L'Appel de la Forêt
Titre original : Call of the Wild Production : 20th Century Pictures Date de sortie USA : Le 9 août 1935 Genre : Aventure |
Réalisation : William A. Wellman Musique : Alfred Newman Durée : 89 minutes |
Disponibilité(s) en France : |
Le synopsis
En Alaska, au début du XXe siècle, Jack Thornton, un chercheur d’or, perd tout son argent au jeu. Son ami Shorty lui propose alors de retourner dans les montagnes pour retrouver une mine d’or dont il a mémorisé l’emplacement. Pour s’y rendre, Jack adopte Buck, un chien incontrôlable au premier abord mais qu’il parvient néanmoins à dresser. Au cours de leur périple, les deux hommes portent secours à une femme, Claire Blake, dont le mari a disparu, et qui sait où se trouve le trésor. |
La critique
L’Appel de la Forêt marque une date dans l’Histoire du cinéma. Il s’agit, en effet, du dernier long-métrage produit par la compagnie 20th Century Pictures avant sa fusion avec Fox Film Corporation donnant naissance à l'un des plus grands studios d’Hollywood, à savoir 20th Century Fox. Grand succès au box-office à sa sortie, ayant contribué au lancement de la firme à la fanfare, L’Appel de la Forêt est un opus rythmé, dépaysant, plein d’humour et résolument moderne pour son époque. Considéré comme un classique, il reste aujourd’hui une oeuvre trop méconnue, qui se hisse malgré tout parmi les plus grands films d’aventure de tous les temps.
La genèse de L'Appel de la Forêt intervient dans un contexte particulier ; les années 1930 constituent, en effet, une période faste où les studios, en quête d'un nouveau public, multiplient les projets ambitieux. Un grand nombre de films répondant à cette exigence de grand spectacle voient ainsi le jour - Casablanca, Autant en Emporte le Vent, La Grande Illusion, Les Temps Modernes - et contribuent à la popularisation du cinéma. C'est également l'avènement d'entreprises de distribution et de production tout aussi florissantes dont Metro-Goldwyn-Mayer, Warner Bros. ou encore Universal. Simultanément, la fusion de Fox Film Corporation et 20th Century Pictures est l'occasion pour leurs dirigeants et leurs équipes de marquer un véritable coup avant l'officialisation de leur union. Outre le fantastique, le genre comique ou les comédies musicales, les films d'aventure se font alors nombreux au cinéma afin d'offrir une nouvelle expérience aux spectateurs. Dirigeant de 20th Century Pictures, Darryl F. Zanuck jette donc son dévolu sur le roman de Jack London, L'Appel de la Forêt, pour une adaptation sur grand écran et amorcer une première collaboration avec Fox Film Corporation en tant que compagnie unifiée.
Célèbre auteur et aventurier américain, Jack London, de son vrai nom John Griffith London, voit le jour le 12 janvier 1876 à San Francisco. Grandissant dans un milieu modeste, Jack quitte l'école dès l'âge de quatorze ans et commence à travailler pour subvenir aux besoins du foyer. Turbulent, autodidacte, il effectue plusieurs métiers et apporte son aide en commettant plusieurs petits larcins. Il mène alors une vie de débauche, faite de mauvaises fréquentations et de pillages. En parallèle, il se découvre une passion pour l'écriture et la fiction. En 1893, il est néanmoins recruté sur un bateau pour chasser le phoque dans le Pacifique Nord. Cette aventure lui sert d'inspiration pour sa première fiction, une nouvelle intitulée Histoire d'un Typhon au Large des Côtes du Japon. La même année, il est arrêté et emprisonné pour vagabondage. À sa sortie, Jack London décide de retourner à l'école et s'inscrit au Parti ouvrier socialiste d'Oakland pour qui il discourt dans le parc de la ville. Une fois son parcours scolaire terminé, il devient chercheur d'or dans le Klondike, une rivière canadienne. Cette expérience lui servira d'inspiration pour son premier recueil de nouvelles, Le Fils du Loup, publié en 1900. De retour aux États-Unis, il se marie avec Elizabeth Maddern, dont il aura deux enfants, et décide de vivre de ses écrits.
