Tim Burton Parle de Frankenweenie
L'article
Tim Burton était à Paris, à l'occasion de la sortie de son nouveau film, Frankenweenie, le 31 octobre dans les salles obscures.
Organisée à l'UGC Ciné-Cité de la Défense, cette avant-première fut aussi
l'occasion d'inaugurer l'exposition située au centre commercial Les Quatres
Temps, mettant en scène les marionnettes du film, et qui s'est tenue là jusqu'au
4 novembre.
Frankenweenie est donc la nouvelle collaboration de Tim Burton
avec les studios Disney, qui l'ont vu débuter. Après une formation à la CalArts,
au sein de la même classe que d'autres grands noms de l'animation (tels Henry
Selick, John Musker ou Brad Bird), Tim Burton, originaire de Burbank, entame, en
effet, sa carrière aux studios de Mickey où il officie un moment comme animateur
sur des films tels que Taram et le Chaudron Magique ou Rox et Rouky.
Mais l'artiste ne s'épanouit pas aux Studios ; son univers décalé ne
correspondant pas aux projets sur lesquels il travaille. Ses nombreuses
recherches sur Taram et le Chaudron Magique (visibles
lors de l'exposition de la Cinémathèque qui s'est déroulée de mars à août 2012 à
Paris), bien que magnifiques, resteront ainsi inutilisées. Plus à l'aise dans
l'illustration, où il développe un univers particulier, que dans l'animation, il
se voit néanmoins proposer par le label de réaliser quelques uns de ses projets.
Ainsi voient le jour Vincent, Hansel et Gretel
(diffusé une unique fois sur Disney Channel puis rangé dans les placards
jusqu'à l'exposition « Tim Burton »), et le fameux court-métrage Frankenweenie,
en prises de vue réelles.
C'est dans le même temps qu'il développe le monde de
L'Étrange Noël de Mr Jack, réalisé
un peu plus tard par Henry Selick toujours pour Disney.
Mais les films du
cinéaste, trop audacieux, lui valent finalement d'être viré en 1984 , lui
permettant par là même de quitter définitivement le métier d'animateur pour se
consacrer à ceux de scénariste et réalisateur.
Après plusieurs films
devenus cultes comme Edward aux Mains d'Argent ou Les Noces Funèbres,
il revient chez Disney pour réaliser, en 2010, le fameux Alice au Pays des Merveilles,
avec un succès phénoménal. Bingo : Disney lui donne finalement carte blanche
pour lancer la production de Frankenweenie
en stop-motion...
Le pari est osé : noir-et-blanc, stop-motion... Tim Burton
revient donc à ses premières amours dans un style qui lui est propre et dans un
média qui apparaît désormais comme
son domaine de prédilection.
Le film est à la hauteur des attentes de ses
fans : original, drôle, touchant... L'artiste s'est visiblement fait plaisir, et
beaucoup auront cette impression de le « retrouver » enfin.
Après la
projection, il rejoint la salle pour une masterclass. Accueilli par une
standing-ovation du public (composé principalement de passionnés et d'étudiants
en cinéma), l'homme, attendu comme timide et peu loquace, s'est finalement avéré
plutôt à l'aise, visiblement heureux de présenter son dernier bébé, se prêtant
au jeu des questions-réponses avec aisance.
Décontracté, il a ainsi expliqué que Frankenweenie
est tout simplement un rêve de gosse. Il est vrai que se retrouve dedans tout
l'univers du cinéaste : le noir-et-blanc, la stop-motion, les films de monstres
japonais, les films d'horreur de la Hammer, les thèmes de la solitude, de la
différence... Le film apparaît comme une formidable synthèse de son œuvre tout
entière.
Les clins d'œil y sont d'ailleurs nombreux, et les cinéphiles s'en
donneront à cœur joie !
Aux interrogations sur la légitimité de transformer un court-métrage en
long-métrage, Tim Burton confie avoir envisagé son Frankenweenie
dès le début dans ce format ; mais faute de moyens alloués, avait dû renoncer au
projet et s'était « contenté » d'un long-métrage en prises de vue réelles. Il y
aura ainsi fait ses armes de réalisateur, dirigeant des acteurs pour la première
fois de sa carrière !
