Désirée
Titre original : Désirée Production : 20th Century Fox Date de sortie USA : 17 novembre 1954 Genre : Drame CinemaScope |
Réalisation : Henry Koster Musique : Alex North Durée : 110 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
La critique
Durant les décennies 1950 et 1960, le genre historique est à la mode à Hollywood. Mobilisant des équipes et des budgets colossaux, tous les studios ou presque, en effet, se lancent durant ces années dans la réalisation de fresques incroyables reconstituant les mystères de l’Égypte pharaonique (L’Égyptien, La Princesse du Nil, La Terre des Pharaons, Cléopâtre), les mythes de la Grèce antique (Ulysse, Hélène de Troie), l’épopée d’Alexandre (Alexandre le Grand), les légendes de la Bible et la naissance du Christianisme (Les Dix Commandements, La Tunique), le faste de la Rome antique (Quo Vadis, Spartacus, Jules César, Ben-Hur)… Le Moyen Âge est également mis à l’honneur dans Le Cid, Richard Cœur de Lion, Ivanhoé, Jeanne d’Arc ou encore Le Chevalier du Roi. Lana Turner incarne Diane de Poitiers. Jean Simmons prête ses traits à Elizabeth d’Angleterre aux côtés de Charles Laughton dans le rôle d’Henry VIII. Greta Garbo est la Reine Christine. L’ascension Napoléonienne elle-même n’est pas oubliée avec des chefs-d’œuvre comme Guerre et Paix de King Vidor avec Audrey Hepburn, Henry Fonda et Mel Ferrer, et Désirée qui met en scène Marlon Brando et Jean Simmons devant la caméra d’Henry Koster.
De son vrai nom Herman Kosterlitz, Henry Koster est né le 1er mai 1905 à Berlin. Issu d’une famille modeste juive, il se découvre une passion pour le cinéma très tôt grâce à son oncle, propriétaire d’une salle dans la capitale allemande. Koster débute alors sa carrière artistique, au départ comme écrivain puis comme scénariste et enfin comme assistant du réalisateur Kurt Bernhardt. Malade, ce dernier lui demande de le remplacer. Koster dirige ses premiers films, Das Absenteuer der Thea Roland (1932), Kleine Mutti (1934), Peter (1934). La montée du nazisme en Allemagne et cet antisémitisme grandissant l’incitent à quitter le pays. Il se réfugie en France, puis part pour Budapest. Là, il fait la rencontre de Joe Pasternak, le représentant d’Universal, qui l’engage pour réaliser trois films dont Catherine avec Franciska Gaal (1936). Henry Koster quitte ensuite le Vieux continent pour les États-Unis. Sous contrat avec Universal, il met en scène la comédie musicale Trois Jeunes Filles à la Page avec Deanna Durbin et Ray Milland, puis Deanna et ses Boys, toujours avec Durbin et le maestro Leopold Stokowski. Suivent les longs-métrages La Coqueluche de Paris (1938), Premier Amour (1939), Ève a Commencé (1941). Koster signe en 1941 chez MGM puis en 1948 chez 20th Century Fox. Sa filmographie continue de s’allonger avec La Danse Inachevée (1947), Honni Soit qui Mal y Pense pour lequel il est nommé à l’Oscar du Meilleur réalisateur (1947), L’Énigmatique Monsieur Horace (1948), La Rue de la Gaieté (1950), Harvey avec James Stewart (1950), La Parade de la Gloire (1952), La Tunique (1953) puis Désirée (1954), Le Seigneur de l’Aventure (1955), Au Sixième Jour (1956), Mon Homme Godfrey (1957), La Maja Nue (1958), Monsieur Hobbs Prend des Vacances (1962). Henry Koster réalise son dernier film, Dominique, en 1965, puis se retire à Camarillo, en Californie, où il s’adonne à la peinture jusqu’à sa mort le 21 septembre 1988.
