The Empty Man
Titre original : The Empty Man Production : 20th Century Fox Boom! Studios Out of Africa Date de sortie USA : Le 23 octobre 2020 Genre : Horreur |
Réalisation : David Prior Musique : Christopher Young Lustmord Durée : 137 minutes |
Le synopsis
James Lasombra, un ancien policier, est chargé d’enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Au cours de ses recherches, il finit par croiser la route d’une entité surnaturelle issue d’une légende urbaine qu’un étrange groupe tente d’invoquer. |
La critique
Lorsque Disney fait l’acquisition de 20th Century Fox, la compagnie aux grandes oreilles devient par extension propriétaire de nombreux projets et films lancés en amont par la firme à la fanfare. À l’image de longs-métrages tels Underwater, Les Nouveaux Mutants ou X-Men : Dark Phoenix, The Empty Man fait figure d’anomalie au sein de la filmographie Disney, qui n’a pas su comment distribuer le film, au point de le sacrifier. De sa genèse jusqu’à sa production chaotique, l'opus a tout du projet maudit dès le départ. Ayant grandement souffert de sa gestion catastrophique, The Empty Man est malgré tout une très bonne surprise bénéficiant d’excellentes qualités et méritant que le public lui accorde une seconde chance.
The Empty Man est tout d’abord l’adaptation de la série de romans graphiques éponyme de Cullen Bunn et Vanessa R. Del Rey sortie en 2014 et publiée par Boom! Studios. L’action de la bande dessinée se situe un an après l’apparition d’un mystérieux virus surnommé “L’homme vide”, dont les symptômes incluent rage, hallucinations, pulsions meurtrières, démence suicidaire, allant jusqu’à la mort ou une catatonie extrême. Deux enquêteurs opérant pour le compte du FBI et de la CDC sont alors chargés de découvrir l’origine de ce mal et remontent peu à peu la piste d’une mystérieuse secte ayant pour but d’invoquer un être sombre et malfaisant. Tombé sous le charme du comics, le jeune réalisateur David Prior se donne pour objectif de le porter sur grand écran.
Après avoir réalisé un grand nombre de documentaires et collaboré plus de dix ans avec David Fincher sur la plupart de ses films, notamment Fight Club, Panic Room et Zodiac, le réalisateur se fait tout d’abord connaître en tournant des making-of pour le compte de 20th Century Fox. Il sort un premier court-métrage en 2008 intitulé AM1200. The Empty Man est ainsi son tout premier long-métrage. Il poursuit ensuite quelques temps plus tard en tournant un épisode de la série Netflix Guillermo Del Toro’s Cabinet of Curiosities, avant de créer et produire la mini-série Voir, composée de plusieurs petits sketches, toujours pour Netflix.
Il propose ainsi l’idée aux dirigeants des studios de porter le comics sur grand écran, avec l’appui de David Fincher. Le projet est alors lancé en 2016, une fois les droits de la bande dessinée acquis par les producteurs pour une future adaptation au cinéma, avec David Prior derrière la caméra et à l’écriture du scénario.
La même année, James Badge Dale décroche le rôle principal de James Lasombra, ex-policier marqué par la mort de sa famille, à la recherche d’une adolescente disparue avec son groupe d’amis. L’acteur s’est fait connaître pour avoir interprété Chase Edmunds dans 24 Heures Chrono, Robert Leckie dans la mini-série The Pacific, Luke Lewenden dans Le Territoire des Loups, Eric Savin / Coldblood dans Iron Man 3, ou encore Tyrone S. “Rone” Woods dans 13 Hours.
À ses côtés, Marin Yonne Ireland, connue pour ses rôles au théâtre et à la télévision (Mildred Pierce, Sneaky Pete, Umbrella Academy, Y : Le Dernier Homme), ainsi qu’au cinéma indépendant (The Family Fang, The Strange Ones, Come As You Are), incarne Nora Quail, la voisine de James dont la fille a disparu et requérant ses services afin de la retrouver.
