Edmond Tourriol
Les Métiers de l'Ombre des Comics en France
L'article
Le 19 novembre 2019, Chronique Disney était invité au studio MAKMA, situé à Bordeaux, afin de s'entretenir avec Edmond Tourriol, l'un de ses cofondateurs. Dans cet entretien particulièrement riche ont été abordées les nombreuses missions de MAKMA, à commencer par le travail de traduction et de lettrage opéré par le studio sur une large part des comics distribués en France, dont de nombreux titres Marvel édités par Panini Comics dans l'Hexagone.
Edmond Tourriol, photo (c) Dominique Clère
[Chronique Disney] Bonjour Edmond, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel et sur la naissance de MAKMA ?
[Edmond Tourriol] Salut ! Avant de vous parler de mon parcours, il faut que je vous dise d'abord d'où je viens. Je suis né en 1974, et je suis tombé dans les super-héros quand j'étais tout petit. Il y avait une série à la télévision qui s'appelait L'Homme-Araignée, et c'est ce dessin animé qui m'a donné envie de lire les aventures de Spider-Man qui paraissaient dans Strange, un magazine légendaire pour les gens de ma génération. Au début, c'est ma mère qui nous lisait à mon frère et à moi les comics qu'elle nous achetait, mais c'est pénible de lire une BD à un enfant, ce n'est pas comme un livre illustré, alors très vite, elle a compris qu'il valait mieux qu'on apprenne à lire nous-mêmes, ce qui fait que j'ai su lire avant l'âge de 5 ans, grâce aux comics de super-héros. À l'école, durant les présentations, je disais même que je voulais être scénariste de bandes dessinées, mais au fond de moi, je voulais être scénariste des X-Men ! Je n'en ai pas encore écrit, mais je ne suis pas tombé très loin puisque j'ai finalement traduit énormément de comics Marvel !
Quand j'avais une vingtaine d'années, j'ai décidé qu'il fallait que je réalise mon rêve. Avec un ami, on a créé un fanzine, dans lequel on voulait publier les super-héros qu'on avait imaginés, et on avait évidemment l'ambition de le vendre dans la France entière par correspondance ! On a ensuite créé un premier studio associatif, qui s'appelait Climax Comics. On a fait ça en amateur pendant quelques années, on écrivait nos histoires, on les dessinait et on les lettrait, et on a même appris le travail d'éditeur en quelque sorte. Au total, on a fait une cinquantaine de fanzines, qui se sont vendus entre 50 et 100 ou 200 exemplaires pour les plus vendus. Malgré tout, on a appris énormément et avec l'équipe de Climax Comics, on a décidé en 2001 de créer une entreprise, qui est devenue le studio MAKMA peu de temps après. À force de fréquenter les différents salons pour présenter nos travaux, on a fini par beaucoup connaître les éditeurs et j'ai eu l'opportunité de traduire en 2001 un premier comics de CrossGen Comics édité par Semic en France. C'est d'ailleurs intéressant parce que cet éditeur a été racheté en 2004 par The Walt Disney Company, qui n'en a rien fait au final ! Ils proposaient beaucoup de comics orientés Science-Fiction et Heroic Fantasy et c'était super intéressant. J'ai continué à travailler chez Semic ensuite, j'ai traduit des comics Batman et la première édition de The Walking Dead, ce qui m'a amené ensuite à traduire les tomes suivants sortis chez Delcourt. Il s'est par contre passé un long moment avant qu'on ne travaille véritablement sur des comics Marvel avec Panini Comics. En 2011, il y a eu un séisme sur le marché du comics français. Dargaud récupère les droits de DC Comics et crée Urban Comics, alors que Panini Comics avait arraché les droits de DC à Semic en 2005, et ils avaient depuis un quasi-monopole sur le marché du comics. Devant cette situation, Panini Comics a peut-être voulu marquer le coup en embauchant de nouveaux traducteurs et c'est à ce moment-là qu'on a reçu nos premiers contrats. Après 20 ans, MAKMA représente aujourd'hui environ un tiers de la traduction et du lettrage des comics proposés sur le marché français.
