Fahrenheit 9/11

Fahrenheit 9/11
L'affiche du film
Titre original :
Fahrenheit 9/11
Production :
Miramax Films
Dog Eat Dog Films
Fellowship Adventure Group
Date de sortie USA :
Le 25 juin 2004
Distribution :
FLIC Distributors
Genre :
Documentaire
Réalisation :
Michael Moore
Musique :
Jeff Gibbs
Durée :
122 minutes
Disponibilité(s) en France :

Le synopsis

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Michael Moore s’attache à démontrer en quoi le Président George W. Bush et son administration ont profité de la tragédie pour orchestrer une intervention militaire en Irak et restreindre les libertés des Américains, évitant d’investiguer sur le pouvoir saoudien et la famille ben Laden.

La critique

rédigée par
Publiée le 11 septembre 2020

Fahrenheit 9/11 est un brûlot politique qui fait date dans l’histoire des documentaires de cinéma. À l’origine d’une lutte interne quant à sa distribution qui mène au départ des frères Weinstein de Miramax, le documentaire de Michael Moore démontre la capacité du cinéaste à donner une portée internationale à ses combats politiques, au prix de la controverse.

Le documentaire porte avant tout la voix - qui sait se faire entendre - de son auteur et réalisateur, Michael Moore. Né le 23 avril 1954 à Flint dans le Michigan d’une mère secrétaire et d’un père ouvrier sur une chaîne de montage, il baigne ainsi dans la culture ouvrière d’une ville centrée sur l’automobile alors que son oncle a fondé le principal syndicat de l’usine General Motors. Il s’engage rapidement dans la vie publique en rejoignant à 18 ans le conseil d’administration de la Davison School. Quittant l’université publique de Flint après seulement un an, il se lance dans le journalisme et crée la revue The Flint Voice, vite renommée The Michigan Voice en étendant sa portée. Il rejoint en 1986 le magazine progressiste et libéral Mother Jones avant d’être mis à la porte quatre mois plus tard en raison de différends éditoriaux. Il remporte toutefois un procès contre son ancien employeur, qui se voit contraint de lui verser 58 000 dollars.
Michael Moore tire profit de cette somme en produisant son premier documentaire, Roger et Moi (1989), où il traite de la fermeture de l’usine General Motors de Flint, suivi du court documentaire Pets or Meat: The Return to Flint (1992) diffusé sur la chaîne publique PBS et abordant le même sujet. Entre 1994 et 1995, il fait passer ses messages en produisant TV Nation, un journal télévisé satirique diffusé sur BBC2 au Royaume-Uni et sur NBC puis Fox de l’autre côté de l’Atlantique. En 1995, Canadian Bacon marque sa seule incursion dans la fiction cinématographique avec une parodie politique dans laquelle le Président des États-Unis simule une guerre avec le Canada pour retrouver de la popularité. Après ce film comportant certains éléments prophétiques, il se lance dans l’écriture avec Downsize This! Random Threats from an Unarmed American (1996), ouvrage dénonçant notamment les dérives du monde de l’entreprise.

Il se met ensuite en scène dans le documentaire The Big One (1998), qui retrace son parcours durant la promotion de son ouvrage, l’occasion pour lui d’enfoncer le clou sur les failles de l’économie américaine et l’impuissance de l’administration Clinton. Bowling for Columbine (2002) marque un tournant dans la carrière de Michael Moore. Le film, nommé après la fusillade de 1999 qui a vu treize personnes être assassinées par deux étudiants dans un lycée, traite du fléau représenté par les armes aux États-Unis. Aussi percutant que bouleversant, il remporte notamment l’Oscar du Meilleur Documentaire, le César du Meilleur Film Étranger, un prix spécial lors du Festival de Cannes et génère 58 millions de dollars au box-office mondial. C’est donc au sommet de sa carrière qu’il réalise Fahrenheit 9/11 en 2004, qui prolonge cette aura et contribue à le voir être considéré par le magazine Time comme l’une des cent personnes les plus influentes du monde en 2005. L’ouvrage Stupid White Men: ...and Other Sorry Excuses for the State of the Nation! (2001) avait déjà permis à Moore d’écrire tout le mal qu’il pensait du Président Bush. La suite de sa carrière est moins percutante, à l’exception de Sicko, pamphlet de 2007 dirigé contre le système de santé américain qui contribue sans aucun doute à l’importance donnée par Barack Obama à ces questions au cours de ses deux mandats.
Michael Moore reste toutefois l’un des activistes les plus influents de la gauche de la gauche américaine. Présent au cœur de mouvements de protestation qui marquent le pays tels qu’Occupy Wall Street, il ne cesse de distiller ses commentaires acerbes à l’encontre des différents pouvoirs politiques et économiques. Fervent adversaire des Républicains au pouvoir et notamment de Donald Trump, il n’épargne pas pour autant les Présidents démocrates et soutient Bernie Sanders, candidat lors des primaires démocrates de 2016 et 2020.

