Black Widow
Titre original : Black Widow Production : Marvel Studios Date de sortie USA : Le 09 juillet 2021 (Cinéma • Disney+) Genre : Action IMAX 3-D Accès Premium |
Réalisation : Cate Shortland Musique : Lorne Balfe Durée : 134 minutes |
Le synopsis
Après la bataille qui a déchiré les Avengers, Natasha Romanoff est en cavale. Poursuivie pour avoir violé les Accords de Sokovie en aidant Steve Rogers et Bucky Barnes à s'enfuir, Black Widow est ainsi traquée par le Secrétaire d'État Thaddeus Ross, bien décidé à l'écrouer pour sa trahison. Ayant trouvé refuge en Norvège, elle tente de faire profil bas. Mais rien n'est jamais simple pour l'espionne, d'autant que le passé qu'elle pensait définitivement enterré va bientôt revenir la hanter... |
La critique
Apparue en 2010 dans Iron Man 2, Natasha Romanoff alias Black Widow devient vite l'une des figures incontournables du Marvel Cinematic Universe. Pourtant, l'espionne russe, tout comme son partenaire de longue date Clint Barton/Hawkeye, n'a pas eu la chance de décrocher son propre film « solo » durant les trois premières phases du MCU. C'est donc avec beaucoup de retard que Black Widow, réalisé par Cate Shortland, entend corriger le tir mais, comme son personnage phare, le long-métrage accumule les déboires. À la fois victime de multiples reports liés à la pandémie de COVID-19, des affrontements médiatiques entre Scarlett Johansson et Disney et d'un accueil du public loin d'être dithyrambique, Black Widow n'a rien de l'évènement espéré par Marvel Studios. Il n'empêche : le film offre tout de même une dernière aventure touchante à son personnage, tout en s'ancrant pleinement dans les grands thèmes de la phase IV du MCU : la diversité et l'héritage.
Dès 2010, à l'occasion de la sortie en vidéo d'Iron Man 2, Kevin Feige, le grand architecte du MCU, laisse entendre qu'un film centré sur Black Widow est envisagé et que des discussions avec Scarlett Johansson ont déjà eu lieu. Le personnage continue donc d'apparaître çà et là dans plusieurs longs-métrages majeurs du MCU mais, alors que les phases II et III se dévoilent, le projet d'un film solo pour l'espionne ne semble pas bouger d'un iota. Tout change en 2017, lorsque Kevin Feige et Scarlett Johansson se réunissent de nouveau pour discuter du film à venir. Dans la foulée, le projet se dote d'une scénariste qui écrit la première version du script : Jac Schaeffer. Certes, son histoire sera remaniée à plusieurs reprises, d'abord par Ned Benson puis par Eric Pearson, mais le talent de Jac Schaeffer n'est certainement pas passé inaperçu auprès de Kevin Feige, puisque l'artiste se voit confier quelques années plus tard la création de WandaVision, la toute première série produite par Marvel Studios pour Disney+ !
L'écriture du scénario est enfin lancée, reste maintenant à trouver le parfait réalisateur... Ou plutôt la parfaite réalisatrice. Marvel souhaite en effet apporter un regard féminin au film, tout comme le studio l'avait déjà fait en 2019 pour Captain Marvel grâce à Anna Boden, en duo avec son complice Ryan Fleck. Au total, The Hollywood Reporter révèle que Marvel s'est entretenu avec près de 70 artistes pour trouver la perle rare. Sur la liste des potentielles réalisatrices figurent ainsi les noms de Chloé Zhao (la future réalisatrice des (Les) Éternels), Amma Asante, Mélanie Laurent ou encore Maggie Betts, mais c'est finalement l'Australienne Cate Shortland qui l'emporte, devenant ainsi la première femme à réaliser seule un long-métrage pour Marvel Studios.
