Notre Ami l'Atome
Titre original : Our Friend The Atom Production : Walt Disney Animation Studios Date de diffusion USA : Le 23 janvier 1957 Genre : Documentaire Date de sortie cinéma Europe : 1958 |
Réalisation : Hamilton S.Luske Durée : 51 minutes |
Disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Le Dr Heinz Haber expose aux téléspectateurs tout le potentiel du pouvoir atomique et de ses dangers en rappelant, par le biais du conte du "marin et du génie", toute l'histoire de l'atome de la Grèce Antique aux années 50. |
La critique
Walt Disney a toujours été un optimiste, surtout en ce qui concerne le progrès et la technologie. Si tout le monde sait que le créateur de Mickey est "Le" grand précurseur du film d'animation qu'il a élevé au rang d'art à part entière, beaucoup ignorent qu'il est aussi à l'origine de la popularisation des documentaires animaliers auprès du grand public. Et moins de personnes encore savent que Walt Disney est également un petit peu à l'origine du programme spatial américain, et donc indirectement, des voyages de l'Homme dans l'espace comme l'ont montré les émissions : À la Conquête de l'Espace, Man and the Moon et Mars et Au-Delà. Mais la section Tomorowland n'était pas uniquement un prétexte pour parler de l'espace, il était aussi l'occasion de parler de progrès technique de toutes sortes. Dans Notre Ami l'Atome, c'est donc le thème du nucléaire civil qui vient sur le tapis et qui, avec le recul, prend des airs de propagande. Pour autant, cela n'enlève en rien son incroyable efficacité pour vulgariser un sujet si complexe et le rendre passionnant. En cela, cet épisode est une franche réussite.
Au trait de caractère, Walt Disney a toujours été un fervent patriote et un talentueux conteur, deux aspects de sa personnalité qu'il met en œuvre conjointement dans de nombreux projets. Avant même l'entrée en guerre de l'Amérique en 1941, il propose ainsi des cartoons de propagande pour le National Film Board of Canada. L'attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, sonne la réquisition des studios Disney par l'armée américaine. Ils sont utilisés pour réaliser des courts-métrages à vocation éducative ou à des fins de propagande. Ces derniers font alors essentiellement appel à des stars "maison" pour vanter l'effort de guerre. Dix ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en pleine Guerre Froide, l'arrivée sur le petit écran des studios Disney donne des idées au gouvernement américain. Si les émissions consacrées à l'espace, bien que réalisées conjointement avec les autorités, sont principalement l'œuvre et le désir de Walt Disney, il reçoit une commande spéciale du Président Eisenhower à la suite du succès du premier épisode spatial, À la Conquête de l'Espace. Il veut en effet que soit présenté de façon positive le nucléaire civil ; l'émission suivie par des millions d'américains étant un vecteur parfait pour toucher le plus de concitoyens. Le nucléaire, aussi bien civil que militaire, constitue, il est vrai, un intérêt stratégique pour le gouvernement américain de l'époque. Or, il se heurte à une opposition grandissante des scientifiques et une frayeur de la population. Il faut donc inverser la tendance. L'idée de l'émission Notre Ami l'Atome était née…
Notre Ami l'Atome est donc réalisé par les studios Disney et financé
par l'U.S. Navy et l'entreprise General Dynamics, constructeur du premier
sous-marin à propulsion nucléaire, l'USS Nautilus et accessoirement de centrales
nucléaires civiles. Pour le présenter et le vulgariser, Walt Disney fait appel à
un de ses consultants scientifiques, Heinz Haber, avec qui il avait déjà
travaillé dans À la Conquête de
l'Espace.
Heinz Haber est né le 15 mai 1913 à Mannheim en Allemagne. Après avoir étudié la
physique à l'université de Heidelberg et à l'université de Berlin, où il
obtient son doctorat, il sert en tant qu'aviateur de reconnaissance dans la
Luftwaffe pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu'en 1942. Par la suite, il
mène des recherches médicales sur les effets du vide et des poussées de fusée
sur les corps humains. En 1946, il émigre aux États-Unis et obtient un poste à
la School of Aviation Medicine de l'USAAF à la Randolph Air Force Base. Puis au
milieu des années 50, il devient également consultant scientifique aux Walt
Disney Studios. En parallèle du scénario et de la présentation de l'émission, il
écrit un livre pour enfants éponyme avec textes et dessins expliquant la fission
nucléaire en termes simples.
L'épisode de Notre Ami l'Atome commence par un extrait du film 20 000 Lieues Sous les Mers où Walt Disney présente Jules Verne comme le premier auteur à avoir imaginé la force nucléaire. Walt parle du Nautilus comme d'une machine possédant une puissance qui pourrait détruire l'humanité si elle n'était pas utilisée à bon escient. C'est ce que dit le Capitaine Nemo dans le film, allusion franche à la puissance nucléaire en phase avec l'époque où le film a été créé. Naturellement, l'auteur français n'a jamais imaginé parler d'une telle puissance dans son roman, l'idée même d'énergie nucléaire étant inconnue à l'époque de sa rédaction. En réalité, si Walt Disney parle du Nautilus de Jules Verne, c'est pour rendre hommage à l'USS Nautilus, le sous-marin américain, dont le maître de l'animation propose une maquette à côté de la machine de son film. Il annonce également que plusieurs projets sont en cours sur le sujet de la recherche nucléaire en plus de l'épisode : un livre et une attraction à Disneyland. Walt Disney laisse ensuite la place à l'expert Heinz Haber en précisant que leur approche n'était pas celles de scientifiques mais de raconteurs d'histoire et que le but est de vulgariser le mieux possible un sujet si complexe.