[Chronique Disney] Comment fonctionne un studio comme MAKMA pour effectuer une traduction ? Nous nous attendions presque à trouver des rangées de tables alignées avec des traducteurs penchés sur leurs exemplaires originaux de comics !
[Edmond Tourriol] Alors ça, c'était avant ! Autrefois, oui, on travaillait avec les comics originaux au format papier, je les mettais à gauche et mon ordinateur à droite, et je travaillais comme ça. Depuis quelques années maintenant, on reçoit les comics au format numérique, alors on a intérêt à avoir un, voire deux écrans en face de nous. Pour répondre sur le fonctionnement du studio, il faut savoir que MAKMA regroupe une cinquantaine de collaborateurs et deux patrons, Stephan Boschat et moi. Stephan dirige le pôle graphisme, lettrage et tout ce qui concerne les maquettes et moi, je m'occupe plutôt du pôle traduction. Nos collaborateurs travaillent en majorité depuis chez eux. On se retrouve pour les réunions et surtout sur les festivals et les séances de dédicaces. On en profite pour rencontrer les éditeurs pour leur proposer des projets, parler des nouveautés et faire part de nos envies de traduction et de lettrage. Sinon, Stephan et moi sommes également scénaristes tous les deux et nous pouvons être présents sur toutes les différentes étapes de la création d'une bande dessinée, mais pas seulement. On a par exemple réalisé quelques créations pour Hachette en lien avec Disney, que ce soit des livres de coloriage, des jeux de société ou des livres illustrés. On touche à tout et si on nous demande de faire intervenir un graphiste ou un scénariste, on peut relever le défi puisqu'on réunit tous les talents qui existent dans le milieu de la bande dessinée.
[Chronique Disney] Sur le site internet de MAKMA, vous utilisez le terme de « Transcréation », qu'est-ce que c'est ? Est-ce indissociable de la politique de traduction menée par MAKMA ?
[Edmond Tourriol] La Transcréation, c'est un néologisme qui mélange les termes « Translation » [traduction] et « Creation » [création]. Nous sommes avant tout des créateurs. Je suis scénariste et traducteur, mais quand j'adapte en français, je ne me considère pas comme un traducteur mais plutôt comme un adaptateur de comics. Je ne traduis par un comic book avec le dictionnaire sur les genoux et je ne fais pas de traduction littérale pure : j'adapte. Dans les comics, les dialogues sont très importants, il faut que ça percute, sans ça il n'y a pas d'émotions. Traduire de manière littérale n'aura parfois pas le même impact que si on reformule et pense le texte pour le lecteur français. Il y a deux branches qui se dessinent chez les traducteurs : il y a l'école des « Sourciers », ceux qui sont très respectueux de la source et qui vont traduire de manière littérale le comic book de départ jusqu'au contenu de chaque phrase ; et il y a les « Ciblistes », ceux qui pensent avant tout au lecteur cible en choisissant donc de beaucoup réécrire. Je pense qu'il faut trouver un juste milieu. La mission qu'on me donne, c'est de transmettre en français toutes les informations présentes dans les bulles et les encadrés du comics. Après ça, si l'information, au lieu d'être dans la bulle de tel personnage en V.O, se retrouve dans celle d'un autre personnage en V.F, peu importe. L'information est passée. L'autre contrat qui pour moi est capital, c'est que le lecteur qui lit un comics veut être ému, touché et surpris, et les dialogues participent vraiment à ça. Dans The Walking Dead par exemple, je me suis particulièrement impliqué pour respecter non pas les dialogues à la lettre, mais pour respecter l'esprit des dialogues, pour qu'ils soient toujours au service du lecteur et qu'ils le marquent de manière plus efficace qu'une traduction très littérale. Dans mon adaptation, le personnage de Negan est vraiment pensé pour le lectorat français, pour retranscrire au mieux l'outrance de ses propos. Et ça a eu l'air de bien marcher, les gens adorent les dialogues de Negan !
[Chronique Disney] Qu'est ce qui fait qu'une adaptation de comics est de qualité ?