Née le 10 août 1968 à Temora, une petite ville de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie, Cate Shortland sort diplômée avec les honneurs en 2000 de la Australian Film Television and Radio School. Après avoir écrit et réalisé les courts-métrages Pentuphouse (1998), Flowergirl (1999) et Joy (2000), Shortland se tourne vers le petit écran, où elle assure la direction de plusieurs épisodes des séries Nos Vies Secrètes (Network Ten, 2001-2006) et Bad Cop, Bad Cop (ABC, 2002-2003). En 2004, elle rencontre un succès colossal grâce à son premier long-métrage, Le Saut Périlleux ; présenté dans la sélection Un certain regard durant l'édition 2004 du Festival de Cannes, l'opus rafle ensuite de nombreuses récompenses lors des plus prestigieuses remises de prix australiennes. Ses deux films suivants, Lore (2012) et Berlin Syndrome (2017), dans la même mouvance, sont eux aussi remarqués par la critique, qui encense le style de la réalisatrice. Pour Black Widow, Cate Shortland a donc l'occasion d'explorer à nouveau certains de ses thèmes fétiches, comme le voyage initiatique, les traces indélébiles du passé, et la lente guérison de femmes aux destins brisés.
Rapidement, il est décidé que l'histoire du film viendra s'intercaler entre Captain America : Civil War (2016) et Avengers : Infinity War (2018), laissant ainsi une liberté quasi-totale à l'équipe du film, puisque le personnage de Natasha est en cavale durant cette période, avant de rejoindre l'équipe clandestine de Captain America un peu plus tard. Malgré ces prémices et de façon surprenante, l'introduction du long-métrage emmène les spectateurs dans une tout autre direction en offrant au personnage une sorte d'origin story. La démarche intervient certes un peu tard, pour autant, Black Widow propose sans doute l'une des meilleures scènes d'ouverture du MCU. L'histoire débute en 1995, dans l'Ohio. Natasha Romanoff et sa sœur Yelena Belova, deux fillettes, coulent des jours heureux en banlieue avec leurs parents, Alexei Shostakov et Melina Vostokoff. Mais les apparences sont trompeuses, car les quatre membres de cette « famille » sont en réalité des agents russes infiltrés aux États-Unis pour dérober de précieuses données. Engagés dans une course-poursuite après avoir accompli leur mission, les quatre personnages atteignent finalement Cuba, où Alexei livre au Général Dreykov le fruit de son larcin. N'ayant plus de raison d'exister, la cellule familiale est dissoute, et Natasha et Yelena sont séparées avant d'être embrigadées dans la Chambre Rouge, la structure chargée d'entraîner de jeunes filles à devenir d'implacables espionnes meurtrières.
Un quart d'heure, c'est donc tout le temps que Black Widow accorde à l'exploration du passé de Natasha, l'histoire qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue. Et cela suffit, tant ces quelques minutes sont parfaitement orchestrées et racontent aux spectateurs tout ce qu'il y a à savoir sur l'enfance de l'héroïne. Il faut dire que ce prologue se trouve sublimé par le générique d'ouverture du film, une addition plutôt rare dans les longs-métrages signés par Marvel Studios. Black Widow est de fait le cinquième film du MCU à proposer des crédits au début du film, après L'Incroyable Hulk (2008), Iron Man 2, Les Gardiens de la Galaxie (2014) et Les Gardiens de la Galaxie Vol. 2 (2017).
C'est accompagné d'une reprise de Smells Like Teen Spirit de Nirvana, chantée par Malia J, que le générique de Black Widow entend révéler aux spectateurs toutes les horreurs perpétrées dans la Chambre Rouge à travers un montage hypnotique. Aux plans montrant des soldats mettant en joue des fillettes terrifiées succèdent des images de jouets et autres animaux en peluche abandonnés au sol, symbole d'une innocence perdue. Comme un simulacre d'enfance, les fillettes sont forcées de regarder des cartoons et des séries animées, parmi lesquelles La Bande à Picsou (1987-1990), non pas pour se divertir, mais pour se constituer une culture générale et automatiser leurs gestes afin de les rendre indétectables en tant qu'agentes infiltrées. Plusieurs images décrivent ensuite l'entraînement physique des futures Veuves ainsi que les expériences qu'elles ont dû subir, mais le générique cherche également à suggérer la puissance de la Chambre Rouge sur la scène politique et internationale. Le Général Dreykov, le chef de la Chambre Rouge, y est donc montré en présence de plusieurs chefs d'États comme Boris Eltsine, Bill Clinton ou Vladimir Poutine, les manipulant à loisir, tandis que de nombreuses images révèlent que les Veuves se trouvent fréquemment sur le lieu de grandes tragédies, et que ce sont elles qui ont appuyé sur la détente.