Spécialisé dans les films musicaux et les comédies familiales puis, dans les années 1950, dans le genre historique, Henry Koster n’est à l’origine pas le premier choix pour diriger Désirée. Les responsables de 20th Century Fox et le producteur Julian Blaustein ont en effet proposé le projet à Anatole Litvak, le réalisateur de Mayerling (1936), Âmes Rebelles (1942), La Fosse aux Serpents (1948) et Le Traître nommé à l’Oscar du Meilleur film (1951). Litvak, qui vient de mettre en boîte Un Acte d’Amour pour le compte d’United Artists (1953), est toutefois déjà associé à d’autres productions parmi lesquelles L’Autre Homme (1955) puis Anastasia (1956). Darryl Zanuck, le puissant patron de 20th Century Fox convoque alors Henry Koster dont le dernier film, La Tunique, premier long-métrage en CinemaScope de l’histoire sorti en 1953, a remporté un beau succès en salle ainsi qu’une belle reconnaissance de la profession qui lui décernera le Golden Globe du Meilleur film ainsi que trois Oscars (Meilleure direction artistique, Meilleurs décors, Meilleurs costumes) en plus de trois nominations (Meilleur Film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur). Cerise sur le gâteau, Koster est un grand amateur d’Histoire qui connaît très bien l’épopée napoléonienne. Celle-ci le fascine littéralement. Son père, qui plus est, était un collectionneur avisé et un amateur éclairé de la vie de l’Empereur. Koster et lui avaient même assisté ensemble à la première du Napoléon d’Abel Gance à Berlin en 1927.
Chargé de la réalisation de Désirée, un projet qu’il adore beaucoup, Henry Koster se met à la recherche de ses acteurs. Jay Robinson est un temps pressenti pour jouer Napoléon, tout comme le Français Louis Jourdan. Montgomery Clift est également approché mais refuse le rôle. Le nom de Richard Burton circule un temps. Henry Koster propose celui de Marlon Brando. Néanmoins, l’évocation de Brando soulève un problème de taille. Le comédien, connu pour ses sautes d’humeur et son tempérament volcanique, devait jouer dans L’Égyptien, la grande fresque de Michael Curtiz adaptée par Philip Dunne et Casey Robinson d’après le roman Sinouhé l’Égyptien de Mika Waltari. Reconstituant l’Égypte magnifique du XIIIe siècle avant notre ère, à l’époque du pharaon Akhénaton, le long-métrage est une reconstitution historique formidable et une superproduction extraordinaire. Des millions de dollars sont ainsi investis pour les décors, les costumes, les figurants…
Mais rapidement, le projet dérape. Brando et Curtiz ne s’entendent sur rien. Le comédien trouve le sujet particulièrement inintéressant. Il conteste le remplacement de Marilyn Monroe par Bella Darvi, à l’époque la maîtresse de Zanuck. Brando n’en fait dès lors qu’à sa tête. Il ne vient pas sur le tournage. L’acteur anglais Edmund Purdom est engagé au pied levé pour le remplacer dans le rôle de Sinouhé. Darryl Zanuck menace Brando de poursuites judiciaires. La presse fait ses choux gras de ce qui s’apparente à un scandale. L’Égyptien sera finalement un échec commercial cuisant. Pour résoudre le litige et ramener un peu de calme dans les couloirs de la direction de 20th Century Fox, Désirée est choisi comme l’échappatoire idéale. Brando doit contractuellement encore tourner un film pour les studios. Zanuck mange son chapeau et accepte de lui confier le rôle de Napoléon. Henry Koster, qui aime le travail de Brando, est ravi, d’autant que la ressemblance avec l’Empereur, appuyée grâce à une prothèse sur le nez, est troublante.