Malgré un succès littéraire qui lui apporte une sécurité financière, il cède à l'avance les droits de son prochain roman, L'Appel de la Forêt (1903), qui se vendra à plusieurs millions d'exemplaires. Il se rend ensuite en Corée pour couvrir la guerre russo-japonaise en tant que journaliste. Cet épisode lui sert d'inspiration pour son ouvrage sorti l'année suivante, Le Loup des Mers. À son retour, Jack London sombre dans l'alcoolisme. Il divorce en 1905, se remarie le lendemain avec Charmian Kittredge et déménage en Californie, où il tient des conférences qui lui valent les foudres de la bourgeoisie pour son franc-parler mais aussi la parution des (Les) Vagabonds du Rail. En 1906, il sort son plus célèbre roman, Croc-Blanc. Avec l'argent récolté, il effectue un tour du monde à bord d'une goélette. Il s'installe alors avec son épouse à Tahiti, mais les conditions de voyage sont mauvaises et Jack tombe malade.
Atteint de la malaria et de la fièvre jaune, il parvient à écrire d'autres oeuvres : Martin Eden, Les Contes des Mers du Sud. De retour en Californie, Jack London subit un traitement contre la syphilis et se remet à boire. Dépendant à la morphine, il puise son inspiration dans la douleur pour rédiger Le Cabaret de la Dernière Chance (1913). D'autres ouvrages illustrant son mal-être suivront, aux succès aléatoires mais lucratifs : Les Mutinés de l'Enlumineur (1914), La Peste Écarlate (1915), Le Vagabond des Étoiles (1915). Malgré cela, il lui reste assez de force pour faire ses derniers voyages, au Mexique puis à Hawaï. Une fois revenu chez lui, son état se détériore. Drogué, obèse et épuisé, il meurt chez lui à 40 ans, le 22 novembre 1916, à la suite d'une trop forte injection de morphine.
Auteur révolté et aventurier, Jack London laisse derrière lui quantité d'ouvrages qui auront marqué un lectorat avide de sensations fortes et de dépaysement. Rien d'étonnant donc à ce que le cinéma s'intéresse très tôt à ses écrits, ayant généralement pour thèmes la nature sauvage, le monde animal et les relations entre l’homme et son environnement. L'écrivain devient, à titre posthume, une source d'inspiration pour de nombreux cinéastes. Ainsi, en 1908, sort un court-métrage muet intitulé Pour l'Amour de l'Or, réalisé par D.W. Griffith, inspiré de la nouvelle Rien que de la Viande (1907). Progressivement, le grand écran enchaîne avec White Fang (1925), Dura Lex (1926), L'Appel de la Forêt (1935), qui a déjà connu d'autres adaptations en 1908 et 1923, Le Vaisseau Fantôme (1941), Assassinats en Tout Genre (1969), Klondike Fever (1980). Les studios Disney ne sont pas en reste, notamment avec Croc-Blanc (1991) de Randal Kleiser et sa suite (1994).
Pour cette nouvelle adaptation sur grand écran, le roman de Jack London se voit doté d’un budget conséquent. Tourné essentiellement en extérieur, entre l’Alaska et la Forêt nationale du Mont Baker-Snoqualmie dans l’État de Washington, il s’agit du film le plus cher produit par 20th Century Pictures. Darryl F. Zanuck réussit même, pour l’occasion, à engager William A. Wellman, alors sous contrat avec le studio Warner Bros., au poste de réalisateur. Né le 29 février 1896 à Brookline, Massachussetts, ce dernier sert tout d’abord comme ambulancier, puis pilote d’escadrille lors de la Première Guerre mondiale. Fasciné par le cinéma et le divertissement, il décroche un rôle dans le film Evangeline (1919) lors d’une escale à San Diego. Un an plus tard, en 1920, il devient metteur en scène et enchaîne les longs-métrages. Habitué du genre dramatique (Tu ne Tueras Point, Les Mendiants de la Vie, L’Ennemi Public), il se diversifie en tournant essentiellement des westerns (Buffalo Bill, La Ville Abandonnée, Convoi de Femmes), des films d’aventures (Robin des Bois d’El Dorado, Au-delà du Missouri) et à grand spectacle (Les Ailes, Une Étoile est Née).
