Soul

La Bande Originale du Film

Sorti en décembre 2020 sur la plateforme Disney+, le film Soul (2020) des studios Pixar, n’a malheureusement pas bénéficié d’une sortie en salles de cinéma à sa sortie, à cause de la pandémie du Covid-19. Malgré cela, le deuxième long-métrage Pixar de cette année particulière a connu, plus que le précédent En Avant (2020), un certain succès, notamment dû à son immense réussite scénaristique et visuelle. Particulièrement mature dans ses sujets abordés, Soul s’offre par ailleurs une bande originale extrêmement riche et recherchée, à la hauteur des différents concepts présentés dans le film.

Soul (2020)

Le film Soul se déroule dans deux univers radicalement différents : la Terre, où le protagoniste Joe Gardner ne vit que pour la musique jazz, et le monde des âmes, plus mystique mais également lumineux. La musique fait partie intégrante de l’histoire que veut raconter le film. Le réalisateur Pete Docter, au début de la production, se demande alors quel but Joe Gardner doit poursuivre avec passion dans l’histoire du film. Puis, après avoir vu une vidéo d’une Masterclass en ligne de Herbie Hancock, immense pianiste de jazz, racontant l'une de ses collaborations avec Miles Davis, le réalisateur est tombé sous le charme et a choisi de faire du jazz la passion dévorante du protagoniste de Soul.
Pete Docter, alors fraîchement nommé directeur de la création des studios Pixar après la démission de John Lasseter, souhaite avoir deux univers musicaux totalement différents pour les deux mondes représentés dans le film d’animation. Les noms des compositeurs de la bande originale sont alors annoncés lors de la D23 Expo 2019.

Pour les musiques jazz, c’est Jonathan « Jon » Batiste qui a été choisi pour composer la bande originale se déroulant principalement sur la Terre. L’artiste aux multiples facettes (chanteur, compositeur, auteur, chef d’orchestre) a étudié le jazz à la Juilliard School, l’un des plus prestigieux conservatoires de musique au monde.
Pour Soul, Jon Batiste cherche à rendre la musique jazz accessible au plus grand nombre, en s’inspirant de tout ce que cette musique a pu créer depuis un siècle. Ainsi, sa partition représente plusieurs aspects de la musique jazz, aussi bien dynamique que plus calme. La majeure partie de ses compositions sont en quelque sorte improvisées puisqu’il n’avait aucune image du film sur lesquelles s’appuyer. À ce titre, le compositeur a brillé par son talent durant les enregistrements, puisque dès lors que quelque chose ne convenait pas à Pete Docter, Jon Batiste arrivait à trouver de suite la musique correspondante.
L’artiste a également servi de modèle pour les animateurs, qui ont installé pas moins de 35 GoPro autour du musicien, étudiant ainsi des images filmées de Jon Batiste jouant au piano pour reproduire le plus fiablement tous les détails de son jeu, du mouvement de ses doigts à sa respiration.

Jon Batiste s’est senti proche de Joe Gardner, puisque comme lui, il vit et voit tout par la musique. Comme le personnage dans le film prend conscience de l’importance de chaque instant de la vie, plus que de celle de sa passion, Jon Batiste déclare que « la musique que nous jouons, c’est celle de la vie, et nous devons savoir savourer la vie pour qu’elle puisse jaillir de nos instruments ».

Jonathan « Jon » Batiste

Afin d’apporter encore plus d’authenticité à la musique jazz présente dans le film, l’équipe créative du film fait appel à des pointures de ce milieu, notamment pour les morceaux du concert donné par le groupe de Dorothea Williams, en se servant de compositions jazz déjà existantes. Le très entraînant Space Maker est une composition de Walter Norris, tandis que le plus posé Cristo Redentor est une création de Duke Pearson.

Des célèbres musiciens sont également consultés, dont Herbie Hancock, mais également le chanteur Daveed Diggs, le batteur Ahmir « Questlove » Thompson (qui prête sa voix au personnage de Curly), et la batteuse Terri Lyne Carrington (ayant elle-même déjà collaboré avec Herbie Hancock). Cette dernière, également compositrice et enseignante de jazz, se souvient à la lecture du scénario avoir apprécié que les scénaristes mettent en avant le côté jovial du jazz plutôt que celui de triste. Les créateurs se sont d'ailleurs inspirés d'elle pour le personnage de Dorothea Williams.

