Le Magicien Sam Raimi à Paris
L'article
A l'occasion de la sortie du (Le) Monde Fantastique d'Oz, Chronique Disney a eu la chance d'assister à une conférence de presse en présence du réalisateur Sam Raimi ; l'occasion idéale de comprendre un peu plus sa vision du monde d'Oz et ses choix artistiques dessus.
Sam Raimi se passionne très jeune pour le cinéma, commençant bien vite à tourner des films en 8mm avec l'aide de ses amis. Durant ses études, il rencontre d'ailleurs Bruce Campbell qui deviendra par la suite son acteur fétiche. A leur sortie de l'université, tous deux associés à Robert Tapert fondent en effet Renaissance Pictures. Leurs premières réalisations sont des courts-métrages qui leur servent de base pour monter le financement d'Evil Dead en 1981, une œuvre devenue culte malgré son budget ridicule de 350 000 dollars ! Après un passage par la comédie avec Mort sur le Grill (1985), Sam Raimi rempile dans le cinéma d'horreur pour Evil Dead 2 (1987), toujours avec Bruce Campbell dans le rôle principal. Le metteur en scène est alors contacté par les studios américains pour écrire et réaliser Darkman (1990), un thriller fantastique. Suivent le dernier volet de sa trilogie, Evil Dead 3 : L'Armée des Ténèbres (1993) et le western avec Mort ou Vif (1995). Après l'échec de Pour l'Amour du Jeu (1999), et l'accueil mitigé d'Intuitions (2000), les studios lui confient néanmoins la réalisation de Spider-Man (2002). Devant le véritable triomphe planétaire du film, Sam Raimi accepte de réaliser les deux volets suivants, Spider-Man 2 (2003) et Spider-Man 3 (2007), formant la première trilogie des aventures de ce surper-héros de Marvel. Il retourne ensuite à ses premières amours - le film d'horreur – avec Jusqu'en Enfer (2009). De profonds désaccords avec Sony sur l'histoire de Spider-Man 4 lui font finalement renoncer à l'idée de poursuivre son travail sur les aventures de l'homme-araignée, rebootées par la major pour devenir The Amazing Spider-Man en 2012. Ce n'est donc qu'en 2013 que le réalisateur revient derrière la caméra en mettant en scène Le Monde Fantastique d'Oz. Sam Raimi retrouve pour l'occasion James Franco qu'il a dirigé dans la trilogie Spider-Man...
[Présentatrice] En vous remerciant d'apporter un monde
aussi magique que celui d'Oz à Paris, nous voudrions savoir tout d'abord
dans quel état d'esprit étiez-vous en revisitant ce classique universel
qu'est Le Magicien d'Oz. De la peur ? De l'espoir ? De l'excitation ?
[Sam Raimi] Avant tout, merci de me recevoir ici, et merci pour cet accueil si chaleureux que Paris m'a toujours donné. Je suis, à la base, un grand fan du grand classique de 1939, Le Magicien d'Oz ! Aussi, quand j'ai appris qu'il y avait un projet, un scénario basé sur le travail de L. Frank Baum, qui était en quelque sorte un préquel du film, j'ai tout de suite... refusé ! Je ne voulais vraiment pas m'en occuper, car j'avais peur de ce que je pourrais en faire ; j'avais peur que cela soit vraiment mauvais et n'arrive jamais à la cheville de l'original. Voici mon état d'esprit exact quand j'ai appris l'existence du projet !
[Présentatrice] Mais alors, qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?
[Sam Raimi] Des semaines après, je cherchais un scénariste pour un autre projet. Donc j'ai lu le script du (Le) Monde Fantastique d'Oz et je suis immédiatement tombé amoureux de l'histoire et du voyage des personnages. Et puisque j'ai été touché par l'histoire, touché émotionnellement : à ce moment là, toutes les peurs que j'avais pu avoir se sont évaporées. Un peu comme dans la vraie vie, lorsque l'on tombe amoureux, et que d'un seul coup, on a le courage de tout faire. Et comme lorsqu'on est amoureux, j'ai réalisé, après coup, que c'était tout de même un courage un peu fou. Car le monde que je devais créer était très compliqué ! Je ne connaissais rien à la 3-D : or, il était tourné entièrement en 3-D ! Bref, au moment de la pré-production, le projet me semblait irréalisable et insurmontable pour moi.
[Presse] Pourquoi avez-vous choisi James Franco ? Est-ce qu'un autre acteur était envisageable ?
