Mystère à Venise
Titre original : A Haunting In Venice Production : 20th Century Studios Kinberg Genre Mestiere Cinema The Mark Gordon Company Scott Free Productions TSG Entertainment Agatha Christie Limited Date de sortie USA : Le 15 septembre 2023 Genre : Horreur |
Réalisation : Kenneth Branagh Musique : Hildur Guonadóttir Durée : 103 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
Venise, 31 octobre 1947. Fatigué par une vie entière passée au service de la justice, Hercule Poirot savoure désormais une retraite bien méritée. À présent reclus au cœur de la Sérénissime, il n’aspire dès lors plus qu’à une vie paisible, loin des autres, avec pour seules compagnies son garde du corps, qui veille à sa tranquillité, et ses petites pâtisseries dont il raffole tant. À la demande de sa bonne amie, la romancière Ariadne Oliver, il accepte toutefois de sortir de son isolement pour assister à une intrigante séance de spiritisme organisée le soir d’Halloween au sein du palais prétendument hanté de l'ancienne chanteuse d’opéra Rowena Drake. Au départ incrédule, Poirot voit alors ses certitudes bientôt mises à mal lorsque d’étranges phénomènes accompagnent la mort de l’un des participants…
La critique
Six ans après Le Crime de l’Orient-Express (2017), et un an et demi seulement après Mort sur le Nil dont la sortie fut maintes fois repoussée à cause de la pandémie de Covid-19 (2022), Hercule Poirot signe son grand retour au cinéma avec Mystère à Venise, une nouvelle enquête lointainement adaptée de l’œuvre d’Agatha Christie.
Troisième aventure du célèbre détective portée à l’écran par le scénariste Michael Green et l’acteur-réalisateur Kenneth Branagh, le long-métrage s’inspire d’un roman passablement moins connu auprès du grand public, La Fête du Potiron (Hallowe'en Party). Publié au Royaume-Uni en novembre 1969 puis en France en 1971, il s’agit alors de la trente-cinquième enquête du célèbre détective belge créé en 1920 par celle qui, aujourd’hui encore, demeure l’une des grandes prêtresses du roman policier. Retitrée Le Crime d’Halloween lors de sa réédition dans l’Hexagone en 1999, l’histoire prend place dans le petit village de Woodleigh Common, dans le sud-ouest de l’Angleterre, où chacun s’active en vue des célébrations d’Halloween. Chez Rowena Drake, la romancière Ariadne Oliver s’amuse notamment à créer des jeux et des décorations en compagnie de plusieurs enfants parmi lesquels la jeune Joyce Reynolds, une adolescente de treize ans qui affirme avoir assisté à un vrai meurtre. Personne ne croit cependant celle qui, depuis longtemps, a la réputation d’être une menteuse patentée. Lorsque le corps de Joyce est retrouvé dans la bibliothèque après la soirée, Hercule Poirot entre finalement en scène pour enquêter et identifier l’assassin.
Décrié à sa sortie par une critique plutôt déçue qui lui reproche un style médiocre et décousu que chacun impute au grand âge d’Agatha Christie, soixante-dix-neuf ans, La Fête du Potiron est longtemps resté l’un des livres les plus mal-aimés de la romancière. Aussi, contrairement à d’autres classiques, en particulier Le Meurtre de Roger Aykroyd, Le Crime de l’Orient-Express, ABC Contre Poirot, Les Dix Petits Nègres ou bien encore Mort sur le Nil, ses adaptations se comptent-elles sur les doigts d’une main. En 2006, la BBC Radio 4 propose ainsi un audiodrama avec John Moffatt dans le rôle-titre. En 2010, David Suchet et Zoë Wanamaker endossent les costumes de Poirot et d’Ariadne Oliver dans la douzième saison de la série télévisée Hercule Poirot. En 2013, France 2 produit Meurtre à la Kermesse, un épisode de la série Les Petits Meurtres d’Agatha Christie dans lesquels les rôles du détective et de l’écrivaine sont remplacés par ceux du commissaire Swan Laurence et de la jeune reporter Alice Avril.
