Le 13ème Guerrier
Le synopsis
Nommé ambassadeur en Asie Mineure, Ahmed Ibn Fahdlan, ancien poète à la cour du calife de Bagdad, fait la rencontre de Vikings qui l'enrôlent afin d'aider le roi Rothgar à combattre des « mangeurs de morts ». Homme de lettres incapable de manier une arme, celui qui n'a jamais combattu devient alors malgré lui le 13ème guerrier de la compagnie... |
La critique
Le 13ème Guerrier est un film spécial dans la longue filmographie des studios Disney. Produit par la filiale Touchstone, surtout connue pour ses comédies familiales et ses films d'action, il se démarque en effet par un thème et une réalisation aux antipodes de ce que l'entreprise a coutume de faire. Il se rapproche en cela du si controversé Apocalypto, réalisé par Mel Gibson en 2006. Mis en scène par John McTiernan, il s'inspire du best-seller Les Mangeurs de Morts de Michael Crichton, dont l'action, à cheval sur le Proche-Orient et la Scandinavie, prend place au Xe siècle. Surtout, Le 13ème Guerrier est un film à part tant sa production fut calamiteuse. Peu de longs-métrages ont, il est vrai, connu une création aussi chaotique pour, au final, présenter au public un film ne respectant pas la vision de son réalisateur et ne remboursant absolument pas ses coûts de production.
Initialement titré, comme le livre en version originale, Eaters of the Dead, la production du (Le) 13ème Guerrier débute à l'été 1997. A l'époque, les studios Disney et la filiale Touchstone pensent avoir mis la main sur une pépite. L'ouvrage est, il est vrai, issu de l'imaginaire de Michael Crichton, dont les ouvrages les plus récents, de Congo au (Le) Monde Perdu, en passant par Sphère, Jurassic Park, Soleil Levant et Harcèlement, ont donné naissance à de beaux succès au box-office. Ils misent alors beaucoup sur l'une des premières œuvres de l'écrivain, assez proche de la légende si connue de Beowulf, publiée en France dès 1976 sous le titre Le Royaume de Rothgar et rééditée ensuite en 1994 sous un nouveau nom, Les Mangeurs de Morts.
L'histoire est celle d'Ahmed Ibn Fahdlan, poète arabe ayant vécu au Xe siècle dans le Califat de Bagdad. Lettré ayant beaucoup voyagé et ayant produit une œuvre considérable, il participe aux expéditions militaires menées par Muhammad Ibn Sulaymân vers la Chine. En 921, il devient secrétaire d'ambassade du calife Al-Muqtadir et quitte Bagdad aux côtés d'hommes d'Eglise, d'historiens, de diplomates pour le royaume des Bulgares de la Volga, situé aux limites entre l'Europe et l'Asie. L'objectif est alors de rencontrer de nouveaux peuples, de faire rendre hommage au roi Almish et d'expliquer la religion musulmane, à l'époque en pleine expansion. Passant par Bolgar, en actuelle Russie, il commence à raconter son voyage dans un ouvrage connu sous le nom d'Epître d'Ibn Fahdlan. Pendant trois ans, il consigne les us et coutumes des peuples qu'il croise ainsi que leurs pratiques commerciales. Parmi les étrangers qu'il rencontre, les Perses, les Turcs, les Bulgares et ceux que Ibn Fahdlan nomme les Rus, des Vikings de Suède qui l'étonnent par leur carrure, leur adoration des idoles, leurs nombreux tatouages, leur habitude à se peindre les cheveux, leurs armes et leurs habitudes vestimentaires. Parmi les évènements majeurs auxquels il assiste, il s'arrête en outre longuement sur les funérailles d'un chef dont l'un des moments les plus marquants est un sacrifice humain. L'Epître d'Ibn Fahdlan reste au final une œuvre considérable et une source historique formidable sur les peuples d'Europe centrale et du Nord.
