Rencontre avec l'Équipe de Félins (2/2)
La Masterclass
L'article
Après avoir rencontré Jean-François Camilleri,
les réalisateurs Keith Scholey et Alastair Fothergill, la cadreuse Sophie
Darlington et le narrateur Pascal Elbé (voir 1ère partie),
Disneynature nous a permis d'assister à une projection du film
Félins suivie d'une masterclass.
Chaque intervenant nous a proposé d'en savoir plus sur son rôle dans le projet
tout en illustrant son discours avec des photos et vidéos du tournage et du
film, projetées sur l'écran de la salle de cinéma.
Keith Scholey commence par nous expliquer que le plus grand challenge et la
décision la plus importante qu'ils aient eu à prendre fut de choisir les animaux
pour les rôles principaux du film. Après plus de trente ans d'expérience de
tournage dans le Masai Mara, il leur est paru évident de choisir cette réserve
naturelle pour y réaliser Félins car elle
a l'avantage de proposer une très grande diversité d'animaux sauvages, notamment
en période de migration, mais c'est surtout l'endroit au monde où il y a le plus
de fauves.
Durant les trente années de tournage pour la télévision, ils ont étudié en
particulier les guépards et les lions et savaient qu'ils pourraient compter sur
leurs personnalités fortes pour donner un cachet certain au film et vivre des
aventures épiques et divertissantes. Qui plus est, le Masai Mara est une étendue
finalement assez petite à l'échelle de ces espèces et les différents animaux ont
d'autant plus de chances de se croiser, ce qui pourra mener à des scènes de
rencontres à l'intensité dramatique remarquable.
Keith nous avoue également qu'en voyant
Le Roi Lion, il s'était demandé à l'époque si on pourrait un jour porter à
l'écran la véritable histoire du roi lion, au Masai Mara.
Alastair Fothergill prend alors la parole pour nous expliquer qu'ils avaient
dès le départ l'idée de créer un drame fort avec des personnages engageants et
non pas un documentaire classique. Ils ont donc commencé à rédiger un scénario,
dans la plus pure tradition des films hollywoodiens. Grâce à leur expérience
durant les trente années passées, ils avaient une très bonne idée de ce qui
allaient probablement pouvoir se passer durant le tournage mais la seule
chose qu'ils purent véritablement contrôler fut le casting des animaux, le choix
des stars du film.
Ils ont commencé par les guépards et ont eu beaucoup de chance en trouvant
immédiatement cinq bébés âgés de seulement quelques semaines. Par ailleurs, fait
encore plus important, ils connaissaient très bien la mère des bébés pour avoir
suivi son évolution ainsi que celle de sa mère et même de sa grand-mère, et
savaient à quel point ces mères étaient douées pour mener à bien leur mission,
garder en vie leurs petits. Il est à noter que seul un bébé sur vingt atteint
l'âge adulte dans le Masai Mara, il leur fallait donc trouver une mère que l'on
savait douée pour s'assurer une fin heureuse comme dans tout bon Disney qui se
respecte. Ils ont prénommé la mère Sita (du swahili "six" pour rappeler sa
famille composée d'elle et de ses cinq petits) et elle parvint à garder en vie
trois petits, ce qui est extraordinaire compte tenu des statistiques.
Pendant de nombreuses années, leurs équipes avaient travaillé avec le Clan du
Marais, une tribu de lions dans laquelle les femelles sont extrêmement
puissantes. Les deux mâles étaient également très forts mais ils se sont dit que
c'était un mauvais choix que de travailler avec eux car il ne leur arriverait
probablement rien pendant les deux années à venir, étant donné leur stabilité et
leur force. Ils se sont donc tournés vers le Clan de la Rivière dans lequel
vivait une lionne très reconnaissable de par une de ses blessures. Ils l'ont
appelée Leila. Elle avait une fille nommée Mara et les réalisateurs savaient que
cette dernière allait devoir choisir entre suivre sa mère ou le reste de la
tribu. Le chef de la tribu était facilement reconnaissable à cause de sa dent
cassée, raison pour laquelle ils l'ont appelé Fang ("croc" en anglais). Il était
le seul mâle du Clan de la Rivière et ils savaient qu'il n'allait pas garder ce
pouvoir très longtemps et allait tôt ou tard être détrôné par d'autres mâles
plus jeunes.