Côté casting, L’Appel de la Forêt peut compter sur le talent de Clark Gable. Alors grande star prêtée par la compagnie MGM, peu avant son rôle de Rett Buttler dans Autant en Emporte le Vent (1939), il interprète évidemment le personnage de Jack Thornton. Figure montante du cinéma américain née le 1er février 1901 dans l’Ohio, il devient acteur à 21 ans. Il joue dans quelques pièces de théâtre avant de rejoindre Hollywood en 1924. Il y enchaîne alors les seconds rôles : La Veuve Joyeuse (1925), Quand On a Vingt Ans (1925), Ben-Hur (1926). L’avènement du cinéma parlant la décennie suivante fait basculer sa carrière, Clark Gable devenant l'une des plus grandes stars de son époque (Le Désert Rouge, New York-Miami, Les Révoltés du Bounty). Surnommé “le Roi d’Hollywood”, sa vie privée mouvementée le conduit à déserter les plateaux de tournage dans les années 1940, ce qui ne l’empêche pas de jouer dans plusieurs succès (Le Cargo Maudit, Faites vos Jeux, Le Roi et Quatre Reines, Les Désaxés) jusqu’à sa mort le 16 novembre 1960.
À ses côtés, Jack Oakie campe Shorty Hoolihan, meilleur ami et compagnon de route de Jack Thornton, qui l’accompagne dans sa quête. Lewis Delaney Offield naît le 12 novembre 1903, à Sedalia, Missouri. En novembre 1920, il entame une carrière de danseur à Broadway et choisit Jack Oakie comme nom de scène. En 1928, il joue les seconds couteaux dans plusieurs films (Grande Chérie, Folies Olympiques, Symphonie Burlesque) puis se retire des écrans avant de faire son retour dans Le Dictateur (1940) de Charlie Chaplin en incarnant Mussolini. Il poursuit dans le registre comique et musical dans Adieu Broadway (1940), Hello Frisco, Hello (1943), Bowery to Broadway (1944). Il se tourne ensuite vers la télévision en jouant dans les séries Daniel Boone, The Real McCoys et Bonanza. Il revient au cinéma dans Le Tour du Monde en Quatre-Vingts Jours (1956) L’Aventurier du Rio Grande (1959) et Un Pyjama pour Deux (1961) avant de quitter la scène médiatique. Il meurt le 23 janvier 1978 d’une rupture d’anévrisme.
Loretta Young tient quant à elle le rôle de Claire Blake, une jeune femme partie à la recherche du même butin que Rett et Shorty avec son mari. Recueillie par les deux compères, elle se joint à eux en espérant retrouver son époux disparu dans les montagnes de l’Alaska. Née Gretchen Michaela Young le 6 janvier 1913 à Salt Lake City, la jeune femme fait de la figuration dès l’âge de 4 ans. Elle débute sa carrière dans Naughty But Nice, où elle remplace sa soeur Polly. Elle devient une star des films de série B avant de décrocher un contrat avec Fox dès 1934 (Les Croisades, L’Heure Mystérieuse, L’Amour en Première Page). Elle se fait un nom dans le genre romantique avant d’obtenir en 1947 l'Oscar de la Meilleure Actrice pour Ma Femme est un Grand Homme et une nomination pour Les Soeurs Casse-Cou (1949). Après quelques rôles dramatiques (Le Criminel, Les Mirages de la Peur), elle arrête le cinéma en 1953. Elle revient à la télévision en animant l’émission The Loretta Young Show, de 1953 à 1961. Elle meurt le 12 août 2000 à Los Angeles.
Parmi les personnages secondaires, Reginald Owen est Smith, un homme d’affaires anglais concurrent de Rett et Shorty dans leur quête au trésor. Arrogant et sans scrupule, il est prêt à tout pour parvenir à ses fins, quitte à basculer dans l’illégalité. Reginald Owen fait ses débuts dans La Tempête en 1905. Il déménage aux États-Unis en 1924, où il multiplie les films : Random Harvest (1942), The Valley of Devotion (1945), Of Human Bondage (1946). Il est connu des fans Disney pour son rôle de l’amiral Boom dans Mary Poppins (1964). Enfin, Frank Parish Conroy campe pour sa part John Blake, fils du propriétaire de la mine. Détenteur de la carte indiquant l’emplacement de l’argent, il s’est absenté chercher du secours, laissant derrière lui sa femme Claire qui l’a accompagné, et n’est jamais revenu. Frank Parish Conroy est un acteur de cinéma et de théâtre apparu dans Grand Hotel (1932), The Little Minister (1934), Les Derniers Jours de Pompéi (1935) et L’Étrange Incident (1943).