Avec fougue et panache, mais cependant tout en retenue, Marlon Brando incarne donc l’un des meilleurs Napoléon jamais montré au cinéma. Né le 3 avril 1924 à Omaha, dans le Nebraska, le comédien est le fils de Marlon Brando, Sr. et de Dorothy (Dodie) Pennebaker, deux acteurs plus connus pour leurs frasques que pour leur travail. Mauvais élève, il se découvre alors une passion pour le théâtre lors de son passage à la Shattuck Militay Academy qu’il quitte avant d’être renvoyé. Dans l’impossibilité de rejoindre l’armée, il s’installe à New York avec ses sœurs Jocelyn et Frances en 1943. Il y suit les cours de Stella Adler, l’une des enseignantes de l’Actors Studio, et développe une méthode de jeu basée sur l’improvisation et l’étude profonde de la psychologie du personnage. Marlon Brando débute au théâtre en 1944 dans I Remember Mama, puis Truckline Café avant de triompher dans le rôle de Stanley Kowalski, le personnage principal d’Un Tramway Nommé Désir d’Elia Kazan d’après l’œuvre de Tennessee Williams. L’acteur reçoit alors sa première nomination à l’Oscar du Meilleur acteur.
Véritable sex-symbol, Marlon Brando apparaît en 1951 dans l’adaptation cinématographique de la pièce et devient une véritable star. Les films s’enchaînent, Viva Zapata ! qui lui vaut une nouvelle nomination à l’Oscar (1952), L’Équipée Sauvage (1953), Jules César dont le rôle de Marc-Antoine le met en lice pour l’Oscar (1953), Sur les Quais pour lequel il remporte la statuette (1954), Sayonara (1957), La Vengeance aux Deux Visages (1961), sa seule et unique réalisation, Les Révoltés du Bounty (1962), La Poursuite Impitoyable (1966), L’Homme de la Sierra (1966), La Comtesse de Hong-Kong, le dernier film de Charles Chaplin (1967). Brando obtient l’un de ses plus grands rôles en 1972 dans Le Parrain de Francis Ford Coppola qui lui vaut un second Oscar du Meilleur acteur. La même année, il apparait dans Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci qui provoque un véritable scandale en raison de scènes érotiques crues. Brando est encore en lice pour l’Oscar du Meilleur acteur. Après Apocalypse Now de Coppola (1979), le comédien se fait de plus en plus rare sur les écrans et complète sa filmographie avec Superman (1978), Christophe Colomb : La Découverte (1992), L’Île du Docteur Moreau (1996), The Brave (1997) et The Score, son ultime film réalisé par Frank Oz avec Robert De Niro et Edward Norton (2001). L’acteur, connu pour ses engagements en faveur de l’environnement et de la cause des Amérindiens, meurt le 1er juillet 2004 à Los Angeles.
Pour donner la réplique à Marlon Brando dans son costume de Napoléon, la comédienne Vivien Leigh est un temps envisagée pour incarner Désirée Clary. Brando et elle ont déjà partagé l’écran dans Un Tramway Nommé Désir. Ils forment un duo magnifique. La presse cite également le nom d’Audrey Hepburn. Le rôle de Désirée revient cependant à Jean Simmons, sous contrat avec 20th Century Fox et qui devait partager l’écran avec Brando dans L’Égyptien avant que l’acteur ne fasse faux bond. Née le 31 janvier 1929 à Londres, la comédienne anglaise est l’une des plus grandes vedettes féminines d’Hollywood dans les années 1950. Remarquée dans Le Chemin des Étoiles (1945) et Les Grandes Espérances (1946), elle triomphe dans Hamlet de et avec Laurence Olivier qui lui vaut le Prix d’interprétation au Festival de Venise et une nomination à l’Oscar du Meilleur second rôle féminin (1948), puis quitte l’Europe pour l’Amérique où elle signe avec 20th Century Fox avant de travailler pour d’autres studios dont United Artists. Simmons apparaît alors dans La Reine Vierge (1953), La Tunique (1953), Les Grands Espaces (1958), Elmer Gantry le Charlatan (1960), Spartacus (1960), Divorce à l’Américaine (1967), The Happy Ending pour lequel elle est une fois encore nommée à l’Oscar (1969), Dominique (1979). Plus rares sur les écrans et davantage présente à la télévision, Jean Simmons, élevée au rang d’officier de l’Ordre de l’Empire britannique en 2003, apparaît dans son dernier film, Shadows of the Sun, en 2009. Elle disparaît le 22 janvier 2010.
