Kay Kamen
Date de naissance : Le 27 janvier 1892 Lieu de Naissance : Baltimore, dans le Maryland, aux États-Unis Date de Décès : Le 28 octobre 1949 Lieu de Décès : São Miguel, Les Açores, au Portugal |
Nationalité : Américaine Profession : Agent Commercial Dirigeant |
La biographie
La sortie au cinéma des longs-métrages Disney est aujourd’hui presque systématiquement accompagnée par la mise sur le marché de dizaines, parfois de centaines de produits dérivés. Jouets, peluches, livres, bandes dessinées, vêtements et accessoires de mode ou bien encore objets de collection et autres gadgets en tout genre inondent ainsi les magasins afin de permettre aux spectateurs de revivre les aventures de leurs héros préférés à la maison. Reprise par toutes les grandes majors hollywoodiennes passées et présentes, cette stratégie commerciale lucrative remonte en réalité aux années 1930 et émane de l’esprit visionnaire de l’un des précurseurs de notre société de consommation, Kay Kamen.
Kay Kamen et Walt Disney (juin 1932)
De son vrai nom Herman Samuel Kominetzky, Kay Kamen voit le jour le 27 janvier 1892 à Baltimore, dans le Maryland. Benjamin d’une fratrie de quatre enfants, il est le fils d'Henry et Leah Kominetzky, tous les deux issus de familles juives originaires de l’Empire de Russie. Victime, comme bon nombre d’émigrés de l’époque, de racisme et d’antisémitisme, le jeune Kay connaît alors une enfance et une adolescence quelque peu tourmentées. Peu enclin aux études, il ne termine pas sa scolarité au lycée. N’acceptant pas toujours de se soumettre à l’autorité, il passe même quelque temps dans un centre fermé pour mineurs. Désireux de profiter lui aussi du Rêve américain, Kamen n’attend pas la fin de son adolescence pour commencer à travailler. Quittant son Maryland natal, il s'installe à Omaha, dans le Nebraska, où il est engagé par une société spécialisée dans la vente de chapeaux en vison. Âgé d'à peine plus de vingt ans, c'est à la même époque qu'il épouse Kate Arlene Goldstein.
Réputé pour ses talents de commercial, Kay Kamen rejoint ensuite l’Havens, Cartridge & Blair Co. de Kansas City, dans le Missouri, dont il devient l’un des principaux associés en 1926. Bientôt, il s’associe avec son partenaire Streeter Blair avec qui il fonde sa propre entreprise, la Kamen-Blair Co. dont les bureaux sont installés à New York. Rapidement, la toute jeune compagnie se spécialise dans le développement de produits dérivés inspirés des grands succès du cinéma. Proposant aux commerçants et aux industriels d’acheter des licences leur permettant d’utiliser l’image de telle ou telle vedette de l’époque, il collabore notamment avec Hal Roach, le producteur de Laurel et Hardy, d’Harold Lloyd et des (Les) Petits Canailles. Kamen s’associe également avec plusieurs studios d’animation qui l’autorisent à utiliser l’image de leurs principales stars en échange d’un pourcentage sur les recettes.
Sa réputation grandissant, Kay Kamen s’autorise lui-même à approcher Walt Disney et son frère Roy. Les deux frères sont à l’époque à la tête d’un studio en pleine expansion. Apparu en 1928 en train de siffloter à la barre d’un navire dans Willie, le Bateau à Vapeur, Mickey Mouse est devenu un personnage incontournable sur les écrans. La collection des Silly Symphonies est elle-même couronnée d’un beau succès. Pour Kamen, il y a là une belle opportunité à saisir afin de maximiser les gains en capitalisant sur la notoriété et la popularité de la souris et de ses amis. Il propose par conséquent aux frères Disney de gérer lui-même les licences de leurs personnages. Intrigués par cette offre, Walt et Roy invitent Kamen aux studios afin d’obtenir de plus amples informations. Ils n’y connaissent en effet rien en marchandisage. Une présentation leur semble dès lors indispensable afin d’y voir plus clair.