[Edmond Tourriol] Une bonne traduction, dans nos métiers de l'adaptation, tout comme un bon lettrage d'ailleurs, c'est quelque chose qui se fait oublier. Si le lecteur la remarque, c'est qu'on s'est fait repérer. Mais il m'arrive parfois de recevoir des commentaires de lecteurs qui critiquent mon travail, même quand je n'ai fait que traduire ! Je me suis par exemple vu reprocher les dialogues du personnage de Jubilee dans les comics des X-Men. À la toute fin des années 80, Chris Claremont et Marc Silvestri créent Jubilee, un personnage qui est plus ou moins l'équivalent de Robin chez DC Comics. Ce qu'est Robin à Batman, Jubilee l'est à Wolverine. Il y a un décalage entre Wolverine et cette jeune fille qui arrive, qui est le même décalage qu'entre Batman et Robin ; les deux portent d'ailleurs quasiment le même costume, sauf que Jubilee porte un short en jean ! C'est presque un hommage au Robin de The Dark Knight Returns. Quand ce personnage arrive, il est vraiment insupportable, c'est un cliché d'adolescente superficielle et caricaturale. Du coup, dans sa première apparition, elle a des dialogues atroces. Il se trouve que j'ai respecté ça et je me suis fait tacler alors que j'ai complètement adapté la volonté de Claremont. Une bonne traduction, c'est aussi celle qui provoque l'émotion du lecteur. Si j'achète un comic book, ce qui n'est pas donné d'ailleurs, la moindre des choses c'est que je ressente une émotion. Parfois, le problème vient pourtant du scénariste plutôt que du traducteur. Certains auteurs se retrouvent sur des séries sans savoir comment parlent les personnages. Quand je vois que le scénariste n'a pas compris la manière de parler des personnages, je rétablis leurs voix françaises. Par exemple, Ben Grimm, alias la Chose dans Les Quatre Fantastiques, il a une voix très particulière, c'est un mec bougon qui parle un peu en argot, il est plus vieux que les autres, il a une manière de s'exprimer qui lui est propre et on est obligés de respecter ça en français, même si le scénariste l'oublie parfois. C'est pareil pour le Fauve chez les X-Men. Stan Lee a d'ailleurs dit que l'intérêt du Fauve, c'est qu'on lui donne un langage docte et pompeux, il parle avec un vocabulaire soutenu qui est en complet décalage avec son apparence bestiale. Ce qu'il faut, c'est que le lecteur des comics en V.F ait une continuité, avec les tutoiements, les vouvoiements, les noms de codes, tout ça doit être cohérent, et pour ça il faut avoir une énorme culture du monde des comics pour bien traduire.
[Chronique Disney] Et quelles sont les qualités qui font un bon lettrage ?
[Edmond Tourriol] Pour le lettrage, c'est différent de la traduction, puisqu'il faut que ça ressemble au matériel de départ. La plupart du temps, il suffit de respecter le matériel, mais nous n'avons pas toujours accès aux mêmes polices par exemple. L'une des fautes que commettent souvent les débutants, c'est de laisser tout le texte en majuscule ou de mal gérer les empattements, qui ne sont présents normalement que sur la première majuscule du mot. Ce sont des détails, mais ça me fait sortir de ma lecture. Parfois, il y a un journal avec des gros titres dans une case, c'est un élément important pour la lecture et le lettreur, bien que ce ne soit pas toujours de sa faute, laisse la coupure de presse en anglais, avec éventuellement une astérisque qui traduit le texte sous la case. Mais c'est dommage ! Bien sûr, faire traduire directement ce journal fait intervenir un graphiste, mais je trouve ça mieux, car si on attire l'attention du lecteur dessus, c'est que c'est important. Une traduction avec une astérisque, ça ne représente pas la même expérience de lecture. Mais il n'y a pas que le cas du journal, il y a parfois des tatouages comportant des messages importants ou des lettres tracées avec du feu dans les comics. Ces éléments compliqués nécessitent un travail graphique qu'on peut proposer au sein de MAKMA, puisque nos artistes sont capables de recréer ce genre d'effets.