Le reste du casting est composé en grande partie de seconds couteaux. Stephen Root, comédien de doublage et acteur récurrent des films des frères Joel et Ethan Cohen (O’Brother, Ladykillers, No Country For Old Man, La Ballade de Buster Scruggs) est Arthur Parsons, leader de la secte adorant l’Empty Man. Ron Canada, comédien américain à la filmographie essentiellement composée de rôles de juges ou de policiers, joue l’inspecteur Arthur Villiers. Robert Aramayo (les séries Game of Thrones, Mon Amie Adèle, Le Seigneur des Anneaux : Les Anneaux de Pouvoir, les films Antebellum et The King’s Man : Première Mission) campe Garrett, l'un des membres de la secte. Enfin, Aaron Poole, acteur très présent dans des productions canadiennes, interprète Paul, l'une des victimes de l’Empty Man, que ce dernier tente d’utiliser comme vaisseau afin d’intégrer le monde des hommes.
The Empty Man part donc d’un postulat assez classique. Le film narre en effet l’histoire d’un démon endormi depuis des siècles et réveillé accidentellement par des touristes au cours d’un prologue déroutant et ingénieux. Des années plus tard, James Lasombra est un ancien policier souffrant de la mort de sa femme et de son fils dans un accident de voiture. Isolé et renfermé sur lui-même, il semble malgré tout tisser des liens amicaux avec sa voisine, Nora, qui fait appel à ses services lorsque sa fille, Amanda, disparaît sans explication. Devant l’inaction de la police, notamment à cause de la majorité de la jeune femme et l’absence d’indices concrets, James accepte de mener l’enquête sur son temps libre. Le policier tombe ainsi sur un message écrit avec du sang sur le miroir de la salle de bains évoquant une entité nommée « Empty Man ». En interrogeant les amis d’Amanda, il remonte rapidement jusqu’à une étrange secte adorant le démon en question et cherchant à le libérer. L’intrigue, reprenant le concept d’enquête paranormale tel Le Cercle - The Ring, n’en demeure pas moins extrêmement intelligente au fil des minutes, David Prior insufflant à son film une atmosphère lugubre et pesante au service d’un scénario riche et dense. Car là où The Empty Man aurait pu se résumer à une simple histoire de fantômes voulant interagir avec le monde réel, le réalisateur explore différents sous-genres outre l’horreur et le fantastique, notamment le deuil et le traumatisme engendré par la mort, et réserve quelques surprises au spectateur.
La première idée novatrice de The Empty Man réside donc dans son introduction, peu courante dans le genre horrifique et à l’opposé des productions habituelles, à une époque où le spectateur peut décrocher à tout moment. Sous forme d’un court-métrage d’une vingtaine de minutes, le film propulse immédiatement le public dans l’inconnu, lui donnant le sentiment d’avoir été trompé et qu’il ne regarde pas le bon film. Une proposition inattendue sous forme d’une descente aux enfers inquiétante et fatale est présentée, au rythme lent et à l'ambiance lourde, ramenant aux légendes urbaines. L’incompréhension laisse place au malaise, comme si le spectateur était plongé en plein cauchemar, une impression constante tout au long de l'opus, jusqu’au générique de fin. Une entrée en matière splendide narrativement, où les dialogues et l’atmosphère sont priorisés par rapport à l’action et finissent par emporter l’adhésion. La mise en scène, efficace et précise, accentue le côté anxiogène de la situation dans laquelle sont placés les protagonistes et met aussitôt en garde contre le danger que représente l’entité, dont l’invocation est plus facile que sa révocation. David Prior réussit à mettre son public dans un état de peur permanente, sans faire usage de jump scares ou d’effets de surprise grossiers et intempestifs.
L’intrigue, complexe et tortueuse, se veut de plus en plus sombre au fil des événements menant systématiquement à la même personne et dont l’issue paraît logique et inéluctable. S’il est facile de reprocher au scénario d’être complexe et de vouloir explorer différents genres, dont l’horreur, le drame et le thriller psychologique, il est appréciable de voir que le film ne fait que très peu de cas de la légende qu’il dépeint. Car The Empty Man traite essentiellement du deuil, le sentiment d’obscurité et de vide psychologique provoqué par la perte d’un être cher, le traumatisme et la peine qu’il engendre. « L'Homme Vide » évoqué au cours du film fait ainsi parfaitement écho au personnage principal. James Lasombra quitte son métier de policier après la mort de sa famille. Veuf, enfermé dans sa solitude, victime de rêves récurrents où il assiste de nouveau au décès de ses proches, il est une proie facile pour l’entité, qui apparaît à ceux cherchant désespérément un sens à leur vie ou n’ayant plus de raison de vivre. Le monstre censé être l’antagoniste n’est donc qu’un prétexte, une mise en abîme vers des situations bien plus effrayantes, surnaturelles et terrifiantes à travers une enquête jonchée de cadavres et de morts violentes où le spectateur perd pied, tant il n’est plus question de renvoyer l’entité d’où elle vient, mais d’échapper à son emprise pour ne pas sombrer dans la folie.
