Mickey’s Mellerdrammer
Titre original : Mickey’s Mellerdrammer Production : Walt Disney Animation Studios Date de sortie USA : Le 18 mars 1933 Série : Genre : Animation 2D |
Réalisation : Wilfred Jackson Musique : Frank Churchill Durée : 8 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
Mickey accompagné de Minnie, Clarabelle, Horace et Dingo jouent la pièce La Case de l'Oncle Tom... |
La critique
Mickey’s Mellerdrammer est l'un des cartoons de Mickey qui a le plus mal vieilli : non pas qu'il soit fatalement plus mauvais que les autres épisodes datant de cette époque mais plutôt qu'il véhicule certaines valeurs, certes communes dans les années 1930, désormais inacceptables.
Mickey’s Mellerdrammer s'avère prendre le même thème que des cartoons précédents de la souris. Il s'agit d'y voir Mickey en chef d'orchestre ou organisateur de spectacles, musicaux ou non ; une posture alors assez commune. L'idée a en effet déjà été abordée, par exemple, dans les cartoons Les Folies de Mickey en 1929, Concert Rustique en 1930, Rythme en Bleu en 1931 ou encore Mickey au Théâtre en 1932. Ici, Mickey décide d'adapter le fameux roman de l'écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe : La Case de l'Oncle Tom. Le livre dépeint ainsi la réalité de l'esclavage tout en centrant son récit sur l'oncle Tom, un esclave noir patient et tolérant, autour duquel gravitent plusieurs autres personnages, aussi bien esclaves que blancs. Publié en 1852, le livre anti-esclavagiste, écrit par l'auteure abolitionniste convaincue, constitue un véritable coup de tonnerre dans la société américaine de l'époque et devient le roman le plus lu du XIXe siècle. Il permet surtout à de nombreux citoyens américains de prendre conscience de l'horreur de l’esclavage. Le livre va aussi exacerber davantage la fracture entre le Nord et le Sud des États-Unis, opposition qui débouchera sur la Guerre de Sécession de 1861 à 1865.
Si le roman a eu un impact évident dans l'abolition de l'esclavage aux États-Unis, sa grande popularité a fait qu'il a été également adapté en pièce de théâtre. Les spectacles avaient alors tendance à exagérer et amplifier les stéréotypes déjà présents dans le livre, même si l'auteure n'avait jamais pensé à mal en les utilisant. Malheureusement, au fil du temps, ces représentations caricaturales sont devenues des façons insidieuses de dénigrer les Afro-Américains, les rendant alors inacceptables. L'une des conséquences directes de cette dérive est que le roman est devenu l'objet de détestation, faisant oublier son rôle primordial dans l'abolition de l'esclavage aux États-Unis. Il faut dire que durant la première moitié du XXe, les stéréotypes sont particulièrement présents mais le public qui en rit comme les artistes qui les utilisent ne pensent pas fatalement à mal, ou du moins ne se rendent pas encore compte des idées racistes et réductrices qu'ils véhiculent. La popularité du roman va, elle, à l'époque bien au-delà des planches et inspire aussi le septième art alors naissant. Le livre est ainsi adapté d'abord via le cinéma muet puis parlant, que cela soit en prises de vues réelles comme en animation. Mickey’s Mellerdrammer est ainsi la première, et seule, adaptation du roman de Harriet Beecher Stowe par les studios Disney.
Dans le cartoon, l'une des illustrations des stéréotypes racistes de l'époque est de voir Mickey et Clarabelle jouer des personnages Afro-Américains. Clarabelle se peint alors le visage avec de la suie déposée sur le verre de sa lampe à huile tandis que Mickey se fait sauter un pétard au visage pour se le noircir. Même Dingo, lorsqu'il reçoit une tomate sur la figure, voit un gag lui colorer le visage tout en lui laissant son contour de la bouche en blanc comme s'il avait de grosses lèvres. Ces apparences sont des caricatures de Mammy, allusion appuyée d'ailleurs par le fait que Mickey crie justement ce nom. Ce gag est un clin d'œil, très commun dans les années 1930 à une chanson du long-métrage de 1927 The Jazz Singer, le premier film à prises de vues réelles avec dialogues et son synchronisé qui inspira Walt Disney pour Steamboat Willie. Il fait en effet référence à l'acteur principal, Al Jolson, une icône de l'époque connue pour ses sketches "blackface". Cette expression qualifie les comédiens blancs qui, grimés en Noirs via du maquillage accentuant un contour blanc autour des lèves pour en simuler la grosseur, parodiaient dans des spectacles de vaudeville la vie des Afro-Américains des plantations du Sud dont La Case de l'Oncle Tom. Ces spectacles, désignés aux États-Unis en tant que minstrel shows, ont été créés vers la fin des années 1820 et se sont joués jusqu'au début du XXe Siècle. Ils mettaient en scène des chants, danses, musiques et intermèdes comiques, montrant systématiquement des Afro-Américains paraissant ignorants, stupides, superstitieux et festifs.
