Gnoméo et Juliette
Titre original : Gnomeo and Juliet Production : Touchstone Pictures Rocket Pictures Date de sortie USA : Le 11 février 2011 Genre : Animation 3D 3-D |
Réalisation : Kelly Asbury Musique : Chris Bacon James Newton Howard Elton John Durée : 84 minutes |
Autre(s) disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Dans deux jardins de banlieues qui se disputent autant la palme du bon goût que celle du kitsch, se déroule, à l'insu des humains, une véritable guérilla. Les nains aux bonnets rouges affrontent, en effet, quotidiennement ceux aux bonnets bleus dans une guerre dont nul ne sait par quoi elle a commencé. Alors que rien ne semble devoir changer les choses et ramener la paix entre les deux camps, l'impensable se produit : Gnoméo, le prince héritier des Montaigu s'éprend de Juliette, la pétillante princesse des Capulet... |
La critique
Contrairement à ce que laisse penser une synergie commerciale maladroite, dont la conséquence est de voir chacune des bandes-annonces du film se clore sur un mal-fondé "Disney.fr", Gnoméo et Juliette n'est pas un film d'animation Disney ! Son processus de production est d'ailleurs suffisamment chaotique pour ne pas en rajouter avec une confusion de labels.
L'origine du projet remonte ainsi à la première moitié des années 2000. L'idée est alors présentée à Disney par la société de production cinématographique créée par Elton John lui-même, Rocket Pictures. Dans sa première approche, Gnoméo et Juliette est donc destiné à passer sous le giron des Walt Disney Animation Studios. Pourtant, très vite, les équipes maison rendent les armes. Au fur et à mesure de l'avancement du projet, les artistes de Disney se retrouvent dans l'impasse. Ils ne parviennent pas, en effet, à donner une touche disneyenne au récit. Comment rendre, il est vrai, les personnages émouvants et l'histoire universelle d'un film dont le fondement même est foncièrement subversif et ironique ? Pire, Elton John, envisagé dès l'origine pour écrire la bande originale, livre un travail aux sonorités qui n'entrent pas dans les codes de Disney et les attentes de son public. Dans la tourmente, le film est, logiquement et à de nombreuses reprises, stoppé puis remis en chantier.
L'arrivée de John Lasseter à la tête du département animation Disney et Pixar en 2006 lors du rachat de second par le premier rajoute à la confusion. Le réalisateur de Toy Story tranche, en effet, le débat et écrit dans le marbre que ce film ne peut pas sortir sous la signature Disney. Il annule donc purement et simplement le projet. Mais le département des Walt Disney Records s'oppose à cette décision car il juge qu'une bande originale écrite par Elton John a un intérêt commercial évident. Son staff s'émeut donc de la situation auprès de Dick Cook, alors responsable des studios, et lui demande d'arrêter une solution alternative. Finalement, le boss décide de confier la réalisation de Gnoméo et Juliette directement à Rocket Pictures tandis que les studios Miramax se chargeront de sa production et distribution, l'utilisation du label subversif de la compagnie collant parfaitement à la couleur du film...
Nouveau rebondissement à la fin de l'année 2009 ! Bob Iger, le PDG de la Walt Disney Company, décide, en effet, de revendre la filiale Miramax dont le catalogue ne colle plus à sa politique éditoriale. Il souhaite, en effet, voir recentrer son groupe sur les labels familiaux à forte valeur ajoutée. Dommage collatéral, Gnoméo et Juliette est donc de nouveau dans la tempête ! Va-t-il faire partie de l'accord de vente globale de Miramax ou être ramené manu militari dans le giron de Disney ? Le doute reste permis jusqu'à l'annonce de sa conservation par le studio de Mickey qui récupère ses droits, du moins dans une majorité de pays (En Angleterre et au Canada, le film sort chez E1 Entertainment !). Par contre, il est toujours hors de question de lui attribuer la signature Walt Disney Pictures. C'est donc le label Touchstone Pictures qui est appelé à la rescousse. Rien de bien incongru en l'espèce puisque il dispose dans son catalogue de deux autres film d'animation, remarquables eux, Qui Veut la Peau de Roger Rabbit et L'Étrange Noël de Monsieur Jack.