Les musiques jazz ont été enregistrées au Capitol Studios, Reservoir Studios à New York, et aussi au studio Skywalker Sound, Sunset Sound Recorders à Los Angeles.

Les musiques se déroulant dans le monde des âmes sont complètement différentes. Pete Docter souhaitait une « musique éthérée, bouleversante, mais aussi douce et rassurante ».
Pour cette partie de la bande originale, c’est la collaboration de Trent Reznor et Atticus Ross qui est mise à profit. Cela peut surprendre ! Le premier est le fondateur et tête pensante du groupe Nine Inch Nails, groupe phare et hautement qualitatif de la musique rock (voire metal) industriel, que le second a rejoint officiellement après plusieurs collaborations. Les deux compositeurs ont à ce moment déjà une solide expérience en matière de bande originale, puisqu’ils ont signé la musique des films The Social Network (2010), Millénium : Les Hommes Qui N'aimaient Pas les Femmes (2011) et Gone Girl (2014), tous réalisés par David Fincher, et dont le premier reçut le Golden Globes de la meilleure musique et l’Oscar de la meilleure musique en 2011. Les musiques de ces films comme du groupe Nine Inch Nails, très axées sur les sons électroniques et expérimentaux, ont globalement une tonalité plutôt macabre, stressante, voire malsaine.

Si une telle collaboration peut questionner sur un film Pixar, elle se justifie par le fait que Trent Reznor et Atticus Ross ont été engagés grâce au conseil du concepteur sonore Ren Klyce, ayant déjà une expérience avec les deux musiciens puisqu’il a travaillé avec eux sur les films de David Fincher. Pete Docter n’était d’ailleurs pas certain que ce projet les intéresserait, du fait de leur univers musical habituel, mais les deux musiciens se sont laissés très facilement convaincre après avoir vu des premières prises de vue pas encore finalisées. Le défi est donc de taille pour Trent et Atticus, qui doivent alors écrire une musique plus optimiste que d’accoutumée, d’autant plus que c’est la première fois qu’ils travaillent pour un film d’animation.

Les deux artistes adoptent néanmoins la même approche que sur les films de David Fincher. Ils se montrent très investis, s’entretiennent énormément avec les créateurs sur la conception de l’univers auquel ils doivent apporter leur musique, demandant régulièrement des nouvelles du script pour travailler leur composition.
Une fois toutes les informations nécessaires récoltées, Trent et Atticus se dirigent dans leur studio, afin d’expérimenter divers sons pour trouver la sonorité la plus adéquate. Atticus Ross tenait absolument à différencier musicalement chaque région du monde des âmes (Le Grand Avant, Le Grand Après, Le Grand Bazar Général…). Les deux compositeurs travaillent principalement sur des synthétiseurs, qui ont tous été mis à contribution comme des instruments traditionnels. Les synthétiseurs sont alors enregistrés sur plusieurs pistes, comme pour l’enregistrement d’un orchestre.
Puis, les morceaux composés sont envoyés à l’équipe créative du film alors même que le scénario n’est pas forcément terminé. L’équipe choisit alors quel morceau serait le plus adapté à telle ou telle scène, et les compositions sont ensuite finalisées par Trent et Atticus pour pouvoir être raccord avec les images et le rythme de chaque scène.

Trent Reznor a également été très sensible au personnage de Joe Gardner, en particulier au moment où Joe pense que faire des concerts va donner un sens unique à sa vie, alors que ce n’est pas forcément le cas. À un moment de sa carrière, Trent a vécu ce même sentiment.

En dehors des musiques composées en plus ou moins étroite collaboration par le duo Reznor / Ross et Batiste, la bande originale inclut une courte chanson de rap assez surprenante à la simple écoute de l’album. Plus semblable à un interlude, Rappin Ced est un titre composé et interprété par Daveed Diggs qui, replacé dans son contexte dans le film, trouve toute sa place.

Plus dans la continuité de l’album, la chanson Parting Ways est écrite et composée par Cody ChesnuTT. Ce dernier est l’un des musiciens préférés de Pete Docter, qui tenait absolument à voir cette chanson soul publiée en 2012 sur Youtube apparaître dans l’histoire, en hommage au titre du film. L’idée étant de montrer qu’une belle surprise peut apparaître même durant une très mauvais journée, là où elle peut être inattendue. La chanson apparaît dans la scène où Joe Gardner et 22 aperçoivent un chanteur sur un quai de métro, ressemblant de près à Cody ChesnuTT lui-même.

