Traquée
Titre original : No One Will Save You Production : 20th Century Studios Star Thrower Entertainment Date de mise en ligne USA : Le 22 septembre 2023 (Hulu) Genre : Science-fiction |
Réalisation : Brian Duffield Musique : Joseph Trapanese Durée : 93 minutes |
Le synopsis
Brynn Adams, une jeune femme optimiste rejetée par sa communauté, vit seule dans la maison de son enfance depuis le décès de sa mère. Une nuit, elle est réveillée par d’étranges bruits venant de l’intérieur de la demeure, des visiteurs non humains ayant investi les lieux… |
La critique
Co-produit par 20th Century Studios et Star Thrower Entertainment et destiné, assez injustement, à une distribution directe sur les plateformes de streaming après une courte exploitation dans les salles américaines, Traquée est un petit film de science-fiction teinté d’horreur où l’angoisse et la peur cèdent le plus souvent le pas à l’émotion et à l’introspection, proposant à cet effet un parcours initiatique touchant et humain. Un cocktail étonnant pour un métrage grandement réussi et tout à fait recommandable.
Traquée est avant l'œuvre de son réalisateur et auteur, Brian Duffield.
Né le 5 novembre 1985, Duffield grandit à Harrisburg en Pennsylvanie et intègre l’Université Temple, puis l’Université Messie dont il ressort diplômé en 2008. Il déménage ensuite à Universal City, Californie, où il occupe plusieurs emplois avant de devenir scénariste professionnel pour différents studios, dont Skydance Media. Sa carrière décolle véritablement en 2015, année où sortent au cinéma Divergente 2 : L’Insurrection et Jane Got A Gun, deux films pour lesquels il rédige les scripts. Suivent après d’autres films plus centrés sur l’horreur et le fantastique, dont The Babysitter (2017) et sa suite The Babysitter : Killer Queen (2020), Love & Monsters (2020), Underwater (2020) et Crazy Bear (2023). En parallèle, Brian Duffield passe pour la première fois derrière la caméra avec Spontaneous (2020), une comédie noire qu’il écrit et réalise.
Traquée constitue donc le second film mis en scène par Brian Duffield, qui commence à l'écrire en 2019 et finit par le vendre à 20th Century Studios en avril 2021. Il part alors d’un sujet plutôt connu, voire entièrement basique pour une fiction du genre : une invasion d’habitants venus d’un autre monde et dont les intentions, généralement inconnues, sont tout sauf nobles et amicales. Le film réserve, à première vue, peu de surprises, excepté peut-être un divertissement sympathique et agréable sur fond d’agression domestique. Il aurait ainsi pu tenir sur un court-métrage au vu des limites que son intrigue lui impose. Heureusement, c’est tout le contraire qui se passe à l’écran, Traquée proposant une variante du film d’invasion, où l’action n’est pas uniquement centrée sur les événements vécus en temps réel par son héroïne, mais sur ses traumatismes et son passé douloureux.
Le métrage narre, en effet, le cauchemar vécu par Brynn Adams, une jeune femme créative et toujours optimiste, rejetée par les habitants de sa ville pour des raisons inconnues du spectateur. Un peu fantasque et lunatique, elle habite donc seule dans la maison où elle a grandi, seul endroit où elle trouve du réconfort depuis la mort de sa mère. Mais une nuit, Brynn est réveillée par d’étranges bruits, indiquant la présence d’intrus visiblement non humains et dont le comportement atteste qu’ils ne sont pas venus en paix. Commence alors une chasse à l’homme entre les murs de la grande bâtisse et ses alentours pour Brynn qui, en plus de devoir sauver sa peau des griffes de ses visiteurs extraterrestres qui semblent lui vouloir du mal, se retrouve à affronter certains événements qu’elle a choisi d’occulter pour se préserver…
L’un des premiers aspects qui saute aux yeux du spectateur face à Traquée est la justesse de son titre original, No One Will Save You, littéralement « Personne ne te sauvera », nettement plus adapté que le titre français, tristement générique et d’une banalité affligeante. Abandonnée par sa communauté, qui la fuit et ne lui adresse que du mépris et de l’hostilité, Brynn cache entre autres des blessures profondes en lien avec un acte commis par le passé, qui a monté toute la localité contre elle et l’a condamnée à une lente et cruelle mort sociale. Étrangère dans son propre monde, Brynn ne sort donc que pour de simples courses et se recueillir sur la tombe de sa mère, tandis que des gens en apparence gentils l’ignorent et lui tournent le dos. L’introduction pose dès lors beaucoup de questions. Pourquoi la traitent-ils tous comme une paria ? Qu’est-il arrivé pour qu’elle subisse cet isolement forcé ? Qu’est-ce qui les pousserait à faire une telle chose ?
