Jim Henson

L'Homme aux Mille Idées

Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées est un Disney+ Original Documentary qui propose une plongée passionnante dans l'un des esprits créatifs les plus emblématiques de la télévision et du cinéma américain du XX^e siècle.

En 2010, les studios Disney cherchent à produire un documentaire sur la vie de Jim Henson. Ils confient alors le script initial à Christopher Weekes. Intitulé Muppet Man, il est censé être produit en collaboration avec The Jim Henson Company. Mais une décennie s'écoule sans que rien ne se passe... Le projet se décante en avril 2021, lorsque les scénaristes Aaron Kandell et Jordan Kandell dans un premier temps puis Michael Mitnick dans un second temps tentent de réécrire le scénario. Un an plus tard, il est annoncé que le réalisateur Ron Howard et le producteur Brian Grazer s'associent avec la famille Henson pour développer enfin le tant attendu documentaire sur le créateur de Kermit pour une diffusion sur Disney+. Les proches de Jim Henson décident alors d'ouvrir leur coffre-fort et de piocher dans les archives de la famille pour proposer des œuvres personnelles, des films expérimentaux, des photographies d'époque, des croquis préparatoires ou encore des écrits de journaux intimes, le tout agrémenté d'interviews, passées ou récentes des collaborateurs du génie mais aussi des membres de sa famille, femme et enfants.

Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées est donc réalisé par Ron Howard. Né le 1^er mars 1954, il commence très jeune sa carrière d'acteur dans Frontier Woman, un film d'un petit studio, où il a à peine 18 mois. Il joue ensuite dans quelques œuvres Disney : les téléfilms A Boy Called Nuthin' (1967) et Smoke (1970) ainsi que le film de cinéma Le Pays Sauvage (1971). En 1973, il se fait remarquer dans le film de George Lucas American Graffiti pour Lucasfilm Ltd. avec son personnage de Steve, rôle qu'il reprend en 1979 dans la suite More American Graffiti. Mais la consécration vient avec sa prestation du jeune Richie Cunningham dans la série rock n'roll Happy Days de 1974 à 1980 pour Paramount. Pourtant, intéressé depuis très jeune par la réalisation, son premier grand succès vient en 1984 avec Splash, le tout premier film du nouveau label Disney, Touchstone, qui va aussi révéler l'acteur Tom Hanks. Il reviendra travailler avec le label sur les films La Rançon avec Mel Gibson en 1996 et De l'Ombre à la Lumière avec Russel Crowe en 2005. En 1988, il retourne chez Lucasfilm Ltd. en tant que réalisateur et offre le merveilleux film de heroic fantasy Willow. Il travaille à nouveau pour ce studio en 2018 en reprenant au pied levé la réalisation de Solo : A Star Wars Story. Mais Ron Howard est un touche-à-tout et va essayer plusieurs genres chez de nombreux autres studios en tournant avec les plus grands acteurs. Parmi ses films les plus célèbres, il peut être cité le long-métrage de science-fiction Cocoon en 1985, le pyrotechnique Backdraft avec Kurt Russell en 1991, la fresque historico-romantique Horizons Lointains avec Tom Cruise en 1992, le film-catastrophe spatial Apollo 13 une nouvelle fois avec Tom Hanks en 1995, la comédie En Direct sur Ed TV en 1999 avec Matthew McConaughey, le film pour enfant Le Grinch en 2000 avec Jim Carrey ou l'adaptation des bestsellers de Dan Brown toujours avec Tom Hanks : Da Vinci Code (2006), Anges et Démons (2009) et Inferno (2016). Il réalise aussi plusieurs documentaires dont deux pour National Geographic Documentary Films, Paradise : L'Enfer des Flammes en 2020 et Nourrir le Monde en 2022. Enfin, en 2002, il est sacré meilleur réalisateur aux Oscars pour la mise en scène d'Un Homme d'Exception qui gagne aussi l'Oscar du Meilleur Film.

Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées commence par une longue introduction qui permet de donner le ton et l'objet du documentaire. Un film de 108 minutes est forcément trop court pour aborder de façon approfondie la foisonnante et riche carrière du génie qu'était Jim Henson, surtout en n'omettant pas sa vie personnelle et familiale qui ont eu une influence sur son art. Ron Howard choisit alors de piocher dans les courts-métrages expérimentaux de Jim Henson, créés dans les années 1960, pour donner un style particulier à son documentaire. Le visage du début, fait de deux yeux et une bouche, rappelle par exemple The Idea Man en 1966. Les carrés qui bougent à l'écran sont eux tirés de The Cube en 1969 tandis que cette idée du temps qui passe se réfère bien sûr à Time Piece en 1965. Ce sera d'ailleurs le mantra du créateur de Kermit durant toute sa vie : se plaindre de manque de temps pour créer les idées qu'il avait en tête. Bourreau de travail, il pouvait parfois être sur plusieurs projets étant situés à Londres, à New York ou à Los Angeles. Jim Henson était alors persuadé qu'il était là pour marquer la télévision et le cinéma et il n'arrêtera jamais d'innover durant toute sa vie.

L'artiste est né le 24 septembre 1936 à Greenville dans le Mississippi mais grandit principalement à Leland, une petite ville à la campagne. Sa seule fenêtre sur le monde est ainsi son poste de télévision qui deviendra un puissant vecteur d'imagination. Rien d'étonnant donc à ce que le jeune garçon ait eu envie de travailler pour la petite lucarne. Jim Henson l'avoue lui-même lors d'une interview dans le pilote de l'émission The Orson Welles Show tournée en 1979 mais jamais diffusée avant 2013 au Museum of the Moving Image. Il ne serait jamais devenu un marionnettiste si cela ne lui avait pas permis de rentrer par la petite porte dans le monde du petit écran. En 1954, durant ses études, il rencontre Jane Nebel qui deviendra sa femme quatre ans plus tard. La même année il déniche un travail pour la chaine WTOP-TV dans la création de marionnettes à destination de l'émission pour enfants du samedi matin. L'année suivante, il crée avec Jane l’émission Sam and Friends, une chronique de cinq minutes pour la concurrente WRC-TV. Sam and Friends voit ainsi la toute première version d'un personnage qui allait devenir par la suite la mascotte de Jim Henson : Kermit, qui n'est pas encore désigné comme une grenouille. Sa conception est pourtant très simple : un morceau du manteau vert de sa mère ainsi qu'une balle de ping-pong coupée en deux pour faire les yeux.

Le début de Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées est particulièrement intéressant car il offre des moments de vie et de travail de l'artiste très peu connus par le grand public. Celui-ci découvre ainsi sa visite en Europe, notamment à Paris ; son mariage avec Jane et la naissance de leur premier enfant en 1960 ; la création de leur société commune Muppets, Inc. ; sa rencontre avec Frank Oz, un collaborateur fidèle qui deviendra son meilleur ami. Un détail personnel que le spectateur apprend aussi est que Jim Henson s'est très vite fait pousser la barbe afin de cacher sa peau abimée à cause d'une acné mal soignée. Par conviction religieuse, sa mère refusait que ses enfants voient des médecins. Avec le recul, cette méfiance pour le corps médical restera ancrée chez lui toute la vie et le poussera à refuser régulièrement de se soigner. En 1963, Jim et Jane Henson installent leur société à New York et embauchent d'autres collaborateurs dont Jerry Juhl et Don Sahlin ; Jane, enceinte de leur deuxième enfant, s'éloigne pour devenir mère au foyer. De nombreux personnages sont alors créés comme le chien Rowlf qui apparaît régulièrement dans l'émission The Jimmy Dean Show. C'est à la même époque que Jim Henson et ses équipes ont l'idée d'imaginer un écran de contrôle permettant aux marionnettistes de voir en direct les interactions avec les invités et de pouvoir corriger ou improviser des répliques en direct sans être obligés de retourner une prise. Cette invention sera une révolution dans la profession. Durant cette décennie, Jim Henson va aussi réaliser de nombreux films expérimentaux en commençant par Drums West en 1961.