Avec un générique aussi sordide, Black Widow veut donc prouver sa singularité au sein du MCU. Il faut également noter que ce genre d'ouverture, qui cherche à donner le ton d'un film avec des images fortes soutenues par une chanson plus ou moins pop selon les époques, est complètement réminiscente des mythiques génériques de la saga James Bond. Rien de plus normal, puisque Black Widow ne cherche pas à cacher ses nombreux emprunts aux classiques d'un genre très prisé des spectateurs : l'espionnage.
Pétri de références aux grands films d'espionnage qui l'ont précédé, avec par exemple plusieurs clins d'œil appuyés à Moonraker (1979), Black Widow met un point d'honneur à collectionner tous les poncifs du genre. Les contrées (plus ou moins) dépaysantes, l'organisation secrète qui menace le monde entier ou encore les acolytes improbables, le film coche toutes les cases ! Natasha possède même son propre Q, le mythique pourvoyeur de gadgets et autres voitures de luxe dans la saga James Bond. Pour Black Widow, c'est Rick Mason, campé par l'acteur O-T Fagbenle (The Handmaid's Tale - La Servante Écarlate, Hulu, depuis 2017), qui se charge d'aider Natasha dans sa mission en lui procurant ce dont elle a besoin. Le film emmène également ses spectateurs dans un voyage à travers le monde (ou, plutôt, à la découverte de l'Eurasie). D'abord cachée au milieu des montagnes norvégiennes, aussi loin que possible des forces armées de Ross, Natasha est rapidement forcée d'abandonner son nouveau foyer pour partir sur les traces de son passé, à Budapest. Sur place, l'espionne de choc tombe nez à nez avec sa sœur, Yelena Belova, qu'elle n'a pas revue depuis plus de vingt ans. Après une séquence qui n'est pas sans rappeler la scène de l'appartement parisien tirée de La Mémoire dans la Peau (2002), les deux jeunes femmes vont former un duo détonnant, unies dans une même quête pour rassembler leur famille et mettre fin aux agissements de la Chambre Rouge.
À partir de cet instant, le scénario de Black Widow prend une direction plus classique et se permet même une certaine légèreté qui était jusque-là absente, tranchant radicalement avec la première partie du film marquée par les sinistres images du générique. Les scènes d'action qui ponctuent la suite du long-métrage, au demeurant efficaces, ne parviennent que rarement à marquer les esprits des spectateurs, en dehors peut-être d'une folle course-poursuite en véhicule au cœur de la ville. Il faut dire que les impressionnantes chorégraphies des combats ne brillent pas toujours comme elles le devraient, la faute à un montage nerveux et haché, sans compter que quelques effets spéciaux à la qualité douteuse viennent pointer leur nez en fin de film, alors même qu'ils ont su se faire discrets durant les deux premiers actes. Cate Shortland ne se distingue donc pas particulièrement dans la direction des scènes d'action, mais il est difficile de savoir si la réalisatrice a réellement eu son mot à dire ; Lucrecia Martel, qui a été approchée pour réaliser le film au début de sa production, révèle en effet au média The Daily Pioneer qu'elle a elle-même été fortement refroidie par Marvel, les exécutifs lui ayant dit qu'elle n'aurait pas à se soucier des scènes d'action et que le studio prendrait tout en charge.
Il est en revanche un domaine dans lequel Cate Shortland, habituée à filmer des parcours atypiques de femmes, excelle : le drame familial. La notion de famille a toujours été intrinsèquement liée à l'histoire personnelle de Natasha Romanoff. Celle qui a grandi sans aucun amour et sans repères dans la Chambre Rouge pensait enfin avoir trouvé une famille après sa défection vers l'ouest, en rejoignant le S.H.I.E.L.D.. Malheureusement, suite aux événements de Captain America : Le Soldat de l'Hiver (2014), l'agence a implosé à cause des cellules infiltrées de l'HYDRA, rendant, une fois de plus, Natasha orpheline. L'espionne n'a guère le temps de panser ses blessures auprès de sa seconde famille d'adoption, les Avengers, car de nouveau, c'est un autre repère de Natasha qui vole en éclats. Forcée de prendre parti durant la guerre dépeinte dans Captain America : Civil War et de se battre contre son meilleur ami, Clint Barton, Natasha se retrouve seule, encore. Enfin, et même si cet évènement se passe chronologiquement après le film Black Widow, Natasha apprend le nom de son père biologique dans Avengers : Endgame (2019), ultime preuve que la question de la famille, celle qu'elle n'a jamais eue comme celle qu'elle a choisie et manqué plusieurs fois de perdre, a jalonné le parcours du personnage pendant plus de dix ans.