Au départ pensé pour Laurence Olivier, le rôle de Jean-Baptiste Bernadotte revient à Michael Rennie (Quatre de l’Espionnage, La Rose Noire, Le Jour où la Terre s’Arrêta, Capitaine King, Le Troisième Homme sur la Montagne, La Bataille d’El Alamein). Joséphine de Beauharnais est incarnée par Merle Oberon (Maryrose et Rosemary, La Vie Privée d’Henry VIII, Folies-Bergères, Madame et son Cow-Boy, Lydia, Au Fond de Mon Cœur). Le casting est complété avec Cameron Mitchell dans le rôle de Joseph Bonaparte (Mort d’un Commis Voyageur, Les Misérables, Les Pièges de la Passion, Escapade au Japon), Elizabeth Sellars dans celui de Julie Clary (Madeleine, La Comtesse aux Pieds Nus, Les 55 Jours de Pékin), Cathleen Nesbit dans le rôle de Letizia Bonaparte (La Veuve Noire, Elle et Lui, La Fiancée de Papa, Julia), John Hoyt dans le rôle de Talleyrand (Les Héros dans l’Ombre, Le Traquenard, Jules César, Cléopâtre) et Richard Deacon dans la peau d’Étienne Clary (Un Pyjama pour Deux, L’Espion aux Pattes de Velours, Lieutenant Robinson Crusoé, Gnome-Mobile, Le Fantôme de Barbe-Noire).
Adapté du roman d’Annemarie Selinko, Désirée met en scène la passion vécue par Napoléon Bonaparte et la souvent fort méconnue Désirée Clary. Né le 15 août 1769 à Ajaccio, dans une Corse qui n’est française que depuis quelques mois, Napoléon Bonaparte fait partie des figures de proue de l’Histoire de France. Jeune lieutenant de dix-neuf ans lorsque la Révolution française commence, Bonaparte quitte son île natale avec sa famille en juin 1793. Installé dans le sud de la France, il gravit alors un à un les échelons de l’armée et devient général la même année. Commandant en chef en Italie puis en Égypte, sa réputation grossit suite à des succès avérés ou enjolivés. Le 9 novembre 1799 (le 18 Brumaire de l’An VIII), il dirige un coup d’État et renverse le gouvernement bourgeois du Directoire. Le Consulat est proclamé. Bonaparte devient Premier Consul puis Consul à vie. Mettant en place un régime autoritaire, il suit les propositions du Sénat qui lui soumet la création d’un Empire proclamé le 18 mai 1804. Bonaparte devient alors Napoléon Ier. Son sacre à Notre-Dame de Paris le 2 décembre est l’un des événements les plus forts de ce XIXe siècle naissant. Son épouse depuis 1796, Joséphine de Beauharnais, est également sacrée au cours de la cérémonie immortalisée par le peintre Jacques-Louis David.