Le docteur Heinz Haber commence alors son exposé sur une comparaison audacieuse : il lie l'histoire de la découverte de l'énergie nucléaire à celle d'un conte des Mille et Une Nuit, Le Conte du Pécheur et du Démon. Un vieux pêcheur retire de ses filets un flacon scellé de plomb qui contient un génie maléfique qui s'est juré de tuer quiconque le délivre. Le pêcheur lui fait alors remarquer que c'est là une bien étrange récompense pour son sauveur. Le démon ne voulant pas entendre raison, le pêcheur a donc recours à la ruse pour faire entrer à nouveau le démon dans le flacon en rebouchant soigneusement la fiole une fois le celui-ci à l'intérieur. Le pêcheur s'empresse ensuite de faire comprendre au génie qu'il ne tire aucun avantage à tuer quelqu'un qui lui rend service et parvient à le faire jurer de ne pas le tuer s'il le libère de nouveau. La seconde fois, le démon tient sa promesse et propose trois vœux au pécheur. Le scientifique compare ainsi le génie à l'uranium, un élément à la propriété caché : la radioactivité capable des pires choses comme des meilleures.
Heinz Haber va ensuite parler de la recherche nucléaire en partant de la Grèce Antique et en remontant à l'époque contemporaine. Il répertorie tous les chercheurs à l'origine de la recherche fondamentale de Démocrite à Henry Becquerel, de Pierre & Marie Curie à Albert Einstein, pour finir par Otto Hanz et Fritz Straussman. Il parle aussi des grandes avancées sur l'infiniment petit, du microscope à la découverte de la molécule, en terminant sur l'atome et ses constituants : le proton, l'électron et le neutron. Il narre ensuite comment cette connaissance a permis d'en apprendre plus sur la réaction de ces éléments en fonction de la température avec leur passage de l'état solide à liquide puis gazeux. A partir de là, il explique la production d'énergie : de la vapeur au nucléaire. Chose étonnante, malgré le sujet ardu, l'explication est à la fois claire et passionnante. Elle vulgarise à merveille le propos et donne aux téléspectateurs la satisfaction d'avoir parfaitement compris la démonstration. Il faut dire que l'idée d'expliquer la fission avec des balles de ping-pong et des pièges à souris est tout simplement géniale !
La fin de l'exposé est axé sur les trois vœux du génie censé représenter l'énergie nucléaire domptée. La bombe est d'abord montrée sans être expressément nommée, mais très vite la démonstration passe à l'utilisation civile du nucléaire : la production d'énergie, notamment électrique, grâce aux centrales ; l'avancée dans le médical grâce à la radiothéraphie mais aussi dans l'agriculture en injectant des éléments radioactifs pour apprendre comment poussent et se nourrissent les plantes. Le propos est certes intéressant mais résonne clairement comme un discours de propagande. Car l'énergie nucléaire est présentée comme une énergie propre et moins coûteuse que celle du charbon ou du pétrole. Les catastrophes à venir (Tchernobyl ou Fukushima) ne sont bien sûr pas connues et toutes les conséquences du danger sont tues. Rien n'est dit non plus sur les déchets radioactifs qui peuvent durer pour certains jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'années. Est-ce la nature optimiste de Walt Disney, persuadé que ces « problèmes » seraient résolus dans le futur, qui lui fait passer sous silence ces considérations extrêmement graves ou est-ce une demande du commanditaire gouvernemental de présenter le nucléaire absolument comme positif afin de favoriser la politique d'investissement dans cette énergie ? Un peu des deux sans doute...
En attendant, l'émission Notre Ami l'Atome remporte un énorme succès, confirmé peu après en librairie avec le livre tiré du film édité par Western Publishing. L'épisode a même droit à une sortie au cinéma à l'international, notamment en Europe, en 1958. Cette même émission est ensuite éditée, remontée sur une durée de 30 minutes en proposant des parties à prises de vues réelles réactualisées, puis montrée aux écoles en 16mm par Disney Educational Productions en septembre 1980 sous le titre : The Atom : A Closer Look. Suite à ce succès, Walt Disney propose une attraction dans son parc Disneyland en Californie, en partenariat avec General Dynamics, concepteur du premier sous-marin nucléaire. Submarine Voyage ouvre ainsi le 14 juin 1959 et se voit même inaugurée par le vice-président, Richard Nixon. L'attraction propose alors un voyage sous la mer dans une flottille de huit sous-marins, dont l'un se nommait Nautilus, en hommage conjoint au roman de Jules Verne, du film 20 000 Lieues Sous les Mers et au premier sous-marin nucléaire dont le design est repris pour les véhicules de l'attraction. Les studios Disney sont, à l'époque, la première entreprise privée à disposer d'une flotte de sous-marins.
Notre Ami l'Atome est un parfait objet de propagande de la Guerre Froide. Certes. Mais son propos et sa réalisation sont tellement bien construits que le récit et l'explication sont limpides et passionnants. Cela dit, il convient de toujours garder à l'esprit que Walt Disney se définit comme un conteur d'histoire et non un scientifique. La nuance est importante !