Tout film a besoin d'un bon méchant. Ils se sont intéressés à Kali (du swahili
"dangereux") facilement reconnaissable à sa crinière sombre. Le plus incroyable
était qu'il vivait avec ses quatre fils avec lesquels il avait été banni de sa
tribu alors qu'ils étaient bébés. Aujourd'hui, les bébés ont grandi et sont
devenus des mâles très puissants. Ils étaient si proches du clan de Fang que les
réalisateurs se doutaient que tôt ou tard une confrontation allait avoir lieu.
Par ailleurs, Sita, mère guépard célibataire, était obligée de se déplacer
régulièrement pour survivre avec ses petits, et elle allait très certainement se
retrouver au cœur de la confrontation entre le Clan de la Rivière et celui de
Kali.
Sophie Darlington était directrice de la photographie sur le tournage. Elle
nous explique que durant ces deux années, ils se sont déplacés en voiture pour
passer inaperçus en tant qu'être vivants et pouvoir se déplacer rapidement et
suivre les animaux. Chaque matin, la première tâche était de retrouver les stars
du film : ils se levaient à l'aube et, grâce à vingt années d'expérience, ils
réussissaient à repérer les félins. Par chance, tant que les bébés guépards
étaient jeunes, les retrouver était facile car ils se déplaçaient peu, mais ça
s'est compliqué lorsqu'ils ont grandi.
Ils avaient adapté les voitures, ôtant les portes et plaçant les caméras très
bas à hauteur du regard des animaux.
Par la suite, Sophie nous a présenté des vidéos du tournage des chasses de Sita
en les commentant. Il fallait positionner la voiture à 500 mètres, repérer la
cible de Sita afin de savoir où filmer dès que la chasse commence et filmer à 60
images par seconde pour qu'on puisse y voir quelque chose par la suite, tant
l'action est rapide.
Keith Scholey reprit la parole pour nous dévoiler quelques secrets de montage
et de tournage pour rendre le film plus dramatique et s'éloigner au maximum du
genre du documentaire.
Par exemple, la scène introduisant Kali commence par un large plan aérien qui
finit sur un gros plan. Ils ont utilisé un hélicoptère et un pilote suffisamment
expérimenté pour s'approcher au plus près. La Cineflex posée à l'avant de
l'hélicoptère a pour particularité de compenser les vibrations de l'engin tout
en utilisant de grandes focales permettant des gros plans très réussis. L'un des
plans suivants est un traveling suivant Kali et ses fils. Dans un film
classique, ils auraient posé des rails sur le sol, ce qui était inenvisageable
face aux lions. Ils ont pris la Cineflex de l'hélicoptère et l'ont posée à
l'arrière d'une de leurs voitures. Ainsi, ils ont pu rouler aux côtés des lions
tout en profitant de la compensation des vibrations qu'offre la Cineflex.
Dans la majorité des documentaires, les images sont toujours tournées par un
temps radieux pour magnifier la nature au maximum. Or, cela n'est pas toujours
fidèle à la réalité et les réalisateurs de
Félins voulaient des images montrant également des temps pluvieux, orageux,
froids et des images sombres, afin de renforcer l'intensité dramatique de
certaines scènes. Parfois, il leur est arrivé d'assombrir l'image réelle lors de
l'étalonnage afin de coller à la dramaturgie des séquences filmées : c'est le
cas pour l'attaque des hyènes où la lumière naturelle a été modifiée. Ils ont
aussi volontairement choisi des plans décadrés pour cette scène afin de la
rendre moins lisse et plus rude. Il également fallu retravailler la piste sonore
des séquences filmées à longue focale et donc trop loin des animaux pour capter
les rugissements des animaux en direct. La musique de Nicholas Hooper joue enfin
le rôle d'un second narrateur et accompagne l'émotion de la scène alors que le
narrateur choisit ses mots en fonction de l'ambiance désirée.
Pascal Elbé revient sur sa narration et explique en quoi il faut parfois savoir économiser ses mots pour laisser parler l'émotion brute de la scène tout en apportant le minimum d'informations nécessaire à la compréhension de l'histoire, en tenant compte des attentes des parents et des enfants. Pascal s'est également rendu sur le tournage et a suivi les réalisateurs lors du tournage de deux scènes de chasse qui l'ont beaucoup marqué.
Ainsi s'est terminée cette passionnante présentation des différents intervenants. Elle a été suivie par une séance de questions-réponses avec les spectateurs. Ceux-ci n'ont pas manqué de faire part de leur admiration face au travail accompli et au résultat, le film en lui-même, qui les ont visiblement tous marqués.