En tant que chef de l’armée puis chef de l’État, Napoléon combat les coalitions européennes successives. Ses victoires face aux royaumes italiens, allemands, face à l’Autriche, la Prusse, la Russie, l’Espagne sont extraordinaires. Arcole, Rivoli, Pyramides, Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland sont des batailles mémorables largement relayées par la propagande et la presse. La France repousse ses frontières, réorganise l’Europe. Rome, Barcelone, Madrid, Bruxelles, Amsterdam passent sous domination française. L’Autriche, la Prusse, la Russie deviennent des alliés après leur défaite. Napoléon place ses frères et sœurs sur les trônes d’Europe, Caroline devenant reine de Naples, Joseph roi d’Espagne, Jérôme roi de Westphalie, Louis roi de Hollande. L’un de ses maréchaux, Jean-Baptiste Bernadotte, récupère la couronne de Suède. En parallèle, Napoléon, qui se proclame roi d’Italie en 1805, réforme la France. Prenant la suite de la Révolution, il codifie la loi dans le Code Civil en 1804, instaure le lycée et le baccalauréat, met en circulation le Franc frappé par la Banque de France, met sur pied le Conseil d’État, nomme les premiers préfets… Ses décisions s’accompagnent d’une politique architecturale massive et ambitieuse avec la construction de l’Arc de Triomphe de l’Étoile, l’Arc de Triomphe du Carrousel, la Colonne Vendôme, l’église de la Madeleine, le palais Brongniart, le palais d’Orsay, la rue de Rivoli, la colonne de la Grande Armée à Boulogne-sur-Mer, le pont de pierre de Bordeaux, le canal de Nantes à Brest…
Le règne de l’Empereur est néanmoins couvert de taches. Les libertés sont largement limitées. L’esclavage est rétabli dans les colonies. Les guerres sont incroyablement meurtrières. Les révoltes des peuples conquis, la méfiance de certains Français, la terrible campagne de Russie de 1812 ont tôt fait de fragiliser la France vaincue en 1814. Napoléon Ier abdique. Son exil sur l’île d’Elbe, au large de la Corse, ne dure que peu de temps. L’Empereur revient en France en mars 1815 et reprend son trône. L’Europe se rassemble de nouveau, encouragée par l’Angleterre, et vainc une fois pour toute la Grande armée à Waterloo en juin 1815. Napoléon Ier est exilé à Sainte-Hélène, une île perdue au cœur de l’Atlantique sud, où il décède le 5 mai 1821. Le retour de ses cendres, le 15 décembre 1840, provoque une vive émotion dans le cœur des Français. L’image de Napoléon Ier continue de briller aujourd’hui encore en France, en Europe et dans le monde où les adeptes et les détracteurs ne cessent de batailler.
Désirée Clary est, quant à elle, née à Marseille le 8 novembre 1777. Fille cadette de François Clary et Françoise Somis, elle reçoit une excellente éducation au couvent avant de rentrer chez ses parents au début de la Révolution. Sa sœur Julie et elle croisent la route des Bonaparte installés là en juin 1793. Victime de la loi des suspects à l’époque de la Terreur, la famille Clary assiste à l’emprisonnent du frère aîné, Étienne. Venue au tribunal pour plaider sa cause aux côtés de sa sœur, elle rencontre Joseph Bonaparte qui devient rapidement l’un de ses courtisans. Désirée tombe toutefois sous le charme de Napoléon, héros de la prise de Toulon. Joseph se fiance puis se marie avec Julie. Napoléon, lui, malgré des fiançailles nouées le 21 avril 1795, n’épousera pas Désirée. Il a rencontré et épousé Joséphine de Beauharnais en 1796. Nourrissant une certaine rancune contre celle qu’elle surnomme la « Vieille », la cadette des Clary fréquente des officiers français. Jean-Baptiste Bernadotte fait sa demande. Tous les deux se marient le 17 août 1798. Ils ont un fils, Oscar, né le 4 juillet 1799 et dont le parrain n’est autre que Napoléon. Le 21 août 1810, alors que la France domine l’Europe, Bernadotte est élu prince héritier de Suède. Le couple princier s’installe à Stockholm, ce que Désirée déteste car elle s’y ennuie et le climat est rude. Elle rentre en France et sert souvent d’émissaire entre les deux royaumes. Après la chute de l’Empire, les Bernadotte restent en Suède. Le 5 février 1818, Jean-Baptiste devient roi sous le nom de Charles XIV Jean. Désirée devient reine. Gagnant la confiance de son peuple, celle qui devient souveraine de Norvège en 1829 règne jusqu’à la mort de son mari, le 8 mars 1844. Assistant au couronnement de son fils, Oscar Ier, qui meurt le 8 juillet 1859, elle s’isole et décède le 17 décembre 1860 à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Au cœur d’une histoire souvent fantasmée, Napoléon Bonaparte est l’une des figures historiques les plus représentées au cinéma. Dès 1897, Louis Lumière met ainsi en scène l’Entrevue de Napoléon et du Pape. James Stuart Blackton consacre deux films à l’Empereur, Napoléon The Man of Destiny (1909) et Napoléon and the Empress Joséphine (1909). Abel Gance marque les esprits avec son mémorable Napoléon en 1927. Suivent entre autres Hearts Divided de Frank Borzage, Marie Walewska de Clarence Brown, Napoléon de Sacha Guitry, Austerlitz d’Abel Gance, plus récemment la série télévisée Napoléon… Cette fois, avec Désirée, la démarche est toutefois un peu différente. Il ne s’agit pas, en effet, de glorifier l’Empereur, mais de lui faire partager l’écran avec son premier amour, la belle Désirée Clary, largement autant montrée. Sacha Guitry avait d’ailleurs lui-même entreprit la même démarche en 1942 avec Le Destin Fabuleux de Désirée Clary incarné par Guitry lui-même dans le rôle de Napoléon Ier et Gaby Morlay dans celui de Désirée.