Construit comme un train fantôme avec une escalade de violence brutale, où la réalité se déforme pour mieux perdre son audience et la retenir prisonnière, The Empty Man s’inscrit dans la durée et fait preuve d’une spectaculaire maîtrise. Pendant plus de deux heures, inhabituel pour une fiction d’horreur, le film prend habilement son temps, privilégiant un rythme lent afin de permettre à ses personnages d’évoluer et à son intrigue de se développer à travers toute une série d’événements étranges et angoissants à base de secte et d'enquête ténébreuse, tout en proposant différents niveaux de lecture pour que chacun se fasse sa propre opinion. Au travers d’une réalisation millimétrée et pointilleuse, où chaque plan suffit à provoquer l’angoisse, The Empty Man parsème les apparitions de sa créature pour s’affranchir des carcans du cinéma de genre et livrer des scènes glaçantes. C’est ainsi que l'ensemble fait preuve de génie et réussit à se démarquer des autres films de monstres, imposant sa vision, sans chercher le sensationnel ou les effets de style à outrance. Le travail effectué sur le son par Christopher Young, ici épaulé par le musicien Lustmord et bien habitué au genre horrifique (Hellraiser, The Grudge, Jusqu’en Enfer, Simetierre), renforce cette impression, jouant avec les notes inquiétantes afin de conserver une tension et un suspense assez solides, mais surtout avec les nerfs du public qui ne sait jamais à quoi s’attendre.
Outre son intrigue bien ficelée et sa mise en scène puissante, la photographie, envoûtante et oppressante, contribue à l’inconfort déjà provoqué par la réalisation, rappelant d’autres fictions du genre en les transcendant telles Silent Hill ou encore les films de David Lynch et notamment Mulholland Drive. Dès lors, une simple marche dans les bois, le moindre coin d’ombre, un chuchotement voire un silence bref mais intense peut susciter l’effroi. De même, le design de la créature, ici réalisé par Ken Berthelmey qui s’est inspiré du Space Jockey d’Alien, le Huitième Passager et des peintures de Zdzislaw Beksinksi, parfaitement réussi, parvient à la rendre menaçante à souhait. Du côté de la distribution, James Badge Dale incarne un parfait personnage d’homme brisé au parcours tragique, devant faire face à une tragédie et en proie à ses démons. L’acteur, sur lequel repose l’intégralité du film, offre une agréable prestation entre introspection, curiosité et drame personnel. Il est donc presque regrettable que le reste du casting soit, à l’exception de Nora et les personnages présents lors de l’introduction, aussi transparent et que leurs interprètes n’aient pas l’occasion de prouver leur valeur. Enfin, si The Empty Man se veut un hommage à l’horreur grâce à la parfaite connaissance de David Prior, il est inévitable que le film perde son spectateur en cours de route à trop vouloir explorer tous les genres et complexifier son intrigue, menant à un final certes prenant mais maladroit. Il ne serait donc pas étonnant que les multiples sorties de route, qui contribuent paradoxalement beaucoup à la réussite de l'ensemble, poussent l’audience à décrocher, malgré les intentions franchement louables du réalisateur.
Avec autant de points forts et de qualités indéniables, The Empty Man aura connu une post-production des plus douloureuses, et ce, malgré des débuts prometteurs. Le tournage débute en septembre 2016 en Afrique du Sud, après des séances d’écriture où les studios donnent tout pouvoir à Prior et lui permettent toutes les audaces. Mais les conditions climatiques conduisent l’équipe à interrompre les prises de vue lors de la dernière semaine. De même, pendant le tournage, le producteur exécutif Mark Roybal, qui avait validé et défendu le projet, est renvoyé par le studio. David Prior doit alors attendre qu’un nouvel exécutif soit engagé et les dernières scènes ne peuvent être tournées qu’en juillet 2017 à Chicago, puis Edwardsville aux États-Unis. Dès la fin des prise de vues, 20th Century Fox exige une première version du film à Prior pour les projections-tests. À cause du retard pris par le départ forcé de Mark Roybal, les dirigeants craignent en effet de perdre les réductions d’impôts dont bénéficiait l'opus pour un tournage en Afrique du Sud. Il faut donc impérativement présenter le film dans les délais pour réduire les coûts de production. Le ton monte entre le réalisateur et les studios, mais Prior s’exécute et livre dans la précipitation une première version de deux heures et quarante minutes, le film n’étant pas terminé.
