Conte de ma Mère l'Oye
Titre original : Mother Goose Goes Hollywood Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 23 décembre 1938 Série : Genre : Animation 2D |
Réalisation : Wilfred Jackson Musique : Ed Plumb Durée : 8 minutes |
Disponibilité(s) aux États-Unis : |
Le synopsis
Les histoires de la Mère l'Oie prennent vie dans de petites séquences dont les personnages sont des caricatures de stars d'Hollywood de l'époque... |
La critique
Dans les années 30, les cartoons se moquant des stars d'Hollywood via des caricatures sont fréquents. Les studios Disney n'échappent à la mode et cinq de leurs riches productions se sont fait remarquer dans le genre : Parade of the Award Nominees en 1932, un cartoon commercial réalisé spécialement pour la remise des Oscars cette année-là, Mickey's Gala Premiere en 1933 et L'Equipe de Polo en 1936 dans la série Mickey Mouse, Conte de ma Mère l'Oye en 1938 dans la série Silly Symhonies et, le tout dernier du genre, Chasseur d'Autographes en 1939 dans la série Donald Duck.
L’origine de l'expression des "(Les) Contes de Ma Mère l'Oye" n’est à ce jour pas précisément déterminée. Ainsi, en France, ces contes sont connus pour être le recueil de huit contes de fées de Charles Perrault parus en 1697, sous le titre Histoires ou Contes du Temps Passé , avec des Moralités. Il comprend alors huit titres en prose : La Belle au Bois Dormant, Le Petit Chaperon Rouge, La Barbe Bleue, Le Chat Botté, Les Fées, Cendrillon, Riquet à la Houppe et Le Petit Poucet.
En Angleterre ou aux États-Unis, le terme anglophone "Mother Goose" désigne, outre la traduction du recueil, des comptines enfantines, souvent chantées ; sa définition venant d’une expression anglaise qui appuie le caractère étonnant et merveilleux d’une histoire. Dans ce cadre, la représentation de la "Mother Goose" anglophone est, selon les obédiences, soit une vraie oie avec un chapeau, soit une sorte de sorcière chevauchant une oie.
Conte de ma Mère l'Oye est en réalité la fusion de deux projets de cartoons aussi bien que le remake deux anciens courts-métrages des studios Disney. L'opus est ainsi une re-visite lointaine du court-métrage noir-et-blanc de 1931, Les Chansons de Mère l'Oie, mais aussi de celui en couleur de 1933, Le Vieux Roi Cole, où les studios Disney adaptaient les fameuses comptines anglaises. En réalité, au milieu des années 30, Walt Disney souhaitait mettre en image de nouveau les Contes de la Mère l'Oie dans un court-métrage ayant pour titre Mother Goose Land et voyant la Mère l'Oie se trouver ringardisée par le jazz moderne. Le projet est alors jumelé avec un autre en cours, The Hollywoods, qui voulait, lui, sur une idée de Joe Grant et Bill Cottrell, voir des personnages d'oiseaux peuplant une forêt prendre les traits de personnalités d'Hollywood. Mais voilà, un cartoon de la Warner, The Coo Coo Nut Groove, sorti en 1936 et qui utilise le même concept que The Hollywoods donne l'idée à Walt Disney d'embaucher l'artiste à l'origine des caricatures de la Warner, Tee Hee, et de fusionner les deux projets Mother Goose Land et The Hollywoods pour devenir Conte de ma Mère l'Oye. Tee Hee est donc chargé de créer les storyboards du cartoon en collaboration avec Ed Penner. Les idées fusent au point que le studio envisage de sortir le court-métrage avec une double durée pour finalement se raviser et rester à un format habituel. Cette longue gestation a, en revanche, pour conséquence de faire de Conte de ma Mère l'Oye, l'opus le plus cher des Silly Symphonies.
Katherine Hepburn
Pour les cinéphiles passionnés des films des années 30, Conte de ma Mère l'Oye représente un véritable festival où il est amusant de chercher à découvrir qui est qui. Le cartoon commence ainsi avec le personnage de Little Bo Peep qui est tenu par Katherine Hepburn et qui tente de savoir où elle a pu bien mettre ses moutons. Un running gag se crée alors sur cette question qui va revenir un certain nombre de fois dans l'opus jusqu'à son final, bouclant ainsi la boucle.
Les séquences se succèdent ensuite épousant une durée s'étalant de trente secondes à une minute et reprenant d'autres comptines et personnages de la Mère l'Oie. Vient ainsi le personnage du Vieux Roi Cole accompagné de pas moins de sept grandes stars : Hugh Herbert dans le rôle du Roi, Ned Sparks dans celui du fou, Joe Penner dans celui du cuisinier, qui fait sortir de sa marmite le canard Donald Duck ! Le spectateur remarque aussi trois violonistes interprétés par par les frères Groucho, Harpo et Chico Marx.