Durant le générique de fin, il est également possible d’entendre une nouvelle version de la chanson It’s All Right du groupe The Impressions, sortie initialement en 1963. Cette version de la chanson a été écrite et interprétée par Jon Batiste, et est très gaie, puisque Pete Docter avait la volonté que le public sorte du film heureux avec une sensation d’enjouement. Il est également possible d’en entendre un extrait lors de la parade Better Together : A Pixar Pals Celebration ! dans le cadre du Pixar Fest 2024 au Disney California Adventure.

À la sortie du film Soul, il est possible pour le public de se procurer le CD de la bande originale réunissant toutes les musiques de Jon Batiste, Trent Reznor et Atticus Ross, ainsi que les chansons précédemment citées. Le vinyle Music From and Inspired by Soul réunissant les musiques jazz de Jon Batiste, et un autre, Soul : Original Motion Picture Score, comprenant les musiques électroniques de Trent Reznor et Atticus Ross, ont également été commercialisés.

Pas présente sur l’album, la musique d’ouverture jouée de manière extrêmement approximative par la classe de musique de Joe Gardner, est interprétée par un véritable groupe d’écoliers du collège Edna Brewer à Oakland, à qui les cinéastes ont demandé de jouer exprès faux.

Un single promotionnel francophone est également proposé à la sortie du film. Je Reviens Plus Fort est une chanson soul particulièrement réussie et correspondant bien à la thématique du film, interprétée par Abi Bernadoth, et composée par Valentijn Hoogwerf, Tim Boomsma, Jordi de Fluiter, Jan Postma, Galeyn Tenhaeff et Dennis Baffoe, tandis que les paroles sont signées par Boualem Lamhene. La chanson peut être entendue durant le générique de fin de la version française, juste après It's All Right.

La bande originale de Soul est une expérience musicale exceptionnelle, et fait très probablement partie des plus grandes réussites musicales des studios Pixar, habitués des musiques de qualité. Le risque de vouloir absolument paraître authentique avec la musique jazz, ou de faire appel à des compositeurs habitués à écrire de la musique aux tonalités sombres, était réellement élevé, mais le défi est amplement relevé, la musique se prêtant à la perfection à l’univers mature présenté dans Soul.

Jon Batiste réussit à présenter au public les multiples facettes sonores que possède le jazz, sa richesse se retrouvant illustrée à travers des morceaux enjoués (Collard Greens and Cornbread Strut) ou au contraire planants (Bigger Than Us). La musique jazz présente est le fruit de compositions aux allures plus improvisées que les autres musiques jazz entendues sur d’autres films Pixar (Monster Inc de Randy Newman pour Monstres & Cie), mais reste accessible aux oreilles du grand public, comme en témoigne le très réussi Born to Play et son thème plein d’énergie.

Les musiques du monde des âmes sont le résultat d’une prouesse musicale absolument sensationnelle. Trent Reznor et Atticus Ross parviennent à la perfection à appliquer des sonorités sur cet univers totalement imaginé. Si cette partie de la bande originale peut sembler comparable à celle de Vice-Versa (2015), composée par Michael Giacchino, au premier visionnage du film, une réécoute permet d’assimiler les nombreuses différences entre les deux bandes originales.
La musique de Soul expérimente des sons électroniques à un très haut niveau, et s’incorpore totalement avec les bruitages du film. L’exemple le plus flagrant est très certainement The Great Beyond, titre d’ouverture du monde des âmes, durant lequel Joe Gardner se retrouve face au Grand Après. La musique est à la fois inquiétante, mystérieuse et grandiose, et semble pouvoir s’étirer à l’infini, représentant tout à fait l’ambiance de la scène en question. Atticus Ross lui-même souhaitait obtenir cette impression de peur et d’étrange face à un monde que le protagoniste ne reconnaît pas. À l’inverse, le morceau The Great Before / U Seminar est une musique plus rassurante, avec des sonorités douces, et illustre bien le caractère d’éveil et enfantin du Grand Avant. Il est possible de retrouver cette idée de musique optimiste avec le titre Portal / The Hall of Everything.