[Sam Raimi] Je me suis tourné d'abord vers d'autres acteurs pour jouer le rôle. Je ne pouvais pas avoir Robert Downey Jr. car il était trop occupé. Puis, j'ai parlé avec d'autres comédiens mais je n'avais vraiment personne pour le rôle. C'est seulement quand j'ai appris que James Franco pouvait être intéressé que j'ai commencé à me demander s'il pouvait être compétent pour interpréter ce personnage. Et je me suis dit que, comme chaque directeur de casting, je ne recherche pas que le meilleur acteur absolu : je cherche celui qui a l'essence du personnage en lui. C'est vraiment ça, l'art du casting !
De plus, avec James Franco, que je connais assez bien, nous avions déjà une relation de confiance, grâce aux trois films
Spider-Man, sur lesquels nous avons travaillé ensemble. Il y a une bonne communication entre nous ! Pourtant, le plus important concernait les caractéristiques du personnage du Magicien d'Oz. Au début du film, c'est un homme égoïste, un peu sournois, et qui ne reconnait pas l'amour quand il le voit devant lui. Or, d'un autre côté, il a un bon cœur au plus profond de lui, sans toutefois jamais arriver à
le laisser s'exprimer. Car, à la place de reconnaitre cet amour juste en face de lui, il regarde au-delà, dans le but d'être cette grande personne qu'il s'imagine égoïstement être.
Cette idée abstraite d'être un grand homme ! Et le voyage du film, à travers l'amour de
China Girl, et ensuite à travers celui de Glinda la bonne sorcière, lui permet de grandir en tant qu'être humain, de devenir une personne plus désintéressée, une bonne personne. Et ainsi, il devient ce grand homme qu'il a toujours rêvé d'être, mais d'une façon différente de ce qu'il pensait au départ.
J'ai donc pensé à qui était James ! Quand je l'ai rencontré, il était déjà un très bon acteur, mais il restait alors un « enfant de 22 ans », très sûr de lui. Il communiquait mal avec moi et n'aimait pas trop que je lui dise quoi faire sur le plateau. Il était un peu égoïste et avait beaucoup de succès auprès des filles. Donc beaucoup des qualités négatives que le sorcier devait avoir ! Puis, avec les années, en travaillant avec lui, je l'ai vu grandir. Je l'ai vu collaborer avec d'autres acteurs, durant la production du film Spider-Man 2.
Il était prêt à comprendre ce qu'on attendait de lui, découvrir la vérité du moment sur le plateau et ne pensait plus tout savoir, comme c'était le cas
auparavant. Il avait évolué ! Il communiquait et devenait de plus en plus ouvert aux choses de la vie, car c'est quelqu'un qui étudie et
se renseigne constamment. Et avec le troisième film de Spider-Man, c'est devenu une personne très généreuse. Donc, j'ai pensé que si James pouvait dans sa propre vie, sa propre carrière, reconnaitre toutes ses fautes, ses problèmes, et en ressortir grandi, plus mature : c'était dans une moindre mesure le voyage que le Magicien devait accomplir dans le film. C'est pour cela que j'ai pensé que James avait tout pour être génial dans ce rôle.
[Presse] C'est un film qui réanime un peu une vieille querelle entre les États-Unis et la France : pensez-vous vraiment que les américains ont inventé le cinématographe ?
[Sam Raimi] Je dirais que ce sont les frères Lumières… Oui c'est ce que je dirai ici à Paris [Rires]. Non, plus sérieusement, je pense que c'est une combinaison de plusieurs personnes. Je sais bien que ce n'est pas Edison, même si on lui attribue cela en Amérique. Mais je comprends cette erreur courante. Je pense que le personnage de James Franco s'inspire un peu d'Edison. Ils sont de la même période, et cela suit l'histoire. Tout comme je comprends que le français Houdin a été le vrai inspirateur du grand Houdini, qui reprend son nom et son style.
Mais je suis un grand fan des frères Lumières. J'aime la même chose dans le cinéma que ce qu'ils ont du et su aimer : capturer la réalité et la retransmettre, la reproduire, aussi simplement. C'est comme cela que je suis tombé amoureux la première fois des films. Grâce à ceux que me projetait mon père, lors de nos fêtes d'anniversaires. C'était comme un miracle pour moi. Le miracle ultime !
[Presse] Est-ce que les magiciens d'aujourd'hui sont les cinéastes d'après vous ?