Le projet d'adapter l'œuvre de Michael Crichton, elle-même inspirée des récits d'Ibn Fahdlan, est confié au réalisateur John McTiernan. Né à Albany, dans l'Etat de New York, le 8 janvier 1951, McTiernan fait ses études à la prestigieuse école Juilliard, avant d'entrer au AFI Conservatory d'où il sort avec un Master of Fine Arts. En 1986, il met en scène son premier film, Nomads, échec au box-office avec Pierce Brosnan dans le premier rôle. Il enchaîne ensuite avec deux énormes succès, Predator avec Arnold Schwarzenegger, et Piège de Cristal avec Bruce Willis. Etiqueté réalisateur de films d'action, il travaille ensuite sur À la Poursuite d'Octobre Rouge avec Alec Baldwin et Sean Connery, qu'il retrouve dans Medecine Man. Sa filmographie compte également des films comme Last Action Hero, qui marque ses retrouvailles avec Schwarzenegger, Une Journée en Enfer où il retrouve Bruce Willis dans le rôle de John McClane, Le 13ème Guerrier, Thomas Crown (avec Pierce Brosnan), Rollerball et Basic. Mais sa carrière est stoppée nette par des démêlés judiciaires qui le conduisent en prison. John McTiernan est en effet impliqué dans une affaire d'écoutes illégales, notamment contre le producteur de Rollerball, Charles Royen. Accusé de mensonge devant les autorités du FBI, il est condamné à un an de prison en août 2012 et incarcéré le 3 avril 2013. Libéré le 25 février 2014, il prépare son prochain film, Red Squad...
Le 13ème Guerrier met en scène Antonio Banderas dans le rôle-titre d'Ibn Fahdlan. Né le 10 août 1960 à Benalmádena, en Espagne, Banderas envisage de devenir footballeur avant de se consacrer au métier d'acteur au sein de l'Ecole d'Art Dramatique de Málaga. Repéré par Pedro Almodovar, il apparaît dans Le Labyrinthe des Passions, Matador, La Loi du Désir et Attache-Moi. Au début des années 1990, il poursuit sa carrière à l'international, surtout aux Etats-Unis, et joue notamment dans La Maison aux Esprits, Philadelphia, Entretien avec un Vampire, Desperado, Assassins, Evita et Le Masque de Zorro. Après Le 13ème Guerrier, il joue dans Spy Kids, Frida, La Légende de Zorro, Or Noir, Expendables 3 et prête sa voix au Chat Potté. Triomphant au théâtre dans la comédie musicale Nine, il passe également derrière la caméra et réalise notamment La Tête dans le Carton à Chapeaux.
Le reste du casting du (Le) 13ème Guerrier est surtout composé d'acteur méconnus. L'acteur tchécoslovaque Vladimir Kulich joue Buliwyf, le chef viking. Les 11 guerriers qui l'accompagnent sont campés par Dennis Storhoi, Daniel Southern, Neil Maffin, John DeSantis (Master and Commander, De l'Autre Côté du Monde), Clive Russell (Le Roi Arthur, Thor : Le Monde des Ténèbres), Mischa Hausserman (Le Rideau Déchiré, Une Journée en Enfer, Thomas Crown), Oliver Sveinall, Asbjorn Riis, Richard Bremmer (Harry Potter à l'Ecole des Sorciers), Tony Curran (Gladiator, Pearl Harbor, Thor : Le Monde des Ténèbres) et Albie Woodington. Egalement au générique, l'acteur Sven Wollter dans le rôle du roi Rothgar, et Diane Venora (Heat, Roméo + Juliette) dans celui de la reine Weilew. L'acteur égyptien Omar Sharif, légende à l'affiche de Lawrence d'Arabie, Le Docteur Jivago, Genghis Khan, Mayerling, Hidalgo - Les Aventuriers du Désert et 10 000, joue quant à lui le compagnon d'Ibn Fahdlan, Melchisidek.