Lorsqu’il se lance dans l’écriture de Mystère à Venise, le scénariste Michael Green décide très rapidement de s’éloigner de l’œuvre originale. Comme l’indique le titre du film, l’intrigue est tout d’abord déplacée de la campagne anglaise vers les canaux de l’impénétrable Venise. Si les personnages d’Hercule Poirot et d’Ariadne Oliver sont globalement conservés en l’état, le reste de la distribution subit par ailleurs d’importants changements. Plusieurs protagonistes sont purement et simplement éliminés de l’histoire, à l’instar de Judith Butler, l’amie d’Ariadne Oliver, de sa fille Miranda Butler, mais aussi de l’inspecteur Timothy Raglan, du chef de la police locale Alfred Richmond, du jardinier Michael Garfield, de Leopold et Ann Reynolds, le frère et la sœur de Joyce, de la richissime veuve Mrs Llewellyn-Smythe, de la directrice d’école Miss Emlyn, de l’institutrice Elizabeth Whittaker, du commissaire Spence et de sa sœur Elspeth, ou bien encore du légiste Ferguson et de madame Goodbody, la sorcière du village.
D’autres personnages, quant à eux, voient leur rôle être totalement réécrit et/ou considérablement altéré. C’est en particulier le cas de Joyce Reynolds. Décrite dans le roman comme une adolescente de treize ans coutumière du mensonge, celle-ci apparaît désormais sous les traits d’une médium d’un âge certain. Olga Seminoff, une jeune fille au pair originaire de Bosnie-Herzégovine et jadis employée par Mrs Llewellyn-Smythe, travaille cette fois comme gouvernante au service de Rowena Drake, elle-même dépeinte comme une chanteuse d’opéra réputée. Greffier assassiné avant même que ne commence l’intrigue principale de La Fête du Potiron, Leslie Ferrier est à présent un médecin traumatisé par les horreurs de la guerre et qui éprouve le plus grand mal à élever correctement son fils, Leopold. Desmond Holland, un adolescent de seize ans, est lui-même changé en Desdemona Holland, l’assistante de Joyce Reynolds et demi-sœur de Nicholas Holland, un personnage créé de toutes pièces, tout comme ceux du garde du corps Vitale Portfoglio, du cuisinier Maxime Gerard et de son ex-fiancée Alicia Drake, la défunte fille de Rowena.
Comme dans Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil, c’est Kenneth Branagh lui-même qui arbore avec malice la fameuse moustache sur célèbre détective. Originaire de Belfast où il voit le jour le 10 décembre 1960, l’acteur et réalisateur goutte au théâtre lors de ses études à la Meadway School. Intégrant bientôt la Royal Academy of Dramatic Art de Londres où il côtoie des étudiants comme Jonathan Pryce, Alan Rickman ou Fiona Shaw, il débute professionnellement en 1982 dans la pièce Another Country de Julian Mitchell qui lui vaut de décrocher le SWET (Society of West End Theatre) Award du Meilleur Espoir. C’est le début d’une formidable carrière qui l’amène à jouer dans de nombreux classiques comme Henry V, Roméo et Juliette, Beaucoup de Bruit pour Rien, Hamlet ou encore La Nuit des Rois qu’il monte avec la Renaissance Theatre Company, la troupe qu’il a créée avec David Parfitt. Branagh joue en parallèle au cinéma et à la télévision. Acteur-caméléon, il est notamment à l’affiche de productions aussi hétéroclites qu’Othello (1995), The Gingerbread Man (1998), Celebrity (1998), Wild Wild West (1999), La Route d’Eldorado (2000), Harry Potter et la Chambre des Secrets (2002), Walkyrie (2008), My Week With Marylin (2011 - film pour lequel il est nommé à l’Oscar du Meilleur Acteur dans un second rôle), Warm Springs (2005), Les Enquêtes de Wallander (2008-2015 - qui lui valent une nomination aux Golden Globes), Dunkerque (2017), Tenet (2020), This England (2022) et Openheimer (2023).