Dans la scène suivante, Rub-a-Dub-Dub, Three Men in a Tub, trois personnages sur une barque en pleine mer ne sont autres que Charles Laughton, Spencer Tracy et Freddie Bartholomew. Charles Laughton est ainsi grimé comme dans son rôle du Capitaine Bligh dans Les Révoltés du Bounty en 1935, Spencer Tracy reprend son personnage de Manuel dans Capitaines Courageux de 1937 tandis que Freddie Bartholomew est à l'image du personnage de Ceddie qu'il tient dans Le Petit Lord Fauntleroy en 1936.
Dans la séquence Humpty Dumpty, W.C. Fields joue le personnage de l'œuf Humpty Dumpty. Ce n'est d'ailleurs pas une première puisqu'il l'avait réellement incarné dans Alice au Pays des Merveilles en 1933. Il interagit ici avec la marionnette Charlie McCarthy, curieusement non accompagnée par l'acteur et ventriloque Edgar Bergen. Charlie McCarthy se fera des années plus tard immortalisé en participant à la séquence Mickey et le Haricot Magique du film Coquin de Printemps en 1947.
La scène Simple Simon Met a Pieman est jouée, pour sa part, par Stan Laurel et Oliver Hardy dont les animateurs arrivent parfaitement à reproduire les mimiques si expressives tandis que la séquence See Saw Margery Daw voit, elle, l'intervention d'Edward G. Robinson et de Greta Garbo ; cette dernière prononçant d'ailleurs l'une de ses répliques les plus célèbres "I want so much to be alone" (Je veux tellement être seule).
Dans le morceau Little Jack Horner, le personnage de Little Jack Horner tenu par Eddie Cantor fait appel à un groupe de chanteurs afro-américains dont Cab Calloway et Stepin Fetchit qui rameutent alors le personnage de Little Boy Blue, prenant les traits de Wallace Beery, pour jouer de la trompette. Ils lancent ainsi la scène finale où toutes les stars se rejoignent et dansent ensemble sur une musique très jazzy. Cette dernière scène permet, en outre, de proposer d'autres caricatures. Le spectateur reconnaît ainsi trois danseuses que sont Edna May Oliver, Mae West et ZaSu Pitts mais aussi un joueur de flûte (Clark Gable), un saxophoniste (George Arliss), un pianiste (Fats Waller), un danseur de claquettes (Fred Astaire) pour finir sur les deux acteurs à grandes bouches que sont Joe E. Brown et Martha Raye.
Enfin, chose notable, un dernier détail se doit d'être apprécié en tout début de cartoon. Le spectateur y voit, en effet un logo qui est clairement un détournement de celui de la MGM où le lion cède sa place à une oie qui pousse son cri. Comme pour le logo réfèrent, une phrase peut être également lue au dessous : il n'est cependant pas ici question de la locution "Ars Gratia Artis" de la MGM pouvant se traduire par l'"Art pour l'Art" mais de "Ertznay to Ouyay", une expression en pig latin (équivalent du verlan français) traduisant elle-même l'argot "Nuts to You" et signifiant "Rien à foutre". Il s'agit en réalité d'une moquerie à l'attention du code Hays ou Motion Picture Production Code, un ensemble de règles de censure régissant désormais la production des films, établi par le sénateur William Hays, président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association, en mars 1930 et appliqué de 1934 à 1966. Le bureau gouvernemental chargé du "nettoyage" des scripts demandait ainsi souvent, la plupart du temps en vain, que l'expression "Nuts to You" soit enlevé des films, pour préserver la morale et les bonnes mœurs...
L'animation de Conte de ma Mère l'Oye est exemplaire : principalement due à Ward Kimball, l'un des futurs Neuf Vieux Messieurs, elle offre au cartoon d'être nommé pour l'Oscar du Meilleur Court-Métrage d'Animation. Il perdra toutefois face à un autre dessin animé Disney, le superbe Ferdinand, le Taureau.
Malgré ses nombreuses qualités, Conte de ma Mère l'Oye sera peu diffusé par la suite. D'abord parce que son recours aux caricatures le date forcément, l'ancrant à jamais dans les années 30. Mais également, à cause de sa représentation jugée raciste des artistes afro-américains, notamment de Cab Calloway, Fats Waller et Stepin Fetchit ; le court-métrage étant censuré de plus d'une minute lors de ses différentes rediffusions sur le petit écran. Son édition en DVD le proposera en revanche - et fort heureusement - dans son intégralité, parfaitement intact.
Conte de ma Mère l'Oye est un cartoon potentiellement culte pour tous les cinéphiles passionnés des années 30 : son animation est en effet exemplaire et ses caricatures vraiment amusantes. Pour les autres, il reste seulement un court-métrage sympathique mais anecdotique.