Casting impeccable, décors magnifiques, scénario plein de promesses, cadre exotique, respect de l'œuvre d'Ibn Fahdlan (notamment l'épisode du sacrifice humain) Le 13ème Guerrier est, sur le papier, une machine à cash que les studios Disney mettent en chantier en investissant quelques 160 millions de dollars. McTiernan, dont le talent à filmer des scènes d'action n'est plus à démontrer s'en donne à cœur joie en injectant du rythme dans chaque scène. Mais rapidement, ce qui est prévu pour être un succès devient une véritable gageure. Le 13ème Guerrier inscrit son nom dans la longue liste des « films malades », ces productions calamiteuses ayant accouché de montages moyens, voire de films incohérents et au final de jolis bides au box-office. John McTiernan et Michael Crichton, qui produit le long-métrage, sont incapables de se mettre d'accord. Le réalisateur tourne ses scènes, assure le minimum syndical et quitte le navire en pleine post-production. Les projections publiques sont catastrophiques. La date de sortie est repoussée, le titre est changé et Crichton reprend alors le projet, tourne quelques scènes, et remonte le film. Au passage, Graeme Revell, le compositeur, est viré et remplacé par Jerry Goldsmith. Auteur des bandes originales de films comme La Planète des Singes, Patton, Alien - Le Huitième Passager, Gremlins, L.A. Confidential ou encore Mulan et La Momie, il livre, malgré les remous de la production, une bande originale superbe.
Le 13ème Guerrier sort finalement sur les écrans américains le 27 août 1999, 9 jour après la sortie française et surtout un an après la date prévue au début de la production ! Et ce qui doit arriver dans de telles conditions de réalisation est inévitable. Certains critiques américains pointent les faiblesses du montage, Roger Ebert reprochant notamment au film son caractère décousu, passant d'une scène à l'autre sans prendre le temps de raconter une histoire intéressante à suivre. Même Omar Sharif, qui décide de se retirer des écrans après cette production calamiteuse, parle d'un mauvais film, d'un réalisateur qui ne sait pas où il va et d'un script insipide. Quelques critiques sont cependant positives, James Berardinelli parlant de 100 minutes de pure exaltation. Lors de son premier week-end d'exploitation, l'opus parvient à se placer 2ème derrière Sixième Sens. Mais le bouche-à-oreille dessert le film. Le 13ème Guerrier est un échec cuisant au box-office et ne rapporte qu'environ 60 millions de dollars, laissant au passage une ardoise de 100 millions !
Pourtant, à l'image d'autres films dits « malades », Le 13ème Guerrier regorge de qualités. L'expression de « grand film malade » est inventée par François Truffaut lorsqu'il évoque Pas de Printemps pour Marnie d'Alfred Hitchcock. Pour lui, il s'agit d' « un chef-d'œuvre avorté », d' « une entreprise ambitieuse qui a souffert d'erreurs de parcours » comme « un beau scénario intournable, un casting inadéquat, un tournage empoisonné par la haine ». Parmi la liste de ces films « intournables », des productions comme Cléopâtre de Mankiewicz, Shining de Kubrick, ou encore A.I. Intelligence Artificielle de Spielberg. Tous ces films ont bénéficié du talent d'immenses réalisateurs, de brillants acteurs, de décors somptueux, mais ont souffert de scénarios bancals (le script d'A.I. Intelligence Artificielle par exemple), de tournage compliqués (Cléopâtre), de querelles de clochers (les conflits entre Kubrick et Stephen King). Et finalement, tous sont pourtant devenus assez mythiques, voire cultes. Le 13ème Guerrier remplit ces critères. Mais le film ne doit pas rougir de ses qualités, au premier rang desquelles des scènes d'action remarquables, une histoire prenante, une partition sans faute, des acteurs à leur place. Mais voilà : le tout laminé par une post-production massacrée par le producteur Michael Crichton.
Correspondant parfaitement à la définition du « grand film malade » de François Truffaut, Le 13ème Guerrier demeure un grand film d'action, rempli de qualités, mais dont les imperfections liées à une production chaotique laisseront beaucoup de spectateurs sur leur faim. Vision dénaturée du script de John McTiernan, le divertissement est donc au rendez-vous d'une oeuvre qui reste bancale et au final frustrante... Dommage.