Black Widow est donc tout autant un film d'espionnage qu'une comédie dramatique centrée sur la famille. Le pari est d'ailleurs audacieux, car les quatre personnages principaux ne partagent aucun lien du sang, et qu'ils ont surtout été réunis par le hasard. Pendant trois ans, ils ont été forcés de jouer leur rôle à la perfection, mais où s'arrête le jeu de dupes, et où les liens du cœur commencent-ils à se tisser ? Et surtout, après avoir subi autant d'expériences traumatisantes pendant plus de 20 ans, subsiste-t-il la moindre étincelle d'amour entre ces quatre personnes que tout semble éloigner ?
Cate Shortland répond parfaitement à ces questions grâce à sa réalisation très léchée des scènes de retrouvailles qui émaillent son film. La réalisatrice a l'œil pour capturer un regard, un geste qui en dit plus long que n'importe quelle réplique. Son plus beau travail se trouve à la fin du deuxième acte du film, où les personnages partagent un moment ensemble, dans une scène volontairement hors du temps. Rien ne se passe ou presque, les personnages se retrouvent et tentent de retisser des liens, ils rient, ils se font des reproches, bref, ils partagent. Cette longue pause, nécessaire dans un film qui n'est pas avare en scènes d'action survitaminées, donne aux spectateurs l'occasion de se connecter émotionnellement aux personnages, le tout sans aucune fausse note.
Il faut dire que la réalisatrice est aidée par un casting dont l'alchimie crève l'écran. Scarlett Johansson est, évidemment, de retour pour une neuvième (et dernière ?) apparition dans le MCU, dans le rôle de Natasha Romanoff/Black Widow. Celle qui est souvent perçue comme le cœur des Avengers, en raison de ses liens privilégiés avec presque tous les membres du sextuor original, débarque ici pour sa première aventure en solo, ou presque. Prête à tout pour effacer l'ardoise de son passé et empêcher d'autres jeunes filles de subir le même sort qu'elle, Natasha brille, certes, dans cette quête très personnelle, mais elle se fait pourtant voler la vedette par une nouvelle venue dans le MCU : sa propre sœur !
Yelena Belova apparaît en 1999 dans Inhumans (Vol. 2) #5, écrit par Paul Jenkins et Jae Lee. Depuis peu, la mythique cité d'Attilan, lieu de résidence des Inhumains, a été arrachée de la Lune pour atterrir sur une Atlantis émergée. Bien qu'il soit emprisonné, Maximus, le frère du roi Flèche Noir, parvient à convaincre le Colonel Yuri Stalyenko de l'aider à faire tomber le dôme protecteur d'Attilan ; pour ce faire, il envoie Yelena livrer à un agent américain un appareil capable de donner l'avantage aux humains. Yelena revient ensuite dans la première mini-série consacrée à Black Widow, créée par Devin Grayson et J. G. Jones, les deux artistes qui établiront véritablement les bases de ce nouveau personnage. Dans cette série en trois épisodes, Natasha est envoyée au Rhapastan enquêter sur une arme biologique. Yelena, désireuse de prouver qu'elle est la meilleure Black Widow, part elle aussi sur le terrain. C'est le début d'une rivalité qui va opposer les deux femmes...
Dans Black Widow, c'est à Florence Pugh (Midsommar, 2018, Les Filles du Docteur March, 2019) qu'est confié le rôle de Yelena Belova, et le résultat est simplement stellaire. Réimaginée en petite sœur adoptive de Natasha, Yelena est une toute jeune enfant lorsqu'elle est envoyée dans la Chambre Rouge pour y suivre son entraînement. Mais contrairement à son aînée, qui a eu droit à un conditionnement psychologique, Yelena, elle, a subi une altération chimique des fonctions cérébrales, ce qui la force, comme les autres Veuves de sa génération, à obéir aux moindres caprices du Général Dreykov. Libérée des effets du conditionnement par un gaz synthétique dès le début du film, Yelena peut enfin laisser éclater au grand jour sa vraie personnalité. Et quelle personnalité ! Enjouée, sarcastique, mais aussi très forte, la jeune femme traîne après elle des années de traumatismes et de plaies qui ne tardent pas à se rouvrir lorsque la famille finit par se réunir. Son duo avec Natasha fonctionne à merveille, tant le scénario du film réussit à capturer l'essence d'une vraie relation sororale teintée de rivalité, de disputes, mais aussi de beaucoup d'affection.