Les réactions du public test sont alors - presque logiquement - mauvaises au point que 20th Century Fox effectue une nouvelle version encore plus courte, d’une durée de 90 minutes, sans prévenir Prior et organise de nouvelles projections : les avis recueillis sont alors encore plus mitigés voire catastrophiques. Le studio accepte donc de laisser le champ libre au réalisateur pour terminer le montage comme il l’entend, avec cette fois-ci un délai plus raisonnable mais inflexible, sans quoi The Empty Man ne sera pas distribué et finira aux oubliettes. Nouvelle péripétie : alors que David Prior s’attelle à la tâche, le rachat de 20th Century Fox par Disney est annoncé, si bien que l’équipe ne sait alors plus à qui s’adresser ni quoi faire du film, qui finit donc entre les mains de la firme de Mickey. Disney se retrouve d'ailleurs avec plusieurs œuvres déjà bien avancées et doit jongler entre ces différents projets tout en finalisant son marché avec le studio, devenu entre-temps 20th Century Studios. Aussitôt, une première date de sortie de The Empty Man est annoncée, en août 2019, puis repoussée en décembre 2019, et en octobre 2020, à cause de la pandémie de COVID-19, de la même manière que d’autres fictions comme X-Men : Dark Phoenix ou Les Nouveaux Mutants. The Empty Man atteint péniblement les salles de cinéma américaines le 23 octobre 2020, mais avec une promotion désastreuse, la bande-annonce étant diffusée seulement une semaine avant la sortie et ne reflétant aucunement l’identité du film.
Déçu et dégoûté par l’industrie, David Prior ne se donne pas la peine de s’opposer à cette entreprise et préfère retourner à la réalisation de documentaires, mais demeure rassuré que Disney n’ait pas remanié ou dénaturé son film. Mal distribué dans son pays d’origine, The Empty Man, tourné pour 16 millions de dollars, en rapporte seulement 1,3 million lors de son premier week-end d’exploitation, finissant quatrième au box-office, et perdant peu à peu du public au fil des semaines pour au final rapporter seulement 3 millions de dollars aux États-Unis et 2 millions au Canada, pour un total de 5 millions. À l’international, le film n’a même pas le droit à une exploitation en salles. Il est ainsi directement mis en ligne sur Disney+ au Royaume-Uni via l’extension Star et dans d’autres services de vidéo à la demande le 19 février 2021, puis en France sur la même plateforme le 23 avril 2021. Le film reçoit des avis initialement négatifs, les spectateurs l’ayant vu au cinéma lui reprochant d’être similaires à d’autres films pour adolescents tels que Slender Man ou The Bye Bye Man, sortis pratiquement à la même période, et d’en reprendre les mêmes codes. Néanmoins, la production douloureuse, l’ambiance glauque et la réputation très sombre du long-métrage en font un objet de culte auprès des amateurs du genre, au point qu’il est progressivement réhabilité et qu’une très grande base de fans se constitue puis cherche à lui redonner ses lettres de noblesse et surtout un droit à un revisionnage. Ironiquement, The Empty Man constitue le dernier film de l’histoire du cinéma à disposer du logo du studio 20th Century Fox au générique. Il n'aura pas en revanche les honneurs de sortir sur support physique, plombé par ses résultats au box-office.
Victime d’une production cauchemardesque et d’une distribution houleuse, The Empty Man est pourtant une excellente et ambitieuse surprise horrifique, un film d’épouvante terrifiant et audacieux aux scènes impressionnantes et intimistes qui, s'il risque de ne pas plaire à tout le monde, mérite clairement d’être découvert rien que pour son atmosphère singulière et sa grande sincérité.