La majorité du documentaire va ensuite se concentrer sur les deux plus grandes créations de Jim Henson. En 1968, Joan Ganz Cooney et l'équipe de Children's Television Workshop commencent à travailler sur 1, Rue Sésame, un programme visionnaire destiné à la jeunesse et appelé à être diffusé sur une chaine de télévision publique. Une partie de l'émission est ainsi consacrée à des marionnettes colorées et joyeuses vivant dans cette rue. Et pour la création de celles-ci, les producteurs pensent tout de suite à Jim Henson et son équipe. Ils donnent ainsi vie à Toccata, le gros oiseau jaune ; à Grover, le gentil monstre bleu ; à Macaron, le glouton mangeur de cookies ou encore Ernest et Bart, les deux amis que tout oppose. Le pilote est diffusé en 1969 et l'émission gagne rapidement en popularité pour devenir un incontournable des programmes jeunesse toujours à l'antenne en 2024. Le téléspectateur y voit aussi Kermit en tant que journaliste-reporter. Ce dernier arbore désormais une collerette autour de son cou histoire d'en faire clairement une grenouille.

Mais le succès d'1, Rue Sésame ne lui suffit pas et Jim Henson aimerait bien produire une émission de variétés à destination des adultes présentée par ses marionnettes qu'il surnomme les Muppets, contraction des mots anglais « marionette » et « puppet ». Les chaînes américaines ne sont pourtant pas intéressées. Il monte alors plusieurs pilotes pour essayer de les convaincre, dont The Muppet Show : Sex and Violence en 1975. Il rencontre finalement le producteur britannique Lew Grade qui va lui permettre de réaliser son plus grand succès. Le réalisateur s'installe alors à Londres avec toute son équipe et crée l'émission Le Muppet Show. Elle est diffusée entre le 25 septembre 1976 et le 6 août 1981 sur le réseau de télévision privé ITV1 au Royaume-Uni et sur CBS aux États-Unis. Chaque semaine, Kermit la Grenouille et ses amis animent le « Muppet Show » dans un théâtre déjanté où une foule de spectateurs, dont certains sont de vrais habitués, assistent à un programme de variétés dont il est permis de se demander s'il va pouvoir être mené à son terme tant le délire est permanent.

Les personnages des Muppets sont si populaires qu'ils vivent au-delà de leur série. Ils s'exportent au cinéma à partir de 1979 via le film Les Muppets, Ça C'est du Cinéma !. Jim Henson insiste pour qu'il soit d'ailleurs tourné en décors réels afin de s'éloigner de la série. Le documentaire montre d'ailleurs un secret de tournage de la fameuse scène d'ouverture où Kermit chante son fameux hymne The Rainbow Connection sur un tronc d'arbre dans son marais. La séquence a vraiment été tournée dans un marécage, lui donnant toute son authenticité et sa force. Les Muppets, Ça C'est du Cinéma ! offre à Jim Henson la possibilité à ses marionnettes de développer une palette de nouvelles émotions en s'éloignant du comique télévisé pour aller plus vers de la tendresse cinématographique. Ce premier long-métrage lui ouvre alors bien des portes et va lui permettre de continuer son aventure à Hollywood avec deux autres films des Muppets mais aussi le désormais classique Dark Crystal en 1982, co-réalisé avec Frank Oz et considéré comme son chef d'œuvre, sans oublier Labyrinthe en 1986, co-produit par Lucasfilm Ltd.. Néanmoins, l'échec financier et critique de ce dernier le peineront énormément et le feront douter un temps de son art.

Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées survole par contre la fin de la carrière de l'artiste en nommant à peine des séries comme Fraggle Rock, Monstres et Merveilles ou The Jim Henson Hour. Le documentaire aborde néanmoins son lien tardif mais capoté avec Disney. À la fin des années 1980, Jim Henson veut continuer à créer sans se soucier de l'argent. Après avoir racheté les droits de ses personnages des Muppets et de Dark Crystal à Lew Grade, il compte désormais les vendre à The Walt Disney Company et passe un accord tacite avec Michael Eisner en 1989. La vente ne se fera finalement que bien des années plus tard... En effet, Jim Henson meurt le 16 mai 1990 à l'âge de 53 ans des suites d'une pneumonie bactérienne sévère qu'il a refusée de soigner. Le documentaire est à ce moment-là particulièrement touchant en montrant des extraits des messes célébrées en son honneur. Toute sa famille, ses collaborateurs et ses amis viennent lui rendre hommage. Lors des cérémonies, certains de ses personnages sont aussi là pour divertir les gens car même en ce moment malheureux, Jim Henson n'aurait jamais voulu qu'ils soient tristes.