Batman : White Knight (Urban Comics, 2018), lettrage : Ben Basso/MAKMA
[Chronique Disney] Avez-vous une plus grande liberté artistique dans votre travail en fonction des éditeurs et des titres ? Un comics comme The Walking Dead, par exemple, vous laisse-t-il une plus grande marge de manœuvre qu'un titre Marvel ?
[Edmond Tourriol] Pas forcément, puisque pour The Walking Dead, si on a démarré en dessous du radar avec Semic, aujourd'hui c'est l'une des séries qui réalise les plus grosses ventes et je ne peux pas faire n'importe quoi. Il y a aussi beaucoup de retouches qui sont faites en urgence sur mes traductions, et des choix avec lesquels je ne suis pas forcément d'accord. Par exemple, dans le tome 30, Nouvel Ordre Mondial !, il y a un personnage qui s'appelle la Gouverneuse. En anglais, elle se fait appeler The Governor, c'est-à-dire comme un autre personnage que Rick Grimes a déjà rencontré au début de la série et qui a commis des actes monstrueux. Quand Rick entend ce nom de nouveau, il est donc choqué. Moi, j'avais choisi de l'appeler Madame le Gouverneur, mais pour une raison qui m'échappe, il a été décidé qu'elle s'appellerait plutôt la Gouverneuse. Il y a eu un « rechercher - remplacer » dans mon texte, ce qui a changé tous les mots « Gouverneur » en « Gouverneuse ». Donc, quand Rick dit qu'il a rencontré quelques problèmes avec le Gouverneur auparavant, ça a été changé malencontreusement, et il dit alors qu'il a eu des soucis avec un homme qui s'appelait la Gouverneuse... C'est dommage, c'est une incohérence. En réalité, même si on revient parfois sur mon travail et que les délais de production sont tels que ça part à l'impression tout de suite après, on me laisse quand même pas mal de liberté. Je fais ce métier depuis vingt ans et les éditeurs ont confiance en moi et en mes choix. Mais ça dépend beaucoup des séries. Je connais des traducteurs sur Deadpool qui doivent réécrire des pans entiers car c'est tellement humoristique, avec des jeux de mots ou des citations de chansons à toutes les pages, que ce ne serait pas évident à comprendre pour le lecteur français. Je n'ai pas traduit moi-même de comics de Deadpool mais j'en ai lu énormément, et c'est l'exemple type du comics sur lequel il y a un très gros travail d'adaptation.
[Chronique Disney] Vous avez parlé des délais de production très courts. Alors que les lecteurs français déplorent parfois qu'un titre n'arrive en France que six mois après sa sortie aux États-Unis, combien de temps faut-il pour adapter un comics ?
[Edmond Tourriol] Mais il faut se dire que six mois après la sortie américaine, c'est très court ! Quand on doit traduire une série, on reçoit en général assez vite les premiers épisodes. Par exemple, pour Le Batman Qui Rit, j'ai eu les cinq premiers épisodes très vite et on m'a donné un délai confortable pour les traduire. Puis j'ai reçu le sixième, qu'il fallait traduire en une semaine, et le septième, qu'il fallait traduire dans la journée pour qu'il passe ensuite au lettrage puis à la relecture avant d'être envoyé en presse ! Il y a des délais de dingue. Dans les premiers épisodes, le scénariste pose des pistes sur ce qui va se passer, il donne des indices sur les épisodes futurs, mais on se retrouve à traduire des choses sans connaître la fin. Parfois, on connaît le scénariste et on peut lui poser la question, mais ce n'est pas toujours le cas. Des fois, on reçoit la suite et on se rend compte qu'on doit modifier plein de choses. C'est souvent le cas dans les gros événements comme Le Batman Qui Rit ou Batman Metal. Six mois, ça peut paraître long, mais c'est parce que la chaîne du livre est très longue. Après la traduction, il y a le lettrage, la relecture, la maquette, la validation des éditeurs, l'envoi à l'imprimeur, la livraison aux distributeurs, puis enfin aux librairies. Parfois, pour éviter qu'il n'y ait un déraillement industriel dans cette chaîne, c'est mieux de garder un ou deux mois de marge. Quand on travaille sans filet, on peut faire des erreurs ou rencontrer des difficultés. Le cas du (Le) Batman Qui Rit est parfait comme exemple. Dans le comics, à mesure que la transformation de Batman s'amorce, il y a des lettres de ses dialogues qui, au lieu d'être dans la police de pensée de Batman, sont dans celle du Joker. Mais ces lettres forment des mots, et c'est difficile à rendre et à adapter en français ! Idéalement, il faudrait avoir le temps, mais on ne l'a pas toujours.