Alexei Shostakov, alias Red Guardian, voit quant à lui le jour dans les pages d'Avengers (Vol. 1) #43 en 1967, sous la coupe des légendaires Roy Thomas et John Buscema. Alors que la guerre froide bat son plein, le gouvernement soviétique cherche à obtenir sa propre version de Captain America. C'est ainsi que le KGB met en scène la mort d'Alexei, un pilote émérite, afin de l'entraîner en secret à devenir le porte-étendard de l'Union soviétique. Quelques années après, Black Widow, devenue l'alliée des Avengers, est enlevée en Chine, où elle se trouve en mission secrète pour Nick Fury. Devant une Natasha médusée, Red Guardian, l'un de ses geôliers, enlève son masque et révèle sa véritable identité : il n'est autre que son mari, qu'elle pensait mort !
Pour Black Widow, c'est David Harbour (Hellboy, 2019, Strangers Things, depuis 2016) qui enfile le justaucorps, devenu un peu trop petit pour lui avec les années, de Red Guardian. Alexei, comme son homologue de papier, est certes un homme fidèle à sa patrie, mais il est en contrepartie beaucoup moins sérieux. Ses beaux jours sont derrière lui, mais Alexei s'accroche mordicus à l'idée qu'il pourrait encore être le plus grand héros de la Russie. En réalité, il est non seulement le personnage le plus drôle du film mais aussi, peut-être, l'un des plus touchants dans sa maladresse sincère et sa volonté de réparer les erreurs du passé. Bourré de défauts, sa force de colosse cache en réalité un cœur d'or.
De son côté, Rachel Weisz (La Momie, 1999, Le Monde Fantastique d'Oz, 2013, La Favorite, 2018) endosse le rôle de Melina Vostokoff, une autre Veuve et la mère d'adoption de Natasha et de Yelena. Plus difficile à cerner que les autres personnages, Melina est une scientifique qui, comme les autres, a fortement souffert de l'implosion de sa famille. Après plusieurs passages dans la Chambre Rouge, Melina a appris à ne jamais rien laisser transparaître, à l'inverse d'Alexei, avec qui elle forme un improbable tandem.
Née en 1983 de la plume de Ralph Macchio et des pinceaux de George Pérez dans Marvel Fanfare (Vol. 1) #11, Melina est une espionne russe qui a vécu dans l'ombre de Natasha Romanoff, avant que cette dernière n'abandonne sa mère patrie pour rejoindre les Avengers. Habillée d'une armure et se faisant appeler la Vierge de Fer, Melina se frotte une première fois à Natasha en compagnie d'autres mercenaires puis rejoint plus tard le groupe de super vilaines appelé les Fémizones.
Les quatre personnages principaux sont donc très réussis, mais la même chose peut difficilement être dite des deux grands méchants du film. Malgré quelques éclairs de génie, les antagonistes accumulent trop de défauts qui les empêchent d'être complètement convaincants.
Mentionné dès Marvel's Avengers en 2012, le Général Dreykov apparaît enfin dans le MCU sous les traits de Ray Winstone, aperçu auparavant dans Le Roi Arthur (2004), Le Monde de Narnia - Chapitre 1 : Le Lion, la Sorcière Blanche et l'Armoire Magique (2005) et Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (2008). Personnage inédit du film, Dreykov est une figure particulièrement importante de l'Union soviétique, puis de la Russie. En tant que chef de la Chambre Rouge, l'homme monstrueux se charge d'enlever ou d'acheter des jeunes filles avant de les briser mentalement pour en faire des tueuses sanguinaires infiltrées partout sur Terre. Dreykov a le potentiel d'être un grand méchant, grâce à sa seule influence dans l'ombre des grandes puissances mondiales et sa cruauté sans bornes. Le hic, c'est que l'écriture de son personnage est un poil trop irrégulière. Le développement de Black Widow commence véritablement à la toute fin de l'année 2017, quelques semaines après que le mouvement #MeToo est devenu viral, libérant la parole des personnes, notamment les femmes, ayant subi des violences physiques, des attouchements sexuels et des viols. Dans cette optique, Scarlett Johansson a souhaité que le film offre un commentaire social sur ces violences :
Nous devions nous exprimer à propos de cet incroyable mouvement de femmes soutenant d'autres femmes, et qui traversent ces expériences traumatisantes en avançant et en se soutenant les unes les autres. […] Au tout début, au moment de parler sérieusement du propos du film, nous étions au début du mouvement #MeToo et je me suis dit qu'on ne pouvait pas manquer l'occasion de faire un parallèle entre ces deux choses [les abus perpétrés par des hommes puissants et le personnage de Dreykov].