Passant quelquefois derrière la caméra, Kenneth Branagh réalise dans le même temps des longs-métrages aussi éclectiques qu’Henri V (1989 – film pour lequel il est nommé à l’Oscar du Meilleur Acteur et du Meilleur Réalisateur), Peter’s Friends (1992), Frankenstein (1994), Hamlet (1996 - en lice pour l’Oscar du Meilleur Scénario), Le Limier (2007), Thor (2011), The Ryan Initiative (2014), Cendrillon (2015), Artemis Fowl (2020) et Belfast (2021). Fait Chevalier de l’Ordre de l’Empire britannique en 2012, Kenneth Branagh n’en oublie enfin pas pour autant le théâtre et continue à se produire avec sa troupe, la Kenneth Branagh Theater Company dans laquelle il joue avec Dame Judi Dench, Lily James, Richard Madden et Rob Brydon.
Kenneth Branagh retrouve ici pour la troisième fois le personnage d’Hercule Poirot qu’il avait déjà incarné dans Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil. Avec délectation, l’acteur continue alors d’élargir la palette d’émotions du célèbre enquêteur. Présenté comme un détective pointilleux et psychorigide dans le premier film, Poirot semble cette fois moins maniaque. Deux œufs de taille différente pour le petit-déjeuner ne sont en particulier plus un problème alors même que cela en était un au début du (Le) Crime de l’Orient Express. Bagarreur et plutôt frondeur, notamment dans Mort sur le Nil, Hercule Poirot semble par ailleurs davantage posé et blasé. Lassé de la vie et désireux d’abandonner derrière lui toutes ces enquêtes qui ont fait sa renommée, il est par conséquent moins enclin à s’ouvrir sur le monde alors même qu’il adorait jadis côtoyer la bonne société et fanfaronner au sujet de ses exploits. Autrefois guilleret, Hercule Poirot a enfin perdu foi en Dieu et en l’humanité. Il apparaît dès lors plus sombre et plus vulnérable, davantage encore lorsque le surnaturel se confronte à son esprit pourtant si rationnel.
Comme il est d’usage pour chaque enquête d’Hercule Poirot portée sur grand écran, Kenneth Branagh s’est entouré, une fois encore, d’un casting prestigieux.
Le personnage de M. Bouc ayant disparu dans Mort sur le Nil, Hercule Poirot est ici épaulé dans son enquête par une autre amie fidèle, Ariadne Oliver. Créée par Agatha Christie qui la fait apparaître pour la première fois en 1932 dans la nouvelle L’Officier en Retraite avant de lui offrir des rôles plus consistants dans Cartes sur Tables (1936), Mrs McGinty est Morte (1952) et Le Cheval Pâle (1961), elle est interprétée par la comédienne Tina Fey. Formée à l’Université de Virginie d’où elle sort diplômée en théâtre en 1992, l’actrice se fait un nom grâce à l’émission Saturday Night Live et la série 30 Rock. Couronnée aux Emmy Awards, elle apparaît au cinéma dans des films comme Baby Mama (2008), Crazy Night (2010), Opération Muppets (2014) et Sisters (2015). Tina Fey tient ici le haut du panier en incarnant une Ariadne Oliver aussi truculente qu'exaltée par les événements, même si son implication dans cette affaire demeure elle-même entourée de beaucoup de mystères.