Désirée offre donc aux spectateurs de découvrir la romance, l’amour, la séparation et l’histoire parallèle de l’homme fort de l’Europe au début du XIXe siècle et de la jeune Marseillaise amenée à donner naissance à la dynastie régnante, encore aujourd’hui, sur la Suède. Le film d’Henry Koster, en cela, est une production intelligente qui, loin de s’arrêter aux instants de gloire de Napoléon, se risque plutôt à une incursion dans sa vie privée rarement montrée à l’écran. Pas de conquête de l’Italie, pas de découverte des pyramides d’Égypte, pas de charge héroïque dans les plaines d’Austerlitz, pas de déconfiture à Waterloo. Le public n’apprendra rien sur la politique guerrière de la France. Il n’en saura pas vraiment beaucoup plus sur la politique intérieure de l’Empereur. Parfois passée très vite, parfois seulement évoquée, parfois purement éludée, la grande Histoire est éclipsée pour ne servir finalement que de simple intrigue secondaire à une histoire entre deux êtres qui, après s’être trouvés, se séparent et enfin se retrouvent au moment où l’une, en pleine ascension, croise le chemin de l’autre, en plein déclin.
Henry Koster passe dès le départ beaucoup de temps à montrer la rencontre et la romance naissante entre Napoléon et Désirée. Si les deux jeunes gens s’aiment, le réalisateur témoigne du poids des convenances de l’époque et du rôle joué par la position sociale de chacun. Le maigrelet et désargenté Bonaparte jette ainsi son dévolu sur la riche famille Clary qui, dès lors qu’il rencontre Joséphine, elle aussi issue d’un beau lignage, est écartée. La jeune femme semble dès lors avoir perdu l’amour de sa vie. Sa détresse est émouvante. Sa colère est redoutable. La relation entre les anciens amants devient conflictuelle. Les dialogues témoignent de la glace qui s’est formée entre eux. Le destin cruel change toutefois de camp au fur et à mesure que le film avance. Napoléon perd l’amour de sa vie, Joséphine, pour des raisons politiques qui le forcent à épouser Marie-Louise d’Autriche. Il perd rapidement sa domination. Désirée, pendant ce temps, épouse le maréchal Bernadotte, follement amoureux d’elle. L’ascension de ce dernier, le hasard de l’Histoire qui porte le peuple suédois à le choisir comme futur roi, sont en quelque sorte présentés comme une vengeance de la jeune femme qui s’élève aussi vite que Napoléon s’effondre.