Une distribution prestigieuse, un réalisateur chevronné, des producteurs motivés pour un film qui, ceci dit, ne respectera pas le matériel d'origine. Le roman de Jack London raconte en effet le parcours du chien-loup Buck pendant la ruée vers l’or du Klondike, dans le territoire du Yukon, et les multiples rencontres effectuées par l’animal, notamment des explorateurs. Première adaptation du roman avec son et dialogues, L’Appel de la Forêt se focalise pourtant sur le personnage de Jack Thornton, parti à la recherche d’un trésor et dont la route croisera celle de la belle Claire Blake. Seuls quelques éléments du roman seront ainsi conservés et transposés à l’écran, dont la plus célèbre scène du livre, à savoir la rencontre entre Jack et Buck, et la relation entre l’animal et une louve avec qui il fondera une famille. Plutôt que de traiter des difficiles conditions de vie d’un chien de traîneau dans la nature sauvage, la majeure partie du film se résume donc à une aventure romantique avec le courageux Buck comme animal de compagnie et Jack Thornton en héros principal et ce, afin de proposer une histoire originale.
Il n’est plus question, également, de l’amitié entre l’homme et son chien, qu’il apprend à dresser, ni d’un animal qui s’adapte à la société humaine tout en étant divisé entre son état sauvage et son besoin d’avoir un maître. Le film de William A. Wellman préfère en effet le sentimentalisme et mise tout sur ses vedettes en reprenant quelques pans du livre de London. Un choix regrettable qu’il convient, toutefois, de relativiser. Devant la difficulté de faire tourner des animaux et particulièrement dans les paysages enneigés d’Alaska, les scénaristes Gene Fowler et Leonard Praskins ont en réalité préféré se centrer sur les personnages humains et orienter le récit de Jack London dans une autre direction. De même, la scène la plus célèbre du roman, où Buck tire un poids de quelques centaines de kilos sous une tempête de neige, aurait été impossible à reproduire sans l’usage d’effets spéciaux, encore peu développés dans les années 30. S’il trahit son modèle, L’Appel de la Forêt offre pourtant la même dose d’action et propose une histoire tout à fait plaisante et spectaculaire pour l’époque.
Tourné essentiellement en extérieur dans des décors naturels, ce qui était alors très rare, et bénéficiant d’un budget colossal, L’Appel de la Forêt sera réalisé dans des conditions climatiques difficiles. Les techniciens et acteurs devant faire avec un temps régulièrement changeant, plusieurs d’entre eux sont tombés malades au cours des prises de vues et le métrage faillit ne jamais trouver le chemin des salles de cinéma. Opus partiellement oublié, L’Appel de la Forêt demeure un excellent divertissement familial doublé d’un drame profondément humain. Grâce aux - nombreuses - libertés prises avec l’histoire de Jack London, William A. Wellman lui donne en effet une autre dimension. Centré cette fois sur la rédemption d’un aventurier hautain avide d’argent, sa rencontre avec le monde animalier et la nature sauvage, le récit devient beaucoup plus intéressant, voire touchant, notamment lorsqu’il aborde les rapports entre l’homme et l’animal. Confrontés à un environnement hostile, les personnages comprennent qu’ils ne font pas le poids et doivent s’unir pour survivre. Ensemble, ils devront en parallèle composer avec les multiples obstacles qui se dressent sur leur chemin.
Se destinant à un public plus large, L’Appel de la Forêt livre un portrait sans fard de l’être humain en présentant ses faiblesses, qu’elles soient physiques ou sentimentales. Tout au long du film, le scénario joue avec cette idée de vulnérabilité. En étant confronté au cours de leur escapade aux aléas de la nature, les héros apprennent ainsi à être sincères avec eux-mêmes et leur entourage, mais aussi à montrer ce qu’ils sont au plus profond d’eux. L’adoption de Buck est d'ailleurs le point de départ de cette prise de conscience, la présence de l’animal poussant chaque personnage à révéler sa part d’humanité et de sensibilité. Impuissants, épuisés et sans ressources, tous perdent alors leur objectif principal pour enfin être honnêtes avec ce qu’ils ressentent. L’aventure et le danger laissent donc régulièrement place à la douceur, à l’échange, au respect de l’autre et au bout du chemin, à la création de liens amicaux ou amoureux. Là où le roman décrivait un animal attiré par la liberté que lui promet la nature, le film de William Wellman véhicule lui cette idée que l’homme doit être face à lui-même et à sa solitude pour retrouver sa part d’humanité, ledit appel de la forêt faisant aussitôt office de métaphore.