[Chronique Disney] En tant que pur lecteur de comics, quels sont les personnages et les univers Marvel qui se démarquent le plus selon vous ?
[Edmond Tourriol] Comme je le disais, j'ai appris à lire avec l'univers Marvel. Mon premier intérêt de lecteur, c'était L'Homme-Araignée, c'est peut-être même à cause de Peter Parker que j'ai fait des études scientifiques ! Ses aventures à la fac, ses expériences scientifiques me fascinaient, et j'ai fini par faire une licence de chimie. Mais quand je suis arrivé en seconde, on m'a demandé ce que je voulais faire comme métier, et j'étais dans ma phase Daredevil. Donc j'ai répondu que je voulais être avocat, et j'ai failli faire du droit, pour faire comme Matt Murdock ! Il y a aussi eu les X-Men. Je suis un grand admirateur de Chris Claremont, de la période où il reprend les X-Men dans les années 70 jusqu'à son départ forcé en 1991, c'est pour moi la meilleur période et la meilleure série, surtout en collaboration avec John Byrne ; La Saga du Phénix Noir, La Division Alpha, ce sont vraiment mes épisodes préférés. Le top du top chez Marvel, pour moi, ce sont les X-Men de Claremont, toutes les séries de Spider-Man des années 70 et 80, le Spidey de John Romita Sr. et celui de Ross Andru. J'ai aussi été un grand fan de Deadpool dès le début, dessiné par Joe Madureira et c'est d'ailleurs le dernier personnage de Marvel que j'ai acheté par plaisir. Je dois avouer que le Marvel moderne me déçoit un peu, depuis l'arrivée de Joe Quesada il y a presque vingt ans. J'adore son style graphique, mais je n'aime pas trop ce qu'il a fait de la continuité de Marvel avec Bill Jemas. Ils sont arrivés devant les belles fondations de la Maison Marvel, avec des bases très solides comme Captain America et Bucky Barnes, Les Quatre Fantastiques, les X-Men, et au lieu de construire sur ces fondations, ils ont construit tout autour des petits bâtiments qui se faisaient régulièrement balayer. DC Comics n'a pas vraiment fait mieux, mais c'est aussi le marché qui veut ça. Mais le Marvel de ma jeunesse est toujours là et je le relis avec toujours autant de plaisir. Je suis très content que ça fonctionne pour Marvel Studios au cinéma, j'ai énormément apprécié Ant-Man que j'ai trouvé fabuleux, un peu moins Avengers : Endgame. Évidemment, c'est adapté de matériel que j'ai déjà lu en comics, donc je n'ai pas le même rapport à ces films que les spectateurs qui n'en ont jamais lus.
[Chronique Disney] Dans le cadre de vos travaux de traduction, quelle série de comics Marvel vous a le plus marqué ?
[Edmond Tourriol] J'ai adoré travailler sur la saga de Camelot, quand Tony Stark revient dans le passé, à l'époque du Roi Arthur. Il est envoyé dans le passé avec le Docteur Fatalis et ils deviennent prisonniers du temps. Là-bas, Tony Stark vit des aventures de chevalier, il boit, il courtise les femmes. Bref : il est dans son élément ! Pendant que Tony devient chevalier de la Table Ronde, Fatalis lui, va aller s'allier avec la Fée Morgane, l'ennemie du Roi Arthur. Au final, Iron Man et Fatalis arrivent à s'entraider tous les deux pour retourner dans le présent et j'avais trouvé génial de voir comment ils arrivaient finalement à collaborer ensemble. J'ai eu la chance de retraduire ces épisodes quand ils ont été édités par Panini Comics, et c'est en plus une période que j'adore chez Iron Man. C'est David Michelinie qui s'occupe du scénario, sur des dessins de John Romita Jr. soutenu par l'encreur Bob Layton, qui a réussi à donner un aspect brillant incroyable à l'armure d'Iron Man. Les auteurs de cette saga sont vraiment mes préférés et quand ils ont fait la suite, dix ans après, qui se passe cette fois dans le futur, je me suis éclaté à la traduire et je suis très fier de ces épisodes.