Fahrenheit 9/11 voit Michael Moore s’exprimer dans un contexte particulièrement lourd pour les États-Unis. Le matin du 11 septembre 2001, entre 08h46 et 10h03, 19 kamikazes de l’organisation terroriste Al-Qaïda font 2 977 victimes en dirigeant des avions de ligne contre les tours du World Trade Center à New York, dont elles provoquent la destruction, contre le Pentagone près de Washington, D.C. et dans un champ près de Pittsburgh en Pennsylvanie. Le choc parcourt instantanément la planète, qui reste tétanisée devant des écrans de télévision diffusant en boucle les images d’une horreur inimaginable.
Le 11 septembre 2001 bouleverse définitivement l’équilibre géopolitique du monde lorsque le Président des États-Unis George W. Bush lance une intervention militaire en Afghanistan dès octobre 2001 puis décide de mener une coalition pour envahir l’Irak le 20 mars 2003. Cette “guerre contre la terreur” (“war on terror”) est toutefois rapidement contestée, l’existence d’armes de destruction massive supposées du régime irakien étant remise en cause tandis que les motivations premières du conflit sont questionnées. Michael Moore centre son film sur le sujet, alors pleinement d’actualité.

La production du nouveau documentaire d’un personnage aussi clivant que Michael Moore sur un sujet aussi sensible ne peut donc pas être un long fleuve tranquille. Ce dernier envisage dans un premier temps de produire le film avec l’entreprise de Mel Gibson, Icon Productions, qui se retire néanmoins rapidement. Miramax, filiale de The Walt Disney Company spécialisée dans les films indépendants qui a déjà distribué The Big One de Michael Moore en 1998, décide ainsi naturellement de financer le documentaire. De quoi ajouter de l’huile sur le feu alors que la vie de l’entreprise est mouvementée et que les crises de direction y sont devenues habituelles.
En 2003, les relations sont il est vrai tendues entre Michael Eisner, CEO de The Walt Disney Company, et les frères Bob et Harvey Weinstein, fondateurs et dirigeants de Miramax. L’excellent ouvrage Le Royaume Enchanté (2005), écrit par le lauréat du Prix Pulitzer James B. Stewart, relate en effet la “lutte incessante d'egos” à laquelle se prêtent les hommes, malgré les succès critiques et commerciaux importants rencontrés par Miramax (Pulp Fiction, Shakespeare in Love, Will Hunting).

Les choses s’enveniment alors davantage le 11 mai, quand le blog conservateur Drudge Report écrit que Disney finance via Miramax un nouveau documentaire de Michael Moore dirigé contre George W. Bush. L’état major de The Walt Disney Company explose de colère, d’autant que l’affaire tombe au plus mal, alors que l’entreprise fait du lobbying auprès de l’administration américaine sur des questions de droit d’accès au câble. Michael Eisner interdit formellement à Harvey Weinstein de participer à la production du film. Fahrenheit 9/11 n’entre pourtant pas dans le cadre des projets des dirigeants de Miramax que Disney peut contractuellement rejeter : les films au budget excessif (celui du documentaire ne s’élevant qu’à 6 millions de dollars) et les films interdits aux moins de 17 ans (bien qu'en l'espèce, il finira par l'être).
Weinstein propose un compromis en expliquant que si le film achevé déplaît à Disney, il le rachètera sur ses propres deniers. Peter Murphy, dirigeant au sein de la compagnie de Mickey, comprend les choses différemment et pose par écrit, en mai 2003, les conditions selon lesquelles Miramax offre un plan de financement temporaire au projet, les autres producteurs devant trouver des financements de substitution avant que le studio ne se désengage définitivement.