Brynn ne le dit pas, et le scénario de Duffield attend le dernier moment pour dévoiler ses cartes. Pour échapper à ce quotidien, la jeune femme mène ainsi une vie solitaire et consacre son temps libre à construire une petite ville en miniature, la photographie, la confection de robes inspirées de ses lectures, qu’elle vend ensuite en ligne, et à écrire des lettres à une amie qu’elle ne voit plus beaucoup. Ce n’est donc qu’entre les murs de sa maison, éloignée de tous, qu’elle se sent en sécurité. Une demeure au style vieillot, renfermant des années de souvenirs dont Brynn n’a pas le cœur à se séparer, à la décoration enfantine, qui souligne l’excentricité du personnage, et toute trace de modernité est difficile à distinguer. Parfaitement contente de vivre seule, elle tire le meilleur parti de sa vie d’ermite coupée de tout contact social.
Or, une fois retrouvée face à une créature étrange et menaçante qui a investi sa demeure à la recherche d’éventuels occupants, Brynn ne peut plus compter que sur elle-même et doit se battre pour s’en sortir. Le film ne perd d'ailleurs pas de temps avant que Brynn n'ait sa première rencontre avec un extraterrestre et il est évident que cet étranger n'est pas seulement un voyageur perdu. La jeune femme puise donc dans ses dernières ressources, à savoir ce qui lui reste de courage et de volonté pour enfin être libre et se sentir vivante. Mais avant cela, elle devra faire la paix avec elle-même et se pardonner. Brian Duffield ne se contente pas ici d’écrire une histoire d’invasion extraterrestre, propre à tout film de science-fiction, il délivre un récit profond et émouvant sur la solitude et l’exil d’un personnage en quête d’acceptation et d’absolution.
La véritable force de Traquée repose entièrement sur sa quasi-absence de dialogue - le film ne comprenant au total que deux répliques prononcées par le personnage principal, laissant sa star communiquer uniquement avec son visage et son physique. Un choix audacieux qui pourrait faire fuir les spectateurs qui risquent de ne pas forcément comprendre ce qui leur est présenté, source d'un ennui progressif. Or, en privilégiant l’action et en capitalisant une grande partie de l’intrigue sur les mésaventures de l’héroïne, Brian Duffield parvient à installer une ambiance pesante et lourde et transforme cette histoire d’invasion en un passage vers l’âge adulte.
Orpheline de mère et souffrant de l’absence d’un père, dont l’existence n’est même jamais évoquée, Brynn s’est enfermée dans un imaginaire et malgré son autonomie, semble n’avoir jamais quitté le monde de l’enfance. L’intrusion de ces créatures extraterrestres sonne alors comme un rite de passage, une épreuve symbolique et pleine de sens, où l’héroïne est jetée en pleine nature et doit réunir ses forces pour survivre : personne ne viendra la sauver et elle doit se débrouiller seule si elle veut s’en sortir. La première partie du film mise donc beaucoup sur les peurs de Brynn, dont une certaine agoraphobie et une phobie sociale avérée, en particulier lorsqu’elle tente de créer un contact avec d’autres personnes qui ne font pas forcément cas de sa présence.