[Chronique Disney] Aujourd'hui, c'est Panini Comics qui édite en France les comics Marvel. Quelles sont les relations entre MAKMA et Panini, et comment se déroulent les commandes de traduction ?
[Edmond Tourriol] Nos relations sont excellentes avec Panini Comics ! Quand un traducteur de MAKMA commence à traduire une série, que ce soit Marvel ou une autre licence, il continue tant que son travail convient aux éditeurs et qu'il aime l'univers et les personnages. Il faut savoir aussi qu'on traduit globalement moins de comics pour Panini Comics que pour Urban Comics. Mais nos relations sont excellentes avec eux. Les éditeurs de Panini, l'équipe italienne comme l'équipe française, sont vraiment adorables. Ce qui est sûr, c'est qu'ils adorent le matériel qu'ils éditent, ils sont fans et passionnés avant tout. On pourrait peut-être leur reprocher d'avoir parfois changé leur fusil d'épaule, d'avoir lancé beaucoup de reboots ou de changements de collection, mais ils ne sont clairement pas aidés par le marché de départ, et Marvel aux États-Unis n'arrête pas de faire la même chose depuis 2000, alors ils sont forcés de suivre le mouvement. C'est aussi parce que le lectorat a changé. Avant, c'était normal d'acheter Strange et d'avoir plusieurs séries différentes dedans, aujourd'hui il faut un magazine dédié aux X-Men, un à Spider-Man. Et puis les ventes sont très inférieures à ce qu'elles étaient autrefois et parfois, pour relancer un marché, il faut relancer un numéro avec un nouveau titre. Les habitudes changent et, pour l'instant, il y a encore des lecteurs qui achètent leurs livres chaque mois, mais bientôt, le numérique prendra de plus en plus de place. C'est quand même bizarre, Marvel est partout, tout le monde connaît les Avengers et pourtant, les comics se vendent dix fois moins qu'avant !
[Chronique Disney] Justement, vous parlez du dématérialisé, est-ce un risque, à terme, que la traduction soit par exemple automatisée, et que la profession de traducteur finisse par disparaître ?
[Edmond Tourriol] Je crois que ce qui nous sauve, pour l'instant, c'est qu'une bonne traduction, ce n'est justement pas une traduction ultra respectueuse, il faut qu'elle frappe et surprenne le lecteur et pour ça, il faut qu'elle soit réalisée par un humain. Pour l'instant, Google ou les autres traducteurs automatiques ne sont pas capables de traduire correctement un texte en anglais et encore moins un texte littéraire. Mais qui sait, dans cinq ou dix ans, peut-être que ces outils seront assez perfectionnés pour produire du texte que tout le monde adorera. L'avenir, oui, il est sans doute robotisé, mais si on va par là, un scénario aussi peut être automatiquement créé avec un algorithme. C'est compliqué de proposer aux lecteurs d'acheter des comics quand de plus en plus de gens regardent sur internet des épisodes de séries télé ou lisent des comics très mal traduits, par des gens qui ont l'impression de bien parler anglais. Et comme c'est gratuit, les lecteurs prennent de sales habitudes. C'est très difficile après de venir leur vendre un produit de qualité quand ils ont l'habitude de consommer tout gratuitement. Beaucoup d'amateurs, pas tous mauvais, mais beaucoup, font du travail gratuitement et tout le monde y a accès, que ce soit de la traduction ou du lettrage. Il y a une certaine injustice là-dedans, et j'aimerais bien qu'on reconnaisse davantage notre travail. Par exemple, dans les grandes remises de prix, chaque année, la meilleure BD, le meilleur comics ou le meilleur manga sont récompensés, et tout le monde les lit en français, mais les traducteurs et les lettreurs ne sont jamais reconnus pour leur travail sur ces œuvres.