La force de Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées est d'être académique dans son fond, de s'inspirer des visuels de l'artiste pour sa forme tout en piochant dans les archives personnelles de la famille pour rendre le tout unique. Le fait que le documentaire soit une coproduction entre le clan Henson et The Walt Disney Company pouvait faire craindre que le long-métrage soit bien trop consensuel. Du point de vue de sa carrière, il y a en effet peu de critiques apportées. Après, comment être négatif devant un génie qui a révolutionné la télévision et le monde des marionnettes ? C'est objectivement difficile... En revanche, d'un point de vue personnel et privé, le documentaire montre beaucoup de choses, y compris les non-dits. Sa relation avec Jane Henson, de son mariage à son divorce, est vraiment passionnante. Ce sont deux personnes qui ont eu un respect mutuel l'un pour l'autre, plus en tant qu'artiste qu'en tant que couple. Jane Henson avouant d'ailleurs qu'ils n'ont jamais eu de coup de foudre mais que leur mariage a été décidé presque par convenance. Pourtant, à la fin de leur vie, ils avaient encore beaucoup d'amour ou de respect l'un envers l'autre... Sauf qu'ils ne pouvaient plus vivre ensemble. Et chose assez évidente, Jim Henson n'était pas non plus très famille. Il passait le plus clair de son temps loin de chez lui pour son travail sans que cela ne semble le gêner plus que ça. Il est d'ailleurs étrange d'entendre parler ses quatre enfants survivants, Lisa, Cheryl, Brian et Heather - le cinquième, John, étant décédé en 2014 - parler de leur père davantage comme un mentor et un collaborateur qui leur a tout appris plutôt que comme un père présent et aimant. Peut-être que cela vient du fait que The Jim Henson Company est toujours une entreprise familiale gérée par les enfants de Jim Henson et qu'ils doivent garder une certaine retenue. Néanmoins, le spectateur peut se dire aussi que s'ils n'avaient pas eu du respect pour leur père, ils n'auraient jamais repris sa société... Ceci dit, celui qui rentre le plus dans la psychologie de l'artiste est son collaborateur de toujours et ami cher, Frank Oz. Il est l'intervenant que le documentaire met le plus en avant. Il faut dire que ses anecdotes sont aussi truculentes que touchantes. Parmi les autres intervenants, il peut également être cité les collaborateurs, marionnettistes ou créatifs Alex Rockwell, Dave Goelz, Fran Brill, Bonnie Erickson et Michael Frith mais aussi les actrices Rita Moreno, seule invitée du (Le) Muppet Show à parler de sa participation, et Jennifer Connelly qui revient sur son rôle dans Labyrinthe.

Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées sort donc sur Disney+ le 31 mai 2024 après une sortie limitée dans quelques salles de Los Angeles et de New York du 24 au 30 mai. Le film est aussi montré en avant-première au Festival de Cannes 2024 dans la section Cannes Classics le 18 mai 2024. Salué par la critique, le documentaire est une vraie plongée dans le processus créatif de Jim Henson et son imagination foisonnante. Et si les Muppets peuvent sembler un peu désuets pour une partie du public, en particulier les plus jeunes, découvrir ce long-métrage hommage leur prouvera qu'aucune forme d’art, aucun aspect artistique ne doit jamais être sous-estimé. Après tout, Jim Henson a réussi à créer un personnage aussi emblématique que Kermit la Grenouille à partir d'un bout de manteau et d'une balle de ping-pong. Ce qui compte en réalité, c'est la créativité. Jim Henson a transformé l'art des marionnettes en un divertissement aussi bien familial qu'universel, qui peut autant faire rire son public que l'attendrir.

Jim Henson : L'Homme aux Mille Idées est un film merveilleux et bouleversant qui revient sur le destin d’un génie du divertissement de la trempe d’un Walt Disney. Passionnant de bout en bout, le spectateur est certain de découvrir de nombreux points sur l’envers du décor du processus créatif de Jim Henson… Mais aussi d'être profondément touché par l’émotion de sa conclusion. Un grand et beau long-métrage documentaire à voir absolument !