Le malentendu refait surface l’année suivante, alors que la production de Fahrenheit 9/11 s’achève. Harvey Weinstein propose en effet à Michael Eisner de visionner le film, provoquant la surprise de ce dernier qui réaffirme son refus total de le voir être distribué par son entreprise. Alors que Weinstein explique que les factures concernant l’opus sont parvenues aux services de Disney, Eisner l’accuse de l’avoir dissimulé en ne l’évoquant pas dans les rapports de production. Le conseil d’administration de The Walt Disney Company se prononce finalement contre la distribution du film. En conséquence, The New York Times publie le 5 mai 2004 un article intitulé Disney Is Blocking Distribution of Film That Criticizes Bush (“Disney bloque la distribution d’un film critiquant Bush”). Ari Emanuel, l’agent de Michael Moore, y révèle même qu’Eisner a tenté de les dissuader de faire distribuer leur film par Miramax, évoquant ses craintes de voir supprimées les exonérations fiscales dont Disney bénéficie pour Walt Disney World Resort grâce à l’État de Floride, dont le Gouverneur n’est alors autre que Jeb Bush, frère du Président ! L’entreprise nie en bloc mais confirme sa volonté de s’adresser aux familles représentant toutes les tendances politiques, tandis que le réalisateur souligne la censure dont son film est victime.
Les droits de Fahrenheit 9/11 finissent par être rachetés pour 6 millions de dollars par Bob et Harvey Weinstein au travers du Fellowship Adventure Group, qui s’associe à Lionsgate Films et IFC Films pour la distribution. Soucieux de ne pas les voir s’enrichir au delà de ce à quoi ils auraient pu prétendre dans leur position de dirigeants de MiramaxDisney prévoit dans la cession que ceux-ci empocheront 40% du profit net généré par le film, les 60% restants devant faire l’objet de dons à des associations caritatives. Disney doit choisir ces dernières, voulant par cette opération montrer qu’elle conserve le dernier mot. Additionnés aux tensions préexistantes, ces tumultes conduisent finalement les frères Weinstein à quitter Miramax pour fonder The Weinstein Company en 2005.

Ces péripéties n'ont pas empêché pas Michael Moore de produire Fahrenheit 9/11, qui fait référence au roman de science-fiction dystopique écrit par Ray Bradbury en 1952, Fahrenheit 451. En plein début de guerre froide, l’auteur décrit un holocauste nucléaire et donne pour titre à son œuvre la température en degrés Fahrenheit d’auto-inflammation du papier - celle à laquelle il prend feu seul. Moore signifie ainsi avec cette analogie en quoi les attentats du 11 septembre ont initié un embrasement plus important encore, en servant de prétexte à l’invasion américaine de l’Irak, véritable sujet du film.
Le cinéaste prend toutefois son temps et traite successivement de plusieurs sujets. L’introduction remet ainsi en cause la légitimité de la présidence de George W. Bush en montrant les irrégularités de l’élection de 2000 et le flou autour des résultats de Floride. Le premier acte du film montre l’absence de réaction de l’administration Bush contre les auteurs des attentats du 11 septembre et tisse un lien entre la proximité du Président et de son entourage avec la famille ben Laden : les intérêts de l’Arabie Saoudite empêchent manifestement des investigations ou une intervention militaire contre ces personnes ou entités, alors qu’Oussama ben Laden est rapidement identifié comme le commanditaire des attentats et que 15 des 19 kamikazes du 11 septembre étaient Saoudiens. Le deuxième acte aborde l’instauration d’un climat de peur artificiel, propagé et non contesté par les médias et l’instauration de législations réduisant les libertés individuelles comme le Patriot Act, quand les mesures concrètes de sûreté contre le terrorisme s’avèrent dans le même temps insuffisantes et inefficaces. Le dernier acte développe enfin le sujet de la guerre en Irak, du massacre des populations locales à l’embrigadement d’une jeunesse américaine désœuvrée dans une guerre dénuée de sens.

Si Michael Moore concentre son pamphlet contre la personne de George W. Bush, le fond de son propos reste profondément social. Alors que la remise en cause du droit de vote des Afro-Américains est présentée au-début du film, la question de l’argent en constitue vite le cœur. Aussi l’activiste tourne au sein de sa ville de Flint, ravagée par le chômage et la misère, où les jeunes sans espoir ni perspectives sont la chair à canon idéale pour grossir les rangs de l’armée américaine quand les pertes humaines s’accumulent. La guerre, décidée par une élite uniquement motivée par l’appât du gain, tue les pauvres qui veulent bien se sacrifier pour une idée largement dévitalisée de la liberté. Des populations civiles irakiennes bombardées aux soldats mutilés, tous semblent perdants dans cette spirale de destruction. Moore parvient toutefois à identifier un cercle d’heureux bénéficiaires de la guerre et montre avec des images édifiantes l’économie florissante des entreprises d’armement et du secteur pétrolier.
Outre Bradbury, le réalisateur reprend alors le célèbre auteur George Orwell dans une citation du roman 1984 (1949) synthétisant le message porté par son film :

