Tiana, la Princesse Mortifère ?
L'article
La Princesse et la Grenouille, le pari fait par Disney sur le retour de l'animation 2D, en grandes pompes au cinéma, est laborieux. A seulement 100 millions de recettes au box-office américain en 2 mois, Tiana et ses amis prennent, en effet, leurs temps pour attirer à eux le public.
Retour sur un phénomène commercial atypique : un film au démarrage excessivement faible qui, se maintenant (voire progressant !), se rattrape sur la durée...
La qualité du film est-elle en
cause ?
Assurément non.
La Critique est et reste unanime (à quelques « retourneurs de vestes » près) : La Princesse et la Grenouille est un bon film qui réunit toutes les qualités du genre. Sa réalisation est soignée, ses personnages attachants, sa bande originale entrainante et son histoire universelle : difficile, dans ces conditions, d'y dénicher une raison de désamour. Au contraire, même !
La campagne de promotion
a-t-elle fait fausse route ?
Sans doute.
Disney a pêché par excès d'assurance. Auto-satisfait de voir le label revenir sur un genre (le conte de princesse) qui le caractérise, jusqu'à son emblème, le studio a oublié un élément de taille : la signature Disney ne permet plus, à elle-seule, de faire déplacer les foules ; là où Pixar, par exemple, attire le spectateur sur son seul nom. Disney paye aujourd'hui les années d'errance de Michael Eisner qui a fini, à force de facilités éditoriales et de médiocrités techniques, par détourner le public de ses films. A trop avoir donné dans la soupe, le studio de Mickey a banalisé, en effet, ses œuvres au point qu'elles ne créent plus, aujourd'hui, l'évènement. Ce constat fait, un documentaire en prime-time à la télévision, vantant la magie Disney, (jusqu'à peu, débitée en tête de gondole à grands coups de suites insipides) ne convainc plus grand monde. Le film est ainsi peu repris dans la presse, qui, si elle en salue les qualités, n'insiste pas plus que ça sur l'intérêt d'y emmener ses mômes. Mômes qui ont du reste de quoi s'interroger sur ce qu'on cherche à leur vendre... Une princesse en robe d'apparat est ainsi présente sur tous les visuels alors même qu'elle n'apparait, représentée de la sorte, que quelques minutes dans tout le film... Résultat : les petites filles accourent puis se lamentent de voir au final une aventure d'animaux se dérouler sous leurs yeux entre grenouille, croco et luciole tandis que les petits garçons n'accordent, eux, aucune attention aux teasers proposés, persuadés de se trouver là uniquement en présence d'une énième histoire de fille, apprentie princesse... Dès lors, les éloges de la Critique ne font plus le poids face à un bouche-à-oreille où personne ne trouve finalement son compte.
La date de sortie constitue-t-elle une erreur ?
Clairement oui.
Sortir deux Disney de Noël est
une hérésie que le second film paye cash ! Assis sur un angle de promotion peu
inspirée, Tiana et ses amis n'avaient en réalité que peu de chances de résister
aux déferlements orchestrés par ailleurs, que cela soit par Disney (Le
Drôle de Noël de Scrooge) ou par les autres studios (Avatar, Alvin
et les Chipmunks 2).
La Princesse et la Grenouille
relève néanmoins la tête en fin d'exploitation ; les spectateurs le choisissant
visiblement comme ultime choix de séance, après avoir vu les autres blockbusters
à l'affiche contre lui.
Pour le coup, Disney France
semble avoir été mieux inspirée en reportant la sortie aux vacances de février,
devenues depuis quelques années déjà, une fenêtre de diffusion très profitable à
ses œuvres. La question reste de savoir si cette décision est le fruit d'une
réflexion aboutie ou simplement la conséquence de l'embouteillage habituel de
films constaté chaque fin d'année ; Disney France devant se résoudre à soutenir,
bon gré mal gré, le peu glorieux (Le)
Drôle de Noël de Scrooge dont la sortie ne pouvait se faire qu'à Noël, compte tenu de son
thème...
L'animation 2D est-elle
passée de mode?
Oui.
Abreuvé d'animation 3D en tout genre, le public semble irrémédiablement s'être détourné de la simple 2D. Autant est-il toujours prêt à la plébisciter à la télévision ou en vidéo (en témoignent les audiences des émissions "jeunesse" la diffusant ou les chiffres de ventes des DVD la proposant), autant il ne semble plus disposé à payer, pour elle, une place de cinéma. Ce phénomène est d'autant plus marqué quand le film n'affiche, pour seule ambition, que de renouer avec une tradition passée, largement exploitée par ailleurs sur le petit écran ou directement en vidéo.
Le film est-il un fiasco
commercial ?
Fiasco est assurément un mot trop fort. Un échec : oui et non.
Oui, si l'on juge son
résultat au box-office américain qui ne couvre pas, à lui seul, ses frais de production et promotion. A seulement
86 millions de dollars de recettes,
La Princesse et la Grenouille affiche un compte d'exploitation clairement négatif.
Ses résultats à l'international devraient néanmoins lui permettre de devenir
rentable même si les premiers pays à l'avoir sorti ne lui font pas honneur :
le film s'étant ramassé en Allemagne et en Italie...
Non, si l'on juge ses
capacités à engranger des recettes sur la durée. En outre, les ventes de DVD
ne devraient pas souffrir de ses résultats en demi-teinte au cinéma tant le concept des
films de princesse s'arrache en vidéo. Enfin, le marchandisage tourne à plein et
annonce une belle - et juteuse ! - franchise...
Le racisme ordinaire a-t-il
gêné la carrière du film ?
Non.