[Chronique Disney] Vous êtes vraiment au cœur de l'univers des comics depuis plus de vingt ans maintenant. Selon vous, comment a évolué en France le marché du comics ?
[Edmond Tourriol] Pendant des années, les comics étaient représentés par Marvel, en grosse majorité. Il y avait un peu de Batman et de Superman chez Sagédition, mais ça coûtait cher, c'était du petit format et plus cher que Strange. DC Comics avait globalement peu de succès comparé à Marvel dans ces années-là, il y avait bien aussi Les Jeunes Titans chez Arédit, mais même ça, ça se vendait moins bien. Pendant des années, DC Comics a presque disparu des radars en France et le seul titre qui avait un peu de succès, c'était Batman, soutenu en partie par les films de Tim Burton et la « Batmania » des années 90. Il y avait aussi quelques indépendants, comme Zenda qui éditait Watchmen : Les Gardiens, mais c'était à peu près tout. Et puis il y a eu ensuite un grand séisme sur le marché comme je l'ai dit plus tôt, quand Panini Comics a acquis, puis perdu les droits de DC Comics, qui appartenaient avant à Semic depuis leur rachat aux Éditions Lug. Aujourd'hui, il n'y a plus de monopole, le marché est plus sain je trouve. Il y a des petits éditeurs spécialisés, comme Akileos et Bliss Comics, deux éditeurs basés à Bordeaux, Glénat aussi, qui est un très gros éditeur de BD et de mangas, et qui édite quelques comics. Il y en a pour tous les goûts. Le marché est plus intéressant aujourd'hui avec beaucoup de variété, mais les comics sont très chers. Quand j'étais jeune, tout était abordable chez le marchand de journaux avec de l'argent de poche. Aujourd'hui, les comics en kiosque ont presque disparu et il n'y a plus trop de produits d'accès. Et puis il y a aussi une segmentation du marché, qui fait que chaque tranche d'âge a son livre dédié. Quand j'étais jeune, je lisais le même Spider-Man que tout le monde et c'était grand public. Aujourd'hui, si je veux acheter Batman à mes enfants, je dois faire attention car ça parle de sujets sensibles et ça montre des visages arrachés. Les parents n'ont pas forcément les clés s'ils ne sont pas eux-mêmes lecteurs de comics. En tout cas, en France, ce sont vraiment les collectionneurs qui font vivre le marché.
[Chronique Disney] Au studio MAKMA, vous ne vous occupez pas que des super-héros Marvel ou DC Comics, vous avez également travaillé sur de nombreux titres Star Wars et Disney.
[Edmond Tourriol] Absolument. Concernant Star Wars, c'est Mathieu Auverdin qui s'occupe majoritairement de la traduction, il a par exemple travaillé sur Dark Vador et sur Docteur Aphra. On a également beaucoup travaillé sur des BD Disney, éditées par Disney Hachette Presse, devenu aujourd'hui Unique Heritage Entertainment. On a par exemple réalisé le lettrage des bandes dessinées Les Chroniques de Fantomiald, sous la direction de Stephan Boschat. On a aussi collaboré avec Hachette pour de très nombreux projets, des livres de coloriage mais aussi des livres illustrés pour la jeunesse de la collection 7 Histoires Pour la Semaine dont on a fait les maquettes. Toujours avec Hachette, on a réalisé plusieurs jeux de société, dont on s'est cette fois occupés entièrement. Hachette nous a donné un pitch de départ, la forme de la boîte, les cartes, le plateau, et c'était à nous de jouer ! Là encore, c'est Stephan Boschat qui a entièrement supervisé la création de ces projets. Enfin et toujours avec Hachette, on a aussi lancé plusieurs collections, le tout réalisé en collaboration avec Panini. On a fait quatre séries : Marvel : La Collection de Référence qu'on appelle la collection noire, Marvel : Le Meilleur des Super-Héros, la collection rouge, Deadpool : La Collection Qui Tue et enfin la collection The Savage Sword of Conan. On a beaucoup travaillé sur les maquettes des livres ainsi que sur la traduction du contenu rédactionnel qui permet de situer les épisodes présentés par rapport à l'univers Marvel. On est vraiment très fiers de ces collections, qui sont parfaites pour découvrir les comics.