Catalogues de produits dérivés (1935, 1936, 1938, 1940, 1947, 1949)
Bien entendu, Kay Kamen ne se fait pas attendre et répond immédiatement à l’invitation. Acceptant de traverser tous les États-Unis afin de rejoindre la Californie, il retire alors sans tarder toutes ses 50 000 dollars d’économies placés en banque. Pour ne pas se les faire voler lors du trajet en train, il coud les billets dans la doublure de son manteau qu’il ne quitte pas des yeux durant les deux jours nécessaires pour accomplir le voyage vers Los Angeles ! Arrivé aux studios, Kamen entre directement dans le vif du sujet. Il sort l’argent de sa veste et l’étale sur le bureau de Walt, lui promettant des gains équivalents augmentés de soixante pourcents des profits sur les 100 000 premiers dollars, puis la moitié des revenus suivants. Kamen s’engage en outre à prendre à sa charge le salaire des employés et le loyer des locaux new-yorkais qu’il occupe au sein du Rockefeller Center, sur la Sixième Avenue. En somme, Walt et Roy n’ont rien à payer.
Alors que le président Herbert Hoover et le Parti Républicain promettent aux Américains « un poulet dans chaque casserole et une voiture dans chaque garage », Kamen annonce pour sa part « un personnage Disney dans chaque maison ». Aussi impressionnés par l’audace de l’entrepreneur que par les objectifs pécuniaires qu’il leur présente, Walt et Roy hésitent néanmoins... Tous les deux se demandent en effet si ce Kamen, qu’ils ne connaissent d’Ève, ni d’Adam, est un charlatan ou un bienfaiteur. Jusqu’à présent associés avec la Borgfeld Company qui se chargeait pour eux de vendre quelques produits dérivés, les frères ont besoin d’un temps de réflexion. Ils se retirent donc pour parler en privé.
Lorsqu’ils reviennent enfin, Walt et Roy sont surpris de découvrir Kay Kamen plongé dans les bras de Morphée. Exténué par deux jours de voyages durant lesquels il n’a pas fermé l’œil pour s’assurer qu’on ne lui dérobe pas son manteau, le commercial a succombé au sommeil. Disney le réveille pour lui annoncer la décision qui vient d’être prise. Les revenus produits par Borgfeld demeurent ternes. Pour Walt, un changement de partenaire est donc peut-être une chance. Il accepte donc de faire confiance à Kamen. Les frères Disney signent ainsi un premier contrat le 1er juillet 1932.
De retour dans les locaux de sa compagnie, Kay Kamen ne perd pas une seconde. L’image de Mickey Mouse est immédiatement monétisée. Dès janvier 1933, le Mickey Mouse Magazine fait son entrée dans les kiosques. De leur côté, les entreprises se précipitent pour s’offrir le droit d’utiliser l’image de la souris pour promouvoir leurs produits. Dans le contexte de la Grande Dépression, chacun y voit en effet un bon moyen d’augmenter les ventes et de gagner de l’argent facilement. Wormova Manufacturing Co. obtient le droit de créer des costumes de Mickey et de Minnie. Charlotte Clark et six couturières assemblent les premières poupées à l’effigie des deux souris. McCall vend de son côté des kits afin que les clients fabriquent eux-mêmes leur propre jouet de chiffon.