Interview accordée à Yahoo! Entertainment le 8 juillet 2021.
Le Général Dreykov est donc dépeint comme un homme vil, abusif et misogyne, qui utilise les femmes comme des ressources dont il peut se débarrasser lorsqu'elles sont devenues inutiles à ses yeux. Ses premières apparitions font d'ailleurs de lui un personnage terrifiant. Là encore, le travail de Cate Shortland est remarquable ; lorsqu'elle filme Dreykov, il suffit d'un coup d'œil jeté à une jeune fille, un geste dédaigneux ou un rapprochement inconvenant pour rendre le méchant glaçant. Peu aidé par l'accent russe pour le moins fantaisiste de Ray Winstone, le personnage manque seulement d'un soupçon de subtilité lorsqu'il déclame plusieurs lignes de dialogues un peu trop grandiloquentes.
Taskmaster, enfin, est le second méchant d'importance du film, et il représente une véritable menace dans la quête de Natasha et de sa famille. Dans les comics, le Maître de Corvée, comme il se fait appeler en français, est créé par David Michelinie et George Pérez en 1980 dans Avengers (Vol. 1) #195. Doté de réflexes photographiques hors du commun, Tony Masters est capable de copier les gestes et techniques de combat de n'importe lequel de ses adversaires. En bon mercenaire, le Maître de Corvée vend ses services au plus offrant, et tant pis pour l'éthique et la morale.
Dans Black Widow, Taskmaster n'a à peu près plus rien à voir avec le mercenaire d'origine. Muet pendant la quasi-totalité du film, là où son homologue de papier a la langue bien pendue, Taskmaster est certes un ennemi redoutable, mais le spectateur n'arrive jamais véritablement à s'intéresser au personnage, tant il est dépourvu de toute personnalité ; en fait, il n'est qu'une énième preuve du machiavélisme de Dreykov. Dans Captain America : Le Soldat de l'Hiver, Bucky Barnes aurait pu subir un problème similaire, en tant que machine à tuer de l'HYDRA, mais le lien émotionnel très fort qui existait autrefois entre Captain America et son meilleur ami suffisait à engager les spectateurs. Dans Black Widow, à l'inverse, l'identité du personnage est dévoilée trop tardivement, y compris pour Natasha et sa famille, qui ne ressentent aucune véritable implication lors des premiers affrontements qui les opposent à Taskmaster. Du reste, le personnage demeure puissant et impressionnant, grâce à l'usage de techniques soutirées à plusieurs des plus grands héros, Captain America, Hawkeye et Black Panther en tête. Il est juste dommage d'avoir ainsi « gâché » un personnage de comics aussi fascinant que Taskmaster ; tout n'est pas perdu, puisque Marvel Studios pourrait bien, un jour, redresser la barre, maintenant que les bases sont posées.
