Disney / Apple
La Pomme de la Discorde
L'article
Apple envisagerait de racheter Disney ! Voilà une information qui revient régulièrement, née sur le web, reprise par la presse du monde entier. Rien n'est pourtant fait ni même décidé au moment de la rédaction de cet article puisque - il est utile de le savoir - cette rumeur vient d'un article d'experts financiers américains de Wall Street, Steven Cahall et Amit Daryanani travaillant chez RBC Capital, qui se sont "amusés" à imaginer, en la conseillant, une OPA hostile d'Apple sur Disney. Il s'agit, pour eux, après avoir démontré qu'Apple avait les moyens de se payer Disney, d'expliquer qu'acquérir un tel catalogue a du sens à un moment où la convergence des médias se fait jour et où le simple fait de produire et vendre les meilleurs terminaux du monde ne suffit plus s'ils ne sont pas connectables à un large catalogue, prenant plus de valeur encore si ce dit-catalogue est prémium et exclusif.
Cette vision n'est pas nouvelle en soi et a longtemps représenté un serpent de mer : elle semble, en revanche, depuis deux ou trois ans se concrétiser de plus en plus, et notamment en France où les Fournisseurs d'Accès Internet font actuellement leur marché chez les producteurs de contenus. Inutile certes de préciser que Bouygues Télécom et le Groupe TF1 appartiennent au même propriétaire depuis 1986 ; mais précieux de savoir que SFR a racheté récemment NextRadio, que Free vient d'absorber le Groupe AB et qu'Orange se rapproche toujours plus de Canal+. L'équation " Tuyau + Contenu = Valeur Ajoutée " est donc actuellement en marche.
Mais alors, dans un contexte général de fusion-absorption dans le monde des
télécommunications, comment envisager le rachat par Apple de Disney du
point de vue du fan ?
Tout de go, voici quatre raisons de repousser - voire détester - cette éventualité.
Disney est à ce jour la seule et unique major hollywoodienne à demeurer
indépendante depuis sa création par Walt Disney. Elle est toujours restée
maitresse de son destin même si par deux fois (dans les années 80 et 2000),
elle a failli être croquée ; la première par le financier Saul Steinberg qui
voulait la revendre ensuite par appartements et la démanteler, la seconde déjà
par un grand acteur des télécoms américains, le cablo-opérateur Comcast.
Or, plus que toute autre compagnie, Disney est rattachée à l'âme de son créateur,
Walt Disney, si bien que la noyer dans un ensemble la dénaturerait
inexorablement au point de la voir perdre de sa valeur ; une situation
observable
actuellement, à une tout autre mesure et dans d'autres circonstances par DreamWorks qui, oubliant son projet de surpasser Disney sur le terrain de
l'animation, n'est désormais plus qu'un label parmi d'autres au sein d'NBC-Universal...
Se payer The Walt Disney Company n'est pas une mince affaire et même la
richissime Apple Inc. ne le fera pas sans y laisser des plumes ; à commencer par
gérer dans ses comptes, l'impérieuse nécessité de rapatrier sur le sol
américain quantité de liquidités conservées à l'abri du Trésor américain dans
quelques paradis financiers, à grand coups de manœuvres d'optimisation fiscale.
De l'autre côté de la rive, Disney ne se laissera pas dévorer sans
contre-attaquer, jouant la fibre patriotique à tout crin, mobilisant cast members et clients, et mettant en place un rachat d'actions aussi méticuleux
qu'onéreux...
Le risque final est de voir l'opération certes capoter mais
épuiser durablement les deux compagnies qui, toutes occupées à se battre l'une
contre l'autre, négligeront leurs objectifs premiers ; à savoir, innover technologiquement pour
l'une et divertir le monde entier pour l'autre...
Le rachat de Disney par Apple n'a de sens que pour le catalogue patrimonial et
la capacité à produire du contenu. Dès lors, au contraire des studios de cinéma
et de télévision, les parcs, les croisières, et dans une moindre mesure les
chaines de télévision (ABC, ESPN) n'ont plus vocation à être conservées.
Pire, en cette matière de captation de catalogues, 1 + 1 = -1 ! Car, Apple et Disney
n'évoluent pas dans un monde sans concurrence et il est évident que les autres
opérateurs du marché ne vont pas les laisser agir tranquillement à leur guise.
Imaginer le catalogue Disney confiné à la seule plateforme iTunes, c'est être sûr
que les autres studios vont rechigner à s'y trouver eux-aussi : il est plus
rentable pour eux de faire monter les enchères en procédant à leur reprise
exclusive chez d'autres... Le perdant sera évidemment le consommateur final qui
pour avoir accès, par exemple, à Disney et Universal se verrait contraint de
disposer de plusieurs outils ou abonnements ; une situation qui va vite l'exaspérer et
finir par le décourager aboutissant ainsi à de la destruction de valeurs où il était
imaginé d'en créer !
Il est d'ailleurs amusant de noter que ce même mécanisme empêche Disney de se
résoudre à racheter à prix d'or Netflix qui se verrait à terme vider des
contenus concurrents et donc perdre de son attrait et, par voie de conséquence, de
sa valeur.
Mis à part les deux exemples cités précédemment, peu ou prou, Disney a toujours été le Prédateur et jamais la Proie si bien que les Fans Disney n'ont jamais ressenti la frustration de ne ne plus se savoir Maîtres chez eux. Une sensation mal vécue la plupart du temps et dont les fans de Marvel et de Star Wars ne sont toujours pas totalement remis, effrayés par la possibilité de voir leurs labels, studios ou éditeurs chéris dénaturés totalement. Dans le cas présent, rien que l'idée de penser les parcs éventuellement cédés est un déchirement juste inenvisageable pour tout un chacun. Autant la cession d'ESPN ne fera pas pleurer dans les chaumières et semble d'ailleurs inexorable avec ou sans tentative de rachat de Disney par Apple, autant imaginer Disneyland se voir franchisé ou pire vendu et rebaptisé constituerait un choc sans précédent dans l'univers du divertissement. À l'ère du tout connecté, la réaction de la communauté des fans Disney, parmi la plus grande et structurée au monde, sera à n'en pas douter un véritable cas d'école. Il suffit, pour s'en convaincre, de se remémorer de l'épisode Save Disney qui a conduit - au pays du capitalisme roi ! - à l'éviction de Michael Eisner, devenu fou au point de vouloir fermer les studios d'animation Disney, de son poste de PDG de The Walt Disney Company...
Chez Disney, il faut toujours garder à l'esprit que la pomme est historiquement empoisonnée : il convient donc de s'en tenir précautionneusement à l'écart.