Kelly Reilly prête ses traits à Rowena Drake. Originaire de la région de Londres, l’actrice est apparue dans L’Auberge Espagnole (2002), Orgueil et Préjugées (2005), Madame Henderson Présente (2005), Sherlock Holmes (2009), Flight (2012) et Les Promesses (2021). Elle livre ici une prestation remarquable en incarnant cette mère de famille dévouée et dévastée par la mort de sa fille adorée, elle-même jouée par Rowan Robinson dont c’est le tout premier long-métrage. Camille Cottin interprète la gouvernante, Olga Seminoff. Au générique de Connasse, Princesse des Cœurs (2015) et Le Mystère Henri Pick (2019), l’actrice française est devenue l’une des chouchoutes des réalisateurs américains qui la font tourner dans Stillwater (2021) et House of Gucci (2021) ; elle offre elle aussi une composition fascinante dans le rôle de la domestique dévote obsédée par la religion.
Vu dans Marie-Antoinette (2006), Cinquante Nuances de Grey (2015), Robin des Bois (2018) et la série Once Upon a Time - Il Était une Fois (2011-2012), Jamie Dornan retrouve la caméra de Kenneth Branagh qui l’avait déjà fait tourner dans Belfast (2021). Le comédien offre à son personnage du docteur Leslie Ferrier beaucoup d’humanité et de tendresse. Il est épaulé pour cela par Jude Hill, le jeune acteur qui campait déjà son fils dans Belfast, et qui joue sans aucune fausse note son fiston surdoué Leopold. Emma Laird (Mayor of Kingstown) et Ali Khan (Red Rose) complètent le casting dans les rôles de Desdemona et Nicholas Holland. L’Italien Riccardo Scamarcio (Polisse, John Wick 2, Caravage) joue quant à lui le garde du corps Vitale Portfoglio tandis que Kyle Allen (West Side Story, Rosaline) interprète le fiancé Maxime Gerard.
La distribution donne enfin la part belle à Michelle Yeoh. Née le 6 août 1962 à Ipoh, en Malaisie, elle s’est fait un nom dans son pays en apparaissant dans divers films d’arts martiaux. Surnommée « la Reine du cinéma d’action asiatique », elle attire l’attention des producteurs américains qui la font tourner dans Demain Ne Meurt Jamais (1997), Mémoires d’une Geisha (2005), Sunshine (2007), La Momie : la Tombe de l’Empereur Dragon (2008), Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux (2021) et Les Gardiens de la Galaxie : Volume 3 (2023). Remarquable dans Tigre et Dragon (2000), elle est récompensée par l’Oscar de la Meilleure Actrice pour son interprétation d’Evelyn Wang dans Everything Everywhere All At Once (2022). Dans Mystère à Venise, elle porte sur ses épaules une large partie de l’atmosphère ésotérique de l’histoire. Toujours aussi gracieuse et intrigante, elle aide immanquablement à poser le cadre anxiogène du film.
Annoncé en mars 2022, le tournage de Mystère à Venise débute le 31 octobre 2022. Comme c’était déjà le cas pour Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil, peu de scènes sont en réalité filmées directement à Venise. Seules quelques prises de vues d’ambiance et des séquences mineures sont ainsi réalisées dans les artères de la Sérénissime. La majorité des décors sont alors reconstitués dans la banlieue de Londres, au studio Pinewood. Les effets spéciaux complètent ensuite la majorité des plans extérieurs. Si certains ne manqueront pas de crier au scandale et de dénoncer ce qu’ils ont déjà, par le passé, qualifié de « bouillie numérique », force est de constater que cet usage de la palette graphique offre malgré tout de très belles images qu’il aurait été impossible d’obtenir en filmant directement dans la Cité des Doges. Le feu d’artifice tiré au-dessus des toits de tuiles pour marquer la nuit d’Halloween est en particulier de toute beauté.