Au début de l'année 2020, la pandémie de COVID-19 force les autorités chinoises à ordonner la fermeture de nombreuses structures recevant du public, dont les Parcs Disney et les cinémas, en vue de limiter les contaminations qui se font de plus en plus rapides en Chine. Dans ces conditions, et alors que nombre de films américains comptent sur le box-office chinois, Hollywood scrute la situation d'un air fébrile. En mars 2020, No Time to Die, le dernier-né de la saga James Bond, est le premier film américain à voir sa sortie repoussée. Bientôt, Disney emboîte le pas à MGM Studios : plusieurs de ses futurs blockbusters, dont Black Widow, sont une première fois repoussés, en même temps que la fermeture des salles dans plusieurs pays, la France et les États-Unis en tête, condamnent la carrière d'En Avant, le dernier film de Pixar Animation Studios. Prévu à l'origine pour sortir le 1er mai 2020, Black Widow se voit donc reporté au 6 novembre 2020, prenant la place des (Les) Éternels. En septembre 2020, les résultats de Tenet à l'international, ainsi que ceux de Mulan au box-office chinois, inquiètent Disney ; décision est donc prise de repousser une seconde fois le film, cette fois au 7 mai 2021. Au début de l'année, les rumeurs s'affolent sur le net et dans la presse : Disney songerait à proposer le nouveau Marvel au cinéma et sur Disney+, en Accès Premium, sur le même modèle que Raya et le Dernier Dragon. Kevin Feige et Bob Chapek, le Directeur général fraîchement nommé à la tête de The Walt Disney Company, se veulent rassurants, en indiquant qu'un tel projet n'est pas à l'ordre du jour. La nouvelle tombe pourtant à la fin du mois de mars : Black Widow est repoussé une nouvelle et dernière fois, au 9 juillet 2021, avec une sortie conjointe au cinéma et sur Disney+, au tarif de 29,99 dollars. La France, elle, ne bénéficie pas de la possibilité de voir le film sur la plateforme, en raison de la chronologie des médias, spécificité de l'Hexagone.
Le 29 juillet 2021, Scarlett Johansson porte plainte contre Disney pour rupture de contrat. L'actrice, qui officie également en qualité de productrice exécutive sur le film, indique que la sortie de Black Widow sur Disney+ entraîne la violation de l'une des clauses de son contrat, qui stipule que le film est prévu pour sortir uniquement dans les salles de cinéma, Johansson devant bénéficier d'un intéressement aux recettes générées au box-office. La plainte déposée précise également que Scarlett Johansson a, avant de recourir à la justice, tenté de négocier avec Disney, sans succès. Dans la foulée, Disney réagit publiquement dans un communiqué empli de dédain, et qui tente de faire passer l'actrice pour une femme égoïste, voire vénale :
Ce dépôt de plainte est sans fondement. Cette plainte est particulièrement triste et affligeante en raison de l'insensible mépris qu'elle porte à l'égard des horribles effets mondiaux prolongés de la pandémie de COVID-19. Disney a pleinement respecté le contrat de Madame Johansson et, de plus, la sortie de Black Widow sur Disney+ avec Accès Premium a considérablement augmenté sa capacité à gagner une rémunération supplémentaire, en plus des 20 millions de dollars qu'elle a déjà reçus.
L'affaire défraie la chronique, et la réponse méprisante de Disney vaut à Scarlett Johansson d'être soutenue par de nombreuses organisations comme la Creative Artists Agency et Women in Film. En interne aussi, c'est la crise : selon le média TheWrap, Bob Iger, Président exécutif, Président du conseil d’administration et ancien Directeur général de The Walt Disney Company, est mortifié par toute cette histoire et par la politique menée par son successeur, Bob Chapek. Kevin Feige, de son côté, est purement et simplement furieux contre Disney. Deux jours après le dépôt de plainte et la réponse assassine de Disney, il se murmure à Hollywood que deux autres actrices, qui ont elles aussi vu leurs films sortir sur Disney+, pourraient songer à porter plainte à leur tour : Emma Stone (Cruella) et Emily Blunt (Jungle Cruise). Après de violents retours de flamme, Disney accepte au mois d'août de régler à l'amiable la situation, en proposant une compensation financière à l'actrice.
Black Widow est au final une belle addition au MCU. Certes, le film est loin d'être parfait, mais il est indéniable qu'il a du cœur. Long-métrage centré sur les questions de la famille et de la difficile guérison de personnages bourrés de traumatismes, il s'inscrit aussi dans les thèmes de la phase IV du MCU. Avec son casting majoritairement féminin et ses réflexions sur l'aide et le soutien entre femmes, Black Widow se revendique comme une œuvre féministe. Comme Falcon et le Soldat de l'Hiver avant lui, qui explore de manière frontale les ravages du racisme, mais aussi les projets de Loki et des (Les) Éternels qui promettent d'amener davantage de personnages non-hétérosexuels, ou encore Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux et Miss Marvel et leurs castings majoritairement asiatiques, Black Widow commente la société contemporaine de jolie façon, tout en apportant une plus juste représentation au sein du MCU. Enfin, et même s'il donne l'occasion aux spectateurs de dire une dernière fois adieu à Natasha Romanoff, Black Widow est aussi un film sur le renouveau et l'héritage : avec Yelena Belova, campée par l'excellente Florence Pugh, la relève est assurée.