“Il ne s’agit pas de savoir si la guerre est réelle ou non. La victoire n’est pas possible, il ne s’agit pas de gagner la guerre mais de la prolonger indéfiniment. Une société hiérarchisée repose sur la pauvreté et l’ignorance. Leur version devient vérité historique et rien d’autre ne peut avoir existé. Le but de la guerre est de mener la société au bord de la famine. La guerre est menée par l’élite contre ses propres sujets ; son objectif n’est pas de vaincre en Eurasie ou en Asie, mais de garder la structure sociale intacte.”

Afin d’étayer son propos, Michael Moore s’appuie sur de nombreux témoignages recueillis par ses soins. Il rencontre ainsi notamment le journaliste Craig Unger, fin connaisseur de la famille Bush, l’ancien agent du FBI Jack Cloonan ou des acteurs directement concernés par les événements tels que le Caporal des Marines Abdul Henderson ou la mère de soldat endeuillée Lila Lipscomb. Les premiers apportent une expertise et des connaissances passionnantes sur les thématiques abordées, tandis que les seconds contribuent à l’émotion en témoignant de l’impact du conflit sur la vie des individus.
Au-delà de ce travail de rencontre, des images d’archives de la télévision sont employées pour servir les développements. La longue interview de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite par le célèbre Larry King, sur CNN, est particulièrement éloquente, tandis que l’extrait de témoignage de Richard A. Clarke, expert antiterroriste ayant notamment inspiré l’antagoniste de Die Hard 4 : Retour en Enfer (2007), est également passionnant. Des extraits d’articles de presse sont par ailleurs mis en avant pour donner une légitimité à la démarche journalistique tout en l’inscrivant dans la chronologie des événements.

Outre la force de son message et sa documentation, Fahrenheit 9/11 marque par la puissance de ses images, que Michael Moore sait parfaitement manier. Aussi bien dans le registre de la pudeur, lorsqu’il évoque les attentats du 11 septembre 2001 sans en montrer les images connues de toutes et tous mais en exposant les regards paniqués et effrayés des New-Yorkais ou les poussières grisâtres volant dans l’air de Manhattan ; que dans celui de l’horreur, en étalant de manière brute et crue les corps mutilés, carbonisés ou ensanglantés des victimes du théâtre irakien. Le contraste est particulièrement saisissant, tout comme celui que le réalisateur instaure entre des Irakiens heureux profitant de joies simples et une série d’explosions et de bombardements. L’image transgresse également par son absence, quand un écran noir cède l’attention du spectateur au bruit d’un avion percutant le World Trade Center et aux cris de panique. Le choc est par ailleurs renforcé par des propos insoutenables, comme lorsque de jeunes soldats américains revendiquent agir à la guerre comme dans un jeu vidéo où les victimes ne sont pas davantage respectées que des êtres de pixels.
Au-delà de ces extraits naturellement édifiants, Moore joue pleinement sur l’ironie en intégrant les personnages réels de son histoire à un pastiche de western, en convoquant un témoignage de Britney Spears déclarant son soutien au Président ou en parodiant un vieux feuilleton policier. Véritablement drôles, ces moments décalés apportent une respiration dans un propos sombre qui n’est jamais loin d’être étouffant pour le spectateur. Mais ils représentent une autre forme de violence, la contradiction entre la légèreté des images et la dureté de la réalité accentuant en effet la perception de cette dernière. Il s’agit là, en tout état de cause, d’une véritable marque de fabrique du réalisateur.