Le chaos n'amenant que très rarement de bonnes choses, le projet Gnoméo et Juliette traine depuis son lancement une mauvaise réputation, que les bandes annonces du film comme ses affiches promotionnelles n'ont eu de cesse d'amplifier car flirtant toutes, sans vergogne, avec le mauvais goût (difficile, il est vrai, d'être indulgent quand il s'agit de mettre en scène un nain de jardin montrant ses fesses !). Et que dire du ressenti des fans français à l'égard de ce film quand ils ont appris que son staff de production a exigé la fermeture du site amateur The Art of Disney Animation, amenant Disney à être, pour la première fois, vindicative à l'égard de la communauté de ses passionnés francophones ? Dans ces conditions, Gnoméo et Juliette s'apprêtait presque naturellement à passer au pilori de la critique française. Dans l'esprit de beaucoup, et notamment de tous les avis influents chez les fans Disney, son sort était scellé avant même d'être vu : la palme du nanar de la décennie lui était goulument réservée ! Et pourtant. Si son humour, très british, flirte parfois avec le très mauvais goût, le film étonne sur un tout autre registre, inattendu en l'espèce, celui l'émotion. Dès lors, le spectateur ne peut se résoudre à franchement le conspuer. Parfois sympathique, souvent insupportable, Gnoméo et Juliette n'est assurément pas le navet intégral attendu...
Comme son titre le laisse "subtilement" penser, le film est une adaptation de
la pièce de Shakespeare : Roméo et Juliette.
Considéré comme le plus grand dramaturge de la culture anglo-saxonne, William
Shakespeare est issu de la bourgeoisie de Stratford-upon-Avon. Sa condition
sociale envieuse lui permet ainsi d'étudier pendant quelques années avant un
mariage précipité qui le fait s'établir (du moins c'est une supposition tant
cette période de sa vie reste mystérieuse) à Londres en 1588. Les historiens
retrouvent ensuite sa trace en 1592 au gré des chroniques théâtrales. Son
premier mécène est le comte de Southampton à qui il dédie ses Sonnets en 1609.
Contemporain et collaborateur occasionnel de Christopher Marlowe et de Ben
Jonson, William Shakespeare joue ses propres pièces à la cour d'Elisabeth 1re et
de Jacques 1er. Il acquiert un peu plus d'indépendance en devenant, en 1608,
actionnaire du théâtre du Globe et du Blackfriars. Quatre ans plus tard, il met
fin à sa carrière et rentre à Stratford. Auteur d'une oeuvre unique et
intemporelle, il s'attache à décrire les luttes de pouvoir et les passions
humaines, mêlant joie et douleur avec "une poésie illimitée", selon les termes
précis de Victor Hugo. Surtout connu pour ses tragédies, Roméo et Juliette
(1595), Hamlet (1603), Le Roi Lear (1604) ou Macbeth
(1606), William Shakespeare déploie ses talents dans de nombreux registres comme
la comédie (Beaucoup de Bruit pour Rien, La Mégère Apprivoisée..
.) et le drame historique (Richard III, Henri V, Henri VI...).
Sa virtuosité stylistique et la richesse de ses intrigues font de son œuvre un
monument de la littérature universelle.