Même s'il est difficile d'être catégorique en cette matière, il est plus que contestable de se retrancher derrière cet argument. Déjà, sur le sol américain, l'accession de Barak Obama à la magistrature suprême démontre, malgré les fortes tensions communautaires, la capacité des gens à ne pas s'arrêter à la couleur de peau : ainsi, à l'évidence, les WASP n'ont pas boudé le film, et à contrario, les Black ne l'ont pas plus plébiscité... Sur le marché européen, la question ne se pose même pas : Tiana y est vue comme une princesse à la sauce Disney aussi légitime que les autres.
L'accueil du public français
va-t-il se démarquer des autres pays ?
Les paris sont ouverts.
Les partisans du « oui »
avanceront que le marché français du cinéma est atypique, tant le poids de ce
que les professionnels et politiques dénomment « l'exception culturelle » s'y
fait lourd. L'aura d'un conte de princesse à la sauce disneyenne (qui plus est
réussi !) est, en outre, toujours très fort de ce côté de l'Atlantique ; tous
les jours soigneusement entretenu par
Disneyland Paris auprès de ses millions
de visiteurs à grands coups de parade de princesses. Enfin, la date de sortie,
moins exposée, est de nature à grappiller de précieux spectateurs...
Les partisans du « non »
argumenteront, eux, que les mêmes causes produisant les mêmes effets, le public
français comme les autres, boudera ce film dont le thème et la technique
d'animation n'apparaissent désormais exploitables que sur les seuls marchés de
la vidéo et de la diffusion télé. Le phénomène de désaffection sera d'ailleurs
amplifié par un désengagement - supposé aller de soi - de Disney France dans la
promotion du film ; les restrictions budgétaires décidées par sa maison mère,
contraignant la filiale tricolore à assurer le strict minimum promotionnel,
plombant un peu plus ses résultats en salles.
La Princesse et la Grenouille
est-elle le premier faux pas de John Lasseter ?
Clairement non.
John Lasseter paye là, en
réalité, les innombrables erreurs de la gouvernance de Michael Eisner (dans la
seconde moitié de son règne) qui ont dégradé durablement l'aura de la signature
Disney. Pour La Princesse et la Grenouille,
l'action de John Lasseter doit au
contraire être saluée car il a fait un pari à la fois osé, passionné et
raisonné. Osé pour avoir tenté de remettre au gout du jour un art (l'animation
2D) injustement délaissé, passionné pour avoir ambitionné de redonner dans le
cœur du public sa place au label Disney et raisonné pour avoir limité le budget
de sorte que le film soit, au bout du compte, rentable pour son studio.
John Lasseter suit la bonne
ligne de conduite, faite de vision à long terme, d'ambition artistique et de
réalisme économique.
Le résultat en demi-teinte de La Princesse et la
Grenouille signe-t-il l'arrêt de mort de la 2D Disney ?
C'est trop tôt pour le dire
mais le risque est non seulement bien là... Mais aussi, bien pire !
Car l'arrêt de mort de la 2D Disney – à destination du cinéma s'entend - n'est pas le seul enjeu tant le coup porté par la chute de Tiana est rude. A la vue de l'accueil plus que timoré du public, l'animation 2D, sous signature Disney, a, en effet, peu de chance de revenir dans les salles obscures, du moins dans le cadre d'une histoire avec personnages inédits. Ainsi, si Winnie l'Ourson a sans doute la capacité de sauver sa tête (d'abord pour une raison pratique, le film étant quasiment achevé !) les autres projets 2D, actuellement dans les cartons des studios, apparaissent en grand danger...
Ensuite, sans animation 2D à destination du grand écran, que reste-t-il des Walt Disney Animation Studios ? La question reçoit irrémédiablement la même « non-réponse » : Pixar ! Car, certes, les studios du grand Walt ont déjà fait de la 3D avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs (en témoignent Chiken Little, Bienvenue chez les Robinson et Volt, Star Malgré Lui) et projettent d'en faire encore (Raiponce, Joe Jump)... Mais quelle légitimité ont-ils en ce domaine alors que leur petit frère adoptif (devenu justement bien grand) surclasse tout.
La Walt Disney Company peut-elle durablement conserver, en son sein, deux labels faisant la même chose et sortant, à tour de rôle, leurs propres œuvres 3D (au point de créer une nuance définitivement incompréhensible pour le grand public !) ou doit-elle fatalement se résoudre (du moins, au cinéma) à faire coexister à jamais les signatures Disney- Pixar ? Ce dilemme en apporte d'ailleurs un autre et de taille : est-il concevable que la firme de Mickey ferme ses studios historiques sans mettre en danger l'équilibre de toute la compagnie ? Imaginerions-nous le Groupe Renault cesser de commercialiser des automobiles « Renault » au profit de véhicules estampillés « Renault Nissan » ? C'est tout bonnement impensable !
Il est aujourd'hui impossible de répondre, catégoriquement, à toutes les questions soulevées par le résultat en demi-teinte de La Princesse et la Grenouille. Une chose est pourtant sure : il s'agit là d'une bien mauvaise nouvelle qui complique sérieusement la donne de la nouvelle Direction de Disney. Elle, qui s'est imaginée un avenir radieux en misant de nouveau sur la 2D pour redonner à son label historique ses lettres de noblesse (Disney renaissant de ses origines et Pixar confirmant les siennes) voit ses choix invalidés par le public qui réclame, à corps et à cris, de la 3D triomphante. Dès lors, faut-il suivre à la lettre les goûts des spectateurs ou - au contraire – chercher, vaille que vaille, à les ré-apprivoiser, quitte à sacrifier, un temps, le sacro-saint box-office ? Voilà le premier challenge de taille pour John Lasseter et ses équipes : le positionnement des signatures Disney et Pixar est au bout de la réflexion... Les fans que nous sommes s'autoriseront un seul petit conseil : tiens bon, John !