Michael Moore ne peut il est vrai s’empêcher de faire usage du sarcasme et décide tout bonnement de ridiculiser George W. Bush et d’autres acteurs de ces tristes événements. S’il est amusant de voir le Président américain golfer et évoquer évasivement dans un regard ne transpirant pas l’intelligence les dossiers qu’il s’apprête à traiter, la satire a des limites. Ces attaques basses contre la personne de Bush nuisent en effet au final aux critiques plus profondes sur ses actions, elles seules légitimes et essentielles. Moore est pourtant plus efficace quand il fait dans l’allusion subtile, à l’image du générique d’ouverture dans lequel les différents acteurs (Bush, Powell, Rice, Cheney, etc.) se maquillent et se coiffent pour se préparer à la grande mise en scène qu’ils ont concoctée. De manière générale, le cinéaste emploie les outils de la propagande et semble déployer les moyens qu’il dénonce lui-même lorsqu’il montre le climat de peur instauré par les chaînes de télévision à la suite du gouvernement.
Certaines scènes, telles que celle filmée au sein d’un groupe pacifiste infiltré par les forces de l’ordre, relèvent davantage de l’anecdote et revêtent un caractère superfétatoire. Les nombreuses suggestions lancées dans Fahrenheit 9/11, sans être étayées par des preuves précises, réduisent par ailleurs sa portée documentaire et journalistique. Moore présente des faits et affirmations successivement, impliquant ainsi des liens qu’il prend soin de ne pas explicitement citer, afin probablement de ne pas entrer dans le champ de la diffamation et de s’exposer à des poursuites judiciaires. Ce constat est alors d’autant plus dérangeant que la même technique sert de terreau depuis lors aux théories du complot qui concernent les attentats du 11 septembre 2001.

Dans la continuité des éléments qui différencient la filmographie de Michael Moore des documentaires traditionnels et en font des objets politisés se trouve également sa propension à mettre en scène sa personne. Il se filme en effet en train d’être interpellé par les services secrets américains durant la réalisation d’une interview devant l’ambassade d’Arabie Saoudite à Washington, en face d’un haut-lieu des histoires du journalisme et des États-Unis : le Watergate. Provocant, il démarche également les membres du Congrès devant le Capitole afin de recruter leurs enfants pour la guerre, un seul d’entre eux ayant rejoint les rangs de l’armée en Irak. Il assume enfin un véritable rôle de poil à gratter lorsqu’il lit au mégaphone et en pleine rue les dispositions du Patriot Act. Si ces scènes peuvent amuser et servir avec justesse le discours de l’opus, elles frôlent parfois la démagogie.
Ces caractéristiques de Fahrenheit 9/11, profondément liées à la personnalité de son auteur, réalisateur et producteur, sont parfaitement assumées. Il revient donc au spectateur de savoir faire la part des choses sur les faits et allégations qui lui sont présentés, bien que la technique de mise en scène puisse être piégeuse pour ceux qui manquent du recul nécessaire. Aussi, il est quelque peu regrettable que le documentaire n’ait pas bénéficié d’un traitement davantage neutre que l’essentiel de son propos mérite par sa véracité et son utilité démocratique.

Rien n’est laissé au hasard dans la mise en scène de Fahrenheit 9/11, il en va donc de même pour sa musique, composée par Jeff Gibbs. Ce fidèle de Michael Moore est également l’auteur des bandes originales de Bowling for Columbine et de Capitalism: A Love Story (2009), tandis qu’il passe à la réalisation sur le documentaire écologiste Planet of the Humans (2019), dont Moore est producteur exécutif. La musique de Gibbs est efficace et va parfaitement de pair avec le contenu du long-métrage, accentuant aussi bien l’émotion que la satire.
Le documentaire s’appuie également sur une sélection particulièrement bien sentie de morceaux du patrimoine pop, de Shiny Happy People de R.E.M. à Rockin’ in the Free World de Neil Young qui ouvre le générique final, en passant par le kitch à souhait The Greatest American Hero (Believe It or Not) de Joey Scarbury. Non seulement ces chansons apportent par leur musicalité, mais elles ponctuent systématiquement l’ironie d’un point soulevé par le commentaire de Moore.

Fahrenheit 9/11 est projeté en mai 2004 lors de la 57e édition du Festival de Cannes et reçoit la plus longue standing ovation jamais donnée sur la Croisette, durant une vingtaine de minutes. Le jury, présidé par Quentin Tarantino qui y a obtenu la récompense suprême en 1994 pour Pulp Fiction, attribue ainsi la Palme d’Or au documentaire de Michael Moore.
Illustrant l’importance du film dans le contexte politique de l’époque, après que le Premier ministre Dominique de Villepin a refusé le 14 février 2003 d’engager la France dans le conflit irakien dans un discours à l’ONU entré dans l’histoire, cette consécration est dénoncée par certains conservateurs américains comme un acte politique français. Le réalisateur du diptyque Kill Bill aurait pourtant signifié à Moore que son prix serait dû à son art et non à la portée politique du film. Le recul aidant, il est cependant difficile de nier l’influence de la matière politique dans la Palme d’Or attribuée à Fahrenheit 9/11. Celle-ci ne doit toutefois pas être regrettée et constitue au contraire un témoignage de l’importance du long-métrage dans son époque. Outre ses qualités cinématographiques indéniables et quelles qu’aient été ses outrances, le documentaire portait il est vrai une voix audacieuse et essentielle sur des faits contemporains, que Cannes a congratulé à juste titre.

