Titre original : Skin Production : New Native Pictures Date de mise en ligne USA : Le 18 mars 2019 Distribution : Fox Searchlight Pictures Genre : Drame |
Réalisation : Guy Nattiv Musique : Brian McOmber Durée : 21 minutes |
Le synopsis
Johnny et Christa sont membres d’un groupe Néo-Nazi au sein duquel ils étalent leur racisme et leur amour des armes à feu sous le regard de leur petit garçon prénommé Troy. Alors que ce dernier croise le regard d’un homme afro-américain à la caisse d’un supermarché, le racisme de Johnny s’abat et provoque le chaos au sein de deux familles. |
La critique
Skin est un court-métrage qui parvient en une vingtaine de minutes à montrer la spirale de haine engendrée par le racisme et sa capacité à détruire toute once d’humanité et d’innocence. Le spectateur ne ressort pas indemne du visionnage de ce qui constitue un film coup de poing à la mise en scène parfaite.
Créé en 1994, Fox Searchlight Pictures, studio spécialisé dans la production et la distribution de films indépendants, a connu de nombreux succès critiques et commerciaux, emportant notamment à quatre reprises l’Oscar du Meilleur Film avec Slumdog Millionnaire en 2008, 12 Years A Slave en 2013, Birdman (ou la Surprenante Vertu de l'Ignorance) en 2014 et La Forme de l’Eau - The Shape of Water en 2017. Alors qu’il s’apprête à entrer dans le giron de The Walt Disney Company le 20 mars 2019, le studio s’active sur le marché des courts-métrages avec l’ambition de rencontrer la même réussite sur ce format qui lui permet également de découvrir de nouveaux talents. Fox Searchlight acquiert ainsi les droits de distribution de Feathers (2018) de A.V. Rockwell, Birdie (2018) de Shelly Lauman et Lavender (2019) de Matthew Puccini. Début 2019, le studio annonce l’acquisition de Skin et sa volonté de diffuser l’œuvre sur ses réseaux sociaux.
Le programme Searchlight Shorts est en effet lancé le 18 mars 2019 avec Skin et vise à distribuer en ligne et gratuitement les courts-métrages acquis par le label. Mais peuvent également y être publiés d’anciens films courts de cinéastes établis, comme Two Cars, One Night, réalisé en 2004 par Taika Waititi (Thor : Ragnarok). Ces contenus, Skin en tête, ne sont malheureusement pas disponibles pour la France sur la page YouTube de Fox Searchlight. Il est néanmoins possible de les visionner légalement depuis le territoire français en se connectant à la version américaine de la page Facebook du studio.
Skin porte la patte très personnelle de son réalisateur, Guy Nattiv. Né le 24 mai 1973 à Tel Aviv en Israël, le cinéaste aime s’exprimer par l’intermédiaire de formats courts. Il s’agit pour lui d’expérimenter, tant sur le propos que sur le visuel. Il reçoit ainsi l’Ours de Cristal à Berlin en 2002 pour son premier essai, Mabul, avant de recevoir le prix du Festival de Sundance en 2006 avec Strangers. Il adapte ces deux idées en longs-métrages, respectivement en 2008 et 2012.
Après son arrivée aux États-Unis, il souhaite tourner un long-métrage qui parlera de l’Amérique afin d’intéresser les producteurs et les acteurs du pays. Le thème du racisme est ainsi tout trouvé au regard de l’histoire et de l’actualité de la condition des Afro-Américains. Toutefois, Guy Nattiv n’est pas en terrain inconnu en abordant ce sujet grave. Il tient en effet son inspiration du racisme qu’il a pu observer en Israël, qui est selon lui “un microcosme” du pays dans lequel il vit désormais. Son point de vue est donc selon lui celui d’un étranger qui débarque en Amérique avec la vision du racisme de son pays d’origine. Ainsi, pour le réalisateur, si Skin avait eu pour décor une ville israélienne, la rencontre violente aurait pu être celle “entre un Arabe et un Juif, entre un Ashkénaze et un Mizrahim ou entre un religieux et un laïc”. Il voit alors le cinéma comme un moyen de transmettre un message fort afin de faire cesser l’endoctrinement qui mène au racisme.