Mais ces angoisses se multiplient une fois confrontée à une entité malveillante : bien que connaissant les lieux par cœur, ainsi que tous les endroits où elle cache les armes et autres moyens de se défendre, Brynn ne peut dissimuler sa détresse, palpable en dépit de l'absence de dialogue. Tout passe par les expressions faciales et l'action si bien que le public attentif ressent donc peu à peu les émotions de Brynn. Progressivement, ses craintes disparaissent pour laisser place à une jeune femme déterminée, inébranlable, en paix avec elle-même, muée par un sentiment de survie et d’accomplissement personnel, que les meurtrissures du passé n’ont pas affaibli. Bien qu’il ne s’éloigne jamais trop de son concept initial, Traquée parvient ainsi toujours à garder ses rebondissements difficiles à prévoir.
Pour faire ressentir toute la détresse et la ténacité de l’héroïne, Traquée peut compter sur son actrice principale Kaitlyn Dever. Découverte à la télévision dans diverses séries télévisées dont Justified et Last Man Standing (C’est Moi le Chef !), elle apparaît dans les films Bad Teacher (2011), The Spectacular Now (2013), Detroit (2017), Beautiful Boy (2018) et Dear Evan Hansen (2021). Elle joue également dans la mini-série Unbelievable pour Netflix en 2019, qui lui vaut une nomination aux Golden Globes pour le Prix de la Meilleure Actrice dans une mini-série ou un téléfilm et une exposition vers des rôles plus importants, notamment les comédies Ticket to Paradise et Rosaline (2022) et Une Équipe de Rêve (2023).
Portant pratiquement le film à elle seule, Kaitlyn Dever se montre convaincante et investie dans son rôle avec le peu de matière que lui laisse le scénario. Non seulement elle entretient un lien spécial avec le public à travers ses émotions, mais elle réussit à faire de Brynn un personnage complexe qui devient de plus en plus difficile à cerner à mesure que le récit progresse, au point que la présence de dialogues aurait pu paraître gênante voire agaçante. Grâce à la performance de Dever, le spectateur n’a en fait aucun mal à s’investir dans la survie de Brynn et son parcours initiatique.
Le travail porté à la partition musicale, ici effectué par Joseph Trapanese, compositeur sur les films The Raid, The Greatest Showman, ainsi que La Belle et le Clochard ou encore les séries Tron La Révolte et Shadow & Bone : La Saga Grischa, est en outre à saluer. La bande-son est, en effet, cruciale dans Traquée. Le film établit un parfait équilibre entre les sons naturels de l’environnement de Brynn, essentiels pour aiguiser la conscience du spectateur, et le paysage sonore inhumain que les extraterrestres apportent avec eux. La première visite, lorsque la jeune femme est complètement prise au dépourvue, est la plus efficace en termes d’horreur. La lente révélation de son agresseur génère un suspense et une angoisse constante maintenant le spectateur accroché au moindre bruit, attendant que les événements s’achèvent en confrontation.
Les séquences d’horreur ont néanmoins un peu moins d’impact que prévu. Si Brian Duffield tente de doser entre peur et science-fiction, l’ensemble a du mal à cohabiter. L’héroïne de Traquée est certes tenace, instinctive et maligne, mais elle échoue parfois à surpasser ses agresseurs et agit trop de manière impulsive dans la seconde partie du film. De même, les extraterrestres manquent de règles précises, et donc d’une faiblesse évidente à exploiter pour Brynn, tandis que leurs intentions, manifestement inamicales, sont difficiles à saisir. Même si la lutte de la jeune femme ne perd jamais en tension et bien que le doute persiste constamment sur sa survie, les enjeux diminuent à chaque rencontre. Duffield trouve en réalité de nombreuses façons crédibles de piéger son héroïne dans une situation apparemment inéluctable, y compris une scène non verbale entre elle et le chef de la police de sa ville, stupéfiante dans sa brutalité émotionnelle ; quelques passages du deuxième acte injectent en revanche des nuances d’horreur absurdes un peu trop brusquement pour fonctionner.
Le côté science-fiction a heureusement beaucoup plus à offrir, le film devenant plus ambitieux visuellement et thématiquement à mesure qu’il avance. Alors que la première partie empruntait les codes du survival et du home invasion, la suite de Traquée se veut un hommage à plusieurs classiques dont Rencontres du Troisième Type, Signes ou L’Invasion des Profanateurs de Sépulture. L'opus trace alors son propre chemin et se hisse parmi les plus réussis du genre grâce à des rebondissements uniques et la performance toujours aussi puissante et habitée de Dever.