Tant pis si l'idée apparait à l'évidence autant incongrue que loufoque :
Gnoméo et Juliette entreprend donc de transposer le fameux grand classique
de la littérature anglo-saxonne dans le monde, somme toute spécial, des nains de
jardins Ce dernier est, en effet, pour certains le symbole exacerbé de la notion
de propriété et pour d'autres, la représentation ultime du kitsch. Figure
souvent positive, le nain apparait, peu ou prou, dans toutes les mythologies, à
commencer par le dieu grec de la fécondité, Priape, fils de Dionysos, dieu de
l'ivresse et de la jouissance, et d'Aphrodite, déesse de la beauté et de
l'amour. Mais le renouveau et l'essor de ces lutins horticoles remonte
véritablement au Moyen Age en Turquie et plus précisément en Cappadoce. Le
sous-sol très riche de cette région est, en effet, réputé peu praticable du fait
la dureté des matériaux et de l'étroitesse des galeries. Seuls des hommes de
petite taille, des Pygmées en l'occurrence, peuvent ainsi y travailler. Il sont
alors habillés de couleurs vives et coiffés d'un bonnet pour être plus
facilement repérés en cas d'éboulis. Personnages des profondeurs, ils
constituent, peu à peu, un peuple mystérieux et étrange, auquel le commun des
mortels finit vite par attribuer des pouvoirs magiques, censés être utiles pour
exorciser les maléfices venus de leurs contacts avec les démons du centre de la
terre. Les exploitants des mines n'ont alors pas tarder à faire réaliser des
figurines à leurs effigies, modelées en terre. Le "nain de jardin" est presque
né !
Mais le véritable pays d'adoption du nain de jardin reste l'Allemagne, où il
s'en produit deux millions d'exemplaires par an, dont une bonne moitié est
destinée à l'export. 27 millions de gnomes à bonnet rouge -ou non- squattent
actuellement les jardinets fleuris du monde entier ! L'expansion de ces héros
des plates-bandes se doit d'ailleurs à un Britannique de passage en Allemagne.
En 1847, Sir Charles Isham découvre, en effet, ces ornements en terre cuite et
en rapporte 21 pour son jardin du Northamptonshire : la perfide Albion se prend
alors de passion et transmet son "vice" à la planète toute entière...
Imaginant digérer son héritage génétique pour le moins dense, Gnoméo et Juliette tourne autour de trois grands principes. Il entend d'abord se moquer, plus ou moins subtilement, de la pièce de Shakespeare. Il tente ensuite de rendre attachants ses personnages emblématique au travers d'une histoire universelle. Il espère enfin profiter pleinement de l'univers musical d'Elton John.
Dans ce bilan, l'humour est assurément l'élément le plus décevant du film. Parfois plutôt réussi mais souvent totalement raté, il laisse pantois le spectateur. Ainsi, certains de ses aspects comme ceux présents dans l'ouverture de l'opus relèvent de très bonnes idées, offrant des moments à la fois drôle et moqueurs sans jamais sombrer dans le graveleux. Le personnage de la grenouille est, à ce titre, savoureux avec ses répliques détonantes et sa vision des choses somme toute particulière. Au contraire, le mauvais goût est atteint et dépassé de trop nombreuses fois à l'image du nain qui se balade en string ou de l'idée mal-maitrisée de faire disserter la statue de Shakespeare sur son œuvre.
Sur le registre de l'émotion, Gnoméo et Juliette étonne, en revanche, son monde. Le film se positionne, en effet, là où personne ne l'attend. Certains de ses personnages sont ainsi terriblement attachants. Son histoire d'amour interdit fonctionne d'ailleurs à merveille et ses deux protagonistes principaux font toujours mouche. La scène où Gnoméo rencontre, par exemple, sa bien-aimée pour la première fois est remarquable en tous points tant elle est parait alors belle, émouvante, un rien drôle, et, surtout réussie esthétiquement. D'autres personnages ne sont pas en reste : le champignon muet et le flamand rose emprisonné sont, il est vrai, véritablement bluffants. L'émotion qui se dégage de leurs séquences respectives est incontestablement ce qui empêche tout l'opus de sombrer dans le pathétique où le plus souvent il se complait.