[Sam Raimi] Alors, en fait, j'ai été un magicien ! Je faisais des numéros aux fêtes d'enfants et aux mariages, et je pense que les rôles de conteur d'histoires, de magicien et de réalisateur de films sont très similaires. Car il me semble que chacun d'eux, connait « le secret ». Il sait « la fin » et comment cela fonctionne. Et chacun d'eux
a du succès, grâce à l'imagination du spectateur, qui complète l'histoire qu'il narre. Le magicien, ou celui qui raconte une histoire, suggère une idée au public, et c'est ce dernier qui fait le reste du travail. Donc oui, c'est très semblable pour moi.
D'ailleurs, je suis toujours disponible pour animer des fêtes
d'anniversaire ou des mariages ! [Rires].
[Presse] Vous êtes très fidèle à votre équipe. On retrouve souvent Bruce Campbbel dans vos films par exemple. Il y a eu pourtant un désaccord avec Danny Elfman, compositeur des Spider-Man notamment : comment se sont passées les retrouvailles sur Le Monde Fantastique d'Oz ? Et la réconciliation ?
[Sam Raimi] Danny Elfman est un compositeur brillant. Et nous sommes tous les deux passionnés, surtout dans notre travail. Il n'y avait pas eu qu'une petite dispute, on se sautait vraiment à la gorge ! C'était un combat très violent car on aimait ce pourquoi on se battait tous les deux. Au final, Danny était très en colère contre moi, et je pense que j'étais le plus à blâmer dans cette histoire. Mais nous voulions tellement travailler l'un pour l'autre encore que je l'ai supplié de collaborer
de nouveau avec moi, de me pardonner s'il le pouvait. Et Danny est venu sur le film. J'en suis très heureux car il était la seule personne - je pense - qui pouvait comprendre autant que moi ma vision du monde d'Oz et s'impliquer corps et âme dans le projet. Ce que j'aime en tant que réalisateur, c'est quand un compositeur écrit une musique pour votre film en prenant une émotion et en l'amplifiant ; ou en prenant un moment dramatique et en le faisant ressentir d'une façon que l'on aurait jamais pu
via du silence.
C'est une alchimie merveilleuse pour deux artistes de travailler en tant que réalisateur et compositeur. C'est un peu comme une histoire d'amour. Avec toutes les complications, aussi.
Et une dernière chose, concernant ce que cela fait en tant que réalisateur de voir un compositeur écrire une musique pour vous
et d'après vous : c'est comme une femme qui voit une facette de vous que personne d'autres n'a vu. C'est tout simplement magnifique. !
[Presse] Même si Le Monde Fantastique d'Oz est un film familial, il y a des vrais moments d'horreur, comme on
les retrouve un peu dans les Evil Dead. Est-ce que Disney a
imposé une limite à vos idées ? Ou avez-vous eu carte blanche sur ces
passages très graphiques ?
[Sam Raimi] Je n'ai pas essayé d'amener une ambiance comme on peut retrouver dans Evil Dead, ou dans les autres films d'horreurs que j'ai pu faire. Ici, c'est l'histoire d'un héros, qui va se découvrir, qui va trouver un certain courage pour être désintéressé
; et j'avais besoin, comme dans toutes bonnes constructions dramatiques, d'un bon méchant ! Et j'aime les méchants qui font peur !
Donc c'était tout simplement pour avoir un vrai contraste entre le méchant et le héros qui s'élève et défait les forces maléfiques. C'est de cette idée que vient l'aspect un peu horrifique.
Mais je n'ai pas eu à changer le scénario ou mon style pour Disney. J'ai essayé de faire une histoire aussi dramatique et amusante que possible. J'ai trouvé ça parfait, justement, que cela soit un film Disney ! Cela me permettait de faire quelque chose que je n'avais jamais fait avant et qui entrait complètement dans l'esprit Disney : je voulais savoir si je pouvais faire un divertissement familial, en gardant l'esprit doux et généreux du script original, sans forcément y mettre mon style d'effroi.
[Presse] Pour rebondir sur la question précédente, on dirait effectivement que Le Monde Fantastique d'Oz est un Evil Dead 3 : L'Armée des Ténèbres, en plus « gentil ». Avec ce constat qui s'établit de plus en plus au cinéma, et surtout dans le cinéma familial ou pour « jeunes adultes » : la présence du manichéisme dans le domaine de l'amour. Tout est blanc ou noir, il n'y a jamais de place pour le « doute ». Est-ce que vous le remarquez aussi ? Est-ce que vous avez voulu changer cette idée dans votre film ?
[Sam Raimi] C'est vrai, je vois beaucoup de cela mais je ne pense pas que cela soit la norme. Néanmoins, je n'essayais pas de faire un portrait de l'amour, en tant que bonne ou mauvaise chose. Je voulais juste monter un personnage qui n'arrive pas à voir l'amour en face de lui. Et une fois qu'il voit un peu plus loin que sa propre personne, il arrive à apprécier l'amour pour ce qu'il est vraiment.