Par ailleurs, le métrage effectue un travail tout aussi efficace sur le physique et les capacités surnaturelles de ses extraterrestres. Au départ, Traquée fait un excellent travail pour maintenir leur mystère. Les créatures ne sont, en effet, jamais dévoilées en détails de sorte que chaque scène où elles apparaissent au fil de l’intrigue procure des frissons, bien que leur animation saccadée leur fait perdre leur aspect menaçant à certaines occasions. Leur design est assez remarquable, un mélange d’extraterrestres classiques et de légendes urbaines, même si le rendu final semble irréaliste, manquant par trop de détails pour se rendre acceptable. Les effets visuels du thriller sont en fait plutôt inégaux dans leur qualité et leur présentation, bien que Duffield utilise plusieurs techniques simples pour compenser le déséquilibre, notamment des plans serrés.
Enfin, le dernier acte est épineux, donnant à Kaitlyn Dever un arc très intéressant à jouer, éprouvant d’un point de vue émotionnel et demandant un gros travail d’interprétation : il laisse alors l’audience décider d’elle-même de la fin de l’histoire, entre optimisme et diabolisme, selon un choix narratif apte à diviser une grande partie du public.
Malgré un budget avoisinant les 23 millions de dollars, des qualités et de bons arguments qui auraient pu justifier une sortie dans les salles de cinéma, Traquée est distribué directement sur la plateforme Hulu aux États-Unis le 20 septembre 2023. Il est également diffusé pour la première fois sur Star+ en Amérique latine et sur Disney+ dans le reste du monde le même jour. Les studios 20th Century Studios estiment, en effet, que le film s’adresse plus à un public habitué au streaming et qu’une diffusion sur grand écran aurait conduit à son échec en termes de recettes. Traquée est toutefois présenté pour la première fois dans les cinémas de New York et de Los Angeles le 19 septembre 2023 dans le cadre d’une sortie limitée.
En parallèle, il reçoit des critiques assez positives, la majorité d’entre elles le qualifiant de très bonne surprise anxiogène et saluant le jeu de Kaitlyn Dever et lui reconnaissant de porter tout le film sur ses épaules. La mise en scène de Brian Duffield fait également partie des points les plus appréciés, tout comme son parti pris d’avoir construit l’ensemble sans la présence de dialogues en misant tout sur les sons et la partition musicale afin de créer le suspense et l’angoisse. Le dernier acte est toutefois peu apprécié : certains reprochent les effets visuels balbutiants et le design des extraterrestres convaincant mais trop générique, tandis que le dénouement est critiqué soit pour son manque de clarté, soit pour sa facilité, le public comme la critique accusant Duffield de ne pas avoir su comment conclure son histoire lors de l’écriture du scénario.
Bien que sa sortie directe en streaming l’ait peut-être privé d’un bouche-à-oreille positif qui aurait pu attirer du public au cinéma, Traquée est le film le plus diffusé sur toutes les plateformes aux États-Unis la semaine du 18 au 24 septembre 2023 et le troisième la semaine du 25 septembre au 1er octobre 2023 selon l'agrégateur d’audience de streaming JustWatch. Sa popularité est telle que Brian Duffield déclare le mois de sa sortie sur plateforme qu’une suite pourrait voir le jour si le succès se confirmait...
Présenté comme un film d’enlèvement extraterrestre avec en prime une actrice particulièrement investie et convaincante et quelques intenses moments d’effroi, Traquée est à son meilleur lorsqu’il marie la tension d’un thriller d’invasion de domicile avec les frissons d’une œuvre de science-fiction, l’initiation de son héroïne vers l’âge adulte et le dépassement du chagrin et de la culpabilité. Cependant, il hésite parfois dans son identité, entre film d’action alambiqué et fiction d’horreur brouillonne. Il n’en reste pas moins un métrage divertissant et intelligent dans son propos, qui parvient à se démarquer des autres films du genre.