Côté bande originale, Gnoméo et Juliette a la chance de bénéficier du talent d'Elton John. L'opus reprend, en effet, les chansons aux airs universellement connus de l'artiste. Le spectateur est donc en terrain connu et retrouve avec plaisir les tubes Don't Go Breaking My Heart, Your Song, Rocket Man, Bennie and the Jets, Tiny Dancer, Saturday Night's Alright For Fighting, Crocodile Rockk. Elton John signe également, par ailleurs, deux chansons pour le film : Love Builds a Garden et Hello Hello. Il se paye en plus le luxe d'interpréter cette dernière en duo avec Lady Gaga, illustrant alors à merveille le moment le plus romantique de l'histoire. Au final, ses titres s'intègrent parfaitement au thème jusqu'à amener quelques clins d'œil savoureux. Elton John a visiblement oublié ses travers habituels dont La Route d'Eldorado, une production DreamWorks, avait fait les frais tant ses chansons se situaient à milles lieues de l'univers inca ou espagnol qu'elles étaient pourtant censées porter. Mieux : ici, l'empreinte du chanteur ne se limite pas aux seules chansons. James Newton Howard, le compositeur de la bande-son, a eu, il est vrai, la brillante idée de saupoudrer sa partition d'éléments instrumentaux des hits de l'artiste anglais. Il fait d'ailleurs de même avec Disney dont il reprend, dans un morceau musical kitsch à souhait, l'air de The Tiki, Tiki, Tiki Room...
Sur le plan de l'animation, Gnoméo et Juliette pêche en revanche beaucoup. Elle se situe très loin de la qualité technique de Pixar ou plus récemment de Disney, en particulier celle atteinte dans Raiponce. Certes, les artistes ont voulu rendre crédible leurs personnages en restituant un rendu proche de leur apparence réelle de terre cuite. L'idée est à saluer mais le résultat est contre-productif, rendant les nains figés, un peu froids et dès lors peu avenants. Certaines des scènes ne sont, en outre, pas très inspirées ni dans leur réalisation technique, ni dans leur esthétisme. Les séquences qui se passent en ville sont par exemple très laides. D'autres (la rencontre des amoureux, l'histoire du flamand rose) étonnent au contraire par leur beauté. Enfin, le pire est atteint par certaines (notamment celle de l'ordinateur) dont le mauvais goût est tout bonnement insupportable.
Gnoméo et Juliette affiche également un bilan mitigé concernant sa
galerie de personnages où le meilleur côtoie, ici aussi, le pire.
Côté Capulet, la belle Juliette rayonne sur son jardin d'origine, notamment
lorsqu'elle brandi sa tulipe le haut de la fontaine de pneus. Alors qu'elle n'a
d'autres ambitions que de prendre son indépendance, l'amour lui joue un tour
pendable en lui tombant dessus en la personne du prince du camp adverse. Elle
est entourée de Nanette la Grenouille, sa dame de compagnie dont les envolées
moralisatrices sont de vraies pépites de drôlerie. Son père, Lord Redbrick,
vieille avec bienveillance sur elle comme sur ses administrés. Il voue ainsi une
haine féroce contre le jardin d'à côté et n'envisage pas une seconde de faire la
paix. Il s'appuie dans son combat sur Tybalt, la brute du clan et archétype du
gros-muscles-sans-cervelle.
Côté Montaigu, Gnoméo est, dans son clan, l'alter-ego masculin de Juliette. Il
est un jeune nain de jardin dans la force de l'âge, audacieux et malicieux.
Dévoué aux siens et à l'harmonie des massifs, il ne recule devant rien pour
venger l'honneur de sa famille et de sa mère Lady Blueberry. Cette dernière,
malgré sa douce apparence, est aussi vindicative que son adversaire de premier
rang, Lord Redbrick. Gnoméo peut compter sur un ami fidèle répondant au nom de
Benny : ce nain a la particularité d'être bien plus petit que ses congénères,
une différence de taille qu'il compense par le port d'un grand bonnet. Enfin,
Champi, un champignon sans parole et craquant à souhait joue assurément le rôle
de meilleur ami et confident de Gnoméo...
A côté de ces rôles principaux, une ribambelle de personnages évoluent dans le
film avec plus ou moins de bonheur. Parmi eux, Featherstone, un flamand rose
oublié, extraverti et chaleureux, et Bambi, le faon des jardins des Capulet, peu
doué aux cartes, attirent sans mal la sympathie. Les autres, eux, laissent le
plus souvent de marbre quand ils n'énervent pas...
Loin d'être la catastrophe supposée à l'origine, Gnoméo et Juliette est même meilleur que ses cousins coproduits, Vaillant - Pigeon de Combat ! ou The Wild. Il n'en reste pas moins un film négligeable que sa propension au mauvais gout dessert considérablement...