italiens les plus rentables.
Avec La Vie Est Belle, Roberto Benigni signe donc son plus grand succès et remporte son pari haut la main. Non seulement il parvient à mêler comédie (parfois burlesque) et romantisme dans un film autour de l’Holocauste. Surtout, mais il propose également un grand film, entraînant les spectateurs du rire aux larmes, tout en leur permettant de se questionner eux-mêmes : qu’auraient-ils fait à la place de Guido ? Quels mots auraient-ils choisi face à un enfant dans une telle situation ? Nul autre que Roberto Benigni lui-même ne peut avoir le mot de la fin : « Le rire nous sauve ; voir l’autre côté des choses, le côté surréel, amusant, ou parvenir à l’imaginer, nous empêche de nous briser, d’être emportés comme des fétus, nous aide à résister pour réussir à passer la nuit, même lorsqu’elle paraît longue. »