[Presse] Est-ce que le cahier des charges d'un film comme celui, implique le visionnage du tout premier, ou au contraire, éviter de chercher à trop s'en inspirer ?
[Sam Raimi] Je voulais vraiment le revoir, et je me disais, que c'était une très bonne expérience. Je l'ai revu et j'ai été très mal à l'aise. Car le film était différent du souvenir que j'en avais gardé ! Et il était aussi bien différent de l'image que j'avais du mien, tout en gardant sa beauté. Donc je ne savais pas trop sur quel pied danser, et j'ai décidé de garder mon optique première, ma vision du film que j'avais en tête depuis le début.
[Presse] Le début du film suit le classique de 1939, avec l'utilisation du noir-et-blanc. Néanmoins la 3-D elle est présente dès le début. Pourquoi ne pas avoir fait comme la couleur, et ne l'inclure qu'au pays d'Oz ? Ensuite, quelle approche fallait-il avoir pour tourner un film en noir-et-blanc, 3-D et en plus au format 4/3 ?
[Sam Raimi] Il faut savoir que, pour la partie du Kansas qui se passe en 1905, nous avons diminué la 3-D. Je ne voulais pas non plus que cela soit trop plat, car c'était dénigrer un des aspects que le personnage vit avant d'arriver à Oz. La 3-D sert surtout pour les reliefs. C'est donc bien avant tout un hommage au (Le) Magicien d'Oz, de Victor Flemming. Par contre, quand le personnage arrive à Oz, les couleurs apparaissent ; la 3-D est beaucoup plus développée ; le format est plus large ; et le film jusqu'à là enregistré en mono, comme les anciens films, passe en stéréo et full surround. Il y a aussi plus de chœurs, d'orchestres pour que le public, en arrivant dans Oz, voit tous ces changements comme la seconde chance que le héros a ; que le public voit et ressente plus que tout ce qu'il avait vu et ressenti avant. Toujours dans l'optique du travail fantastique réalisé sur le classique de Victor Flemming.
[Presse] Votre premier film d'horreur (Evil Dead) est devenu un grand classique, avez-vous vu le remake ? Avez-vous eu votre mot à dire ?
[Sam Raimi] Merci de considérer Evil Dead pour un classique du genre ! Comme c'est le cas avec Le Monde Fantastique d'Oz, j'aime les nouvelles expériences car il est très excitant d'apprendre des nouvelles choses, et cela arrive naturellement lorsque l'on essaye d'accomplir quelque chose que l'on n'a pas accompli avant ; j'apprécie tout autant de retrouver des personnages que je connais et que j'aime. Le processus de direction est alors bien plus clair pour moi ! Je sais où mettre la caméra et comment les faire marcher au travers de la pièce : je connais exactement les véritables conflits des personnages. Je maitrise ainsi tous les enjeux pour eux que je connais si bien. C'est donc très réconfortant et j'ai eu beaucoup de plaisir de retrouver les personnages du nouvel Evil Dead, même si je n'étais pour son remake que le producteur.
Le soir, à l'avant-première parisienne du film a lieu, Sam Raimi
a prononcé quelques mots...
[Sam Raimi] Saviez-vous que Walt Disney lui même voulait créer un film sur Oz ? [Rires : toute la salle acquiesce] C'est une évidence pour vous mais, moi, j'ai découvert cela, seulement après avoir terminé le film ! C'est juste là que je me suis rendu compte que, pendant des années, Walt Disney lui-même [Sam Raimi appuie sur le nom] a essayé de donner vie à un film sur Oz, mais qu'il a finalement renoncé... J'espère seulement qu'il aime mon film !
Je voudrais aussi remercier Paris. Car, quand personne ne montrait mes
films, c'est à Paris que j'ai pu le faire. D'abord à travers un magazine qui
s'appelle « L'Écran Fantastique » et puis aussi au Grand REX, le premier cinéma à montrer Evil Dead alors que personne n'en voulait ! Je salue ce soir non seulement Paris, mais aussi l'esprit de votre pays qui sait reconnaitre les jeunes artistes en devenir, qui ose montrer leurs travaux. C'est pour cela que je voulais absolument remercier les Parisiens, leur accueil et tout ce qu'ils représentent pour moi. Que cet esprit perdure et demeure ! J'espère que vous garderez en vous cette capacité de reconnaitre aujourd'hui, les futurs artistes de demain. Merci.