Le long-métrage doit, en outre, sa réussite à son trio d’acteurs principaux et sans aucun doute Clark Gable, ici dans un registre totalement différent de ce qu’il connaissait jusqu’alors. La légende raconte que les exécutifs de MGM ne supportaient plus les caprices et le comportement de l’acteur, qui arrivait souvent ivre sur les plateaux et ne respectait pas toujours ses partenaires d’affiche. En guise de sanction, ils l’ont donc prêté à d’autres studios pour lui montrer qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient avec lui. Malgré les circonstances, la grande star montre dans L’Appel de la Forêt qu’il est l'un des interprètes les plus doués de sa génération et conserve son jeu qui faisait son succès, une pointe de cynisme et de virilité dissimulant une grande part de sensibilité. Son rôle de chercheur d’or imbu de sa personne qui, au contact de l’animal et face à un amour impossible, gagne en sympathie et en humanité, lui sied parfaitement et contribue à l’efficacité du film. Placé en terre inconnue, entouré d’une équipe avec qui il n’avait jamais travaillé, Clark Gable capte pourtant le spectateur dès qu’il apparaît à l’écran et son alchimie avec Loretta Young et Jack Oakie est indéniable.
Loretta Young campe quant à elle une jeune femme au tempérament de feu, dont l’époux a probablement péri des suites de ses blessures après avoir disparu. En croisant la route de Jack et Shorty, elle se croit sauvée mais se retrouve finalement dans la même situation que ces derniers. Elle doit donc affronter à son tour les affres de la nature, tout en essayant de ne pas tomber sous le charme de Jack. La beauté de l’actrice, sa prestation convaincante et sa présence lumineuse font d’elle le meilleur personnage du film. Tenant tête à Clark Gable et au danger, Loretta Young incarne en effet à la perfection son rôle de femme aventurière et réussit à éviter le cliché de la demoiselle en détresse. Le spectateur regrettera tout juste que le scénario cherche à tout prix à réunir la belle Claire Blake avec Jack Thornton, plutôt qu’à la montrer en deuil de la perte de l’homme qu’elle a épousé. De son côté, Jake Oakie, plus en retrait, apporte son lot de scènes comiques et de répliques bien senties. Même si le film ne le met pas suffisamment en valeur, sa présence parvient à atténuer les scènes dramatiques et contraste habilement avec le jeu plus sérieux et caractériel de Clark Gable.
Autre personnage emblématique du film, sur lequel repose une grande partie du scénario, le chien Buck, un Saint-Bernard auquel le spectateur ne peut que s’attacher. Loin d’être le centre névralgique du récit, contrairement à l’histoire originelle, il est le lien qui unit les personnages et pousse ces derniers à se révéler et faire un pas vers l’autre. Par sa présence, il tire vers le haut les scènes d’échange entre les héros, bien plus que les scènes d’action. Son amitié avec Jack fait, elle aussi, partie intégrante de la réussite de L’Appel de la Forêt. Touchante, leur amitié finit même par être plus réaliste et attendrissante que l’amour naissant - mais voué à l’échec, le mari n’étant pas tout à fait mort - entre Jack et Claire Blake. Plutôt que d’en faire un ressort comique, William Wellman insiste sur la beauté de l’animal, son intelligence et sa fidélité envers son maître. Malgré les libertés empruntées avec le roman, le film reprendra le choix que Buck doit prendre au cours de son aventure : rester auprès de son propriétaire ou répondre à la liberté promise par la nature. L’issue de ce dilemme change complètement la perception du métrage, mais a cependant le mérite de faire évoluer la personnalité des héros.