Guy Nattiv veut initialement tourner un long-métrage, mais ne parvient pas à le faire financer. Il décide alors de rabattre sur un format court. Il tire d’une idée originale de son ami réalisateur et scénariste israélien, Sharon Maymon, l’histoire d’un père skinhead qui endoctrine son enfant et l’entraîne dans une escalade destructrice après avoir roué de coups un homme noir qui a eu le malheur de croiser leur chemin à la caisse d’un supermarché. Les deux hommes écrivent ainsi le scénario en un week-end, en se basant également sur un fait divers. Nattiv et sa femme décident par la suite de financer le court-métrage avec leur plan d’épargne retraite, comptant rembourser leur avance avec les droits de distribution. Chose notable, Nattiv parviendra finalement à trouver le financement pour son idée de long-métrage. Sort donc en 2018 un film également appelé Skin, dans lequel il met en scène la biographie d’un ancien skinhead, Bryon Widner, joué par le Britannique Jamie Bell (Billy Elliot, Les Fant4stiques). Présenté au Festival International du Film de Toronto en septembre 2018, l’opus emporte un grand succès critique et doit être diffusé à l’international dès l’été 2019 par les distributeurs A24 et Voltage. Danielle Macdonald, remarquée dans le court, joue également dans ce long format.
Le casting du court-métrage est, pour sa part, une belle réussite. Très impliqués, les acteurs font des rencontres et effectuent d’importantes recherches avant le tournage afin de se saisir pleinement des enjeux cruciaux portés par le scénario. Jonathan Tucker, principalement connu pour ses rôles dans les séries Justified, Kingdom et Snowfall, interprète Johnny Aldd, un skinhead père de famille irresponsable qui apprend à son enfant à tirer avec un fusil. Très convaincant, l’acteur livre une performance qui fait froid dans le dos tant la haine est perceptible dans son regard. Capable de faire preuve d’une violence gratuite et sans limite, Johnny rappelle ainsi le personnage d’Edward Norton (L’Incroyable Hulk, The Grand Budapest Hotel) dans American History X (1998).
Danielle Macdonald joue quant à elle sa compagne, Christa. Notamment apparue pour Netflix dans la série Easy et le long-métrage Dumplin’ (2018), la comédienne australienne remplit ici efficacement son rôle de personnage support. Christa semble envoûtée par son conjoint et se complaît dans un univers pourtant emprunt de testostérone au sein duquel elle n’a qu’un rôle de faire-valoir. Elle tente vainement d’arrêter Johnny lorsque celui-ci s’apprête à attaquer un homme pour sa couleur de peau, mais est incapable de le lui reprocher.
L’importance donnée aux enfants est certainement l’un des principaux atouts de Skin. Jackson Robert Scott (Ça) et Lonnie Chavis (This Is Us), tous deux âgés d’une dizaine d’années, se partagent en effet l’affiche où leurs visages sont accolés. Le premier joue le rôle de Troy, fils d’un couple de Néo-Nazis qui assiste aux horreurs commises par son père et son groupe d’amis et apprend avec eux à manier les armes, tandis qu’il développe une véritable fascination pour les serpents qui donne lieu à une discussion surréaliste et effroyable avec ses parents. Il ressort alors du jeu du jeune comédien une impression de fatalité, le spectateur prenant pitié pour le personnage en voyant s’envoler son innocence. Sujet à un véritable embrigadement, Troy est en effet l’illustration des ravages provoqués par le racisme lorsqu’il est distillé dès le plus jeune âge. Si le contexte est différent, la situation évoque également l'endoctrinement de mineurs dans un camp évangéliste américain narré dans le documentaire Jesus Camp (2006) ou celui mis en place dans les dictatures et dénoncé par Disney dans le cartoon de propagande Education for Death (1943), au cœur de la Seconde Guerre mondiale. L’univers d’un enfant est restreint et celui-ci absorbe ce que son entourage lui transmet, à l’échelle d’une famille comme d’un pays. Selon Guy Nattiv, ce problème est en effet universel, dès lors qu'il s'agit de laver le cerveau des plus jeunes. L’éducation est primordiale dans ce que deviennent les enfants, qui sont de véritables éponges et imitent naïvement ce que font leurs parents. Celui à qui est enseigné la haine, plutôt que l’amour et la compassion, ne pourra donc que haïr toute sa vie.