Le fait de ne pas avoir beaucoup tourné à Venise n’enlève pour autant rien au cachet du film. La plupart des scènes prennent en effet place dans les environs et à l’intérieur même du palais de Rowena Drake. Reconstitué en studio par les équipes du directeur artistique Peter Russell (Gladiator, Star Wars : La Revanche des Sith, Anges & Démons) et du décorateur John Paul Kelly (Deux Sœurs pour un Roi, Une Merveilleuse Histoire du Temps, La Ruse), l’édifice assure pleinement son rôle en créant un environnement oppressant. Parfaitement coordonné aux costumes dessinés par Sammy Sheldon (La Chute du Faucon Noir, V Pour Vendetta, X-Men : Le Commencement, Ant-Man), il reproduit avec une certaine nostalgie l’atmosphère si pesante de Venise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Comme L’Orient-Express et le Karnak avant lui, le palais vénitien peut lui-même être considéré comme un personnage du film à part entière. Mitée par le temps, la maison craque. Les lustres tremblent. Les murs transpirent à cause de l’humidité et de la pluie. Les rideaux sont soulevés par les courants d'air. Certaines lampes éclatent. Les portes claquent. Possédant un soupçon de gothique, la maison décrépite contribue pleinement à amplifier encore davantage l’ambiance anxiogène voulue par Michael Green et Kenneth Branagh. Au moment d’adapter La Fête du Potiron, tous les deux font en effet le choix de surprendre le public en composant un récit par de nombreux aspects effrayant. En déplaçant l’intrigue à Venise, ils profitent de l’environnement si particulier de la ville avec ses ruelles, ses demeures parfois éreintées par le temps et ses habitants en costumes. En modifiant certains rôles, ils accentuent encore le caractère occulte de leur script.
Pour aller au bout de la démarche, Mystère à Venise emprunte enfin largement les codes propres à certains classiques de l’horreur. L’ambiance est pensante. L’obscurité est presque omniprésente. Le directeur de la photographie Haris Zambarloukos (Le Limier, Mamma Mia !, Thor, En Eaux Très Troubles) s’est notamment inspiré de films comme Les Innocents (1961), Kwaïdan (1964), L’Opération Diabolique (1966), De Sang-Froid (1967) et, plus récemment, Les Autres (2001) pour reproduire la tension et le caractère macabre de la plupart des scènes. Devant la caméra, certaines images se démarquent avec un cadrage perturbant. Des plans sont déstabilisants, Branagh n’hésitant pas à retourner son objectif dans tous les sens. Le montage, réalisé par Lucy Donaldson (Stuck, Ma), est par ailleurs très serré. Les séquences s’enchaînent rapidement et parfois de manière hachée avec énormément de coupures montrant les environs du palais sous la pluie ou bien des endroits et des objets mystérieux à l’intérieur même du palais. Au finalement, le spectateur est incapable de savoir où se trouvent réellement les personnages dans ce palais qui s’apparente plus à un dédale dangereux qu’à une luxueuse villa vénitienne.
L’atmosphère anxiogène et stressante de Mystère à Venise est évidemment renforcée par la partition d’Hildur Guonadóttir (Chernobyl, Joker, Tár) qui, pour l’occasion, remplace Patrick Doyle, le partenaire historique de Kenneth Branagh. Si aucun thème ne restera en tête après la séance, la musique contribue malgré tout au caractère horrifique de l’ensemble. Entre accélérations et silences pesants, cris et chuchotements, elle s’inspire, elle aussi, des codes de l’horreur sur grand écran en cherchant à provoquer quelques sursauts dans la salle.
En choisissant de réaliser un thriller horrifique à mille lieues de ses adaptations du (Le) Crime de l’Orient-Express et de Mort sur le Nil, Kenneth Branagh souhaite incontestablement perturber son public. Et force est de constater qu’il y parvient remarquablement. Après une scène de contextualisation amusante mais bien plus courte que dans les deux films précédents, il plonge directement les spectateurs dans l’étrange et le paranormal. La première demi-heure, comme il est d’usage, permet de présenter les personnages et de semer le doute quant aux intentions des uns et des autres. Le second acte, marqué par la séance de spiritisme puis la mort brutale de l’un des participants, lance ensuite l’intrigue principale à la recherche du meurtrier. Le troisième acte, durant lequel Poirot mène l’enquête, reprend rapidement les codes du film policier avec ses interrogatoires successifs. Néanmoins, le public sera surpris car les mécanismes et les ficelles habituels de ce genre de films ont tôt fait de s’évanouir lorsque les superstitions et les visions prennent le pas sur le réel. La partie de Cluedo géante prend ainsi un tournant brillamment inattendu. Chacun est alors en droit de se demander comment le dernier acte parviendra à remettre un peu d’ordre dans cette « histoire de fantômes ».