Au-delà des stéréotypes, Mickey’s Mellerdrammer reste sinon assez typique des cartoons de spectacles montés par Mickey. Le court-métrage débute par un programme qui montre ainsi que la célèbre souris tient non seulement le rôle de l'Oncle Tom mais également celui de la jeune Topsy ; Minnie est, quand à elle, la gentille et belle Eva ; Clarabelle interprète pour sa part l'esclave Eliza tandis qu'Horace est l'horrible et violent Simon Legree. Pendant que les acteurs se préparent, la foule attend que le spectacle commence et, déjà, certains gags amusants sont distillés. Celui du spectateur qui est gêné par le chapeau de son voisin de devant est particulièrement succulent : il lui demande d'ôter son couvre-chef, ce que ce dernier fait avec plaisir. En réalité, le chapeau cachait une tignasse énorme qui, une fois lâché, va encore plus boucher la vue du pauvre assis derrière. La pièce débute enfin avec Dippy Dawg - la première version de Dingo - qui sert d'accessoiriste en coulisse. Ce dernier est toujours aussi maladroit et se retrouve parfois malgré lui sur scène.
La dernière partie du cartoon est plus amusante. Clarabelle joue une scène dans laquelle elle traverse un lac gelé. La séquence est réalisée avec de nombreux effets spéciaux entre un mécanisme qui reproduit le lac craquelé avec des cubes de glaces qui défilent grâce à Horace, les faisant bouger à l'aide d'une bicyclette ; les faux éclairs en carton lancés par Dingo ; les flocons de neige en pop-corn dont se charge Minnie ; ou encore le tonnerre dont le bruit est simulé par Mickey à travers divers effets sonores. Une dernière scène consiste à envoyer des loups face à Clarabelle. La troupe a alors la mauvaise idée de déguiser des chiens et un chat avec des costumes. Sauf que le chat, ne voulant pas rentrer dans le déguisement, s'évade et énerve les chiens qui se mettent à le poursuivre, créant la panique dans le théâtre. Les animaux sautent partout, y compris dans la fosse de l'orchestre. Les acteurs sont alors obligés de finir le spectacle plus tôt que prévu en catastrophe tandis que la scène est complètement détruite.
Si le récit est classique et que les stéréotypes racistes rendent son visionnage difficile à l'époque contemporaine, il n'en demeure pas moins que du point de vue technique, Mickey’s Mellerdrammer est une réussite. L'animation est superbe mais c'est surtout le travail sur les décors qui doit être ici salué. Ils sont de toute beauté, jouant à merveille avec les différents de tons gris et les effets d'ombre et de lumière...
Walt Disney va fort heureusement vite se rendre compte de la problématique du cartoon et ne le ressortira quasiment plus jamais. Il sera tout de même proposé en 1956, en tant que Mousekartoon dans la Saison 2 du Mickey Mouse Club. Il faudra ensuite attendre 2004 pour que le court-métrage soit inclus dans la compilation Mickey Mouse : Les Années Noir et Blanc - Volume 2 de la collection des Walt Disney Treasures à la demande expresse de Roy E. Disney qui voulait rendre hommage au travail de son oncle. Pour cela, il ne voulait qu'aucune œuvre ne soit oubliée ou cachée, mais plutôt remise dans son contexte.
Mickey’s Mellerdrammer est un cartoon de Mickey au récit assez classique mais qui aujourd'hui reste tristement célèbre pour ses stéréotypes racistes communs à l'époque de sa réalisation. Il a l'avantage de montrer le chemin parcouru dans la société en près d'un siècle.