William Wellman contribue à la beauté des images et à la mise en valeur des comédiens. Le metteur en scène excelle en effet à montrer ses personnages sous leur vrai visage, à saisir leur détresse, leur joies et désespoirs dans un environnement inhospitalier sans tomber dans la complaisance ou les clichés du genre. La relation entre Claire et Jack a beau souffrir des stéréotypes de la romance naissante, William Wellman évite la surenchère de bons sentiments. Les paysages ont beau être magnifiques, la réalisation persiste à montrer leur hostilité, mais conserve une part de légèreté afin de ne pas perdre son public. Le réalisateur parvient aussi à contourner les difficultés qu’impliquait l’adaptation d’un livre dont le héros est un animal et la présence humaine minime en proposant une aventure sous un autre point de vue, tout en conservant l’essence même du roman. Le spectateur regrettera néanmoins le dénouement précipité et abrupt, comme si William Wellman était pressé de conclure son film. Il révélera d’ailleurs à ce sujet que plus de quinze minutes ont été coupées au montage.
Les paysages enneigés participent grandement à l’authenticité des images et reconstituent à merveille l’atmosphère du grand Nord, même si, d’après Wellman, le mauvais temps l’aurait empêché de tourner autant de scènes sur place qu’il le voulait. Les changements de température et de lumière ont ainsi conduit à plusieurs retards de prises de vue et n’ont certainement pas aidé le réalisateur dans son travail. Il doit aussi faire avec l’attitude hautaine de Clark Gable, dont les caprices de diva vaudront à ce dernier d’être menacé de renvoi à plusieurs reprises. Malgré les conditions de tournage aléatoires et une ambiance parfois anxiogène, la mise en scène de Wellman demeure cohérente et réaliste, notamment dans les scènes où les héros sont en situation de péril. L’Appel de la Forêt rend ainsi compte de la cruelle réalité de la nature et du combat perdu d’avance que les hommes mènent contre elle. Il suffit de voir la noyade de trois personnages dans une rivière, le radeau emporté par les eaux ou le visage affaibli des héros au cours de leur périple pour s’en convaincre.
Spectaculaire pour l’époque de par son sujet consistant à réaliser un portrait de l’homme en pleine nature, L’Appel de la Forêt paraît néanmoins désuet pour le spectateur contemporain. Le film ne va, en effet, pas toujours au bout des sujets qu’il aborde, que cela soit l’amourette entre Jack Thornton et Claire Blake ou la chasse au trésor. Les mœurs alors contemporaines et les dispositions du code Hays, établi en mars 1930 pour réguler la production des films, en sont l’explication la plus plausible. Devant ces exigences, les studios ont dû atténuer la romance pour ne pas se voir accusés d’incitation à l’adultère. Voulant plaire au plus grand nombre et satisfaire tous les publics, le métrage s’éparpille et souffre d’un déséquilibre flagrant. Sa conclusion est également l’un de ses points faibles. D’abord mélancolique, puis brutale et forcée, elle a été imposée par les producteurs de peur de décevoir l’audience. Louable, mais sans doute peu crédible et totalement hors de propos, ce dénouement, en opposition avec une bonne partie des thèmes véhiculés par le scénario, risque de diviser le plus grand nombre.
La musique du film est signée par Alfred Newman, compositeur et chef d’orchestre américain né le 17 mars 1901 et mort le 19 février 1970 en Californie. Pianiste et chef d’orchestre, il part pour Hollywood dans les années 1930 et obtient le poste de directeur musical des studios United Artists. Il y écrit les musiques de films dont Les Lumières de la Ville (1931) et Les Faubourgs de New York (1933), avant de rejoindre 20th Century Fox en 1940, pour qui il compose la célèbre fanfare accompagnant le logo. Il signe également plusieurs bandes originales : Les Raisins de la Colère (1940), Le Président Wilson (1944), Le Signe de Zorro (1946), Ève (1950), Les Gladiateurs (1954), Le Journal d’Anne Frank (1959). Il remporte évidemment de nombreuses récompenses au cours de sa carrière, dont l’Oscar de la Meilleure Partition pour un film dramatique ou une comédie pour Le Chant de Bernadette, ainsi que celui de la Meilleure Musique de film en 1955 pour La Colline de l’Adieu.