Si Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil peinaient à surprendre, les deux histoires étant souvent connues après avoir été maintes fois portées à l’écran, Mystère à Venise remplit parfaitement son rôle de film à suspense. En s’éloignant considérablement de l’œuvre originale, le long-métrage parviendra même à surprendre les lecteurs les plus assidus de l’œuvre d’Agatha Christie qui, c’est sûr, seront étonnés de la tournure que prennent les événements. Personne, dès lors, du néophyte à l’expert en romans policiers, ne se trouve en terrain connu au moment où débute le générique. Et c’est bien là que réside tout le piment de Mystère à Venise. La magie noire et le surnaturel sont si présents que chacun ne manquera pas de se demander comment cela va-t-il – ou même peut-il – se finir ?
Classé PG-13 aux États-Unis (ce qui impose que les enfants de moins de 13 ans doivent de fait être accompagnés d’un adulte), Mystère à Venise est proposé dans les salles américaines dès le 15 septembre 2023, deux jours après sa sortie française et quatre jours après sa grande première organisée à l’ODEON Luxe Leicester Square de Londres. Produit avec un budget avoisinant les 60 millions de dollars, le long-métrage réalise un démarrage prometteur en Amérique du Nord avec 5,5 millions de dollars de recettes dès le premier jour d’exploitation, auxquels s’ajoutent 1,2 million de dollars récoltés lors de sa soirée d’avant-première (soit 100 000 dollars de plus que Mort sur le Nil un an plus tôt). Et à la fin du premier week-end de diffusion, 12 millions de dollars sont déjà rentrés dans les caisses.
Si le public semble au rendez-vous, la presse est néanmoins assez partagée. « Mystère à Venise nage entre deux eaux », note Jason Zinoman dans les colonnes du (The) New York Times, « Mais cela reste divertissant. Les visuels sont élégants, la photographie d’Hari Zambarloukos est saisissante. Voilà qui caractérise le film en tant que somptueux divertissement hollywoodien produit comme à l’ancienne ». « Ce qui est marquant dans ce film », écrit pour sa part Justin Chang dans The Los Angeles Times, « ce n’est pas la succession habituelle d’indices et de fausses pistes, c’est plutôt la douleur ressentie par les personnages quelques années après la fin de la guerre ». « Mystère à Venise est la meilleure adaptation de l’œuvre d’Agatha Christie proposée par Kenneth Branagh », ajoute Michael Phillips du Chicago Tribune.
D’autres journalistes nuancent cependant les avis positifs de leurs collègues. « Voilà un long-métrage qui s'évertue vraiment à gaspiller le talent de ses acteurs », estime Peter Bradshaw dans The Guardian. « Ce nouveau film est passablement ennuyeux », pense de son côté Caryn James, l’une des critiques du Hollywood Reporter qui encense malgré tout les prestations de Kenneth Branagh et Camille Cottin avant d’enfoncer le reste du casting, jugé complètement « endormi ». Dans Rolling Stone, David Fear enfonce le clou en déclarant que « Mystère à Venise est anémique et paresseux » et que le public risque certainement de « s’ennuyer à mourir ».
Décrit par Kenneth Branagh comme un « thriller surnaturel », Mystère à Venise est incontestablement un OVNI dans la longue filmographie d’Hercule Poirot. Jamais aucune adaptation de l’œuvre d’Agatha Christie n’avait en effet adopté un parti pris aussi surprenant. À n’en pas douter, c’est un risque particulièrement osé et certains adoreront sûrement l’audace du réalisateur. D’autres, en revanche, détesteront. Mais une chose est sûre, Mystère à Venise ne laissera personne indifférent.