La compagnie laitière National Dairy Products, le distributeur de mouchoirs Herrmann Handkerchief, la marque de cycle Colson ou bien les fabricants de jouets Sun Rubber et Seiberling Latex Products Co. s’engagent à leur tour. General Foods débourse un million de dollars pour placer Mickey au dos de ses boîtes de céréales. La Lionel Corporation est même sauvée de la faillite grâce à sa draisienne en métal actionnée par le couple de souris. C’est aussi le cas de l’horloger Ingersoll-Waterbury Clock qui réalise l’une de ses meilleurs ventes avec sa montre à l’image de Mickey dont les bras servent d’aiguilles. Rien qu’en une seule journée, onze-mille pièces sont notamment vendues dans la boutique new-yorkaise Macy’s ! Ingersoll voit alors son chiffre d’affaires augmenter de 900 % ! Bientôt, les ventes s’internationalisent. Au milieu des jouets, des vêtements et autres poupées, Topolino devient un best-seller en Italie dès décembre 1932, tout comme Le Journal de Mickey créé en octobre 1934 par Paul Winkler avec le concours d’Armand Bigle, le représentant de Kamen en France.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, des dizaines de millions de dollars rentrent dans les caisses des studios qui signent un contrat d’exclusivité avec la société de Kay Kamen. Des filiales de la Kay Kamen Ltd. sont ouvertes à Chicago, Toronto, Londres, Paris, Lisbonne, Madrid, Milan et Sydney. Grâce à cet argent frais, Walt Disney peut entrevoir l’avenir sereinement en mettant en chantier des projets de plus en plus novateurs tels que Blanche Neige et les Sept Nains dont la sortie en 1937 s’accompagne elle aussi de centaines de produits dérivés de toutes sortes vendus à hauteur de deux millions de dollars durant la seule année 1938. Les classiques suivants sont eux-mêmes déclinés dans les magasins. Les marques se ruent littéralement sur Blanche Neige, les nains, Pinocchio, Bambi, Dumbo, Panchito, José Carioca… Grâce à Kay Kamen et aux nombreuses filiales internationales de sa société, les studios empochent 100 millions de dollars sur la seule année 1948. Un nouveau contrat de sept ans est alors signé avec Kamen.
La belle collaboration entre Disney et Kay Kamen s’interrompt malheureusement dans la douleur. Malgré une peur prégnante de l’avion, Kamen et son épouse Katie embarquent le 27 octobre 1949 à bord du vol F-BAZN d’Air France reliant l’aéroport de Paris-Orly à New York – La Guardia. Il s’agit d’un vol régulier d’une durée de dix-sept heures. Jean de la Noüe, Charles Wolfer et Camille Fidency sont tous des pilotes aguerris. Censés faire une escale sur l’île de Santa Maria aux Açores, une négligence les amène toutefois à commettre une dramatique erreur de navigation. Se rapprochant de l’île de São Miguel située à cent kilomètres plus au nord, l’avion Constallation percute le Pico Redondo avant de s’écraser vers 2h50, le 28 octobre 1949. Les onze membres d’équipage sont tués. Les trente-sept passagers périssent eux-aussi. Parmi eux, le boxeur Marcel Cerdan et son manager Jo Longman, la violoniste Ginette Neveu, le peintre Bernard Boutet de Monvel, le rédacteur en chef du (Le) Canada Guy Jasmin, ainsi que le couple Kamen.
Apprenant la mort de Kay Kamen dans les jours suivants, Walt et Roy Disney, mais aussi leurs épouses Lillian et Edna, sont sous le choc. Tous perdent en effet un partenaire précieux et surtout un ami très cher à leurs deux familles. Faute de successeur, la gestion des licences Disney est intégralement reprise en charge par les studios sous la direction d’Oliver B. Johnson assisté de Jimmy Johnson.
Bien que son nom soit souvent méconnu du grand public, Kay Kamen demeure, aujourd’hui encore, l’inventeur du marchandisage cinématographique. « Kay était un homme d’esprit », expliquait Diane Disney Miller, la fille de Walt, « Il y avait toujours des éclats de rire lorsqu’il était là. Kay était vraiment drôle. Sa relation avec Walt et Roy allait bien au-delà des affaires… C’était aussi une amitié très importante ». Pour honorer la mémoire de Kay Kamen, les studios Disney lui décernent un Disney Legends Award le 16 octobre 1998.