[Chronique Disney] Avec tous ces métiers réunis au sein du studio MAKMA, vous ne faites pas que de l'adaptation de comics et de mangas étrangers, vous avez aussi réalisé plusieurs bande dessinées et mangas, édités aujourd'hui sur le marché français.
[Edmond Tourriol] Oui, il y en a un qui vient de sortir justement, c'est L'Équipe Z, dont je suis le coscénariste avec Daniel Fernandes. On a imaginé un manga sur le football. On a tous adoré Olive et Tom quand on était jeunes : quand je revenais du lycée, je me dépêchais d'allumer la télé pour regarder la fin de l'épisode. Je jouais au foot le week-end et il y avait ce dessin animé complètement dingue avec des mecs qui sautent quatre mètres en l'air pour faire des reprises de volée sur des terrains de dix kilomètres ! Moi qui adorais les matchs de l'Équipe de France et des Girondins de Bordeaux, je trouvais génial d'avoir un dessin animé sur le foot, mais je regrettais que ça se passe au Japon et pas avec les Girondins ! Je me suis toujours dit qu'un jour, je ferais le manga de foot des Girondins ; c'est pour ça que L'Équipe Z se passe à Bordeaux. Pour des raisons contractuelles, on n'a pas pu s'entendre ni avec les éditeurs, ni avec les Girondins et au final, on a choisi de raconter notre histoire avec L'Équipe Z. C'est l'histoire de Hugo et Majid, deux joueurs qui ont été refusés dans toutes les équipes. Ils rencontrent un jour un entraîneur qui les voit s'éclater et il se dit que c'est de cette équipe dont il rêve : pleine de jeunes qui s'amusent. Il veut recruter les rejetés du système, les bras cassés dont personne ne veut. Le nom de l'équipe est aussi un hommage, pour ceux qui ont mon âge, à l'anime Cobra. Il y a plusieurs épisodes qui se passent sur une planète où est joué un sport très violent, le Rugball, mélange de football américain et de base-ball. Il infiltre l'Équipe Z sur cette planète pour démasquer un criminel, et j'ai toujours gardé ce nom en tête, alors ça tombait sous le sens quand j'ai choisi d'écrire l'histoire. Le manga est dessiné par Albert Carreres, un grand passionné qui comprend vraiment le foot, c'est le plus important pour faire un manga sur ce sport. Le tome 3 vient juste de sortir, il propose une conclusion au premier arc narratif et notre gros objectif de l'année prochaine, c'est d'aller proposer nos trois tomes à l'étranger et même d'aller frapper à la porte des producteurs de télévision qui seraient peut-être intéressés par l'idée de faire un dessin animé sur le foot !
L'Équipe Z, dessins (c) MAKMA
[Chronique Disney] Quelle est l'actualité de MAKMA et qu'est-ce que les lecteurs français pourront découvrir prochainement ?
[Edmond Tourriol] On a une très grosse actualité avec les collections Hachette Marvel et deux nouvelles séries seront prochainement lancées, mais je n'ai pas le droit d'en parler ! L'actualité de MAKMA, c'est aussi L'Équipe Z qui vient de sortir. En 2020, ce qui correspondra à l'arrêt en France de The Walking Dead, dont j'ai terminé la traduction du dernier tome, on va essayer de lancer un projet qui s'appelle Zomblard, une BD d'humour dans l'univers des zombies ! Mais on pense à un concept multi-plateformes, avec par exemple un jeu de cartes humoristique et d'autres surprises autour de ce thème !
Merci à Edmond Tourriol pour son invitation à découvrir un pan particulièrement méconnu de l'édition et de l'adaptation en France des comics. L'actualité du studio MAKMA est à retrouver sur ses réseaux sociaux ainsi que sur son site internet.