Pour mettre en scène le destin des deux protagonistes principaux et les revers de l’Histoire, 20th Century Fox et Darryl Zanuck décident de mettre les petits plats dans les grands et de s’entourer des meilleurs. 2,7 millions de dollars (près de 23 millions de dollars de 2021) sont mis sur la table, ce qui fait de Désirée un véritable blockbuster avant l’heure. Leland Fuller, nommé à l’Oscar de la Meilleure direction artistique pour Laura (1944), Sur la Riviera (1951), 14 Heures (1951), Viva Zapata ! (1952), Le Général Invincible (1953), et Lyle R. Wheeler, oscarisé pour Autant en Emporte le Vent (1939), Anna et le Roi de Siam (1946), La Tunique (1953), Le Roi et Moi (1956) et Le Journal d’Anne Frank (1959), construisent des décors majestueux et de très belles reconstitutions des intérieurs des palais du XIXe siècle. Tout ceci respire, évidemment, le carton-pâte. Les caméras n’ont pas été posées dans des lieux historiques mais bien entre les planches en aggloméré des studios de 20th Century Fox. Les lustres, les marbres, les statues fleurent bon la pacotille. Mais l’ensemble est néanmoins magistral et joliment filmé en couleur et en CinemaScope par les équipes du directeur de la photographie Milton R. Krasner, lauréat du Prix de la photographie à Cannes en 1949 pour Nous Avons Gagné ce Soir et de l’Oscar en 1955 pour La Fontaine des Amours. Fuller et Wheeler décrochent alors une énième nomination pour l’Oscar de la Meilleure direction artistique, gagné cette année-là par John Meehan et Emile Kuri pour 20 000 Lieues Sous les Mers.
Les décors sont complétés par les costumes, très riches, de René Hubert et Charles Le Maire. Le premier, d’origine suisse, a fait ses études aux Beaux-Arts de Paris et participé aux films Madame Sans-Gêne (1924), La Galante Méprise (1927), À Nous la Liberté (1931), Le Ciel Peut Attendre (1943), Le Chant de Bernadette (1943) ou encore Anastasia (1956). Deux nominations aux Oscars ont salué son travail sur La Belle Ensorceleuse (1941) et La Rancune (1964). Le second, un autre pionnier du théâtre et du cinéma, a inscrit son nom au générique de L’Aventure de Madame Muir (1947), Le Miracle sur la 37e Rue (1947), David et Bethsabée (1951), Le Jour où la Terre s’Arrêta (1951), Titanic (1953), La Lance Brisée (1954) et remporté l’Oscar pour Ève (1950), La Tunique (1953) et La Colline de l’Adieu (1955). Grâce à leur travail sur Désirée, Hubert et Le Maire sont une fois encore sur la liste des nommés aux Oscars en 1955 mais s’inclinent face à La Porte de l’Enfer.
Une scène, en particulier, vaut le détour, celle du sacre de l’Empereur et de Joséphine en la cathédrale Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804. Immortalisé en son temps par le peintre Jacques-Louis David, le moment est grandiose et retiendra forcément l’attention du spectateur mais aussi de l’historien. La mise en scène est magistrale. Les costumes sont magnifiques, en particulier le manteau de l’Empereur porté par Marlon Brando. La musique relève l’ensemble grâce à la partition d’Alex North, le compositeur entre autres d’Un Tramway Nommé Désir (1951), des (Les) Misérables (1952), des (Les) Désaxés (1961), de Cléopâtre (1963) et de Good Morning, Vietnam (1987) nommé à l’Oscar pour Mort d’un Commis Voyageur (1951), Viva Zapata ! (1952), La Rose Tatouée (1955), Le Faiseur de Pluie (1956) ou Qui a Peur de Virginia Woolf ? (1966). La scène du Sacre est prodigieuse et donne le sentiment que la peinture, exposée au Louvre, prend vie.
Les interprétations des comédiens sont elles aussi à saluer. Jean Simmons vole la vedette, indéniablement, en offrant une composition remarquable, pleine de sentiments et de force. Marlon Brando n’est pas en reste. Le tournage, pourtant, fut chaotique. Le comédien, comme à son habitude, use de son franc-parler et de son tempérament tempétueux pour imposer certains de ses choix. Parfois sur la réserve du fait de sa difficulté à jouer un personnage aussi imposant alors que lui-même est dans la vie plutôt introverti, Brando offre une performance raffinée, très juste et délicate. Il bredouille parfois plus qu’il ne parle, l’une de ses marques de fabrique. Ses explosions de colère sont bien placées. Son regard est superbe. Sa prothèse de nez offre une vision de Napoléon parfois aussi proche de la réalité que les peintures de l’époque.