Lonnie Chavis incarne quant à lui Bronny, jeune Afro-Américain qui assiste devant ses yeux à la mise à tabac de son père par un groupe de skinheads. Terrassé par la peur avant de se murer dans le silence, il s’exprime par un regard qui en dit plus long que n’importe quel dialogue. Troy et Bronny assistent au travers des vitres d'un véhicule à un choc qui frappe littéralement leurs familles respectives. La construction parallèle mise en place par Guy Nattiv est saisissante. Peu importent les origines différentes des deux enfants et les faits dans lesquels ils se trouvent impliqués au cours de l’histoire, les épreuves auxquelles ils sont confrontés changent à tout jamais le cours de leur existence et brisent leur innocence.
Skin est poignant et réussit un véritable tour de force en accrochant le spectateur à son fauteuil durant vingt-et-une minutes. Il garde le ventre serré et se voit bouleversé par le déroulement des événements qui s’enchaînent à un rythme effréné. Pourtant, le court-métrage prend son temps et laisse la caméra filmer des scènes du quotidien avec un tempo correspondant à la normalité des situations. Le contraste entre un contexte classique de vie familiale et un racisme et une haine latents prend de court et crée une tension importante. Intelligent, le scénario construit minutieusement la mécanique de la fureur au fur et à mesure de son déroulement. Il donne par ailleurs tout son sens au titre du film, évoqué de nombreuses manières. Bien que la destruction attendue soit inarrêtable, le déroulement de l’intrigue surprend, la mise en scène glissant en effet des fausses pistes dans la deuxième partie de l'opus.
Guy Nattiv fait incontestablement preuve ici d’une grande maîtrise des techniques de réalisation et utilise des cadrages variés allant de la caméra à l’épaule aux prises de vues aériennes. Le parallélisme de certains plans accentue le sentiment d’inéluctable de certaines situations. La photographie participe également au contraste mis en valeur, entre la lumière éblouissante au milieu d’un endroit désertique où se matérialise l’endoctrinement d’un enfant et la nuit plongeante, éclairée ou non de néons, dans laquelle la violence la plus primaire s’exprime. Toutefois, elle est tellement omniprésente qu'elle n'a pas besoin d'être montrée crûment. Si certaines séquences sont pratiquement insoutenables, Nattiv fait en effet preuve d’une certaine pudeur en jouant avec l’obscurité. La part laissée à l’imagination contribue également sans doute au développement de l’angoisse ressentie par le spectateur, également appuyée par l’absence de musique ou par la bande sonore discrète et très ponctuelle composée par Brian McOmber. Le rendu est totalement brut, à l’image de la brutalité de la réalité filmée par Nattiv.
Skin est essentiel pour le message qu’il porte. En mettant en lumière les conséquences du racisme et de la violence lorsqu’ils sont inculqués à des enfants, il montre les dangers qui guettent l’ensemble de l’humanité dès lors que celle-ci laisse de l’espace à la haine raciale. Le film résonne encore davantage dans le contexte de sa sortie aux États-Unis, alors que la parole raciste semble se libérer de plus en plus. Les manifestations de membres de l’extrême-droite américaine à Charlottesville en Virginie en août 2017 ont ainsi été le théâtre d’un déferlement de haine qui a conduit au meurtre de Heather D. Heyer, militante des droits civiques renversée volontairement par la voiture d’un suprémaciste blanc lors d’une contre-manifestation. Le 24 février 2019, l’Académie des Oscars attribue à Skin l’Oscar du Meilleur Court-Métrage et récompense ce chef-d’œuvre pour ses qualités cinématographiques indéniables et pour la vision de son réalisateur. Mais elle permet également de rendre son message plus visible et contribue à le diffuser plus largement, en faisant un véritable acte politique dans un pays où les violences contre les Noirs continuent de s’écrire au présent.
Skin est une grande réussite qui touche à la perfection. Fort de la mise en scène très inspirée de Guy Nattiv et porté par des comédiens excellents, le court-métrage délivre un message essentiel en mettant en garde contre le racisme, l’endoctrinement des plus jeunes et la spirale de la violence.
Véritable chef-d’œuvre légitimement récompensé de l’Oscar du Meilleur Court-Métrage, Skin est à voir d’urgence !