Les compositeurs arrivent dès lors à créer une musique bienveillante mais aussi énergiquement joviale, en dehors de Lost Soul et des morceaux consacrés aux apparitions de Terry, qui se rapprochent de ce que le tandem a pu déjà faire sur les films de David Fincher. L’entité du monde des âmes a en effet son propre thème, qui se retrouve sur plusieurs titres : Terry Time, Terry Time Too, mais également dans la deuxième partie de Pursuit / Terry’s World. Ce dernier est une réussite, fruit de la collaboration entre les trois principaux compositeurs. La musique jazz se fait stressante et entraînante symbolisant la course-poursuite entre Joe Gardner et 22, et sa transition avec la musique électronique, donnant un univers sonore hors normes aux actions de Terry, est tout à fait réussie au point d’en être impressionnante.
Joe Gardner a également un thème qui lui est propre, dans Joe’s Life et Lost. La musique, triste et évasive, illustre la perte de repère du musicien dans sa propre vie.

Autre collaboration entre les trois compositeurs, Epiphany est un morceau fort en émotions, qui pourra faire verser quelques larmes aux plus sensibles. Pour ce titre, Kemp Powers, coscénariste, a demandé à Jon Batiste de se souvenir d’une personne qui avait marqué sa vie à travers des objets fétiches, tout comme Joe Gardner dans la scène en question. Le morceau illustre à merveille la nostalgie, la joie des souvenirs heureux passés, l’importance de savourer chaque instant que la vie peut offrir.

Parmi les autres titres réussis, 22 is Ready incarne magnifiquement ce que veut raconter la scène en question, lorsque 22 prend conscience de la beauté de la vie sur Terre. La musique est tout simplement belle, apaisante, et procure une sensation de béatitude. Elle s’apprécie tout comme le personnage savoure l’instant présent, et offre à l'auditeur un petit moment hors du temps.
Il est d'ailleurs regrettable que le titre Just Us ne s'entende qu'à la fin du générique, car il est également très agréable à écouter, même s'il est assez conventionnel.

Pour enfoncer le clou, Earthbound, courte mais à la tonalité pleine d’espoir, accompagne le voyage de 22 vers la Terre, et laisse présager le début d’une magnifique aventure pour la petite âme, tandis que Enjoy Every Minute permet une conclusion magnifique et heureuse au héros du film et au film même.

Non contente d’être unanimement saluée par la critique, la bande originale de Soul se voit décerner pléthore de récompenses. Jon Batiste, Trent Reznor et Atticus Ross, sont nominés sans être récompensés pour le prix de la meilleure bande originale ou bande originale d’un film d’animation lors des Hollywood Music in Media Awards, de l'International Film Music Critics Association Awards, et durant les Grammy Awards pour le meilleur album jazz.

Les compositeurs se voient en revanche récompensés, durant la prestigieuse cérémonie des Oscars en 2021 pour l’Oscar de la meilleure musique de film, et obtiennent également pour cette même catégorie un prix aux Grammy Awards, au Golden Globe Awards, au Los Angeles Film Critics Association Awards, au Chicago Film Critics Association Awards, au Florida Film Critics Circle Awards, au Greater Western New York Film Critics Association Awards, au Chicago Indie Critics Awards, au North Carolina Film Critics Association Awards, au Oklahoma Film Critics Circle Awards, au St. Louis Gateway Film Critics Association Awards, au Denver Film Critics Society Awards, au Houston Film Critics Society Awards, au San Francisco Bay Area Film Critics Circle Awards, au Online Film Critics Society Awards, au Washington D.C. Area Film Critics Association Awards, au Critic’s Choice Movie Awards, au Austin Film Critics Association Awards, au Black Reel Awards, au British Academy Film Awards, au Annie Awards, et enfin à l’Academy Awards.

Trent Reznor, Jon Batiste et Atticus Ross à la cérémonie des
Oscars 2021

Omniprésente dans le film et dans son intrigue, la musique de Soul est un mélange somptueusement équilibré entre hommage à la musique jazz et expérimentation sonore. Elle se savoure aussi bien au visionnage du film qu’indépendamment, et traduit à la perfection les émotions des personnages ainsi que les situations et éléments dans lesquels ils évoluent.