La partition musicale de L’Appel de la Forêt est une très belle expérience auditive. Agréable à l’écoute, elle accompagne le spectateur et l’invite à la découverte des grands espaces blancs et à l’aventure. Douce lors de moments calmes, notamment les scènes romantiques ou de dialogues, elle se montre endiablée et menaçante au cours des instants plus rythmés où les héros sont en danger ou en pleine tempête. Les violons laissent place alors à des cuivres et percussions marqués, insistant sur la gravité de la situation pour revenir peu à peu à une mélodie plus touchante et mélancolique, qui tirera certainement une larme à un public sensible. Le spectateur en vient même à regretter la musique quand elle est absente ! Alfred Newman, à ses débuts, montre déjà à quel point il est fait pour ce métier, parvenant à sublimer les images par des notes agréables aux oreilles, mais violentes quand il le faut sans jamais agresser les tympans.
La première mondiale de L’Appel de la Forêt se déroule au Carthay Circle Theatre de Los Angeles le 30 avril 1935. Mais le public n’accepte pas la mort de Jack Oakie à la fin du métrage. L’équipe doit aussitôt repartir en tournage pour changer le destin du personnage et mettre en scène une nouvelle fin pour contenter l’audience. Quelques scènes supplémentaires sont ensuite ajoutées, ainsi que des dialogues, avant une sortie officielle le 9 août 1935 dans les salles américaines. L’Appel de la Forêt reçoit alors un accueil chaleureux de la part du public et des critiques. La performance des acteurs, Clark Gable et Loretta Young en tête, la beauté des paysages enneigés, la musique d’Alfred Newman et le scénario sont applaudis, de même que la réalisation de Wellman. Seules quelques libertés prises par rapport au roman sont pointées du doigt, dont l’intrigue centrée sur les personnages humains et non sur le parcours initiatique d’un chien de traîneau.
Le succès est au rendez-vous et L’Appel de la Forêt fait partie des films les plus vus aux États-Unis l’année de sa sortie. Il connaîtra de nouveau le chemin des salles au fil des années et existe sous plusieurs montages (81, 89 et 93 minutes). Pour l'anecdote, L'Appel de la Forêt sera à l'origine d'un scandale quelques années après sa sortie au cinéma. Durant le tournage du film, Loretta Young serait tombée enceinte de Clark Gable, de douze ans son aîné, alors marié à Maria Langham. Pour éviter que leurs carrières respectives ne soient entachées par cette liaison et protéger leurs vies privées, les studios ont passé la grossesse de l'actrice sous silence. Loretta Young partira s'isoler quelques temps en Californie, où elle accouchera de son enfant, qu'elle prétendra avoir adopté. L'enfant grandit sous le nom de Judy Lewis et, marchant sur les pas de sa mère, connaîtra la vérité sur ses origines bien des années plus tard. Peu avant sa mort, Loretta Young avouera ne pas avoir été consentante en évoquant la conception de Judy.
De nouvelles adaptations du roman, plus ou moins fidèles, verront le jour, notamment en 1972, réalisée par Ken Annakin (Robin des Bois et ses Joyeux Compagnons, La Rose et l’Épée, Les Robinsons des Mers du Sud) et mettant en scène Charlton Heston (Les Dix Commandements, Ben-Hur, La Planète des Singes, Tombstone), puis d’autres pour la télévision en 1976 et 1997. L’Appel de la Forêt est également le dernier film distribué par les studios 20th Century Pictures avant leur fusion avec Fox Film Corporation, donnant naissance à la célèbre 20th Century Fox. Ironie du sort, la dernière adaptation du livre de Jack London, sortie le 21 février 2020 aux États-Unis, est le tout premier film produit par 20th Century Studios, nouveau nom de la compagnie à la fanfare après son rachat par Disney le 20 mars 2019.
Prenant beaucoup de libertés et privilégiant le spectacle, L’Appel de la Forêt est une plongée passionnante dans un environnement hostile et une réflexion pertinente sur la place de l’homme face à la nature, ponctuée de belles séquences enneigées, malgré une intrigue romantique souvent hors de propos et un final décevant. Palpitant, touchant et réservant quelques moments d’humour, il livre en parallèle une nouvelle interprétation du roman en plaçant le curseur sur les personnages humains et offre un regard neuf sur une histoire qui, pour l’époque, était très difficile à porter sur grand écran.