En tout état de cause, cette consécration ainsi que des critiques globalement positives guident Fahrenheit 9/11 vers un succès commercial majeur alors qu’il bénéficie déjà pleinement de la médiatisation des polémiques autour de sa distribution. Il devient ainsi le premier documentaire de l’histoire à débuter à la première place au box-office américain, à passer la barre des 100 millions de dollars de gains aux États-Unis et reste à ce jour le documentaire le plus lucratif de l’histoire avec une recette de 222 millions de dollars à l’international. Des obstacles se sont pourtant dressés sur son chemin, la Motion Picture Association of America lui attribuant la note R en raison de la violence de certaines images, nécessitant aux mineurs de moins de 17 ans d’être accompagnés pour le voir en salles.
Plus tard, ces résultats faramineux engendrent une nouvelle polémique quand Moore poursuit en justice les frères Weinstein, estimant ne pas avoir perçu la part des profits du film lui revenant contractuellement. Un accord à l’amiable est finalement trouvé entre les parties en février 2012.

Malgré ses réussites critiques et commerciales, Fahrenheit 9/11 manque l’objectif assumé par Michael Moore : empêcher un second mandat de George W. Bush. Il est en effet réélu Président des États-Unis le 2 novembre 2004, emportant cette fois une nette majorité des suffrages des électeurs américains contre le Démocrate John Kerry. Michael Moore aura pourtant tout tenté, sortant son film cinq mois avant l’échéance et le diffusant en télévision à la demande le 1er novembre 2004, au prix de l'inéligibilité à concourir aux Oscars.
Malgré son important succès, il semble que le film rencontre des difficultés à parler au public qui n’appartient pas à son audience naturelle et que le caractère clivant de Moore l’empêche d’être audible par une partie de l’électorat américain, marqué par un bipartisme exacerbé.

Des années plus tard, l’impact majeur du documentaire est toutefois largement confirmé. Publié peu après la sortie du film, le 22 juillet 2004, le rapport final de la Commission du 11/09 - piètrement adapté dans le téléfilm de 2006 The Path to 9/11 (Destination 11 Septembre) - que Bush voulait initialement éviter, établit l’existence de dysfonctionnements au sein de la lutte antiterroriste américaine qui sont évoqués dans le documentaire. L’excellent Vice (2018), réalisé par Adam McKay, dénonce de nombreux faits déjà évoqués dans Fahrenheit 9/11 en centrant son récit sur le Vice-Président Dick Cheney, auquel Christian Bale prête ses traits métamorphosés. De manière générale, la plupart des thèses défendues par le documentaire sont aujourd’hui factuellement reconnues, l’intervention en Irak étant largement considérée comme fondée sur des justifications erronées et ayant conduit à la déstabilisation de l’Irak et de l’ensemble de la région.
Fort de ce succès, Michael Moore reprend la recette en 2018 avec Fahrenheit 11/9, dont le titre fait cette fois référence à l’annonce le 9 novembre 2016 de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, au lendemain du scrutin. Le brûlot contre le 45e Président s’avère lui aussi incisif et pertinent, malgré les limites constituées une nouvelle fois par les excès du cinéaste. Le film bénéficie cependant d’une distribution limitée et reste confidentiel, ne parvenant pas à se distinguer au milieu des critiques dirigées à l’encontre de l’hôte de la Maison Blanche.

Dédié aux victimes des attentats du 11 septembre 2001 ainsi qu’à celles des conflits afghan et irakien qui ont suivi, Fahrenheit 9/11 est une œuvre majeure de l’histoire des années 2000. Objet politique portant la patte de Michael Moore, le documentaire présente des faits accablants et possède une portée importante bien qu’il pèche par un manque de neutralité. Son visionnage n’en reste pas moins essentiel pour tout spectateur se sentant concerné par l’histoire contemporaine, tandis que le fan de Disney y trouve également le testament d’une époque tumultueuse pour l’entreprise.

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