En découvrant Désirée, les amateurs de la vie de l’Empereur regretteront forcément ce qui fait la faiblesse du film, ses ellipses et les sauts dans la chronologie. Le récit, monté énergiquement par William Reynolds, est mené tambour battant et ne consacre aucune minute à se perdre dans les méandres d’une histoire fort compliquée. Le but du film n’est de toute façon pas de dévoiler l’épopée de Napoléon dans les moindres détails. Des coupures sont dès lors opérées grâce à une technique simple consistant à raconter les faits par la bouche ou les écrits d’un tiers. Certains événements sont dès lors évoqués par Désirée qui écrit régulièrement dans les pages de son journal intime. Quelques sauts dans le temps sont toutefois étonnants, voire déconcertants. Le spectateur restera peut-être coi devant le choix fait de présenter le divorce de Napoléon et de Joséphine immédiatement après le Sacre alors qu’il se passe six ans entre les deux événements. Néanmoins, si les raccourcis sont nombreux, force est de constater que les grandes erreurs historiques sont vraiment peu nombreuses. Certains pourront toujours chipoter, bien sûr. Mais si d’ordinaire les Américains ont tendance à fantasmer l’histoire et à la modifier à outrance pour les besoins d’un script, il est à noter que Désirée fait en quelque sorte exception à la règle. Les bévues et autres anachronismes ne sont que des détails. Étrange, par exemple, de voir Bernadotte arriver en Suède et faire le salut militaire à l’Américaine ! Mais cela n’entache pas l’histoire, c’est bien là l’essentiel.
« On the screen at last! », indique la bande-annonce du film, « L’histoire d’amour la plus passionnément racontée en CinemaScope ! ». Fort d’une mise en scène raffinée et d’un casting quatre étoiles remarquables, Désirée sort dans les salles américaines le 17 novembre 1954. La critique est alors plutôt mitigée. Dans les colonnes du New York Times, Bosley Crowther parle d’une « belle décoration et de deux stars talentueuses » dont le principal défaut est de ne pas avoir suffisamment de matière pour « tenir le spectateur en haleine jusqu’à la fin ». La revue Variety salue les costumes et la performance magistrale de Brando. Richard L. Coe du Washington Post parle d’un « régal pour les yeux mais d’une torture pour les oreilles et l’intelligence », vantant au passage la performance remarquable de la part de Brando. John McCarten rejoint la plupart de ses collègues en écrivant dans The New Yorker que le film est « coloré » mais que l’intrigue est pour sa part « transparente ». Malgré des critiques partagées, Désirée remporte 4,5 millions de dollars au box-office. C’est deux fois son budget. C’est un score très honorable, supérieur à celui réalisé par un autre succès de Marlon Brando, Sur les Quais. Ce dernier, toutefois, restera critique vis-à-vis de sa performance qu’il qualifiera de « superficielle ».
Magnifique reconstitution de l’époque napoléonienne magistralement mise en valeur grâce à la technologie CinemaScope, Désirée est un très beau film qui bénéficie du talent d’une pléiade d’artistes formidables. Si les historiens sourcilleux et les fans inconsidérés de l’Empereur regretteront évidemment un survol bien trop rapide de l’Histoire pour en comprendre tous les tenants et aboutissants, les spectateurs ne bouderont quant à eux pas leur plaisir d’en apprendre un peu plus sur la jolie Désirée Clary, héroïne fort méconnue dont le destin, au moins autant que celui de Napoléon, fut à coup sûr l’un des plus extraordinaires de l’histoire de France. Une belle approche de la petite histoire dans la grande Histoire, en somme…