La stop-motion est ici le moyen de donner vie aux délires les plus fous du
cinéaste, agrandissant la palette savoureuse de personnages et élargissant le
champ d'action sans alourdir le récit, mais au contraire en le rendant plus
riche.
Il explique aussi le choix de la 3D , estimant que cela reste le
meilleur moyen de mettre en valeur la stop-motion, conférant au film un aspect «
Théâtre de Marionnettes » du plus bel effet (et déjà apprécié sur la conversion
3D de
L'Étrange Noël de Mr Jack).
Chaque détail de chaque personnage, chaque décor, est ainsi magnifié, palpable ;
immergeant le spectateur dans le monde de Victor et Sparky ; soulignant le
travail méticuleux de chaque artiste – animateur, costumier, décorateur,
peintre...
Tim Burton fait aussi le parallèle entre la stop-motion et le
sujet du film : tout comme Victor redonne vie à son chien inanimé, les
animateurs insufflent la vie à de simples poupées inertes. La symbiose est donc
parfaite.
Il raconte aussi avoir mis beaucoup
de ses émotions dans ce film, et notamment de nombreux souvenirs. Ainsi,
l'enfant solitaire qu'est Victor fait directement écho au jeune Tim, qui, de son
propre aveu, rêvait de devenir savant fou ou de porter le costume de Godzilla
dans des films... Au choix ! Ici, Victor s'est installé un laboratoire dans le
grenier et tourne des vidéos en Super 8, mettant en scène son chien bien-aimé.
Ses passions l'écartent des autres enfants, qui le jugent bizarre : mais Victor,
comme Tim, se sent plutôt normal, et trouve au contraire ses camarades de classe
plutôt étranges ! Et qui pourrait le lui reprocher lorsqu'apparait « La Fille
Bizarre » et son inénarrable chat !
Outre sa passion des monstres, beaucoup de « Tim Burton » se retrouvent tout au
long du film. Ainsi, la banlieue proprette de Burbank qui faisait horreur au
jeune Tim, et dans laquelle il a grandi, est à peine déguisée en New Holland,
rappelant celle d'Edward aux Mains d'Argent ; tout comme le professeur
fou de son adolescence qui s'emportait dans des diatribes incompréhensibles
tout en fascinant le jeune homme revit en Mr Rzykruski.
La question est
posée de savoir si Tim Burton prend comme une revanche le fait de voir les
Studios Disney lui dérouler le tapis rouge pour un projet aussi osé ; le même
film qui, ironiquement, avait conduit à son renvoi des Studios près de 20 ans
auparavant. Magnanime, il explique que son employeur des années 80 n'a pas grand
chose à voir avec l'actuel, et que là où il ne s'épanouissait pas hier, il
retrouve une certaine liberté aujourd'hui...
L'exposition du film au rez-de-chaussée est inaugurée dans la foulée. Trois
scènes ont ainsi été reconstituées (la salle de classe, le grenier, et la
chambre de Victor), présentant les personnages, proposant même quelques
interactions, comme la possibilité de se prendre en photo aux côtés des
protagonistes ou encore de s'amuser à allumer les objets du laboratoire du
héros. Un « bureau de Tim Burton » est également proposé, constituant un mini-making-of
à lui tout seul : marionnettes aux différents stades de leur création, croquis,
patrons, tissus, peintures, instruments de sculpture... Les marionnettes sont
presque palpables, et il est permis de se rendre compte de chaque détail, chaque
subtilité. Il est intéressant de découvrir les vraies couleurs des personnages
et décors : alors que certains sont directement pensés et réalisés en
noir-et-blanc, d'autres se voient, il est vrai, agrémentés de diverses couleurs
afin de proposer un meilleur rendu et contraste lors de la conversion en
noir-et-blanc.
Autre particularité, il est possible de tourner autour des
différentes scènes pour les découvrir sous d'autres points de vue, à travers des
portes et des fenêtres réparties judicieusement autour des dioramas.
Renouant avec ses passions, Tim Burton s'est impliqué à fond dans ce qui apparaît comme l'un des films les plus personnels et les plus réussis de sa carrière.
Et la relève est déjà assurée : l'artiste confie à l'audience que sa fille se passionne pour les films de monstres, et que son fils adore... les dessiner !